Le pape François a médité sur les différents âges de la vie sacerdotale, devant de jeunes prêtres, lors de sa rencontre de carême avec les prêtres du diocèse de Rome, le 15 février 2018.
Méditation du pape François :
Le groupe des plus jeunes :
« Beaucoup de vocations naissent bien mais ensuite elles se refroidissent, s’habituent, s’éteignent. Comment passer du sentiment amoureux à l’amour dans la vie sacerdotale ?
Ou encore, comment comment pouvons-nous nous attendre à ce que toute l’humanité d’un prêtre soit impliquée autour de ce centre qu’est l’amour nouveau pour le Seigneur ? Comment les désirs, les aspirations et les limites sont-ils impliqués ? Comment vivre dans la liberté une vie sacerdotale que nous sommes appelés à assumer avec amour, mais dans le concret on doit se débrouiller avec milles choses à faire et devoirs ?
Parfois on se sent dans un grand train qui avance sans se préoccuper de nous. Comment se sentir élus par Dieu et réalisés en tant qu’hommes en dehors d’une carrière et loin des comparaisons ?
Dans notre ville, souvent nous sentons que nous ne sommes pas incisifs : pouvons-nous être une humanité significative, c’est-à-dire pouvons-nous effectuer des choix de vie qui indiquent une route évangélique sur la façon de vivre la réalité urbaine déshumanisante de notre temps ?
Aujourd’hui, le prêtre peut-il devenir un signe humain petit mais lumineux qui invite son troupeau à la liberté ? Quand les fatigues des jeunes prêtres sont dictées par le manque de force, le manque de prophétie, le manque de transparence ou au contraire quand pèse le style d’une Église pas encore renouvelée ?
La vie commune, un style sobre, la prière moins rituelle et l’abandon des structures, quand tout cela ne rejoint pas la vie concrète du prêtre parce qu’il ne s’est pas laissé renouveler ou quand au contraire la vie ordinaire qui est attendue du prêtre ne répond pas à un renouvellement de son cœur ? »Sa Sainteté : Voilà la question. Beaucoup de questions en une seule ! Mais cela m’a plu qu’il y en ait autant parce qu’il y a quelque chose de commun dans ces questions : il y a l’abondance des circonstances. Si c’est comme ceci et que c’est comme cela, et cela, et cela… : des questions de circonstances. L’accent est sur les circonstances. « Quand il se passe ceci, si les choses sont comme cela et comme cela et qu’elles se passent ainsi, comment faire dans ces circonstances qui sont des limites, qui ne nous permettent pas d’aller de l’avant ? »
Devant ces circonstances, il n’y a pas d’issue. Si je pose une question – comme dans ce cas – sur les circonstances ou avec toutes ces circonstances, c’est une voie sans issue. C’est un piège, quand les circonstances deviennent aussi fortes. C’est un piège parce que cela ne te permet pas de grandir, il ne faut pas trop regarder les circonstances. En revanche, ce qui est central, c’est la manière juste de vivre les engagements sacerdotaux, et de chercher le style qui aide à offrir dans la paix et la ferveur. Laissons de côté les circonstances – il y en a tellement – mais regardons comment aller de l’avant. J’ai employé le mot « style » : cherche son style sacerdotal, sa personnalité sacerdotale, qui n’est pas un cliché. Nous savons tous comment doit être un prêtre, les vertus qu’il doit avoir, la route qu’il doit prendre…
Mais le style, ta carte d’identité… Oui, on dit « prêtre », mais ton empreinte personnelle, la tienne, avec les motivations qui te poussent à vivre dans la paix et la ferveur. D’un côté, toutes les circonstances dans ce monde qui est comme ceci, ceci et ceci… ; de l’autre, ton style. Chacun de nous a son propre style sacerdotal. Oui, le sacerdoce est une manière de vivre, c’est une vocation, une imitation de Jésus-Christ d’une certaine manière ; mais ton sacerdoce est unique, dans le sens où il n’est l’égal d’aucun autre. Je dirais, devant cette question : cherche ton style. Ne regarde pas trop les circonstances qui ferment les issues. Cherche ton style : ton style comme prêtre et personnel.
Et ce style se développe dans une atmosphère. Je voudrais dire ceci : ce n’est pas un cliché de continuer de dire que nous ne pourrons pas vivre notre ministère dans la joie si nous ne vivons pas des moments de prière personnelle, face à face avec le Seigneur, en parlant, en conversant avec lui de ce que je vis. Cela n’est pas un cliché. [Vivre] le ministère avec joie, avec des moments de prière personnelle, face à face avec le Seigneur, parler avec le Seigneur, en conversant avec lui de ce que je vis. Les circonstances, ton propre style, le Seigneur. Est-ce que je parle de cela avec le Seigneur ? Toutes ces questions ? Ou bien est-ce que je parle avec moi-même, avec mon impossibilité devant toutes ces circonstances qui ferment la porte et qui me tirent vers le bas ? « Ah, ce n’est pas possible, c’est un désastre… on ne peut pas être prêtre dans ce monde sécularisé… ».
Et c’est le début des plaintes. Les limites. La question était : « Comment impliquer aussi les désirs et les aspirations, les limites ? » C’est une belle question : comment impliquer les limites dans ta vocation sacerdotale, dans ton style. Repérer les limites : les limites générales – le fait que je suis ici – et aussi les tiennes, personnelles. Dialoguer avec ces limites, dans le sens de que puis-je faire avec cette limites, comment porter sur moi cette limite. Discerner parmi les limites. Et la question peut nous effrayer parce qu’il y a beaucoup de limites, de nombreuses circonstances qui nous tirent vers le bas et « je ne peux pas être prêtre », non ! La réponse est : il y a une voie, c’est ton style sacerdotal, le dialogue avec tes limites, le discernement avec ces limites, et aussi avec ces circonstances. Ne pas en avoir peur.
Discerner aussi ses propres péchés, parce que les péchés sont pardonnés, c’et vrai, le sacrement de la confession est pour cela ; mais cela ne s’arrête pas là. Ton péché nait d’une racine, d’un péché capital, d’un comportement et c’est une limite qu’il faut discerner. C’est une autre voie, différente de la demande de pardon pour le péché. « Non, oui, j’ai ce problème, je me suis confessé, c’est fini ». Non, cela ne s’arrête pas là. Le pardon est là, mais ensuite tu dois dialoguer avec cette tendance qui t’a conduit à un péché d’orgueil, de vanité, de jalousie, de ragot, je ne sais pas… Qu’est-ce qui me pousse à cela ? Dialoguer avec la limite que j’ai en moi et discerner. Et le dialogue, avec ces limites, toujours – pour être ecclésial – il faut le faire devant un témoin, quelqu’un qui m’aide à discerner. Et là, la confrontation est très importante : ce qui m’arrive, m’y confronter avec quelqu’un d’autre. La nécessité de la confrontation. Pas tellement des péchés, je dirais qu’il faut faire une distinction : les péchés doivent être confesser et demander pardon, et cela se termine là ; ensuite, avec le Seigneur, j’avance.
Mais les limites, les tendances, les problèmes qui me poussent à cela, les maladies spirituelles que j’ai, cela oui, je ne pourrai jamais vaincre cela ni résoudre les problèmes qui me poussent [au péché] sans confrontation. La confrontation. Et là [il s’agit] de chercher un homme sage. Un homme sage. C’est la figure ecclésiale du père spirituel qui commence avec les moines du désert : celui qui te guide, t’aide, qui dialogue aussi avec toi, qui t’aide dans le discernement. Si tu as péché, c’est une limite, c’est vrai : cherches-en un miséricordieux et s’il est sourd, c’est mieux. Demande pardon et avance. Mais cela ne s’arrête pas là. Qu’est-ce qui t’a conduit au péché ? Quelle est la tendance, quel est le problème ? Cherche un sage pour la confrontation, pour dialoguer avec tes limites, avec tes faiblesses, pour dialoguer et chercher à résoudre ce chemin. Je vous le dis en vérité : le prêtre est célibataire et en ce sens on peut dire que c’est un homme seul ; oui, jusqu’à un certain point, on peut dire cela.
Mais il ne peut vivre seul, sans un compagnon de route, un guide spirituel, un homme qui l’aide à se confronter, à discerner, à dialoguer. Il ne suffit pas de confesser ses péché : c’est important, parce que là – et je l’ai toujours senti, c’est une des plus belles choses du Seigneur – il y a l’humilité du pécheur et la miséricorde de Dieu qui se rencontrent et s’embrassent ; c’est un très beau moment de l’Église, le pardon des péchés. Mais cela ne suffit pas. Tu es responsable aussi d’une communauté, tu dois aller de l’avant et pour cela tu as besoin d’un guide. Je vous dis de ne pas avoir peur ; aux jeunes aussi : commencer jeunes par cela. Chercher. Il y a des hommes sages, des hommes de discernement qui aident beaucoup et accompagnent beaucoup.
Donc, pour résumer : dans cette question, l’accent est trop mis sur les circonstances et cela peut devenir un alibi. Parce que si tu regardes seulement les circonstances, il n’y a pas d’issue. Tu dois chercher ton propre style, la manière juste de vivre ta vocation sacerdotale ; et pour cela, cela n’est pas quelque chose de vieux, ce n’est pas un cliché de continuer de dire que nous ne pourrons pas vivre notre ministère avec joie sans vivre des moments de prière personnelle, face à face avec le Seigneur, en parlant, en conversant avec lui sur ce que nous vivons. Tout cela doit être porté dans la prière, avec le Seigneur. Sans le dialogue avec le Seigneur, tu ne peux pas avancer.
Dialoguer avec les limites, discerner les limites ; et pour cela, nous aider en nous confrontant avec notre père spirituel, avec un homme sage qui nous aide dans le discernement. Et les jeunes, il les aide beaucoup – et ils le font ! – c’est un plus, cela, et les moins jeunes le font aussi – et aussi des petits groupes de prêtres qui s’accompagnent entre eux : la fraternité sacerdotale. Ils se rencontrent, ils parlent, et c’est important, parce que la solitude ne fait pas de bien, ne fait pas de bien.
C’est ce qui me vient à l’esprit sur la première question. Mais je voudrais souligner cela : faites attention à ne pas vous tromper avec les limites. « Oh, ce n’est pas possible, regarde celui-ci, et celui-là, le monde est une calamité, celui-ci et cet autre, la télévision, celui-ci et cet autre… » : ce sont des limites culturelles ou personnelles mais ce n’est pas la bonne voie. La bonne voie est l’autre, celle que j’ai indiquée. Et toujours au centre le Seigneur Jésus, la prière.
Deuxième question :
« Pour un prêtre, l’âge qui va des 40 aux 50 ans environ est décisif. Les perfectionnismes moraux tombent, on est conscient, expérimentalement, que l’on est pécheur – et c’est très bon, à cet âge-là. Beaucoup d’idéaux apostoliques sont ramenés à leur juste dimension, le soutien de la famille d’origine s’affaiblit, les parents tombent malades, souvent aussi la santé commence à donner quelques problèmes. Ce serait un temps propice pour choisir le Seigneur mais souvent nous n’avons pas les instruments pour réorienter la crise du milieu de la vie – telle qu’on l’appelle – vers une élection joyeuse et définitive.
Le super-travail – parfois suicidaire – le supertravail dispersif nous a déshabitué à prendre soin de nous précisément au moment où ce serait le plus nécessaire. Père, pouvez-vous nous donner quelques indications à ce sujet ? Comment se préparer à cette étape de la vie. Quelles sont les aides indispensables ? »Sa Sainteté : Eh le démon de midi ! (en français dans le texte, ndlr) Le démon de midi… Nous, en Argentine, nous l’appelons « el cuarentazo ». À quarante, entre quarante et cinquante, cela t’arrive… C’est une réalité. J’ai entendu dire que certains l’appellent « maintenant ou jamais plus ». On repense à tout et [on dit] : « ou maintenant ou jamais plus ». Il y a deux écrits que je connais – il y en a beaucoup de beaux, des Pères du désert, dans la Philocalie, vous trouverez beaucoup de choses à ce sujet – il y a un livre moderne, plus proche de nous, en particulier dans le dialogue avec la psychologie, de ce moine psychologue autrichien, Anselm Grün : « La crise du milieu de vie », il peut aider. C’est un dialogue psychologico-spirituel sur cette période. Et il y a un autre écrit que, celui-là oui, je voudrais que vous lisiez tous : « Le second appel », du père René Voillaume.
Ce serait beau de l’offrir, d’une manière ou d’une autre, aux prêtres. Il fait une belle exégèse de la vocation de Pierre, la dernière, à Tibériade : le Pierre du second appel. De même que le Seigneur nous a appelés la première fois, il nous appelle continuellement, mais fortement la première fois ; puis il nous accompagne en nous appelant tous les jours, mais à un certain moment de la vie, cela devient un second appel fort. C’est le temps de nombreuses tentations ; c’est un moment où il faut une nécessaire transformation. On ne peut pas continuer sans cette nécessaire transformation, parce que si tu continues ainsi, sans mûrir, à faire un pas en avant dans cette crise, tu finiras mal. Tu finiras dans une double vie, peut-être, ou en quittant tout. Il faut cette nécessaire transformation. Il n’y a plus ces premiers sentiments : « ils sont loin, je ne les sens pas comme ceux que j’avais quand j’étais jeune, de suivre le Seigneur, l’enthousiasme… » ; ils ne sont plus là, il y a d’autres sentiments. Il y a aussi d’autres motivations, pas les mêmes. Et il arrive – parce que c’est un problème humain – il arrive comme dans le mariage : il n’y a plus le sentiment amoureux, le début de l’amour, dans l’émotion de la jeunesse…
Les choses se sont calmées, c’est différent. Mais il reste, cela oui, quelque chose que nous devons chercher à l’intérieur : le goût de l’appartenance. Cela demeure. Le plaisir d’être avec un corps, de partager, de cheminer, de lutter ensemble : dans le mariage, et aussi pour nous. L’appartenance. Où en est mon appartenance à mon diocèse, à mon presbyterium ?… Cela demeure. Et nous devons être forts à ce moment pour faire un pas en avant. Comme pour les époux : ils ont perdu tout ce qui appartenait à la jeunesse mais le goût de l’appartenance conjugale, cela demeure. Et là, que fait-on ? Chercher de l’aide, tout de suite. Si tu n’as pas un homme prudent, un homme de discernement, un sage pour t’accompagner, cherche-le, parce qu’il est dangereux d’avancer tout seul, à cet âge. Beaucoup ont mal fini. Cherche tout de suite de l’aide. Et puis, avec le Seigneur : dire la vérité, que tu es un peu déçu parce que cet enthousiasme a disparu…
Mais il y a la prière de don de soi : se donner au Seigneur, une manière différente de prier, le don de soi. C’est un moment rude, un moment rude, mais c’est un moment libérateur : ce qui est passé est passé ; maintenant il y a un autre âge, un autre moment de ma vie sacerdotale. Et avec mon guide spirituel, je dois avancer. Le temps qui reste, de vie, doit être mieux vécu, pour un meilleur don de soi. C’est le temps des enfants – j’aime bien le dire de cette façon – de voir grandir les enfants. Le temps d’aider la paroisse, l’Église, à grandir, c’est le temps de la croissance, des enfants. Il est temps que je commence à diminuer. Le temps de la fécondité, la vraie fécondité, non la fécondité feinte.
C’est le temps de l’élagage : ils grandissent, j’aide et je reste en arrière. En aidant à grandir, mais ce sont eux qui grandissent. Et il y a de mauvaises tentations pendant cette période. Des tentations que l’on n’aurait jamais pensé avoir auparavant. Il ne faut pas en avoir honte. Mais il faut tout de suite les démasquer. Et c’est le temps des incartades : quand le prêtre commence à faire des incartades. C’est le germe de la double vie. Il faut tout de suite les prendre, y compris avec un certain sens de l’humour : « Regarde, moi qui avais cru que j’avais totalement donné ma vie au Seigneur mais regarde, à quoi je ressemble ! » J’ai dit que c’est le temps de la fécondité. Quelle est la figure qui me vient à l’esprit ? Incartades, double vie… Mais ce qui me vient davantage à l’esprit, en la prenant dans la famille, pour décrire le prêtre qui ne parvient pas à dépasser cela, à mûrir pendant cette période, c’est la figure de « l’oncle vieux garçon ». Ils sont gentils, les oncles vieux garçons parce que – je m’en souviens – j’en avais deux, ils nous enseignaient des gros mots, ils nous donnaient des cigarettes en cachette, toujours…
Mais ils n’étaient pas pères ! Ils n’étaient pas pères. C’est le temps de la fécondité : avec le sacrifice, avec l’amour, c’est une belle période, celle-ci. C’est une période… c’est le second acte de la vie. Le premier acte est celui de la jeunesse, mais il te conduit vers la fin. Ne perdez pas cette opportunité de mûrir pendant ce temps d’élagage, d’épreuves, de tentations diverses… Le temps de la fécondité. Il se peut aussi que viennent, en cette période – parce que le diable est malin – des tentations de la première jeunesse, mais elles viennent isolées. Ne pas s’en effrayer. « Mais regarde, à mon âge, Père… – Eh oui, mon fils. Avance ! ». On a honte, mais c’est propre à cette période, remercions le Seigneur qui nous donne d’avoir un peu honte. Mais ne pas en rester là !
Non, c’est une circonstance, le fil qui va de l’autre côté : l’élagage, la fécondité et le temps de conserver le bon vin, pour qu’il vieillisse bien. Et je dirais aussi que c’est le temps du premier adieu, le temps où le prêtre se rend compte qu’un jour il dira définitivement adieu. Et c’est le temps du premier adieu. Pendant cette période, on doit dire beaucoup d’ « adieu » : « Au revoir, je ne te verrai plus ». Cela ne se reproduira plus, cette situation, cette façon de sentir les choses, je ne les aurai plus. Adieu à cette partie de la vie, pour en commencer une autre. Et ainsi nous apprenons à prendre congé. Il me vient à l’esprit, et cela fait rire, parce que j’ai fait un Motu proprio ces jours-ci qui commence par ces mots : « Apprendre à partir ». C’est pour ceux qui, à 75 ans, doivent donner leur démission. Mais c’est le temps pour apprendre à prendre congé, parce qu’un jour nous devrons le faire. C’est une science, une sagesse qu’il fait apprendre avec le temps, qui ne s’improvise pas.
Voilà ce que je dirais, ainsi, de manière un peu désordonnée, sur cette seconde question du « démon de midi ». Mais cherchez à lire le père Voillaume : « Le second appel » ; l’autre aussi, de Grün, est bon, mais Voillaume est un classique. C’est curieux, Voillaume est un auteur spirituel qui est devenu un classique pendant sa vie, un des rares qui était un classique, il est mort très âgé, mais c’était un classique quand il était encore en vie.
Troisième question :
« Saint-Père, nous les prêtres qui avons 35, 40 ans et plus de ministère, nous avons commencé notre service de l’Église à une période très différente de l’époque actuelle. Nous avons traversé des phases de changements rapides et parfois violents. La jeunesse et l’âge adulte se sont succédé rapidement, sans nous donner le temps de comprendre et de nous adapter.
Arrivés à la pleine maturité – dans la période propre de la pleine maturité – et même, en ayant déjà dépassé le seuil, nous sentons souvent notre fatigue et notre inadéquation. En effet, même lorsque l’énergie est là et que nous sommes guidés par un désir sincère de servir, nous ne pouvons pas toujours puiser dans notre expérience pour correspondre aux nouvelles demandes et aux exigences du ministère ». Celui qui a écrit cela est très curieux parce qu’il demande : « Nous aimerions savoir comment vous avez vécu le passage à la saison mûre de votre ministère sacerdotal, d’autant plus que pour vous, cela a coïncidé avec des tournants importants et imprévus.
En effet, vous avez été appelé au ministère épiscopal à 56 ans et vingt ans plus tard, en 2013, vous avez vécu un tournant radical avec votre élection comme évêque de Rome. Quels sont donc les points fermes de la vie spirituelle, pour vivre de manière intégralement pacifiée cette saison si complexe qui, pour nous, devrait être celle des fruits mûrs ? »Sa Sainteté : Beaucoup d’entre nous avons cet âge. Disons la vérité : c’est l’ultime étape de la vie. La crise du milieu de la vie est passée et celle-ci arrive. Et à cet âge, on peut ne pas trouver le langage du monde d’aujourd’hui. Je ne sais pas utiliser les réseaux et toutes ces choses… non, même pas le téléphone portable, je n’en ai pas. Je ne sais pas. Ce langage, je ne sais pas l’utiliser. Internet et ces choses-là, je ne sais pas les utiliser. Quand je dois envoyer un courriel, je l’écris à la main et c’est mon secrétaire qui l’envoie. On peut ne pas avoir l’habileté pour utiliser les nouvelles techniques ; on peut ne pas trouver la méthodologie pastorale qu’il faut aujourd’hui. C’est vrai, c’est une expérience.
Aujourd’hui, la réalité avance tellement que je n’arrive pas à le faire. Mais la chose la plus importante à cet âge, c’est ce que l’on peut faire : ce dont les gens ont besoin aujourd’hui. Et cet âge – celui d’avant était celui de l’élagage ; peut-être que le premier de tous était celui de l’espérance, d’avoir toute la vie devant soi – et celui-ci, en revanche, c’est l’âge du sourire. Offrir un regard aimable. Et cela, on peut le faire. Cela, on peut le faire. Que c’est beau quand les confesseurs reçoivent le pénitent avec ce regard, aimable. Et aussitôt le cœur du pénitent s’ouvre, parce qu’il ne voit pas de menace. C’est le regard qui accueille la personne, le regard aimable. Cela, à propos du confesseur. Mais on peut faire tant de bien avec le sacrement de la réconciliation à cet âge-ci. Tant de bien. Je crois que certains m’ont donné, ces dernières années, ce livre du confesseur : Ne pas se lasser de pardonner. Le sacrement de la réconciliation, à cet âge-ci, est l’un des plus beaux ministères que l’on puisse avoir. On peut être disponible. Une nouvelle disponibilité : « Oui, pourquoi pas… Tu peux faire cela ? Si, allez… » C’est l’âge du sacerdoce à usage multiple. On peut avoir la proximité, la compassion d’un père.
Les pères âgés, qui connaissent la vie, sont proches des misères humaines, proches des douleurs. Ils ne parlent pas trop, mais peut-être que par le regard, une caresse, le sourire, une parole, ils font beaucoup de bien. On peut beaucoup écouter, beaucoup de gens qui ont besoin de parler de leur vie, de dire… Écouter. Le temps de faire le ministère de l’écoute. La pastorale de l’oreille. Et aujourd’hui les gens ont besoin d’être écoutés. Et puis on ne sait pas quel est le fruit mais : « J’ai trouvé un homme qui m’a compris ». Peut-être le prêtre ne se rend-il pas compte qu’il l’a compris, mais il a écouté cette personne de telle manière que… C’est le temps d’offrir un pardon sans conditions. Les grands-parents savent pardonner, ils ont une sagesse. Ce confesseur de ce livre – c’était un frère capucin – parfois, il lui venait le scrupule d’avoir trop pardonné. Il est venu me voir à 80 ans – maintenant il en a 92, et la queue des personnes est sans fin – et il m’a dit : « Mais tu sais, j’ai ce problème, je ne sais pas… Dis-moi, toi qui es évêque, ce que je dois faire – Et que fais-tu quand tu as des scrupules ? », lui ai-je demandé. Je le connaissais, je savais qu’il était malin… Et il m’a répondu : « Mais, je vais dans la chapelle et je regarde le tabernacle et je dis au Seigneur : Seigneur, excuse-moi, aujourd’hui, j’ai trop pardonné. Mais écoute, c’est toi qui m’a donné le mauvais exemple ». Et cela, c’est la sagesse : le pardon sans conditions.
Que peut-il encore faire ? Donner un témoignage de générosité et de joie. Le témoignage que nous voyons chez les personnes âgées : le témoignage du « bon vin », généreux et joyeux. Et il peut offrir la bonne humeur, le sens de l’humour. Un bon cadeau de celui qui sait relativiser les choses en Dieu. Mais avec cette sagesse de Dieu.
Le personnage qui me vient à l’esprit est le père de la parabole (cf. Lc 15) qui relativise tout : le fils commence son discours et il l’embrasse, il ne le laisse pas parler, il lui pardonne. Mais le fils sait qu’il y a là une très grande force. C’est le temps des grands enfants et des petits-enfants. Le prêtre a des petits-enfants. Pas des neveux, non, parce qu’il y a un dicton qui dit : « à ceux à qui Dieu ne donne pas d’enfants, le diable donne des neveux ». Non, des petits-enfants. C’est beau de voir les prêtres âgés jouer avec les enfants : ils se comprennent, ils se comprennent.
Et là, j’arrive à un thème que je considère comme très important. Ce passage de Joël, chapitre 3 verset 1, me donne beaucoup de force : « vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions ». C’est le temps de cette joie dans la relation avec les jeunes. Et c’est des problèmes les plus sérieux que nous ayons maintenant. Il est encore temps parce qu’il s’agit de donner des racines aux jeunes. C’est curieux : les jeunes se comprennent mieux avec les personnes âgés qu’avec leurs parents parce qu’il y a [chez les jeunes] une recherche inconsciente d’identité, de racines et les personnes âgées la donnent, les grands-parents. Mais la générosité, le « bon vin » les aide beaucoup ; et le dialogue avec les petits-enfants, avec les jeunes. Et quelle est la tentation la plus grande de cet âge ? Reprendre quelques tentations de la jeunesse. Je ne sais pas si cette expression existe en Italie, mais en Espagne, en castillan, elle existe et en Argentine aussi : c’est le moment du « vieux vert » [“viejo verde”], c’est-à-dire que la personne âgée ne mûrit pas, qu’elle retourne aux tentations de sa jeunesse. C’est triste, c’est l’échec d’une vie : finir « vieux vert », immature… Et ils font piètre figure… Ils se prennent pour d’éternels fiancés… piètre figure… Les « vieux verts », je ne dis pas les prêtres. Mais le prêtre peut tomber dans cette tentation de reprendre les tentations de sa jeunesse. C’est triste de finir comme cela.
Je reviens sur le dialogue entre personnes âgées et jeunes : c’est une rencontre de générations. Le passage évangélique de la présentation de Jésus au temple est clair, il est très fort et nous donne beaucoup de lumière. Les jeunes ont besoin de racines, aujourd’hui dans ce monde si virtuel, d’une culture virtuelle sans substance, qui leur arrache leurs racines ou qui ne les laisse pas croître, qui les leur fait perdre. Et c’est une urgence du temps, auquel les prêtres âgés peuvent répondre : aider les jeunes à trouver leurs racines, à retrouver leurs racines. Et l’influence est mutuelle parce que quand un groupe de jeunes – j’ai en tête plusieurs expériences – va jouer de la guitare, par exemple, dans une maison de retraite, au débuts les personnes âgées sont comme cela [il titube], mais ensuite ils commencent à bouger, ils entrent en dialogue, ils commencent à rêver – comme le dit Joël. Et ces rêves font que les jeunes en sortent différents, différents. Ce que je dis n’est pas de la poésie, je crois que c’est une révélation du Seigneur pour notre temps. C’est une vocation spéciale pour nous, les prêtres qui avons cet âge. Avec les jeunes, pour êtres des rêveurs avec les jeunes.
J’aurais aussi une question, ici.
« Nous aimerions savoir comment vous avez vécu ce passage… »Sa Sainteté : Mais qui aimerait le savoir ? Vous n’êtes pas des cancaniers, je ne crois pas que cela vous plaise [il rit, ils rient]. C’est curieux, cette étape m’a trouvé au moment de quitter une charge de gouvernement. À peine ordonné, j’ai été nommé supérieur l’année suivante, maître des novices, puis provincial, recteur de la faculté… Une étape de responsabilité qui a commencé avec une certaine humilité parce que le Seigneur a été bon mais ensuite, avec le temps, tu te sens plus sûr de toi ; « Je vais y arriver, je vais y arriver… » est l’expression qui me vient le plus à l’esprit. On sait s’orienter, faire les choses, gérer…
Et ce fut terminé, tout cela, toutes ces années de gouvernement… Et là a commencé un processus de « mais maintenant je ne sais pas quoi faire ». Oui, faire le confesseur, finir la thèse de doctorat – qui était là et que je n’ai jamais défendue – Et puis me remettre à penser aux choses. Le temps d’une grande désolation pour moi. J’ai vécu ce temps dans une grande désolation, un temps obscur. Je croyais que c’était déjà la fin de la vie ; oui, je faisais le confesseur mais dans un esprit d’échec. Pourquoi ? Parce que je croyais que la plénitude de ma vocation – mais sans le dire, maintenant je m’en rends compte – était dans le faire. Eh non, il y a autre chose ! Je n’ai pas laissé la prière, cela m’a beaucoup aidé. J’ai beaucoup prié, à cette époque, mais j’étais « sec comme une bûche ». La prière m’a beaucoup aidé, là, devant le tabernacle.
Et puis un appel téléphonique du nonce a ouvert une autre porte. Mais les dernières années de cette période – des années, je ne me souviens plus si c’’était de 1980… de 1983 à 1992, presque 10 ans, neuf années pleines – vers la fin, ma prière était très dans la paix, elle était très avec beaucoup de paix et je me disais : « Que va-t-il se passer maintenant ? », parce que je sentais que j’étais différent, avec une grande paix. Je faisais le confesseur et le directeur spirituel à cette époque : c’était mon travail. Mais je l’ai vécu de façon très obscure, très obscure et souffrante, et aussi avec l’infidélité de ne pas trouver le chemin, et compensation, compenser [la perte] de ce monde fait de « toute-puissance », chercher des compensations mondaines ; et encore, le Seigneur, à la fin de cette période, m’a préparé et cet appel téléphonie qui m’a mis sur une autre route.
Comme cela, obscur, pas facile, oui, beaucoup de prière, beaucoup de prière, et compensation. Voilà, la dernière question, comme je l’ai vécu. Et puis le dernier [passage], depuis 2013, je ne me suis pas rendu compte de ce qui s’est passé : j’ai continué de faire l’évêque [en disant], « À toi d’y penser puisque tu m’as mis là ».
Et puis la dernière question :
« Le prêtre se dépense totalement (et il ne pourrait pas faire autrement) parce qu’il appartient au Royaume : il aime la terre, reconnaissant qu’elle est visitée tous les matins par la présence de Dieu. C’est l’homme de la Pâque, au regard tourné vers le Royaume vers lequel on sent que l’histoire humaine est en chemin, malgré les retards, les obscurités et les contradictions ».
C’est une citation. « À la Conférence épiscopale italienne, Sainteté, par ces paroles vous avez décrit le prêtre comme quelqu’un qui appartient au Royaume, qui sait saisir la présence et l’action de l’Esprit de Dieu dans le monde et en particulier dans les cultures qui sont forgées dans nos villes.
Vous nous aidez, Pape François, à discerner les signes des temps parce que notre regard est souvent tenté de ne voir dans notre monde que les réalités négatives, éloignées de l’Évangile. Quelles dimensions, attentes et ouvertures suscitées par l’Esprit saisissez-vous chez les hommes de notre temps, qui représentent de grandes opportunités pour l’évangélisation ?
Aidez-nous à nous réconcilier avec eux, à ne pas voir uniquement des ennemis mais des compagnons de route avec lesquels entrer dans un dialogue fécond ou, comme vous l’avez écrit dans Evangelii gaudium, “un saint pèlerinage, une caravane solidaire” ».Sa Sainteté : Discerner les signes des temps. C’est ce que Jésus reprochait aux docteurs de la loi de ne pas savoir faire : discerner les signes des temps. Dans la réalité, voir la réalité, mais la réalité cachée, parce que la réalité cache toujours quelque chose de sublime. Voir la réalité, ne pas avoir peur de la réalité. J’aime dire que la réalité est plus grande que les idées. Toujours. Elle est supérieure aux idées, la réalité. Ne pas avoir peur de la réalité. Oui, il y a des conduites, et même des conduites morales, qui ne sont pas celles que nous sommes habitués à voir. Pensons seulement à la vie matrimoniale, aujourd’hui, où beaucoup ne se marient pas, préfèrent cohabiter.
Et cette réalité, comment est-ce que je la prends ? Comment est-ce que je l’accompagne ? Comment est-ce que je l’explique et je l’aide à mûrir et à avancer ? Je ne sais pas, c’est une réalité pastorale que nus ne pouvons pas oublier ou laisser de côté. Et comment est-ce que je fais pour que ce couple, qui s’aime, fasse un pas vers la grande maturité spirituelle ? Ou comment est-ce que je respecte cela ? Il y a des défis, mais il y a aussi de bonnes réalités. Et sur ce point, il m’est venu à l’esprit un article d’un prêtre argentin qui est intitulé « Lo bueno de vivir en esta época », « Ce qu’il y a de bon à vivre à notre époque » [de Víctor Manuel Fernández]. À notre époque, il y a de bonnes choses, il n’y a pas seulement des calamités. Il n’y a pas seulement des réalités négatives : il y a de bonnes choses.
Et lui, il en fait voir quelques-unes : une plus grande conscience des droits humains et de la dignité de chacun ; aujourd’hui personne ne peut imposer des idées ; aujourd’hui, les gens sont plus informés ; aujourd’hui, on accorde beaucoup de valeur à l’égalité ; aujourd’hui, il y a plus de tolérance et aussi de liberté à se manifester tel que l’on est ; aujourd’hui, la cohabitation sociale est plus sincère, plus spontanée ; aujourd’hui, il y a une grande estime pour la paix ; et la valeur humaine de la solidarité est aussi apparue… Et ainsi, beaucoup de bonnes choses qui sont dans le monde d’aujourd’hui et que nous devons prendre. Et chercher à ne pas nous effrayer devant les difficultés, de « nouvelles valeurs » – nouvelles valeurs entre guillemets. Les choses vont dans ce sens : que puis-je en faire ? Telle chose a ceci de bon ; telle autre n’est pas bonne… discerner. Discerner les signes et prendre ce que l’on peut développer, aider les autres.
Je ne sais pas, c’est ce qui me vient à l’esprit. Je ne voudrais pas terminer par du négativ mais s’il vous plaît, aux jeunes : ne vous perdez pas dans les circonstances mais allez au cœur ; à ceux d’âge moyen : ne tombez pas dans les « incartades » ; à ceux de notre âge, plus âgés, de la maturité : s’il vous plaît, ne soyez pas des « vieux verts » ; et à tous : en dialogue avec le monde d’aujourd’hui, discerner les signes des temps et voir ce qu’il y a de bon, ce qui vient de l’Esprit. C’est vrai, le monde est par lui-même pécheur et il « mondanise » beaucoup de choses, mais peut-être que le cœur vient de l’Esprit et c’est ce que l’on peut prendre. Bien discerner les signes des temps.
Je vous remercie de votre patience, de cette écoute.
Mgr De Donatis : Maintenant, avant la bénédiction, remercions le pape François pour ce moment très intense, beau, de cette matinée et recevons un petit texte dans lequel ont été recueillies des méditations depuis Paul VI jusqu’au pape François : ce sont des lectures à utiliser en ce temps de carême comme seconde lecture du bréviaire, pour que l’engagement dans la prière puisse être commun. Et nous réfléchirons un peu sur ce que nos évêques, pendant ces années, nous ont remis précisément sur la vie sacerdotale. Je crois que cela nous fera du bien, parce que cela nous préparera à d’autres passages que nous vivrons – je l’espère – dans l’avenir, sur l’approfondissement de notre identité de prêtre à Rome, aujourd’hui.
Maintenant, les préfets peuvent prendre les textes, pour les distribuer, et ensuite nous recevrons la bénédiction.
Pape François : Je l’ai vue et cela m’a beaucoup plu. Il y a deux évêques de Rome [récents] déjà saints [Jean XXIII et Jean-Paul II]. Paul VI sera saint cette année. Un dont la cause de béatification est en cours, Jean-Paul I, sa cause est ouverte. Et Benoît et moi-même, en liste d’attente : priez pour nous !
[Chant]
[Bénédiction]
Et priez pour moi, s’il vous plaît ! Merci beaucoup.
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