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 10 ans d’Evangelii Gaudium, la passion missionnaire du Pape

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MessageSujet: 10 ans d’Evangelii Gaudium, la passion missionnaire du Pape   10 ans d’Evangelii Gaudium, la passion missionnaire du Pape Icon_minitimeVen 24 Nov 2023 - 15:22

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Il y a dix ans, le 24 novembre 2013, clôturant l’Année de la foi, le Pape publiait sa toute première exhortation apostolique consacrée à l’annonce de l’Évangile dans le monde d’aujourd’hui. Intitulée Evangelii Gaudium, la Joie de l’Évangile, l’exhortation apparaît comme un texte programmatique du pontificat. Voici son message diffusé ce vendredi 24 novembre 2023 :

MESSAGE DU SAINT-PÈRE FRANÇOIS
À L'OCCASION DU 10ÈME ANNIVERSAIRE D'« EVANGELII GAUDIUM »

Chers frères et sœurs,

Je remercie le Dicastère pour le développement humain intégral d'avoir organisé ce symposium de réflexion sur Evangelii Gaudium à dix ans de sa publication.

À cette occasion, je m'étais adressé aux chrétiens pour les inviter à une nouvelle étape dans l'annonce de l'Évangile. J'ai proposé de retrouver la joie missionnaire des premiers chrétiens, pleins de courage, infatigables dans l'annonce et capables d'une grande résistance active, même dans des circonstances qui, certes, n'étaient pas favorables à l'annonce de l'Évangile, ni à la lutte pour la justice, ni à la défense de la dignité humaine. Ils étaient diffamés, persécutés, torturés, assassinés... et pourtant, au lieu de s'enfermer, c'était le paradigme d'une Église qui partait, qui osait prendre l'initiative sans peur, aller à la rencontre, chercher les éloignés et se rendre aux carrefours pour inviter les exclus.

À notre époque aussi, il existe des difficultés, moins explicites mais peut-être plus insidieuses. Comme elles ne sont pas si visibles, elles opèrent comme une anesthésie ou comme le monoxyde de carbone des vieux poêles qui tuent silencieusement. À tous les moments de l'histoire, la faiblesse humaine est présente, la recherche égoïste de soi, l’égoïsme confortable et, en définitive, la concupiscence qui nous guette tous. Cela a toujours été là, sous une forme ou sous une autre.

L'annonce de l'Évangile dans le monde d'aujourd'hui requiert toujours de nous une résistance prophétique contre-culturelle à l’hédonisme païen individualiste, comme celle des Pères de l'Église, une résistance face à un système qui tue, exclut, détruit la dignité humaine ; une résistance face à une mentalité qui isole, aliène, enferme la vie intérieure dans ses propres intérêts, nous éloigne du prochain, nous éloigne de Dieu.

Dans Evangelii Gaudium, j'ai voulu montrer clairement qu’appelés à avoir « les mêmes sentiments que Jésus Christ », notre mission d’évangélisation et notre vie chrétienne ne peuvent ignorer les pauvres. Tout le chemin de notre rédemption est marqué par les pauvres. Tout, depuis la Vierge Marie elle-même, une jeune fille pauvre de la périphérie perdue d’un grand empire. Jésus lui-même qui s’est fait pauvre, qui est né dans une étable parmi les animaux et les paysans, qui a grandi parmi les travailleurs et gagné son pain à la sueur de son front, qui s’est entouré de foules de démunis, s’est identifié à eux, les a mis au centre de son cœur, leur a d’abord annoncé la Bonne Nouvelle, leur a promis le Royaume des Cieux et nous a envoyés, disciples missionnaires, pour leur donner à manger, distribuer les biens avec justice avec eux, défendre leur cause au point de nous indiquer clairement que la miséricorde envers eux est la clé du ciel.

C’est un message tellement clair, direct, simple et éloquent qu’aucune herméneutique ecclésiale n’a le droit de le relativiser, parce que notre salut est aussi en jeu. C’est pourquoi le Pape ne peut pas ne pas mettre les pauvres au centre. Ce n’est pas de la politique, ni de la sociologie, ni de l’idéologie, c’est purement et simplement l’exigence de l’Évangile. Les implications pratiques que ce principe non négociable peut avoir pour chaque contexte, société, personne et institution - dans les organismes internationaux et les gouvernements, dans les syndicats et les mouvements populaires, dans les entreprises et les institutions financières, chez les politiciens, les juges et les médias - peuvent et doivent varier, mais personne ne peut se soustraire ou s’excuser de la dette d’amour que tout chrétien - et j’ose dire, tout être humain - a envers les pauvres.

L'Église peut trouver dans les pauvres le vent qui ravive la flamme d'une ferveur déclinante, comme ce liquide épais avec lequel les anciens prêtres du temps de Néhémie ravivaient le feu de l'autel après l'exil pour qu’il brille "un brasier si grand que tous furent émerveillés". Dans l'amour actif que nous leur devons se trouve le remède au grand risque du monde actuel, avec son offre multiple et accablante de consommation : une tristesse individualiste qui jaillit du cœur confortable et avare, de la recherche maladive des plaisirs superficiels, de la conscience isolée.

Dans Evangelii Gaudium, sans prétendre au monopole de l'interprétation de la réalité sociale, j'ai affirmé que pour résoudre radicalement les problèmes des pauvres, condition nécessaire pour résoudre tout autre problème car l'iniquité est à la racine des maux sociaux, nous avions besoin d'un changement profond de mentalités et de structures. Je voudrais me référer brièvement à ces deux aspects en reprenant quelques paragraphes de l'Exhortation.

Une nouvelle mentalité


Une nouvelle mentalité qui pense en termes de communauté, de priorité de la vie de tous par rapport à l'appropriation des biens par quelques-uns.

La solidarité est une réaction spontanée de celui qui reconnaît la fonction sociale de la propriété et la destination universelle des biens comme des réalités antérieures à la propriété privée. La possession privée des biens se justifie pour les prendre soin et les accroître de sorte qu'ils servent mieux le bien commun, raison pour laquelle la solidarité doit se vivre comme la décision de rendre aux pauvres ce qui leur revient. Ces convictions et habitudes de solidarité, lorsqu'elles s’incarnent, ouvrent la voie à d'autres transformations structurelles et les rendent possibles. Un changement dans les structures sans générer de nouvelles convictions et attitudes donnera lieu à ce que ces mêmes structures deviennent tôt ou tard corrompues, lourdes et inefficaces.

Il s’agit parfois d’écouter le cri de peuples entiers, des peuples les plus pauvres de la terre, parce que "la paix se fonde non seulement sur le respect des droits de l'homme, mais aussi sur celui des droits des peuples". Malheureusement, même les droits de l'homme peuvent être utilisés pour justifier une défense exagérée des droits individuels ou des droits des peuples les plus riches. Tout en respectant l'indépendance et la culture de chaque nation, il faut toujours rappeler que la planète appartient à l’humanité tout entière et qu’être né dans un lieu aux ressources limitées ou au développement moindre ne justifie pas que certaines personnes vivent avec moins de dignité. Il faut répéter que "les plus favorisés doivent renoncer à certains de leurs droits pour mettre leurs biens plus libéralement au service des autres". Pour parler adéquatement de nos droits, nous devons élargir notre regard et tendre l’oreille aux cris des autres peuples ou d’autres régions de notre propre pays. Nous devons grandir dans une solidarité qui "doit permettre à tous les peuples de devenir par eux-mêmes les artisans de leur destin", de même que "chaque homme est appelé à se développer".

Nouvelles structures sociales


Les nouvelles structures, fondées sur cette nouvelle mentalité, doivent renoncer à l'autonomie absolue des marchés et de la spéculation financière et s'attaquer aux causes structurelles des inégalités

La dignité de chaque personne humaine et le bien commun sont des questions qui devraient structurer toute politique économique, mais elles semblent parfois n’être que des appendices ajoutés de l'extérieur pour compléter un discours politique sans perspectives ni programmes de véritable développement intégral. Que de mots sont devenus gênants pour ce système ! Il est gênant de parler d'éthique, gênant de parler de solidarité mondiale, gênant de parler de distribution des biens, gênant de parler de préserver les sources d'emploi, gênant de parler de la dignité des faibles, gênant de parler d'un Dieu qui exige un engagement pour la justice. D’autres fois, il arrive que ces mots fassent l’objet d’une manipulation opportuniste qui les déshonore. L’indifférence confortable face à ces questions vide notre vie et nos paroles de tout sens. La vocation d'un chef d'entreprise est une noble tâche, à condition qu'il se laisse interpeller par un sens plus large de la vie ; cela lui permet de servir véritablement le bien commun, par son effort pour multiplier et rendre plus accessibles à tous les biens de ce monde.

Nous ne pouvons plus compter sur les forces aveugles et la main invisible du marché. La croissance équitable nécessite plus que la simple croissance économique, même si elle la suppose ; elle nécessite des décisions, des programmes, des mécanismes et des processus spécifiquement orientés vers une meilleure distribution des revenus, la création d’emplois, la promotion intégrale des pauvres dépassant le simple assistancialisme. Je suis loin de proposer un populisme irresponsable, mais l’économie ne peut plus recourir à des remèdes qui sont un nouveau poison, comme lorsqu’on cherche à augmenter la rentabilité en réduisant le marché de l’emploi et en créant ainsi de nouveaux exclus.

Si nous ne parvenons pas à ce changement de mentalité et de structures, nous sommes condamnés à voir s’aggraver la crise climatique, sanitaire, migratoire et plus particulièrement la violence et les guerres, mettant en péril l’ensemble de la famille humaine, pauvres et non pauvres, intégrés et exclus, parce que "nous sommes tous dans le même bateau et sommes appelés à ramer ensemble".

Dans Evangelii Gaudium, j’ai tenté de mettre en garde :

Aujourd’hui, dans de nombreux endroits, davantage de sécurité est réclamée. Mais tant que l’exclusion et les inégalités à l’intérieur d’une société, d’un pays ou entre les divers pays ne seront pas surmontées, il sera impossible d’éradiquer la violence. On accuse les pauvres et les pays pauvres de violence, mais tant qu’il n’y aura pas d’égalité des chances, les différentes formes d’agression et de guerre trouveront un terrain fertile qui tôt ou tard provoquera l’explosion. Quand une société — locale, nationale ou mondiale — abandonne dans la périphérie une partie d’elle-même, il n’y aura ni programme politique, ni ressource policière ou de renseignements qui puisse indéfiniment garantir la tranquillité. Cela arrive non seulement parce que l’inégalité provoque une réaction violente de la part des exclus du système, mais parce que le système social et économique est injuste à la base. De même que le bien tend à se communiquer, le mal consenti, qui est l’injustice, tend à élargir sa puissance nuisible et à saper silencieusement les bases de n’importe quel système politique et social, aussi solide puisse-t-il paraître. Si chaque action a des conséquences, un mal enraciné dans les structures d’une société a toujours un potentiel de dissolution et de mort. C’est le mal cristallisé dans des structures sociales injustes, dont on ne peut attendre un meilleur avenir. Nous sommes bien loin de la prétendue « fin de l’histoire », car les conditions d’un développement durable et en paix ne sont toujours pas correctement posées ni réalisées.

Les mécanismes de l’économie actuelle favorisent une exacerbation de la consommation, mais il se trouve que le consumérisme effréné combiné à l'iniquité est doublement dommageable au tissu social. Ainsi, l’iniquité génère tôt ou tard une violence que les courses à l’armement ne résolvent ni ne résoudront jamais. Elles servent seulement à faire croire à ceux qui réclament plus de sécurité, comme si aujourd’hui nous ne savions pas que les armes et la répression violente créent de nouveaux et pires conflits plutôt que d’apporter des solutions. Certains se complaisent simplement à blâmer les pauvres et les pays pauvres pour leurs propres maux, avec des généralisations indues, et prétendent trouver la solution dans une « éducation » qui les apaise et les rende apprivoisés et inoffensifs. Cela devient encore plus irritant quand les exclus voient grandir ce cancer social qu’est la corruption profondément enracinée dans de nombreux pays - dans leurs gouvernements, leurs entreprises et leurs institutions - quelle que soit l’idéologie politique des dirigeants.

De même, les crises climatiques, sanitaires et migratoires trouvent la même racine dans l'iniquité de cette économie qui tue, rejette et détruit la Terre notre sœur mère, dans la mentalité égoïste qui la soutient, auxquelles je me suis référé plus en profondeur dans Laudato Sí. Celui qui pense qu’il peut se sauver seul, dans ce monde ou dans l’autre, se trompe.

Dix ans après la publication d’Evangelii Gaudium, réaffirmons que ce n’est qu’en écoutant le cri si souvent réduit au silence de la terre et des pauvres que nous pourrons accomplir notre mission d’évangélisation, vivre la vie que Jésus nous propose et contribuer à résoudre les graves problèmes de l’humanité.

Je vous remercie à nouveau pour ce symposium. Merci pour ce que vous faites. Je vous bénis et vous accompagne dans la prière. Et vous, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi.

Cité du Vatican, le 24 novembre 2023

FRANÇOIS
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Source : www.vatican.va
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http://www.papefrancois.fr
 
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