« L’espérance, c’est se réjouir de ce qui est, plutôt que de se lamenter pour ce qui manque », écrit le pape aux religieux passionistes, à l’occasion du jubilé du 300e anniversaire de la congrégation (22 novembre 1720 – 22 novembre 2020). Il souhaite que la « mémoire de la Passion » qui constitue leur charisme, les rende « prophètes de l’amour du Crucifié dans un monde qui perd le sens de l’amour ».
Dans sa lettre publiée ce 19 novembre, le pape les encourage au « contact avec la Parole de Dieu » et à la « lecture des signes des temps dans les événements quotidiens », afin de « percevoir le souffle créatif de l’Esprit qui souffle les réponses des attentes de l’humanité ».
Message du pape François :
Au révérend père Joachim Rego C.P.
Supérieur général
Congrégation de la Passion de Jésus-Christ (Passionistes)
Les célébrations jubilaires pour le troisième centenaire de votre Congrégation m’offrent l’occasion de m’unir spirituellement à votre joie pour le don de votre vocation à vivre et annoncer la mémoire de la Passion du Christ, en faisant du mystère pascal le centre de votre vie (cf. Constitutions 64). Votre charisme, comme tout charisme de la vie consacrée, est une irradiation de l’amour salvifique qui jaillit du mystère trinitaire, se révèle dans l’amour du Crucifié (cf. Exhort. ap. Vita consecrata 17-19. 23), se répand sur une personne choisie par la providence en s’étendant à une communauté donnée, pour s’implanter dans l’Eglise en réponse à des besoins particuliers de l’histoire. Afin que le charisme perdure dans le temps, il faut le faire adhérer à nos exigences, en gardant vivante la puissance créative des débuts.
Ce centenaire significatif représente une occasion providentielle de se mettre en chemin vers de nouveaux horizons apostoliques, sans céder à la tentation de « laisser les choses comme elles sont » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, 25). Le contact avec la Parole de Dieu dans la prière et la lecture des signes des temps dans les événements quotidiens, vous rendra capables de percevoir le souffle créatif de l’Esprit qui souffle les réponses des attentes de l’humanité. Il n’échappe à personne que nous vivons aujourd’hui dans un monde où rien n’est plus comme avant. L’humanité est dans une spirale de changements qui remettent en question non seulement la valeur des courants culturels qui l’ont enrichie jusqu’à présent, mais même la constitution intime de son être. La nature et le cosmos, assujettis à la douleur et à la déchéance des manipulations humaines (cf. Rm 8,20), prennent des traits dégénératifs. Il vous est demandé à vous aussi de trouver de nouveaux styles de vie et de nouvelles formes de langage pour annoncer l’amour du Crucifié, en témoignant ainsi de votre identité avec le cœur.
A cet égard, j’ai appris que les récentes réflexions de votre chapitre vous ont conduits à l’engagement de renouveau de la mission, en mettant au point trois parcours : la gratitude, la prophétie et l’espérance. La gratitude est l’expérience que vit le passé dans l’attitude du Magnificat et qui marche vers l’avenir dans une attitude eucharistique. Votre gratitude est le fruit de la mémoire de la passion (memoria passionis). Celui qui est immergé dans la contemplation et engagé dans l’annonce de l’amour qui se donne pour nous sur la croix en devient un prolongement dans l’histoire, et sa vie est réalisée et heureuse. La prophétie, c’est penser et parler dans l’Esprit. Cela est possible à celui qui vit la prière comme la respiration de l’âme, et qui peut accueillir les motions de l’Esprit dans l’intime de son cœur et dans toute la création. Alors la parole annoncée est toujours adaptée aux besoins du présent. Que la memoria passionis vous rende prophètes de l’amour du Crucifié dans un monde qui perd le sens de l’amour. L’espérance, c’est voir dans la graine qui meurt l’épi qui rend 30, 60, à 100%. Il s’agit de percevoir que dans vos communautés religieuses et paroissiales, toujours plus réduites, se poursuit l’action génératrice de l’Esprit, qui nous rend certains de la miséricorde du Père qui ne nous abandonne pas. L’espérance, c’est se réjouir de ce qui est, plutôt que de se lamenter pour ce qui manque. En tous cas, ne vous laissez pas « voler la joie de l’évangélisation » (Exhort. ap. Evangelii gaudium,83).
Je souhaite que les membres de votre Institut puissent se sentir « marqués au feu » (ibid.,273) par la mission enracinée dans la memoria passionis. Votre Fondateur, saint Paul de la Croix, définit la Passion de Jésus comme « le don le plus merveilleux de l’amour de Dieu » (Lettere II, 499). Il se sentait brûler de cet amour et il aurait voulu incendier le monde par son activité missionnaire personnelle et celle de ses compagnons. Il est plus que jamais important de rappeler que « La mission est une passion pour Jésus mais, en même temps, une passion pour son peuple. Quand nous nous arrêtons devons Jésus crucifié, nous reconnaissons tout son amour qui nous rend digne et nous soutient, mais, en même temps, si nous ne sommes pas aveugles, nous commençons à percevoir que ce regard de Jésus s’élargit et se dirige, plein d’affection et d’ardeur, vers tout son peuple. Ainsi, nous redécouvrons qu’il veut se servir de nous pour devenir toujours plus proche de son peuple aimé. Il nous prend du milieu du peuple et nous envoie à son peuple, de sorte que notre identité ne se comprend pas sans cette appartenance. » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, 268).
Tandis que comme Tête, notre Sauveur est ressuscité et qu’il ne meurt plus, dans son corps – qui est mystiquement l’Eglise mais mystérieusement aussi tout être humain auquel il s’est uni d’une certaine façon dans l’incarnation (cf. Const. ap. Gaudium et spes, 22) – souffre et meurt encore. Ne vous lassez pas d’accroître votre engagement en faveur des besoins de l’humanité. Que cette demande missionnaire soit tournée surtout vers les crucifiés de notre époque : les pauvres, les faibles, les opprimés et les rejetés des multiples formes d’injustice. La mise en pratique de ce devoir exigera de votre part un effort sincère de renouveau intérieur qui dérive du rapport personnel avec le Crucifié-Ressuscité. Seul celui qui est crucifié par l’amour, comme l’a été Jésus sur la croix, est capable de secourir les crucifiés de l’histoire par des paroles et des actions efficaces. Il n’est pas possible en effet de convaincre les autres de l’amour de Dieu seulement à travers une annonce verbale et informative. Il faut des gestes concrets qui fassent expérimenter cet amour dans notre propre amour qui se donne en partageant les situations crucifiées, y compris en dépensant sa vie jusqu’à la fin, étant entendu qu’entre l’annonce et son accueil dans la foi, il y a l’action de l’Esprit Saint.
La Mère du Crucifié-Ressuscité, figure de l’Eglise, Vierge qui écoute, prie, offre et donne la vie, est la mémoire permanente de Jésus, spécialement de sa Passion. Je vous confie à elle et, en invoquant l’intercession de votre Fondateur, saint Paul de la Croix, et des saints et bienheureux passionistes, je donne de tout cœur la Bénédiction apostolique à toute la famille passioniste et à ceux qui participeront aux diverses célébrations de votre jubilé solennel.
Rome, Saint-Jean-de-Latran, 15 octobre 2020
FRANÇOIS