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 EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE "QUERIDA AMAZONIA"

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EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE "QUERIDA AMAZONIA"  Empty
MessageSujet: EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE "QUERIDA AMAZONIA"    EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE "QUERIDA AMAZONIA"  Icon_minitimeMer 12 Fév 2020 - 17:30

EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE "QUERIDA AMAZONIA"  Amazonia2


Mercredi 12 Février 2020

EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE "QUERIDA AMAZONIA" (1/2)
DU SAINT-PÈRE FRANÇOIS

AU PEUPLE DE DIEU  ET À TOUTES LES PERSONNES DE BONNE VOLONTÉ

CHAPITRES 1 à 3 :

1. L’Amazonie bien-aimée se présente au monde dans toute sa splendeur, son drame et son mystère. Dieu nous a fait la grâce de l’avoir tenue spécialement présente au cours du Synode qui s’est déroulé à Rome du 6 au 27 octobre, et qui s’est achevé par un texte ayant pour titre Amazonie : nouveaux chemins pour l’Église et pour une écologie intégrale.

Le sens de cette Exhortation

2. J’ai écouté les interventions pendant le Synode et j’ai lu avec intérêt les contributions des cercles mineurs. Dans cette Exhortation, je souhaite exprimer les résonnances qu’a provoquées en moi ce parcours de dialogue et de discernement. Je ne développerai pas toutes les questions abondamment exposées dans le Document de conclusion. Je ne prétends pas le remplacer ni le répéter. Je désire seulement fournir un bref cadre de réflexions qui incarne, dans la réalité amazonienne, une synthèse de certaines grandes préoccupations que j’ai exprimées dans mes documents antérieurs, et qui aide et oriente vers une réception harmonieuse, créative et fructueuse de tout le chemin synodal.

3. En même temps, je veux présenter officiellement ce Document qui nous expose les conclusions du Synode auquel ont collaboré de nombreuses personnes qui connaissent, mieux que moi et que la Curie romaine, la problématique de l’Amazonie, parce qu’elles y vivent, elles y souffrent et elles l’aiment avec passion. J’ai préféré ne pas citer ce Document dans cette Exhortation parce que j’invite à le lire intégralement.

4. Dieu veuille que toute l’Église se laisse enrichir et interpeler par ce travail ; que les pasteurs, les personnes consacrées et les fidèles laïcs de l’Amazonie s’engagent pour son application et qu’il puisse inspirer, d’une manière ou d’une autre, toutes les personnes de bonne volonté.

Rêves pour l’Amazonie

5. L’Amazonie est une totalité plurinationale interconnectée, un grand biome partagé par neuf pays : le Brésil, la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, la Guyane, le Pérou, le Surinam, le Venezuela et la Guyane Française. Cependant, j’adresse cette Exhortation à tous. Je le fais, d’une part en vue d’aider à réveiller l’affection et la préoccupation pour cette terre qui est aussi la "nôtre" et vous inviter à l’admirer et à la reconnaître comme un mystère sacré. D'autre part, parce que l’attention de l’Église aux problématiques de ce lieu nous oblige à reprendre brièvement certains thèmes que nous ne devrions pas oublier et qui peuvent inspirer d’autres régions du monde face à leurs propres défis.

6. Tout ce que l’Église offre doit s’incarner de manière originale dans chaque lieu du monde, de sorte que l’Épouse du Christ acquière des visages multiformes qui manifestent mieux l’inépuisable richesse de la grâce. La prédication doit s’incarner, la spiritualité doit s’incarner, les structures de l’Église doivent s’incarner. Voilà pourquoi je me permets humblement, dans cette brève Exhortation, d’exprimer quatre grands rêves que l’Amazonie m’inspire.

7. Je rêve d’une Amazonie qui lutte pour les droits des plus pauvres, des peuples autochtones, des derniers, où leur voix soit écoutée et leur dignité soit promue.

Je rêve d’une Amazonie qui préserve cette richesse culturelle qui la distingue, où la beauté humaine brille de diverses manières.

Je rêve d’une Amazonie qui préserve jalousement l’irrésistible beauté naturelle qui la décore, la vie débordante qui remplit ses fleuves et ses forêts.

Je rêve de communautés chrétiennes capables de se donner et de s’incarner en Amazonie, au point de donner à l’Église de nouveaux visages aux traits amazoniens.


PREMIER CHAPITRE

UN RÊVE SOCIAL

8. Notre rêve est celui d’une Amazonie qui intègre et promeuve tous ses habitants pour qu’ils puissent renforcer un "bien-vivre". Mais un cri prophétique est nécessaire et une tâche exigeante est à accomplir en faveur des plus pauvres. Parce que même, si l’Amazonie se trouve devant un désastre écologique, il convient de souligner qu’« une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ».[1] Un conservatisme « qui se préoccupe du biome mais qui ignore les peuples amazoniens »[2] est inutile.

Injustice et crime

9. Les intérêts colonisateurs qui ont répandu et exercent -légalement et illégalement - l’extraction du bois et l’industrie minéralière, et qui ont chassé et encerclé les peuples indigènes, riverains et d’origine africaine, provoquent une clameur vers le ciel :

   « Nombreux sont les arbres
   où la torture a vécu,
   et vastes les forêts
   achetées au milieu de mille morts ».[3]

   « Les bûcherons possèdent des parlementaires
   et notre Amazonie, personne ne la défend [...].
   Les perroquets et les singes sont exilés [...]
   la récolte des châtaignes ne sera plus la même ».[4]

10. Cela a favorisé les récents mouvements migratoires des indigènes vers les périphéries des villes. Ils n’y trouvent pas une véritable libération de leurs drames, mais les pires formes d’esclavages, d’asservissements et de misères. Dans ces villes, caractérisées par une grande inégalité, où la majeure partie de la population de l’Amazonie habite aujourd’hui, la xénophobie, l’exploitation sexuelle et le trafic de personnes se développent également. C’est pour cela que le cri de l’Amazonie ne jaillit pas seulement du cœur des forêts, mais aussi de l’intérieur de ses villes.

11. Il n’est pas nécessaire de répéter ici les analyses, amples et complètes, qui ont été présentées avant et pendant le Synode. Rappelons au moins l’une des voix entendues :

« Nous sommes affectés par les commerçants de bois, les éleveurs et autres. Nous sommes menacés par les acteurs économiques qui mettent en œuvre un modèle étranger à nos régions. Les entreprises forestières entrent sur le territoire pour exploiter la forêt ; nous autres prenons soin de la forêt pour nos enfants, nous avons de la viande, du poisson, des médicaments à base de plantes, des arbres fruitiers [...]. La construction d’installations hydroélectriques et les projets de voies navigables ont un impact sur le fleuve et sur les territoires [...]. Nous sommes une région aux territoires volés ».[5]

12. Mon prédécesseur Benoît XVI dénonçait déjà « la destruction de l'environnement en Amazonie et les menaces contre la dignité humaine de ses populations ».[6] Je désire ajouter que de nombreux drames ont été mis en relation avec une fausse “mystique amazonienne”. Il est connu que, depuis les dernières décennies du siècle passé, l’Amazonie a été présentée comme un vide énorme dont il fallait s’occuper, comme une richesse brute à exploiter, comme une immensité sauvage à domestiquer. Tout cela avec un regard qui ne reconnaissait pas les droits des peuples autochtones, ou simplement les ignorait comme s’ils n’existaient pas, ou comme si ces terres qu’ils habitent ne leur appartenaient pas. Même dans les programmes éducatifs des enfants et des jeunes, les indigènes ont été vus comme des intrus ou des usurpateurs. Leurs vies, leurs inquiétudes, leurs manières de lutter et de survivre n’importaient pas, et on les considérait plus comme un obstacle dont il fallait se débarrasser que comme des êtres humains ayant la même dignité que tout un chacun, et avec des droits acquis.

13. Certains slogans ont accentué cette erreur, par exemple : « Ne pas livrer »[7][aux étrangers], comme si cet asservissement ne pouvait venir que des pays étrangers, alors que les pouvoirs locaux, avec l’excuse du développement, ont participé aux alliances avec l’objectif de détruire la forêt – y  compris les formes de vie qu’elle héberge – en toute impunité et sans limites. Les peuples autochtones ont assisté, souvent avec impuissance, à la destruction de cet environnement naturel qui leur permettait de s’alimenter, de se soigner, de survivre et de garder un style de vie et une culture qui leur donnaient une identité et un sens. La disparité de pouvoir est énorme, les faibles n’ont pas les moyens pour se défendre, alors que le gagnant continue à tout emporter. « Les peuples pauvres restent toujours pauvres, et les riches deviennent toujours plus riches ».[8]

14. Il faut donner aux entreprises, nationales ou internationales, qui détruisent l’Amazonie et ne respectent pas le droit des peuples autochtones au territoire avec ses frontières, à l’autodétermination et au consentement préalable, les noms qui leur correspondent : injustice et crime. Quand certaines entreprises, assoiffées de gain facile, s’approprient des terrains et vont jusqu’à privatiser même l’eau potable, ou bien quand les autorités donnent libre cours aux industries du bois, aux projets miniers et pétroliers, et à d’autres activités qui dévastent les forêts et polluent l’environnement, les relations économiques se transforment abusivement et deviennent un instrument qui tue. Le recours à des moyens éloignés de toute éthique est fréquent, comme sanctionner les protestations, y compris en ôtant la vie aux autochtones qui s’opposent aux projets, provoquer intentionnellement des incendies forestiers, ou corrompre les politiciens et les indigènes eux-mêmes. Cela est accompagné par de graves violations des droits humains et de nouvelles formes d’esclavage qui frappent spécialement les femmes, par la peste du trafic de drogue qui prétend soumettre les indigènes, ou par la traite des personnes qui profite de ceux qui ont été chassés de leur contexte culturel. Nous ne pouvons pas permettre que la globalisation se transforme en « un nouveau type de colonialisme ».[9]

S’indigner et demander pardon

15. Il faut s’indigner,[10] come s’indignait Moïse (cf. Ex 11, 8 ), comme s’indignait Jésus (cf. Mc 3, 5), comme Dieu s’indigne devant l’injustice (cf. Am 2, 4-8; 5, 7-12; Ps 106, 40). Il n’est pas sain de s’habituer au mal, il n’est pas bien de le laisser anesthésier la conscience sociale, alors qu’un « sillage de gaspillage, et aussi de mort, à travers toute notre région [...] met en péril la vie des milliers de personnes et spécialement l’habitation des paysans et des indigènes ».[11] Les histoires d’injustices et de cruautés en Amazonie, déjà au siècle passé, devraient provoquer un profond refus, et en même temps nous rendre plus sensibles pour reconnaître les formes actuelles d’exploitation humaine, d’abus de pouvoir et de mort. De ce passé honteux, recueillons, à titre d’exemple, un récit sur les souffrances des indigènes à l’époque du caoutchouc en Amazonie vénézuélienne : « Ils ne donnaient pas d’argent aux indigènes, seulement des marchandises à des prix élevés qu’ils ne finissaient jamais de payer [...]. Ils payaient mais ils disaient à l’indigène : "Vous avez une grande dette" et l’indigène devait retourner pour travailler [...]. Plus de vingt villages ye’kuana ont été entièrement dévastés. Les femmes ye’kuana ont été violées et leurs poitrines amputées, les femmes enceintes éventrées. On coupait aux hommes les doigts de la main ou les pouces, de sorte qu’ils ne puissent pas naviguer, [...] et d’autres scènes du plus absurde sadisme ».[12]

16. Cette histoire de douleur et de mépris ne se guérit pas facilement. Et la colonisation ne s’arrête pas, elle se transforme même en certains lieux, se déguise et se dissimule,[13]mais ne perd pas sa domination sur la vie des pauvres et la fragilité de l’environnement. Les évêques de l’Amazonie brésilienne ont rappelé que « l’histoire de l’Amazonie révèle qu’une minorité a toujours profité de la pauvreté de la majorité et du pillage sans scrupules des richesses naturelles de la région, don divin aux peuples qui y vivaient depuis des millénaires et aux migrants qui sont arrivés au cours des siècles passés ».[14]

17. En même temps, laissons naître une saine indignation, rappelons qu’il est toujours possible de vaincre les diverses mentalités de colonisation pour construire des réseaux de solidarité et de développement. « Le défi est d'assurer une mondialisation dans la solidarité, une mondialisation sans marginalisation ».[15] On peut trouver des alternatives d’élevage et d’agriculture durables, des énergies qui ne polluent pas, des sources de travail digne qui ne provoquent pas la destruction de l’environnement et des cultures. En même temps, il faut pour les indigènes et pour les plus pauvres assurer une éducation adéquate qui développe leurs capacités et les valorise.  Concernant, justement, ces objectifs, la véritable adresse et l’authentique capacité des politiques entrent en jeu. Il ne s’agit pas de rendre aux morts la vie qui leur a été refusée, pas même de dédommager les survivants de ces massacres, mais il s’agit que nous soyons, aujourd’hui, réellement humains.

18. Cela nous encourage à rappeler que, au milieu des graves excès de la colonisation, faite de « contradictions et de blessures »,[16]de l’Amazonie, de nombreux missionnaires sont arrivés là avec l’Évangile, laissant leurs pays et acceptant une vie austère et difficile aux côtés des personnes les plus vulnérables. Nous savons que tous n’ont pas été exemplaires, mais le travail de ceux qui sont restés fidèles à l’Évangile a inspiré « une législation, comme les Lois des Indes, qui protégeait la dignité des autochtones contre les abus sur leurs populations et leurs territoires ».[17]C’étaient souvent les prêtres qui protégeaient les indigènes des agresseurs et des abuseurs. C’est pourquoi les missionnaires racontent qu’« ils nous demandaient avec insistance que nous ne les abandonnions pas et ils nous arrachaient la promesse de revenir à nouveau ».[18]

19. À présent, l’Église ne peut pas être moins engagée et elle est appelée à écouter les cris des peuples amazoniens « afin de pouvoir exercer son rôle prophétique de manière transparente ».[19]En même temps, nous ne pouvons pas nier que le grain ne se soit mélangé avec l’ivraie et que les missionnaires n’ont pas toujours été aux côtés des opprimés. J’ai honte et, une fois encore, « je demande humblement pardon, non seulement pour les offenses de l’Église même, mais pour les crimes contre les peuples autochtones durant ce que l’on appelle la conquête de l’Amérique »,[20] et pour les crimes atroces qui se sont produits à travers toute l’histoire de l’Amazonie. Je remercie les membres des peuples autochtones, et je leur dis de nouveau que, « par votre vie, vous constituez un cri pour qu’on prenne conscience […]. Vous êtes la mémoire vivante de la mission que Dieu nous a donnée à nous tous : sauvegarder la Maison commune ».[21]

Sens communautaire

20. La lutte sociale implique une capacité de fraternité, un esprit de communion humaine. Sans diminuer l’importance de la liberté personnelle, on constate que les peuples autochtones de l’Amazonie ont un sens communautaire fort. Ils vivent de cette manière « le travail, le repos, les relations humaines, les rites et les célébrations. Tout se partage, les espaces privés - typiques de la modernité - sont minimes. La vie est un cheminement communautaire dans lequel les tâches et les responsabilités sont réparties et partagées en fonction du bien commun. On ne conçoit pas l’individu détaché de la communauté ou de son territoire ».[22] Ces relations humaines sont imprégnées de la nature environnante parce qu’ils la sentent et la perçoivent comme une réalité qui s’intègre dans leur société et dans leur culture, comme un prolongement de leur corps personnel, familial et de groupe :

   « Cette étoile du matin s'approche,
   les colibris battent des ailes,
   plus que la chute d'eau, mon cœur bat.
   Avec tes lèvres, j'arroserai la terre
   que le vent joue en nous ».[23]

21. Cela multiplie l’effet désintégrateur du déracinement que vivent les indigènes qui se voient obligés d’immigrer en ville en tentant de survivre, même indignement, au milieu des habitats urbains plus individualistes et dans un environnement hostile. Comment guérir un dommage aussi grave ? Comment recomposer toutes ces vies déracinées ? Face à cette réalité, il faut valoriser et accompagner tous les efforts que font plusieurs de ces groupes pour conserver leurs valeurs et leur style de vie et s’intégrer dans des environnements nouveaux sans les perdre mais plutôt en les offrant comme une contribution au bien commun.

22. Le Christ a sauvé l’être humain tout entier et veut restaurer en chacun sa capacité d’entrer en relation avec les autres. L’Évangile propose la charité divine qui jaillit du Cœur du Christ engendrant une recherche de la justice qui est inséparablement un chant de fraternité et de solidarité, une stimulation pour la culture de la rencontre. La sagesse de la manière de vivre des peuples autochtones – malgré toutes ses limites – nous pousse à approfondir cette aspiration. Pour cette raison, les évêques de l’Équateur ont réclamé « un nouveau système social et culturel qui privilégie les relations fraternelles, dans un cadre de reconnaissance et de valorisation des différentes cultures et écosystèmes, capable de s’opposer à toute forme de discrimination et de domination entre les êtres humains ».[24]

Institutions dégradées

23. Nous rappelions dans Laudato si’ que « si tout est lié, l’état des institutions d’une société a aussi des conséquences sur l’environnement et sur la qualité de vie humaine […]. À l’intérieur de chacun des niveaux sociaux et entre eux, se développent les institutions qui régulent les relations humaines. Tout ce qui leur porte préjudice a des effets nocifs, comme la perte de la liberté, l’injustice et la violence. Divers pays s’alignent sur un niveau institutionnel précaire, au prix de la souffrance des populations ».[25]

24. Comment les institutions de la société civile en Amazonie sont-elles ? L’Instrumentum laboris du Synode, qui recueille de nombreuses contributions de personnes et de groupes de l’Amazonie, parle d’« une culture qui empoisonne l’État et ses institutions, imprégnant toutes les couches de la société, y compris les communautés autochtones. C’est un véritable fléau moral qui aboutit à une perte de confiance dans les institutions et dans leurs représentants, discréditant totalement la politique et les organisations sociales. Les peuples amazoniens ne sont pas étrangers à la corruption et en deviennent les principales victimes ».[26]

25. Nous ne pouvons pas exclure le fait que des membres de l’Église ont fait partie de réseaux de corruption au point, parfois, d’accepter de garder le silence en échange d’aides économiques pour les œuvres ecclésiales. C’est précisément pourquoi des propositions sont arrivées au Synode, invitant à « accorder une attention particulière à l’origine des dons ou à l’origine d’autres types d’avantages, ainsi qu’aux investissements réalisés par les institutions ecclésiales ou par les chrétiens ».[27]

Dialogue social

26. L’Amazonie devrait être aussi un lieu de dialogue social, spécialement entre les divers peuples autochtones, pour trouver des formes de communion et de lutte conjointe. Nous autres, nous sommes appelés à participer comme "invités" et à chercher avec le plus grand respect les voies de rencontre qui enrichissent l’Amazonie. Mais si nous voulons dialoguer, nous devrions le faire avant tout avec les derniers. Ils ne sont pas des interlocuteurs quelconques qu’il faudrait convaincre, ils ne sont pas, non plus, un de plus assis à une table de pairs. Ils sont les principaux interlocuteurs desquels nous devons avant tout apprendre, que nous devons écouter par devoir de justice, et auxquels nous devons demander la permission afin de pouvoir présenter nos propositions. Leurs paroles, leurs espérances, leurs craintes devraient être la voix la plus forte autour de n’importe quelle table de dialogue sur l’Amazonie, et la grande question est : comment eux-mêmes imaginent-ils leur bien-vivre, pour eux et pour leurs descendants ?

27. Le dialogue ne doit pas seulement privilégier l’option préférentielle pour la défense des pauvres, des marginalisés et des exclus, mais il doit les respecter comme des protagonistes. Il s’agit de reconnaître l’autre et de l’apprécier "comme autre", avec sa sensibilité, ses opinions plus intimes, sa manière de vivre et de travailler. Autrement, le résultat sera, comme toujours, « un projet de quelques-uns destiné à quelques-uns »,[28] quand il ne sera pas « un consensus de bureau ou une paix éphémère, pour une minorité heureuse ».[29] Si cela se produit, « une voix prophétique est nécessaire »[30] et, comme chrétiens, nous sommes appelés à la faire entendre.

D’ici naît le rêve suivant.

DEUXIÈME CHAPITRE

UN RÊVE CULTUREL

28. La question est de promouvoir l’Amazonie. C’est pourquoi il ne s’agit pas de la coloniser culturellement mais plutôt de faire en sorte qu’elle tire le meilleur d’elle-même. Voilà le sens de la meilleure œuvre éducative : cultiver sans déraciner, aider à croître sans affaiblir l’identité, promouvoir sans envahir. De même qu’il y a des potentialités dans la nature qui peuvent se perdre pour toujours, la même chose peut arriver avec les cultures qui portent un message non encore écouté, cultures plus que jamais menacées aujourd’hui.

Le polyèdre amazonien

29. En Amazonie il y a de nombreux peuples et nationalités et plus de cent dix peuples indigènes en état d’isolement volontaire (PIAV).[31] Leur situation est très fragile, et beaucoup sentent qu’ils sont les derniers dépositaires d’un trésor destiné à disparaître, comme si on leur permettait seulement de survivre sans déranger pendant que la colonisation post-moderne avance. Il faut éviter de les considérer comme des sauvages "non civilisés". Ils ont simplement donné vie à des cultures différentes et à d’autres formes de civilisations qui autrefois étaient très développées.[32]

30. Avant la colonisation, la population était concentrée le long des rives des fleuves et des lacs, mais l’avancée colonisatrice a expulsé les habitants autochtones vers l’intérieur de la forêt. Aujourd’hui, la désertification croissante recommence à en expulser un grand nombre qui vont vivre dans les périphéries ou sur les trottoirs des villes, souvent dans une extrême misère, mais aussi brisés intérieurement à cause de la perte des valeurs qui les soutenaient. Là, en général, les points de repère et les racines culturels qui leur conféraient une identité et un sentiment de dignité leur manquent, et ils augmentent le nombre des exclus. C’est ainsi que la transmission culturelle d’une sagesse qui a franchi des siècles, de génération en génération, s’interrompt. Les villes, qui devraient être des lieux de rencontre, d’enrichissement mutuel, de fécondation entre diverses cultures, se transforment en un douloureux lieu de rejet.

31. Les peuples qui ont réussi à survivre en Amazonie conservent leur identité culturelle et une richesse unique, dans un univers multiculturel qui est dû à l’étroite relation que les habitants établissent avec leur environnement, dans une symbiose – non déterministe – difficile à comprendre avec les schémas mentaux étrangers :

   « Il était une fois un paysage qui se dévoilait avec son fleuve, ses animaux, ses nuages et ses arbres.
   Mais parfois, quand on ne voyait nulle part le paysage avec son fleuve et ses arbres,
   il fallait que les choses sortent de l’imagination d'un garçon ».[33]

   « De la rivière, fais ton sang [...]
   Ensuite, plante-toi,
   germe et croîs.
   Que ta racine
   s’accroche à la terre
   pour toujours et à jamais.
   Et enfin,
   sois un canoë,
   une barque, un radeau,
   une liane, une jarre,
   un enclos et un homme ».[34]

32. Les groupes humains, leurs styles de vie et leur vision du monde sont aussi variés que le territoire, puisqu’ils ont dû s’adapter à la géographie et à ses possibilités. Les peuples de pêcheurs ne sont pas les mêmes que les peuples de chasseurs ou de cultivateurs sur terre ferme, ou que les peuples qui cultivent les terres inondables. De plus, nous rencontrons en Amazonie des milliers de communautés autochtones, d’ascendances africaines, riveraines et habitant les villes qui, à leur tour, sont très différentes les unes des autres et hébergent une grande diversité humaine. À travers un territoire et ses caractéristiques, Dieu se manifeste, reflète quelque chose de son inépuisable beauté. Par conséquent, les divers groupes, dans une synthèse vitale avec leur entourage, développent un mode particulier de sagesse. Nous devrions éviter envers ceux que nous observons de l’extérieur des généralisations injustes, des discours simplistes ou des conclusions faites seulement à partir de nos structures mentales et de nos expériences.

Prendre soin des racines

33. Je désire maintenant rappeler que « la vision consumériste de l’être humain, encouragée par les engrenages de l’économie globalisée actuelle, tend à homogénéiser les cultures et à affaiblir l’immense variété culturelle, qui est un trésor de l’humanité ».[35] Ceci touche de très près les jeunes, quand on tend « à dissoudre les différences propres à leur lieu d’origine, à les transformer en êtres manipulables, fabriqués en série ».[36] Pour éviter cette dynamique d’appauvrissement humain, il faut aimer les racines et en prendre soin car elles sont « un point d’ancrage qui nous permet de nous développer et de répondre à de nouveaux défis ».[37] J’invite les jeunes de l’Amazonie, surtout les autochtones, à « prendre en charge les racines, parce que des racines provient la force qui les fait croître, fleurir, fructifier ».[38] Pour les baptisés, l’histoire du peuple d’Israël et de l’Église jusqu’à aujourd’hui font partie de ces racines. Les connaître est une source de joie et surtout d’espérance qui inspire des actions braves et courageuses.

34. Des siècles durant, les peuples amazoniens ont transmis leur sagesse culturelle oralement, par des mythes, des légendes, des narrations, comme c’était le cas avec « ces conteurs anciens qui parcouraient la forêt racontant des fables de village en village, maintenant vivante une communauté qui, sans le cordon ombilical de ces histoires, aurait été fragmentée et dissoute par la distance et l’isolement ».[39] C’est pourquoi il est important que « les personnes âgées racontent de longues histoires »[40] et que les jeunes s’arrêtent pour boire à cette source.

35. Alors que le risque est toujours plus grand que cette richesse culturelle se perde, ces dernières années, grâce à Dieu, certains peuples ont commencé à écrire pour raconter leurs histoires et décrire le sens de leurs coutumes. Ils peuvent ainsi reconnaître eux-mêmes, de manière explicite, qu’il y a quelque chose de plus qu’une identité ethnique et qu’ils sont dépositaires de précieuses mémoires personnelles, familiales et collectives. Je me réjouis de voir que ceux qui ont perdu le contact avec leurs propres racines cherchent à retrouver la mémoire perdue. Par ailleurs, une plus grande perception de l’identité amazonienne s’est aussi développée dans les secteurs professionnels, et même pour eux, très souvent descendants d’immigrants, l’Amazonie est devenue une source d’inspiration artistique, littéraire, musicale, culturelle. Les divers arts, et en particulier la poésie, se sont laissé inspirer par l’eau, par la forêt, par la vie qui bouillonne, ainsi que par la diversité culturelle et par les défis écologiques et sociaux.

Rencontre interculturelle

36. Comme toute réalité culturelle, les cultures de l’Amazonie profonde ont leurs limites. Les cultures urbaines de l’Occident les ont aussi. Des facteurs comme le consumérisme, l’individualisme, la discrimination, l’inégalité, et beaucoup d’autres, sont des aspects fragiles des cultures prétendument plus évoluées. Les ethnies qui ont développé un trésor culturel en étant liées à la nature, avec un fort sens communautaire, perçoivent facilement nos ténèbres que nous ne reconnaissons pas au milieu du prétendu progrès. Par conséquent, recueillir leur expérience de vie nous fera du bien.

37. Partant de nos racines, nous nous asseyons à la table commune, lieu de conversation et d’espérances partagées. De cette façon, la différence que peut représenter un drapeau ou une frontière se transforme en un pont. L’identité et le dialogue ne sont pas ennemis. La propre identité culturelle s’approfondit et s’enrichit dans le dialogue avec les différences, et le moyen authentique de la conserver n’est pas un isolement qui appauvrit. Mon intention n’est donc pas de proposer un indigénisme complètement fermé, anhistorique, figé, qui se refuserait à toute forme de métissage. Une culture peut devenir stérile lorsqu’ « elle se ferme sur elle-même et cherche à perpétuer des manières de vivre vieillies, en refusant tout échange et toute confrontation au sujet de la vérité de l'homme ».[41] Il est vrai que cela pourrait sembler peu réaliste, puisqu’il est difficile de se protéger de l’invasion culturelle. C’est pourquoi la sauvegarde des valeurs culturelles des groupes indigènes devrait être une préoccupation de tous, parce que leur richesse est aussi la nôtre. Si on ne progresse pas dans ce sens de coresponsabilité face à la diversité qui embellit notre humanité, on ne pourra demander aux groupes qui habitent la forêt de s’ouvrir naïvement à la "civilisation".

38. En Amazonie, il est possible de développer, même entre les divers peuples autochtones, « des relations interculturelles où la diversité ne représente pas une menace, ne justifie pas les hiérarchies de pouvoir des uns sur les autres, mais signifie un dialogue à partir de visions culturelles différentes concernant les façons de célébrer, d’entrer en relation et de raviver l’espérance ».[42]

Cultures menacées, peuples à risque

39. L’économie globalisée altère sans pudeur la richesse humaine, sociale et culturelle. La désintégration des familles, en raison des migrations forcées, affecte la transmission des valeurs, parce que « la famille est, et a toujours été, l’institution sociale qui a le plus contribué à maintenir vivantes nos cultures ».[43] De plus, « face à une invasion colonisatrice des moyens de communication de masse », il est nécessaire de promouvoir pour les peuples autochtones « des communications alternatives dans leurs propres langues et cultures » et que « les sujets autochtones soient présents dans les moyens de communication déjà existants ».[44]

40. Dans tout projet en faveur de l’Amazonie, « il faut inclure la perspective des droits des peuples et des cultures, et comprendre ainsi que le développement d’un groupe social […] requiert de la part des acteurs sociaux locaux un engagement constant en première ligne, à partir de leur propre culture. Même la notion de qualité de vie ne peut être imposée, mais elle doit se concevoir à l’intérieur du monde des symboles et des habitudes propres à chaque groupe humain ».[45] Mais si les cultures ancestrales des peuples autochtones sont nées et se développent en étroite relation avec l’environnement naturel, elles peuvent difficilement rester intactes quand cet environnement se détériore.

Ceci ouvre la voie au rêve suivant.

TROISIÈME CHAPITRE

UN RÊVE ÉCOLOGIQUE

41. Dans une réalité culturelle comme l’Amazonie, où existe une relation si étroite entre l’homme et la nature, l’existence quotidienne est toujours cosmique. Libérer les autres de leurs servitudes implique certainement de prendre soin de leur environnement et de le défendre,[46] mais plus encore d’aider le cœur de l’homme à s’ouvrir avec confiance à ce Dieu qui, non seulement a créé tout ce qui existe, mais qui s’est aussi donné lui-même à nous en Jésus-Christ. Le Seigneur, qui le premier prend soin de nous, nous enseigne à prendre soin de nos frères et sœurs et de l’environnement qu’il nous offre chaque jour. C’est la première écologie dont nous avons besoin. En Amazonie on comprend mieux les paroles de Benoît XVI lorsqu’il disait : « En plus de l'écologie de la nature, il y a donc une écologie que nous pourrions appeler “humaine”, qui requiert parfois une “écologie sociale”. Et cela implique pour l'humanité […] d'avoir toujours plus présents à l'esprit les liens qui existent entre l'écologie naturelle, à savoir le respect de la nature, et l'écologie humaine ».[47] Cette insistance sur le fait que « tout est lié »[48] vaut spécialement pour un territoire comme l’Amazonie.

42. La protection des personnes et celle des écosystèmes sont inséparables. Cela signifie en particulier que là où « la forêt n’est pas une ressource à exploiter, elle est un être, ou plusieurs êtres avec qui entrer en relation ».[49] La sagesse des peuples autochtones d’Amazonie encourage « la protection et le respect de la création, avec la conscience claire de ses limites, interdisant d’en abuser. Abuser de la nature c’est abuser des ancêtres, des frères et sœurs, de la création et du Créateur, en hypothéquant l’avenir ».[50] Les autochtones, « quand ils restent sur leurs territoires, ce sont précisément eux qui les préservent le mieux »,[51] tant qu’ils ne se laissent pas piéger par le chant des sirènes et par les offres intéressées des groupes de pouvoir. Les dommages faits à la nature les touchent de façon très directe et visible, parce que – disent-ils - « Nous sommes eau, air, terre et vie du milieu ambiant créé par Dieu. Par conséquent, nous demandons que cessent les mauvais traitements et les destructions de la Mère terre. La terre a du sang et elle saigne, les multinationales ont coupé les veines à notre Mère terre ».[52]

Ce rêve fait d’eau

43. L’eau est la reine en Amazonie, les rivières et les ruisseaux sont comme des veines, elle est déterminante pour toute forme de vie :

« Là, en plein cœur des étés torrides, quand les dernières rafales du vent d’est se diluent dans l’air stagnant, l’hygromètre remplace le thermomètre pour définir le climat. Les êtres vivants sont soumis aux flux et reflux des grands fleuves : affligeante alternative. Les crues s’élèvent d’une façon effrayante. L’Amazone s’enfle, sort de son lit, hausse en quelques jours le niveau de ses eaux […]. L’inondation est une pause dans la vie. Pris dans les mailles des igarapés, l’homme attend alors, avec un stoïcisme rare devant cette fatalité inéluctable, la fin de cet hiver paradoxal, aux températures élevées. Reflux et été sont synonymes. C’est la reviviscence de l’activité rudimentaire des hommes de ces régions, qui se démènent comme ils le peuvent face à une nature qui abuse des manifestations contradictoires et rend impossible la continuité de tout effort ».[53]

44. L’eau est éblouissante dans le grand Amazone qui rassemble et vivifie tout alentour :

   « Amazone
   capitale des syllabes de l’eau,
   père patriarche, tu es
   la mystérieuse éternité
   des fécondations,
   les fleuves choient en toi comme des vols d’oiseaux… ».[54]

45. Il est également la colonne vertébrale qui harmonise et unit : « Le fleuve ne nous sépare pas, il nous unit, il nous aide à vivre ensemble avec des cultures et des langues différentes  ».[55] Cela est si vrai qu’ il y a beaucoup d’ “Amazonies” sur ce territoire, son axe principal est le grand fleuve, enfant de nombreuses rivières :

« De l'extrême hauteur de la cordillère, où les neiges sont éternelles, l'eau se détache et trace un contour tremblant sur la peau ancienne de la pierre : l'Amazone vient de naître. Elle naît à chaque instant. Elle descend lentement, lumière un peu occultée, pour croître dans la terre. D'un vert saisissant, elle invente son chemin et se développe. Les eaux souterraines affleurent pour accueillir l'eau qui descend des Andes. Du ventre des nuages très blancs, touchés par le vent, tombe l'eau céleste. Ensemble, ils avancent, multipliés selon des chemins infinis, baignant l'immense plaine [...] C'est la Grande Amazonie, tout entière sous l’humide tropique, avec sa forêt compacte et étourdissante, où palpite encore, intacte et en de vastes lieux, jamais surprise par l'homme, la vie qui s'est tissée dans les intimités de l'eau [...]. Depuis que l'homme l'habite, jaillit des profondeurs de ses eaux, et glisse des centres élevés de sa forêt une peur terrible : que cette vie, lentement, coure vers la fin».[56]

46. Les poètes populaires, qui sont tombés amoureux de son immense beauté, ont essayé d’exprimer ce que ce fleuve leur fait ressentir, et la vie qu’il offre sur son passage dans une danse de dauphins, d’anacondas, d’arbres et de pirogues. Mais ils déplorent aussi des dangers qui le menacent. Ces poètes contemplatifs et prophétiques nous aident à nous libérer du paradigme technocratique et consumériste qui détruit la nature et qui nous laisse sans existence véritablement digne :

« Le monde souffre de la transformation des pieds en caoutchouc, des jambes en cuir, du corps en tissu et de la tête en acier [...] Le monde souffre de la transformation de la bêche en fusil, de la charrue en char de guerre, de l'image du semeur qui sème en celle de l'automate avec son lance-flammes, dont le semis germe en désert. Seule la poésie, grâce à l'humilité de sa voix, pourra sauver ce monde ».[57]

Le cri de l’Amazonie

47. La poésie aide à exprimer une douloureuse sensation que beaucoup aujourd’hui partagent. La vérité inéluctable est que, dans les conditions actuelles, avec cette façon de traiter l’Amazonie, beaucoup de vie et de beauté sont en train de “courir vers la fin”, même si un grand nombre veulent continuer à croire que rien n’arrivera :

« Ceux qui pensaient que le fleuve était une corde à jouer se trompaient.
Le fleuve est une veine très fine à la surface de la terre. […]
Le fleuve est une corde à laquelle s’attachent les animaux et les arbres.
Si vous tiriez trop fort, le fleuve pourrait déborder.
Il pourrait déborder et nous laver le visage avec l'eau et le sang ».[58]

48. L’équilibre planétaire dépend aussi de la santé de l’Amazonie. Avec le biome du Congo et de Bornéo, elle éblouit par la diversité de ses forêts desquelles dépendent aussi les cycles des pluies, l’équilibre du climat, et une grande variété d’êtres vivants. Elle fonctionne comme un grand filtre à dioxyde de carbone qui aide à éviter le réchauffement de la terre. Son sol est, en grande partie, pauvre en humus ; c’est pourquoi la forêt « pousse, en réalité, sur le sol et non du sol ».[59] Lorsque l’on élimine la forêt, elle n’est pas remplacée car elle fait place à un terrain contenant peu de nutriments qui devient désertique ou pauvre en végétation. Cela est grave car, dans les entrailles de la forêt amazonienne, d’innombrables ressources subsistent qui pourraient être indispensables à la guérison des maladies. Ses poissons, ses fruits, et autres dons surabondants, enrichissent l’alimentation humaine. De plus, dans un écosystème comme l’Amazonie, chaque partie, en raison de son importance, devient indispensable à la conservation de l’ensemble. Les basses terres et la végétation marine ont aussi besoin d’être fertilisées par ce que draine l’Amazone. Le cri de l’Amazonie parvient à tous car « la conquête et l’exploitation des ressources […] menacent aujourd’hui la capacité même d’accueil de l’environnement : l’environnement comme “ressource” met en danger l’environnement comme “maison” ».[60] L’intérêt d’un petit nombre d’entreprises puissantes ne devrait pas être mis au-dessus du bien de l’Amazonie et de l’humanité entière.

49. Il ne suffit pas de prêter attention à la conservation des espèces les plus visibles en voie d’extinction. Il est crucial de prendre en compte le fait que « pour le bon fonctionnement des écosystèmes, les champignons, les algues, les vers, les insectes, les reptiles et l’innombrable variété de micro-organismes sont aussi nécessaires. Certaines espèces peu nombreuses, qui sont d’habitude imperceptibles, jouent un rôle fondamental pour établir l’équilibre d’un lieu ».[61] Cela est facilement ignoré dans l’évaluation de l’impact environnemental des projets économiques d’industries extractives, énergétiques, forestières et autres, qui détruisent et polluent. D’autre part, l’eau, abondante en Amazonie, est un bien essentiel pour la survie humaine, mais les sources de pollution sont toujours plus grandes.[62]

50. Il est vrai qu’en plus des intérêts économiques d’entrepreneurs et de politiciens locaux, il y a aussi « les énormes intérêts économiques internationaux ».[63] La solution n’est donc pas dans une “internationalisation” de l’Amazonie,[64] mais la responsabilité des gouvernements nationaux devient plus lourde. Pour cette même raison, « elle est louable la tâche des organismes internationaux et des organisations de la société civile qui sensibilisent les populations et coopèrent de façon critique, en utilisant aussi des systèmes de pression légitimes, pour que chaque gouvernement accomplisse son propre et intransférable devoir de préserver l’environnement ainsi que les ressources naturelles de son pays, sans se vendre à des intérêts illégitimes locaux ou internationaux ».[65]

51. Pour sauvegarder l’Amazonie, il est bon de conjuguer les savoirs ancestraux avec les connaissances techniques contemporaines, mais toujours en cherchant à intervenir sur le terrain de manière durable, en préservant en même temps le style de vie et les systèmes de valeurs des habitants.[66] À eux, et de manière spéciale aux peuples autochtones, il revient de recevoir – en plus de la formation de base - une information complète et transparente sur les projets, leur étendue, leurs effets et risques, afin de pouvoir confronter cette information avec leurs intérêts et leur connaissance des lieux, et ainsi donner ou non leur consentement, ou bien proposer des alternatives.[67]

52. Les plus puissants ne se contentent jamais des gains qu’ils obtiennent, et les ressources du pouvoir économique s’accroissent beaucoup avec le développement scientifique et technologique. C’est pourquoi nous devrions tous insister sur l’urgence de « créer un système normatif qui implique des limites infranchissables et assure la protection des écosystèmes, avant que les nouvelles formes de pouvoir dérivées du paradigme techno-économique ne finissent par raser non seulement la politique mais aussi la liberté et la justice ».[68] Si l’appel de Dieu exige une écoute attentive de la clameur des pauvres et de la terre,[69] pour nous,  « le cri que l’Amazonie fait monter vers le Créateur est semblable au cri du Peuple de Dieu en Egypte (cf. Ex 3, 7). C’est un cri d’esclavage et d’abandon, qui appelle la liberté ».[70]

La prophétie de la contemplation

53. Souvent nous laissons notre conscience devenir insensible, car la « distraction constante nous ôte le courage de nous rendre compte de la réalité d’un monde limité et fini ».[71] Si nous regardons les choses en surface, il semble peut-être « qu’elles ne soient pas si graves et que la planète pourrait subsister longtemps dans les conditions actuelles. Ce comportement évasif nous permet de continuer à maintenir nos styles de vie, de production et de consommation. C’est la manière dont l’être humain s’arrange pour alimenter tous les vices autodestructifs : en essayant de ne pas les voir, en luttant pour ne pas les reconnaître, en retardant les décisions importantes, en agissant comme si de rien n’était ».[72]

54. Au-delà de tout cela, je voudrais rappeler que chacune des différentes espèces a une valeur en elle-même, or « chaque année, disparaissent des milliers d’espèces végétales et animales que nous ne pourrons plus connaître, que nos enfants ne pourront pas voir, perdues pour toujours. L’immense majorité disparaît pour des raisons qui tiennent à une action humaine. À cause de nous, des milliers d’espèces ne rendront plus gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous communiquer leur propre message. Nous n’en n’avons pas le droit ».[73]

55. Apprenant des peuples autochtones, nous pouvons contempler l’Amazonie, et pas seulement l’étudier, pour reconnaître ce mystère qui nous dépasse. Nous pouvons l’aimer, et pas seulement l’utiliser, pour que l’amour réveille un intérêt profond et sincère. Qui plus est, nous pouvons nous sentir intimement unis à elle, et pas seulement la défendre, et alors l’Amazonie deviendra pour nous comme une mère. Car « le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur, en reconnaissant les liens par lesquels le Père nous a unis à tous les êtres ».[74]

56. Réveillons le sens esthétique et contemplatif que Dieu a mis en nous et que parfois nous laissons atrophier. Rappelons-nous que « quand quelqu’un n’apprend pas à s’arrêter pour observer et pour évaluer ce qui est beau, il n’est pas étonnant que tout devienne pour lui objet d’usage et d’abus sans scrupule ».[75] En revanche, si nous entrons en communion avec la forêt, notre voix s’unira facilement à la sienne et deviendra prière : « Couchés à l’ombre d’un vieil eucalyptus notre prière de lumière s’immerge dans le chant du feuillage éternel ».[76] Cette conversion intérieure est ce qui permettra de pleurer pour l’Amazonie et de crier avec elle devant le Seigneur.

57. Jésus disait : « Ne vend-on pas cinq passereaux pour deux sous ? Et pas un d’entre eux n’est en oubli devant Dieu » (Lc 12, 6). Dieu le Père, qui a créé chaque être de l’univers avec un amour infini, nous appelle à être ses instruments pour écouter le cri de l’Amazonie. Si nous nous rendons présents à cette clameur déchirante, il sera manifeste que les créatures de l’Amazonie n’ont pas été oubliées par le Père du ciel. Pour les chrétiens, Jésus lui-même nous interpelle à partir d’elles « parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux qu’émerveillé il a contemplés de ses yeux humains, sont maintenant remplis de sa présence lumineuse ».[77] C’est pourquoi les croyants trouvent dans l’Amazonie un lieu théologique, un espace où Dieu lui-même se montre et appelle ses enfants.

Education et habitudes écologiques

58. Nous pouvons ainsi faire un pas de plus et rappeler qu’une écologie intégrale ne se contente pas de régler des questions techniques ou de prendre des décisions politiques, juridiques et sociales. La grande écologie inclut un aspect éducatif qui provoque le développement de nouvelles habitudes chez les personnes et les groupes humains. Malheureusement, beaucoup d’habitants de l’Amazonie ont adopté des habitudes propres aux grandes villes où le consumérisme et la culture du déchet sont très enracinés. Il n’y aura pas d’écologie saine et durable, capable de transformer les choses, si les personnes ne changent pas, si on ne les encourage pas à choisir un autre style de vie, moins avide, plus serein, plus respectueux, moins anxieux, plus fraternel.

59. En effet, « plus le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à acheter, à posséder et à consommer. Dans ce contexte, il ne semble pas possible qu’une personne accepte que la réalité lui fixe des limites […] Nous ne pensons pas seulement à l’éventualité de terribles phénomènes climatiques ou à de grands désastres naturels, mais aussi aux catastrophes dérivant de crises sociales, parce que l’obsession d’un style de vie consumériste ne pourra que provoquer violence et destruction réciproque, surtout quand seul un petit nombre peut se le permettre ».[78]

60. L’Église, avec sa grande expérience spirituelle, avec sa conscience renouvelée de la valeur de la création, avec son souci de la justice, avec son option pour les derniers, avec sa tradition éducative et avec son histoire d’incarnation dans des cultures si diverses dans le monde entier, veut à son tour contribuer à la sauvegarde et à la croissance de l’Amazonie.

Cela donne lieu au rêve suivant que je désire partager plus directement avec les pasteurs et les fidèles catholiques.
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Source : http://w2.vatican.va/
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EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE "QUERIDA AMAZONIA"
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