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| Sujet: Les consignes du pape François aux Missionnaires de la Miséricorde Mer 11 Avr 2018 - 17:54 | |
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« La bienveillance, la consolation, la proximité, la promesse d’un amour éternel… : toutes ces expressions entendent exprimer la richesse de la miséricorde divine, sans pouvoir l’épuiser dans un seul aspect »: le pape François a reçu plus de 550 Missionnaires de la Miséricorde, venant des cinq continents, ce mardi 10 avril 2018, dans la Salle Regia du Palais apostolique du Vatican. Discours du pape François : Chers missionnaires, Bienvenus, merci et j’espère que ceux qui ont été nommés évêques n’ont pas perdu leur capacité à « miséricordier ». C’est important. Pour moi, c’est une joie de vous rencontrer après la belle expérience du Jubilé de la Miséricorde. Comme vous le savez bien, au terme de ce Jubilé extraordinaire, votre ministère aurait dû se conclure. Et pourtant, en réfléchissant au grand service que vous avez rendu à l’Église et sur tout le bien que vous avez fait et offert à tant de croyants par votre prédication et surtout par la célébration du sacrement de la Réconciliation, j’ai pensé opportun que, pendant encore un peu de temps, votre mandat puisse être prolongé. J’ai reçu de nombreux témoignages de conversions qui se sont réalisées à travers votre service. Et vous en êtes témoins. Nous devons vraiment reconnaître que la miséricorde de Dieu ne connaît pas de frontières et par votre ministère, vous êtes le signe concret que l’Église ne peut pas, ne doit pas et ne veut pas créer de barrières ou de difficultés qui soient des obstacles à l’accès au pardon du Père. Le « fils prodigue » n’a pas dû passer par la douane : il a été accueilli par son Père, sans obstacles. Je remercie Mgr Fisichella pour ses paroles d’introduction, et les collaborateurs du Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation, d’avoir organisé ces journées de prière et de réflexion. J’étends ma pensée à ceux qui n’ont pas pu venir pour qu’ils se sentent quand même participants et que, même à distance, mon estime et mes remerciements leur parviennent. Je voudrais partager avec vous quelques réflexions pour donner davantage de soutien à la responsabilité que j’ai mise entre vos mains et pour que le ministère de la miséricorde que vous êtes appelés à vivre d’une manière toute particulière puisse s’exprimer au mieux, selon la volonté du Père que Jésus nous a révélée et qui, à la lumière de Pâque acquiert son sens le plus accompli. Et avec ces paroles – le discours sera peut-être un peu long – je voudrais souligner la doctrine de votre ministère qui n’est pas une idée – « Faisons cette expérience pastorale et ensuite nous verrons comment cela se passe » – non ! C’est une expérience pastorale qui a derrière elle une véritable doctrine. Une première réflexion m’est suggérée par le texte du prophète Isaïe où l’on lit : « Au temps favorable, je t’ai exaucé, au jour du salut, je t’ai secouru […] Car le Seigneur console son peuple ; de ses pauvres, il a compassion. Jérusalem disait : « Le Seigneur m’a abandonnée, mon Seigneur m’a oubliée. » Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas. » (Is 49, 8.13-15). C’est un texte empreint du thème de la miséricorde. La bienveillance, la consolation, la proximité, la promesse d’un amour éternel… : toutes ces expressions entendent exprimer la richesse de la miséricorde divine, sans pouvoir l’épuiser dans un seul aspect. Dans sa seconde lettre aux Corinthiens, saint Paul, reprenant ce texte d’Isaïe, l’actualise et semble vouloir justement nous l’appliquer. Il écrit ceci : « En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui. Car il dit dans l’Écriture : Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut. » (6, 1-2). La première indication offerte par l’apôtre est que nous sommes les collaborateurs de Dieu. Il est facile de vérifier l’intensité de cet appel. Quelques versets auparavant, Paul avait exprimé le même concept en disant : « Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu » (5, 20). Le message que nous portons comme ambassadeurs au nom du Christ est de faire la paix avec Dieu. Notre apostolat est un appel à chercher et à recevoir le pardon du Père. Comme on le voit, Dieu a besoin d’hommes qui portent dans le monde son pardon et sa miséricorde. C’est la même mission que le Seigneur ressuscité a donné aux disciples le lendemain de sa Pâque : « Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » » (Jn 20,21-23). Cette responsabilité déposée entre nos mains – nous en sommes responsables ! – requiert un style de vie cohérent avec la mission que nous avons reçue. C’est toujours l’apôtre qui le rappelle : « Pour que notre ministère ne soit pas exposé à la critique, nous veillons à ne choquer personne en rien. » (2 Cor 6,3). Être des collaborateurs de la miséricorde suppose donc de vivre l’amour miséricordieux que nous avons expérimenté les premiers. Il ne pourrait en être autrement. Dans ce contexte, me reviennent à l’esprit les paroles que Paul, à la fin de sa vie, désormais âgé, écrivait à Timothée son fidèle collaborateur qu’il laissera comme son successeur dans la communauté d’Éphèse. L’apôtre remercie le Seigneur Jésus de l’avoir appelé au ministère (cf. 1 Tm 1,12) ; il confesse qu’il a été un « blasphémateur, persécuteur, violent » ; et pourtant – dit-il – « il m’a été fait miséricorde » (1,13). Je vous confesse que très souvent, très souvent je m’arrête sur ce verset : « j’ai été traité avec miséricorde ». Et cela me fait du bien, me donne du courage. C’est comme si je sentais l’étreinte du Père, les caresses du Père. Redire cela, personnellement, cela me donne beaucoup de force, parce que c’est la vérité : je peux dire moi aussi : « j’ai été traité avec miséricorde ». La grâce du Seigneur a été surabondante en lui ; elle a agi de sorte qu’elle lui a fait comprendre combien il était pécheur et, à partir de là, elle lui a fait découvrir le cœur de l’Évangile. C’est pourquoi il écrit : « Voici une parole digne de foi, et qui mérite d’être accueillie sans réserve : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; et moi, je suis le premier des pécheurs. Mais s’il m’a été fait miséricorde, c’est afin qu’en moi le premier, le Christ Jésus montre toute sa patience » (1, 15-16). Au terme de sa vie, l’apôtre ne renonce pas à reconnaître qui il était, il ne cache pas son passé. Il aurait pu faire la liste de tous ses succès, nommer toutes les communautés qu’il avait fondées… ; au contraire, il préfère souligner l’expérience qui l’a le plus frappé et marqué dans sa vie. Il indique à Timothée la route à parcourir : reconnaître la miséricorde de Dieu avant tout dans sa propre existence personnelle. Il ne s’agit certes pas de s’étendre sur le fait que l’on est pécheur, comme si l’on voulait se justifier à chaque fois, annulant ainsi la force de la conversion. Mais il faut toujours repartir de ce point ferme : Dieu m’a traité avec miséricorde. C’est là la clé pour devenir des collaborateurs de Dieu. On fait l’expérience de la miséricorde et l’on est transformé en ministre de la miséricorde. En somme, les ministres ne se mettent pas au-dessus des autres comme s’ils étaient des juges à l’égard de leurs frères pécheurs. Un vrai missionnaire de la miséricorde se reflète dans l’expérience de l’apôtre : Dieu m’a choisi ; Dieu a confiance en moi ; Dieu a mis sa confiance en moi en m’appelant, bien que je sois un pécheur, à être son collaborateur pour rendre réelle, efficace et faire toucher du doigt sa miséricorde. Disons que c’est le point de départ. Avançons. Toutefois, saint Paul ajoute aux paroles du prophète Isaïe quelque chose d’extrêmement important. Ceux qui sont les collaborateurs de Dieu et les administrateurs de la miséricorde doivent prêter attention et ne pas rendre vaine la grâce de Dieu. Il écrit : « Nous vous exhortons à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui » (2 Cor 6, 1). Et c’est le premier avertissement qui nous est donné : reconnaître l’action de la grâce et son primat dans notre vie et dans celle des personnes. Vous savez que j’aime beaucoup le néologisme « primerear ». Le Seigneur se définit comme la fleur d’amandier : « Je suis comme la fleur d’amandier ». Primerear. Le printemps, primerear. Et j’aime ce néologisme pour exprimer justement la dynamique du premier acte par lequel Dieu vient à notre rencontre. Le primerear de Dieu ne peut jamais être oublié ni donné comme une évidence, sinon on ne comprend pas pleinement le mystère du salut réalisé avec l’acte de la réconciliation que Dieu accomplit à travers le mystère pascal de Jésus-Christ. La réconciliation n’est pas, comme on le pense souvent, notre initiative privée ou le fruit de notre engagement. S’il en était ainsi, nous tomberions dans cette forme de néo-pélagianisme qui tend à surévaluer l’homme et ses projets, en oubliant que le Sauveur est Dieu et non pas nous. Nous devons toujours redire, mais surtout par rapport au sacrement de la Réconciliation, que la première initiative vient du Seigneur ; c’est lui qui nous précède dans l’amour, mais non sous une forme universelle : au cas par cas. Dans chaque cas, il précède, avec chaque personne. C’est pourquoi l’Église « sait faire le premier pas – elle doit le faire – , elle sait prendre l’initiative sans peur, aller à la rencontre, aller chercher ceux qui sont loin et arriver aux carrefours des routes pour inviter les exclus. L’Évangile nous dit que la fête a été faite avec eux (cf. Lc 14,21). Elle vit un désir intarissable d’offrir la miséricorde, fruit de l’expérience qu’elle a faite de l’infinie miséricorde du Père et de sa force diffuse » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, 24). Quand un pénitent s’approche de nous, il est important et consolant de reconnaître que nous avons devant nous le premier fruit de la rencontre déjà réalisée avec l’amour de Dieu qui, par sa grâce, a ouvert son cœur et l’a rendu disponible à la conversion. Notre cœur sacerdotal devrait percevoir le miracle d’une personne qui a rencontré Dieu et qui a déjà fait l’expérience de l’efficacité de sa grâce. Il ne pourrait y avoir de vraie réconciliation si celle-ci ne partait pas de la grâce d’une rencontre avec Dieu, qui précède celle avec nous, les confesseurs. Ce regard de foi permet de bien situer l’expérience de la réconciliation comme un événement qui trouve son origine en Dieu, le Pasteur qui, dès qu’il s’aperçoit que sa brebis s’est perdue, va à sa recherche jusqu’à ce qu’il la trouve (cf. Lc 15,4-6). Notre tâche – et c’est un second pas – consiste à ne pas rendre vaine l’action de la grâce de Dieu mais à la soutenir et à permettre qu’elle parvienne à son accomplissement. Parfois, malheureusement, il peut arriver qu’un prêtre, par son comportement, éloigne le pénitent au lieu de le rapprocher. Par exemple, pour défendre l’intégrité de l’idéal évangélique, on néglige les pas que fait une personne jour après jour. Ce n’est pas ainsi que s’alimente la grâce de Dieu. Reconnaître le repentir du pécheur équivaut à l’accueillir les bras grand-ouverts, pour imiter le père de la parabole qui accueille son fils lorsqu’il rentre à la maison (cf. Lc 15,20) ; cela signifie ne même pas le laisser terminer sa phrase. Cela m’a toujours surpris : le papa ne l’a même pas laissé terminer sa phrase, il l’a embrassé. Il avait un discours préparé, mais [son père] l’a embrassé. Cela signifie ne même pas le laisser terminer la phrase qu’il avait préparée pour s’excuser (cf. v.22) parce que le confesseur a déjà tout compris, fort de l’expérience qu’il a de son propre péché. Ce n’est pas la peine de faire éprouver de la honte à celui qui a déjà reconnu son péché et qui sait qu’il s’est trompé ; ce n’est pas nécessaire d’enquêter – ces confesseurs qui interrogent, interrogent, dix, vingt, trente, quarante minutes… « Et comme cela s’est-il fait ? Et comment ?… » Il n’est pas nécessaire d’enquêter là où la grâce du Père est déjà intervenu ; il n’est pas permis de violer l’espace sacré d’une personne dans ses relations, à l’exemple de la Curie romaine : nous parlons tellement mal de la Curie romaine, mais il y a des saints à l’intérieur. Un cardinal préfet d’une Congrégation a l’habitude d’aller confesser au Santo Spirito in Sassia deux, trois fois par semaine – il a son horaire fixe – et un jour, en expliquant, il a dit : « Quand je m’aperçois qu’une personne commence à peiner pour s’exprimer et que j’ai compris de quoi il s’agit, je dis : « J’ai compris, avance ». Et cette personne « respire ». C’est un beau conseil : quand on sait de quoi il s’agit, « j’ai compris, avance ». Ici, la belle expression du prophète Isaïe : « Au temps favorable, je t’ai exaucé, au jour du salut, je t’ai secouru » (49,8 ) acquiert toute sa signification. En effet, le Seigneur répond toujours à la voix de celui qui crie vers lui d’un cœur sincère. Quand ils se sentent abandonnés et seuls, ils peuvent faire l’expérience de Dieu qui va à leur rencontre. La parabole du fils prodigue raconte que « omme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut » (Lc 15,20). Et il se jeta à son cou. Dieu ne reste pas oisif à attendre le pécheur : il court vers lui, parce que la joie de le voir revenir est trop grande et Dieu a cette passion de se réjouir, se réjouir quand il voit arriver le pécheur. C’est presque comme si Dieu lui-même avait le « cœur inquiet » tant qu’il n’a pas retrouvé son fils qui s’est perdu. Quand nous accueillons le pénitent, nous avons besoin de le regarder dans les yeux et de l’écouter pour lui permettre de percevoir l’amour de Dieu qui pardonne malgré tout, le revêt de l’habit de fête et de l’anneau, signe d’appartenance à sa famille (cf. v.22 ). Le texte du prophète Isaïe nous aide à faire un autre pas dans le mystère de la réconciliation, là où il dit : « Lui, plein de compassion, les guidera, les conduira vers les eaux vives » (49,10). La miséricorde, qui exige l’écoute, permet ensuite de guider les pas du pécheur réconcilié. Dieu libère de la peur, de l’angoisse, de la honte et de la violence. Le pardon est réellement une forme de libération pour rendre la joie et le sens de la vie. Au cri du pauvre qui demande de l’aide correspond le cri du Seigneur qui promet aux prisonniers la libération et qui dit à ceux qui sont dans les ténèbres : « Sortez » (49,9). Une invitation à sortir de la condition de péché pour reprendre le vêtement d’enfants de Dieu. En somme, en libérant, la miséricorde rend la dignité. Le pénitent ne s’étend pas à se reprocher son péché ; et le prêtre ne le culpabilise pas pour le mal dont il s’est repenti ; mais plutôt, il l’encourage à regarder l’avenir avec des yeux neufs, le conduisant « aux sources de l’eau vive » (cf. 49,10). Cela signifie que le pardon et la miséricorde permettent de regarder à nouveau la vie avec confiance et engagement. C’est comme si l’on disait que la miséricorde ouvre à l’espérance, crée l’espérance et se nourrit d’espérance. L’espérance est aussi réaliste, elle est concrète. Le confesseur est aussi miséricordieux quand il dit : « Avance, avance, avance ». Il lui donne l’espérance. « Et s’il se produit quelque chose ? » – Reviens, ce n’est pas un problème. Le Seigneur t’attend toujours. Ne pas avoir honte de revenir, parce que le chemin est plein de pierres et de peaux de banane qui te font tomber. Saint Ignace de Loyola – permettez-moi un peu de publicité de famille ! – a un enseignement important à ce propos, parce qu’il parle de la capacité à faire sentir la consolation de Dieu. Il n’y a pas seulement le pardon, la paix, mais aussi la consolation. Il écrit ceci : « La consolation intérieure […] chasse tout trouble et attire entièrement à l’amour du Seigneur. Cette consolation éclaire certains, à d’autres elle découvre de nombreux secrets. Enfin, avec elle toutes les peines sont un plaisir, toutes les fatigues un repos. À qui chemine avec cette ferveur, avec cette ardeur et cette consolation intérieure, il n’y a pas de fardeau si grand qui ne semble léger, ni pénitence ni autre peine si grande qu’elle ne soit très douce. Cette consolation nous révèle le chemin que nous devons suivre et celui que nous devons fuir – je répète : cette consolation nous révèle le chemin que nous devons suivre et celui que nous devons fuir. Il faut apprendre à vivre dans la consolation – Elle – continue Ignace – n’est pas toujours en notre pouvoir ; elle vient à certains moments déterminés selon le dessein de Dieu. Et tout cela pour notre utilité » (Lettre à Sr. Teresa Rejadell, 18 juin 1536 : Epistolaire 99-107). Il est bon de penser que le sacrement de la Réconciliation peut justement devenir un moment favorable pour nous faire percevoir et faire grandir la consolation intérieure qui anime le chemin du chrétien. Et il me vient à l’esprit de dire ceci : nous, avec la « spiritualité des plaintes », nous courons le risque de perdre le sens de la consolation. Et aussi de perdre cet oxygène qui est de vivre dans la consolation. Parfois, c’est fort, mais il y a toujours une consolation minimale qui est donnée à tous : la paix. La paix est le premier degré de la consolation. Il ne faut pas le perdre. Parce que c’est vraiment l’oxygène pur, sans « smog », de notre rapport à Dieu. La consolation. De la plus élevée à la plus basse qu’est la paix. ------------------------------------------------------------------------------- Source : https://fr.zenit.org/
Discours du pape François (suite)
Je reviens aux paroles d’Isaïe. Nous y trouvons aussi les sentiments de Jérusalem qui se sent abandonnée et oubliée par Dieu. « Jérusalem disait : « Le Seigneur m’a abandonnée, mon Seigneur m’a oubliée. » Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas » (49, 13-15). D’un côté, ce reproche adressé au Seigneur, d’avoir abandonné Jérusalem et son peuple, semble étrange. Bien plus fréquemment, on lit dans les prophètes que c’est le peuple qui a abandonné le Seigneur. Jérémie est très clair à ce sujet quand il dit : « Oui, mon peuple a commis un double méfait : ils m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes, des citernes fissurées qui ne retiennent pas l’eau ! » (2,13) Le péché est d’abandonner Dieu, de lui tourner le dos pour ne regarder que soi-même. Une dramatique confiance en soi, qui fait des fissures de tous côtés et qui n’est pas en mesure d’apporter stabilité et consistance à la vie. Nous savons que c’est l’expérience quotidienne que nous vivons les premiers. Et pourtant, il y a des moments où l’on sent réellement le silence et l’abandon de Dieu. Pas seulement dans les grandes heures obscures de l’humanité de toutes les époques, qui font jaillir chez beaucoup la question sur l’abandon de Dieu. Je pense maintenant à la Syrie d’aujourd’hui, par exemple. Il arrive qu’aussi dans les événements personnels, même chez les saints, on puisse faire l’expérience de l’abandon.
Quelle triste expérience que celle de l’abandon ! Elle a différents degrés, jusqu’au détachement définitif en raison de l’approche de la mort. Se sentir abandonné pousse à la déception, à la tristesse, parfois au désespoir et aux différentes formes de dépression dont tant de personnes souffrent aujourd’hui. Et pourtant, toute forme d’abandon, aussi paradoxale qu’elle puisse paraître, est insérée à l’intérieur de l’expérience de l’amour. Quand on aime et qu’on fait l’expérience de l’abandon, alors l’épreuve devient dramatique et la souffrance possède des traits de violence inhumaine. S’il n’est pas inséré dans l’amour, l’abandon devient privé de sens et tragique, parce qu’il ne trouve pas d’espérance. Il est donc nécessaire que ces expressions du prophète sur l’abandon de Jérusalem par Dieu soient situées dans la lumière du Golgotha. Le cri de Jésus sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15,34) donne la parole à l’abîme de l’abandon. Mais le Père ne lui répond pas. Les paroles du Crucifié semblent résonner dans le vide, parce que ce silence du Père à l’égard de son Fils est le prix à payer pour que personne ne se sente plus abandonné par Dieu. Le Dieu qui a aimé le monde au point de donner son Fils (cf. Jn 3,16), au point de l’abandonner sur la croix, ne pourra jamais abandonner personne : son amour sera toujours là, proche, plus grand et plus fidèle que tout abandon.
Après avoir répété que Dieu n’oubliera pas son peuple, Isaïe conclut en affirmant : « Car je t’ai gravée sur les paumes de mes mains » (49,16). Incroyable : Dieu a « tatoué » mon nom sur sa main. C’est comme un sceau qui me donne la certitude, avec lequel il me promet qu’il ne s’éloignera jamais de moi. Je suis toujours devant lui ; chaque fois que Dieu regarde sa main, il se souvient de moi, parce qu’il y a gravé mon nom ! Et nous n’oublions pas que, pendant que le prophète écrit, Jérusalem est réellement détruite ; le temple n’existe plus ; le peuple est esclave en exil. Et pourtant, le Seigneur dit : « j’ai toujours tes remparts devant les yeux » (ibid.). Sur la paume de la main de Dieu, les remparts de Jérusalem sont solides, comme une forteresse imprenable. L’image vaut aussi pour nous : tandis que la vie se détruit sous l’illusion du péché, Dieu maintient vivant son salut et vient à notre rencontre par son aide. Sur sa main paternelle, je retrouve ma vie renouvelée et projetée vers l’avenir, comblée de l’amour que lui seul peut réaliser. Il nous revient aussi en mémoire le livre de l’amour, le Cantique des Cantiques, où nous trouvons une expression semblable à celle rappelée par le prophète : « Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras » (8,6). Comme on le sait, la fonction du sceau était d’empêcher que quelque chose d’intime puisse être violé ; dans la culture antique, c’était une image pour indiquer que l’amour entre deux personnes était tellement solide et stable qu’il continuait au-delà de la mort. Continuité et pérennité sont à la base de l’image du sceau que Dieu a mis sur lui-même pour empêcher que quelqu’un puisse penser être abandonné par lui : « Je ne t’oublierai jamais » (Is 49,15). Sceau. Tatouage.
Et je termine. Cette certitude est typique de l’amour que nous sommes appelés à soutenir chez ceux qui s’approchent du confessionnal, pour leur donner la force de croire et d’espérer. La capacité de savoir recommencer à zéro, malgré tout, parce que chaque fois Dieu prend par la main et pousse à regarder devant soi. La miséricorde prend par la main et donne la certitude que l’amour par lequel Dieu aime est vainqueur de toute forme de solitude et d’abandon. De cette expérience, qui insère dans une communauté qui accueille tout le monde et toujours sans aucune distinction, qui soutient celui qui est dans le besoin et dans les difficultés, qui vit la communion comme source de vie, les Missionnaires de la Miséricorde sont appelés à être les interprètes et les témoins.
Pendant ces dernières semaines, j’ai été particulièrement frappé par une prière du temps de carême (Mercredi de la IVème semaine) qui, d’une certaine manière, semble faire la synthèse de ces réflexions. Je la partage avec vous, pour que nous puissions en faire notre prière et notre style de vie :
O Père, qui donne la récompense aux justes
et ne refuse pas le pardon aux pécheurs repentis,
écoute notre prière :
que l’humble confession de nos fautes
nous obtienne ta miséricorde.
Amen.
Et je voudrais terminer par deux anecdotes de deux grands confesseurs, tous deux à Buenos Aires. L’un deux, un père du Saint-Sacrement qui avait eu des travaux importants dans sa congrégation, a été provincial, mais il trouvait toujours du temps pour aller au confessionnal. Je ne sais pas combien ils étaient mais la majorité du clergé de Buenos Aires allait se confesser à lui. Et même quand saint Jean-Paul II était à Buenos Aies et qu’il a demandé un confesseur, c’est lui que la nonciature a appelé. C’était un homme qui te donnait le courage d’aller de l’avant. J’en ai fait l’expérience parce que je me suis confessé à lui à l’époque où j’étais provincial, pour ne pas le faire avec mon directeur jésuite… Quand il commençait : « bien, bien, porte-toi bien » et il t’encourageait : « Va, va ! ». Comme il était bon. Il est mort à 94 as et a confessé jusqu’à un an avant et quand il n’était pas dans le confessionnal, on sonnait et il descendait. Et un jour, j’étais vicaire général et je suis sorti de ma pièce, là où il y avait le fax – je le faisais tous les matins tôt pour voir les nouvelles urgentes – c’était le dimanche de Pâques et il y avait un fax : « Hier, une demi-heure avant la vigile pascale, le père Aristi est mort », c’est ainsi qu’il s’appelait… Je suis allé déjeuner à la maison de retraite des prêtres pour fêter Pâques avec eux et au retour je suis allé dans l’église qui était dans le centre de la ville, là où il y avait la veillée funèbre. Il y avait le cercueil et deux petites vieilles qui priaient le chapelet. Je me suis approché et il n’y avait aucune fleur, rien. J’ai pensé : mais c’était notre confesseur à tous ! Cela m’a frappé. J’ai ressenti combien la mort est terrible. Je suis sorti et je suis allé à 200 mètres, où il y avait un marchand de fleurs, ceux qui sont dans les rues, j’ai acheté quelques fleurs et je suis revenu. Et pendant que je mettais les fleurs là, près du cercueil, j’ai vue qu’il avait son chapelet entre les mains… Le septième commandement dit : « Tu ne voleras pas ». Le chapelet est resté là mais pendant que je faisais semblant d’arranger les fleurs, j’ai fait comme ceci et j’ai pris la croix. Et les petites vieilles regardaient, ces petites vieilles. Cette croix, je la porte ici sur moi depuis ce moment et je lui demande la grâce d’être miséricordieux, je la porte toujours sur moi. Cela se passait en 1996, plus ou moins. Je lui demande cette grâce. Les témoignages de ces hommes sont grands.
Ensuite l’autre cas. Celui-ci est vivant, 92 ans. C’est un pénitent qui a toujours des pénitents qui font la queue, de toutes les couleurs, pauvres, riches, laïcs, prêtres, quelques évêques, des sœurs… tous, c’est sans fin. C’est un grand « pardonneur », mais pas complaisant, un grand « pardonneur », un grand miséricordieux. Et je savais cela, je le connaissais, je suis allé deux fois au sanctuaire de Pompéi où il confessait à Buenos Aires et je l’ai salué. Il a maintenant 92 ans. À cette époque, quand il est venu chez moi, il devait en avoir 85. Et il m’a dit : « Je veux parler avec toi parce que j’ai un problème. J’ai un grand scrupule : parfois, il m’arrive de trop pardonner ». Et il m’expliquait : « Je ne peux pas pardonner une personne qui vient demander le pardon et qui dit qu’elle voudrait changer, qu’elle fera tout son possible mais qu’elle ne sait pas si elle y arrivera… Et pourtant je pardonne ! Et parfois, il me vient une angoisse, un scrupule… » Et je lui ai dit : « Que fais-tu quand il te vient ce scrupule ? » Et il m’a répondu ceci : « Je vais dans la chapelle, dans la chapelle intérieure du couvent, devant le tabernacle et je demande sincèrement pardon au Seigneur : « Seigneur, pardonne-moi, aujourd’hui j’ai trop pardonné. Pardonne-moi… Mais écoute, c’est toi qui m’a donné le mauvais exemple ! ». Cet homme priait ainsi. ---------------------------------------------------------------------------- Source : https://fr.zenit.org/ | |
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