La question délicate des Rohingyas, le risque de destruction lié aux armes nucléaires, les relations avec la Chine, comptaient parmi les grands thèmes de la conférence de presse que le pape François a donnée dans l’avion qui le ramenait de Dacca (Bangladesh), le 2 décembre 2017. Au terme de son 21e voyage apostolique qui incluait aussi la Birmanie, le pape a affirmé : « Je n’ai pas négocié la vérité ».
Le pape, qui s’est entretenu avec les journalistes durant une heure, a été interrogé sur son silence sur le nom « Rohingya », minorité musulmane persécutée, lors de son étape en Birmanie. Un silence qu’il a rompu au Bangladesh le 1er décembre. « Ce n’est pas la première fois, a-t-il rappelé, que j’ai prononcé en public ce mot ». Mais « pour moi, il était plus important que le message passe ».
Le nom de ces musulmans sunnites de langue bengalie qui vivent au nord-ouest de l’Etat d’Arakan (Rakhine), est en effet très controversé. Le gouvernement birman a interdit l’utilisation du terme et a également demandé à la communauté diplomatique de ne pas l’utiliser.
Il s’agissait de « chercher à dire les choses pas à pas, et d’écouter les réponses afin que le message parvienne… j’ai vu que si dans le discours officiel j’avais prononcé ce mot, j’aurais fermé la porte au nez. Mais j’ai décrit les situations, les droits… pour me permettre d’avancer dans les dialogues privés ».
Mettant en garde contre les dénonciations trop agressives qui ferment la porte aux échanges, le pape a confié sa « satisfaction » d’avoir dialogué, d’avoir dit ce qu’il pensait. « Et le message est parvenu » à ses interlocuteurs, a-t-il assuré.
Je n’ai pas négocié la vérité
Il a évoqué sa rencontre avec le chef des armées birmanes, le général Min Aung Hlaing, le 27 novembre, au premier jour de son étape dans le pays : « Dans le cas de ce général, il m’a demandé de parler : je l’ai reçu. Je ne ferme jamais la porte… En parlant on ne perd rien, on gagne toujours. Ça a été une belle conversation. Je ne peux pas donner les détails car c’était un échange privé. Mais je n’ai pas négocié la vérité, je vous assure… et là aussi, le message est parvenu. »
De ses rencontres avec les autorités birmanes, le pape en a déduit qu’il « ne sera pas facile d’avancer dans un développement positif et qu’il ne sera pas facile … de faire marche arrière ». Quant au risque de récupération des Rohingyas par des groupes terroristes, le pape a souligné qu’ils étaient « des gens de paix » mais qu’il « y a toujours un groupe fondamentaliste, dans toutes les religions et les ethnies » : « Je n’ai pas parlé avec eux, j’ai chois de parler avec leurs victimes. Parce que les victimes étaient le peuple rohingya, qui d’un côté souffrait de cette discrimination et de l’autre était défendu par des terroristes ».
Le message est arrivé
Il a raconté ainsi sa rencontre, au Bangladesh, avec 16 réfugiés Rohingyas, devant lesquels il a affirmé : « La présence de Dieu, aujourd’hui, s’appelle aussi Rohingya ». Certains leur avaient conseillé de se contenter de saluer le pape, sans parler : « Le moment est arrivé pour eux de venir me saluer… en file indienne… On voulait tout de suite les chasser de la scène et je me suis énervé… Je suis pécheur et j’ai répété “respect, respect” et ils sont restés là. Après les avoir entendus un par un avec l’interprète… je me suis dit : je ne peux pas les laisser partir sans une parole… et j’ai commencé à parler… A ce moment-là je pleurais, je cherchais à ne pas le montrer. Ils pleuraient aussi. »
Puis le pape a proposé de prier avec les Rohingyas et les représentants religieux présents à la rencontre, côte à côte. « Et vu tout le chemin, conclut-il, j’ai senti que le message est arrivé… Une partie était programmée, une autre est sortie spontanément… Vous avez vu les couvertures des journaux. Ils ont tous reçu le message. Et je n’ai pas entendu de critiques. Peut-être y en aura-t-il, mais je n’en ai pas entendu. »
Le nucléaire, à la limite de la licéité
Au fil de cette conférence de presse, le pape s’est arrêté sur la question des armes nucléaires, faisant observer que « nous sommes à la limite de la licéité d’avoir et d’utiliser les armes nucléaires. Parce qu’aujourd’hui, avec l’arsenal nucléaire si sophistiqué, on risque la destruction de l’humanité ou au moins d’une grande partie de l’humanité ».
« Aujourd’hui, s’est-il demandé, est-il licite de garder les arsenaux nucléaires comme ils sont ou bien n’est-il par nécessaire de faire marche arrière pour sauver la création, pour sauver l’humanité ? »
Les relations avec la Chine
Le pape François a aussi mentionné son souhait de voyager en Inde en 2018 : ce déplacement était prévu en 2017 mais il n’a pu se faire. Quant à un voyage en Chine, il « n’est pas en préparation », a-t-il assuré. « J’aimerais beaucoup (y aller). Ce n’est pas un secret. »
Il fait le point sur les relations actuelles entre Pékin et le Saint-Siège : « Les pourparlers avec la Chine sont de haut niveau culturel… il y a des relations culturelles, scientifiques, des prêtres qui enseignentà l’Université d’Etat chinoise… Puis il y a le dialogue politique, surtout pour l’Eglise chinoise, avec cette histoire de l’Eglise patriotique et de l’Eglise clandestine, qui demande d’aller pas à pas, avec délicatesse, comme on est en train de le faire. Lentement. Je crois que ces jours-ci, aujourd’hui ou demain, commencera à Pékin une session de la commission mixte. Et cela, avec patience. Mais les portes du cœur sont ouvertes. »
Evangéliser, a souligné le pape par ailleurs « n’est pas faire du prosélytisme » : « L’évangélisation, c’est vivre l’Evangile, c’est témoigner de la façon dont se vit l’Evangile : témoigner des béatitudes, témoigner de Matthieu 25, témoigner du Bon Samaritain, du pardon 70 fois 7 fois. Et dans ce témoignage, l’Esprit-Saint travaille et il y a des conversions… Lorsqu’on vit avec témoignage et respect, on fait la paix. La paix se brise quand commence le prosélytisme. »