« Priez pour moi, n’oubliez pas. Que je suive moi aussi l’exemple de ce bon prêtre! » a dit le pape François au moment de quitter Barbania, en se recommandant à la prière des disciples et des anciens élèves de don Lorenzo Milani.
Le pape François a rendu hommage, ce mardi 20 juin 2017, à don Lorenzo Milani (1923-1967), curé de Barbiana, dans la région de Florence, à l’occasion du 50eanniversaire de la mort de celui-ci, à 44 ans, de leucémie.
Discours du pape François :
Chers frères et sœurs,
Je suis venu à Barbiana pour rendre hommage à la mémoire d’un prêtre qui a témoigné que, dans le don de soi au Christ, les frères se rencontrent dans leur nécessité et on les sert, pour que soit défendue et promue leur dignité en tant que personnes, avec le même don de soir que celui que Jésus nous a montré, jusqu’à la croix.
1. Je me réjouis de rencontrer ici ceux qui furent, à son époque, élèves de don Lorenzo Milani, certains à l’école populaire San Donato à Calenzano, d’autres ici, à l’école de Barbiana. Vous êtes les témoins de la façon dont un prêtre a vécu sa mission, avec une totale fidélité à l’Évangile, dans les lieux où l’Église l’a appelé, et, pour cette raison même, avec une totale fidélité à chacun de vous que le Seigneur lui avait confiés. Et vous êtes les témoins de sa passion éducative, de son propos de réveiller l’humain dans les personnes pour les ouvrir au divin.
D’où son dévouement complet à l’école, avec un choix qu’ici, à Barbiana, il mettra en oeuvre de manière encore plus radicale. L’école, pour don Lorenzo, n’était pas quelque chose de différent de sa mission de prêtre, mais la manière concrète de réaliser cette mission, en lui donnant un fondement solide et capable d’élever jusqu’au ciel. Et quand la décision de l’évêque l’a conduit de Calenzano à ici, parmi les jeunes de Barbiana, il comprit aussitôt que si le Seigneur avait permis ce détachement, c’était pour lui donner de nouveaux enfants à faire grandir et à aimer. Redonner la parole aux pauvres, parce que, sans la parole, il n’y a pas de dignité et par conséquent pas non plus de liberté ni de justice : c’est ce qu’enseigne don Milani. Et c’est la parole qui pourra ouvrir la voie à la pleine citoyenneté dans la société, grâce au travail, et à la pleine appartenance à l’Église, avec une foi consciente. Cela vaut à sa manière aussi pour notre temps, où le seul fait d’avoir la parole peut permettre de discerner parmi les messages nombreux et souvent confus qui pleuvent sur nous, et de donner une expression aux instances profondes de notre cœur, ainsi qu’aux attentes de justice de tant de frères et de sœurs qui attendent la justice. À cette humanisation que nous revendiquons pour toutes les personnes sur cette terre, à côté du pain, de la maison, du travail, de la famille, appartient aussi la possession de la parole comme un instrument de liberté et de fraternité.
2. Il y a ici aussi des adolescents et des jeunes qui représentent pour nous les nombreux adolescents et jeunes qui, aujourd’hui, ont besoin d’être accompagnés sur le chemin de leur croissance. Je sais que, comme tant d’autres dans le monde, vous vivez dans des situations de marginalité, et qu’il y a à vos côtés quelqu’un qui ne vous laisse pas seuls et vous indique une voie possible de rachat, un avenir qui s’ouvre sur des horizons plus positifs. Je voudrais, d’ici, remercier tous les éducateurs, ceux qui se mettent au service de la croissance des nouvelles générations, en particulier de ceux qui se trouvent en situation de difficulté. Votre mission est pleine d’obstacles mais aussi de joies. Mais surtout, c’est une mission. Une mission d’amour, parce qu’on ne peut pas enseigner sans aimer et sans la conscience que ce que l’on donne n’est qu’un droit que l’on reconnaît, celui d’aimer. Et il y a beaucoup à enseigner, mais l’essentiel c’est la croissance d’une conscience libre, capable de se confronter à la réalité et de s’y orienter, guidée par l’amour, par la volonté de s’engager avec les autres, de prendre en charge leurs fatigues et leurs blessures, de fuir tout égoïsme pour servir le bien commun. Nous trouvons écrit dans sa « Lettre à une institutrice » : « J’ai appris que le problème des autres est le même que le mien. S’en sortir tous c’est de la politique. S’en sortir tout seul c’est de l’avarice ». C’est un appel à la responsabilité. Un appel qui vous concerne, chers jeunes, mais qui nous concerne avant tout, nous, les adultes, appelés à vivre la liberté de conscience de manière authentique, comme recherche du vrai, du beau et du bien, prêts à payer le prix que cela comporte. Et cela, sans compromis.
3. Enfin, mais ce n’est pas le moins important, je m’adresse à vous, prêtres, que j’ai voulus à mes côtés ici, à Barbiana. Je vois parmi vous des prêtres âgés, qui avez partagé avec don Lorenzo Milani les années du séminaire ou le ministère dans des lieux proches d’ici ; et aussi des prêtres jeunes, qui représentent l’avenir du clergé florentin et italien. Certains d’entre vous sont donc des témoins de l’aventure humaine et sacerdotale de don Lorenzo, d’autres en sont les héritiers. À tous, je veux rappeler que la dimension sacerdotale de don Lorenzo Milani est à la racine de tout ce que j’ai évoqué de lui jusqu’à maintenant. La dimension sacerdotale est la racine de tout ce qu’il a fait. Tout naît de son identité de prêtre. Mais à son tour, son identité de prêtre a une racine encore plus profonde : sa foi. Une foi totalisante, qui devient un don complet de soi au Seigneur et qui, dans le ministère sacerdotal, trouve sa forme pleine et accomplie pour le jeune converti. Les paroles de son guide spirituel sont connues : Don Raffaele Bensi, à qui ont fait appel ces années-là les figures les plus hautes du catholicisme florentin, si vivant au milieu du siècle dernier, sous le ministère paternel du vénérable cardinal Elia Dalla Costa. Voici ce qu’a dit don Bensi : « Pour sauver son âme, il est venu à moi. Depuis ce jour d’août jusqu’à l’automne, il s’est littéralement gavé de l’Évangile et du Christ. Ce jeune est parti aussitôt pour l’absolu, sans demi-mesure. Il voulait se sauver et sauver, à tout prix. Transparent et dur comme un diamant, il devait aussitôt se blesser et blesser » (Nazzareno Fabbretti, “Intervista a Mons. Raffaele Bensi”, Domenica del Corriere, 27 juin 1971). Être prêtre comme façon de vivre l’absolu. Sa mère, Alice, disait : « Mon fils était à la recherche de l’absolu. Il l’a trouvé dans la religion et dans la vocation sacerdotale ». Sans cette soif d’absolu, on peut être de bons fonctionnaires du sacré, mais on ne peut être prêtre, un vrai prêtre, capable de devenir serviteur du Christ dans ses frères. Chers prêtres, avec la grâce de Dieu, cherchons à être des hommes de foi, une foi franche, non diluée ; et des hommes de charité, une charité pastorale envers tous ceux que le Seigneur nous confie comme des frères et des fils. Don Lorenzo nous enseigne aussi à aimer l’Église, comme il l’a aimée, avec la franchise et la vérité qui peuvent aussi créer des tensions, mais jamais des fractures, ni des abandons. Aimons l’Église, chers confrères, et faisons-la aimer, en la montrant comme une mère prévenante pour tous, surtout pour les plus pauvres et fragiles, dans la vie sociale comme dans la vie personnelle et religieuse. L’Église que don Milani a montrée au monde a ce visage maternel et prévenant, tendu pour donner à tous la possibilité de rencontrer Dieu et par conséquent pour donner consistance à sa propre personne dans toute sa dignité.
4. Avant de conclure, je ne peux taire que le geste que j’ai accompli aujourd’hui veut être une réponse à cette demande plusieurs fois adressée par don Lorenzo à son évêque, à savoir qu’il soit reconnu et compris dans sa fidélité à l’Évangile et dans la rectitude de son action pastorale. Dans une lettre à son évêque, il écrivait : « Si vous ne m’honorez pas aujourd’hui par un quelconque acte solennel, tout mon apostolat apparaîtra comme un fait privé… ». Depuis, le cardinal Silvano Piovanelli, d’heureuse mémoire, les archevêques de Florence ont, à différentes occasions, donné cette reconnaissance à don Lorenzo. Aujourd’hui, c’est l’évêque de Rome qui le fait. Cela n’efface pas les amertumes qui ont accompagné la vie de don Milani – il ne s’agit pas d’effacer ou de nier l’histoire, mais de comprendre les circonstances et l’humanité en jeu – mais cela dit que l’Église reconnaît dans cette vie une manière exemplaire de servir l’Évangile, les pauvres et l’Église elle-même. Par ma présence à Barbiana, par ma prière à la tombe de don Lorenzo Milani, je pense donner une réponse à ce que souhaitait sa mère : « Je voudrais surtout que l’on connaisse le prêtre, que l’on sache la vérité, que l’on rende honneur à l’Église y compris pour ce qu’il a été dans l’Église et que l’Église lui rende honneur… cette Église qui l’a fait tant souffrir mais qui lui a donné le sacerdoce et la force de cette foi qui reste, pour moi, le mystère le plus profond de mon fils… Si l’on ne comprend pas réellement le prêtre que don Lorenzo a été, on pourra difficilement comprendre de lui tout le reste. Par exemple, son profond équilibre entre dureté et charité » (Nazareno Fabbretti, “Rencontre avec la mère du curé de Barbiana trois ans après sa mort”, Il Resto del Carlino, Bologne, 8 juillet 1970). Le prêtre « transparent et dur comme un diamant » continue de transmettre la lumière de Dieu sur le chemin de l’Église. Prenez le flambeau et portez-le en avant ! Merci.
[Je vous salue, Marie]
[Bénédiction]
Encore merci beaucoup ! Priez pour moi, n’oubliez pas. Que je suive moi aussi l’exemple de ce bon prêtre ! Merci pour votre présence. Que le Seigneur vous bénisse. Et vous, prêtres, tous – parce qu’il n’y a pas de retraite dans le sacerdoce ! – tous, en avant et avec courage ! Merci.