Message du Saint-Père au Forum Economique Mondial de Davos

Le Pape François a adressé, ce lundi 15 janvier 2024, un message au Forum économique mondial, exprimant son espoir que les discussions prennent en compte l'urgence de promouvoir la cohésion sociale et la réconciliation pour relever les défis actuels d'un monde de plus en plus instable et lacéré par les conflits. Il appelle les acteurs économiques et politiques à une plus grande responsabilité morale dans la lutte contre la pauvreté et les injustices, et en faveur d'un développement humain intégral.


Au Président exécutif du Forum économique mondial,

La réunion annuelle de cette année du Forum économique mondial se tient dans un climat très troublant d'instabilité internationale. Votre Forum, qui vise à guider et à renforcer la volonté politique et la coopération mutuelle, fournit une importante opportunité de participation des multiples parties prenantes pour explorer des moyens novateurs et efficaces de construire un monde meilleur. J'espère que vos discussions prendront en compte le besoin urgent de promouvoir la cohésion sociale, la fraternité et la réconciliation entre les groupes, les communautés et les États, afin de relever les défis auxquels nous sommes confrontés.

Malheureusement, quand nous regardons autour de nous, nous trouvons un monde de plus en plus lacéré, dans lequel des millions de personnes - hommes, femmes, pères, mères, enfants - dont les visages nous sont pour la plupart inconnus, continuent de souffrir, notamment des effets de conflits prolongés et de guerres réelles. Ces souffrances sont exacerbées par le fait que "les guerres modernes ne se déroulent plus seulement sur des champs de bataille clairement définis, ni n’impliquent plus seulement des soldats. Dans un contexte où la distinction entre cibles militaires et civiles ne semble plus être respectée, il n'y a pas de conflit qui ne finisse pas par frapper de manière indifférenciée la population civile" (Allocution aux membres du corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 8 janvier 2024).

La paix à laquelle aspirent les peuples de notre monde ne peut être que le fruit de la justice (cf. Isaïe 32:17). En conséquence, elle nécessite plus que de simplement mettre de côté les instruments de guerre; elle exige de s'attaquer aux injustices qui sont les causes profondes des conflits. La faim, qui continue de sévir dans des régions entières du monde, alors que d’autres sont marquées par le gaspillage alimentaire excessif, est l'une des plus significatives. L'exploitation des ressources naturelles continue d'enrichir quelques-uns tout en laissant des populations entières, qui sont les bénéficiaires naturels de ces ressources, dans un état de dénuement et de pauvreté. Nous ne pouvons pas non plus négliger l'exploitation généralisée des hommes, des femmes et des enfants contraints de travailler pour de bas salaires et privés de véritables perspectives de développement personnel et de croissance professionnelle. Comment est-il possible qu’aujourd’hui, dans le monde, des gens meurent encore de faim, sont exploités, condamnés à l'analphabétisme, privés de soins médicaux de base et laissés sans abri ?

Le processus de mondialisation, qui a désormais clairement démontré l'interdépendance des nations et des peuples du monde, a donc une dimension fondamentalement morale, qui doit s’imposer dans les discussions économiques, culturelles, politiques et religieuses visant à façonner l'avenir de la communauté internationale. Dans un monde de plus en plus menacé par la violence, l'agression et la fragmentation, il est essentiel que les États et les entreprises s'unissent pour promouvoir des modèles de mondialisation prévoyants et éthiques, qui par leur nature même doivent subordonner la poursuite du pouvoir et du gain individuel, qu'il soit politique ou économique, au bien commun de notre famille humaine, en donnant la priorité aux pauvres, aux nécessiteux et à ceux qui sont dans les situations les plus vulnérables.

Pour sa part, le monde des affaires et de la finance opère désormais dans des contextes économiques de plus en plus larges, où les États nationaux ont une capacité limitée à gouverner les changements rapides dans les relations économiques et financières internationales. Cette situation exige que les entreprises elles-mêmes soient de plus en plus guidées non seulement par la poursuite d'un profit équitable, mais aussi par des normes éthiques élevées, en particulier en ce qui concerne les pays les moins développés, qui ne devraient pas être à la merci de systèmes financiers abusifs ou usuraires. Une approche prévoyante de ces questions sera décisive pour atteindre l'objectif d'un développement intégral de l'humanité dans la solidarité. Un développement authentique doit être global, partagé par toutes les nations et dans toutes les régions du monde, sous peine de régresser même dans les domaines marqués jusqu'ici par un progrès constant.

Dans le même temps, il est évident qu'une action politique internationale est nécessaire pour, à travers l'adoption de mesures coordonnées, poursuivre efficacement les objectifs de paix mondiale et de développement authentique. Il est notamment important que les structures intergouvernementales puissent exercer efficacement leurs fonctions de contrôle et d'orientation dans le secteur économique, car la réalisation du bien commun est un objectif au-delà de la portée des États individuels, même ceux qui sont dominants en termes de pouvoir, de richesse et de puissance politique. Les organisations internationales sont également mises au défi d'assurer la réalisation de cette égalité qui est le fondement du droit de tous à participer au processus de développement complet, dans le respect légitime des différences.

J’espère donc que les participants à ce Forum de cette année seront conscients de la responsabilité morale que chacun de nous a dans la lutte contre la pauvreté, dans la réalisation d'un développement intégral pour tous nos frères et sœurs, et dans la quête d'une coexistence pacifique entre les peuples. C'est le grand défi que le temps présent nous impose. Et si, dans la poursuite de ces objectifs, "nos propres jours semblent montrer des signes d’une certaine régression", il reste vrai que "chaque nouvelle génération doit reprendre les luttes et les acquis des générations précédentes, tout en visant encore plus haut... La bonté, ainsi que l’amour, la justice et la solidarité, ne s’obtiennent pas une fois pour toutes ; ils doivent se réaliser chaque jour " (Exhortation apostolique Laudate Deum, 34).

Avec ces sentiments, je vous adresse mes vœux de prière pour les délibérations du Forum, et à tous les participants, j'invoque volontiers une abondance de bénédictions divines.

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