Avec le Motu Proprio "Ad theologiam promovendam", diffusé ce 1er novembre 2023, François met à jour les statuts de l'Académie pontificale de théologie en l'appelant à une «révolution culturelle courageuse» pour être prophétique et dialoguer à la lumière de la Révélation.
Lettre apostolique sous forme de Motu Proprio
Ad theologiam promovendam
1.Pour promouvoir la théologie à l'avenir, on ne peut se limiter à reprendre abstraitement des formules et des schémas du passé. Appelée à interpréter prophétiquement le présent et à discerner de nouveaux chemins pour l'avenir, à la lumière de la Révélation, la théologie devra se confronter aux profondes transformations culturelles, consciente que : « Ce que nous vivons n'est pas simplement une époque de changements, mais un changement d'époque » (Discours à la Curie romaine du 21 décembre 2013).
2.La Pontificale Académie de Théologie, née au début du XVIIIe siècle sous les auspices de Clément XI, mon prédécesseur, et instituée canoniquement par lui dans le bref Inscrutabili le 23 avril 1718, au cours de son existence séculaire a constamment incarné la nécessité de mettre la théologie au service de l'Église et du monde, en modifiant si nécessaire sa structure et en élargissant ses finalités : d'un lieu initial de formation théologique du clergé dans un contexte où d'autres institutions se révélaient déficientes et inadéquates à cet objectif, à un groupe d'érudits appelés à étudier et approfondir des thèmes théologiques de particulière importance. La mise à jour des Statuts, voulue par mes prédécesseurs, a marqué et promu ce processus : pensons aux Statuts approuvés par Grégoire XVI le 26 août 1838 et à ceux approuvés par saint Jean-Paul II dans la Lettre apostolique Inter munera Academiarum le 28 janvier 1999.
3.Après près de cinq lustres, le moment est venu de réviser ces normes, pour les rendre plus adaptées à la mission que notre temps impose à la théologie. À une Église synodale, missionnaire et "en sortie" ne peut correspondre qu'une théologie "en sortie". Comme je l'ai écrit dans la Lettre au Grand Chancelier de l'Université Catholique d'Argentine, m'adressant aux professeurs et étudiants en théologie : « Ne vous contentez pas d'une théologie de bureau. Votre lieu de réflexion soit les frontières. [...] Même les bons théologiens, comme les bons pasteurs, sentent le peuple et la rue et, par leur réflexion, versent de l'huile et du vin sur les blessures des hommes ». L'ouverture au monde, à l'homme dans la concrétude de sa situation existentielle, avec ses problématiques, ses blessures, ses défis, ses potentialités, ne peut cependant se réduire à une attitude "tactique", en adaptant extrinsèquement des contenus désormais cristallisés à de nouvelles situations, mais doit inciter la théologie à repenser son épistémologie et sa méthodologie, comme indiqué dans le préambule de la constitution apostolique Veritatis gaudium.
4.La réflexion théologique est donc appelée à un tournant, à un changement de paradigme, à une « courageuse révolution culturelle » (Lettre encyclique Laudato si’, 114) qui l'engage, en premier lieu, à être une théologie fondamentalement contextuelle, capable de lire et d'interpréter l'Évangile dans les conditions où les hommes et les femmes vivent quotidiennement, dans les différents environnements géographiques, sociaux et culturels et en ayant pour archétype l'Incarnation du Logos éternel, son entrée dans la culture, dans la vision du monde, dans la tradition religieuse d'un peuple. À partir de là, la théologie ne peut que se développer dans une culture du dialogue et de la rencontre entre différentes traditions et différents savoirs, entre différentes confessions chrétiennes et différentes religions, en dialogue ouvert avec tous, croyants et non-croyants. L'exigence de dialogue est en effet intrinsèque à l'être humain et à toute la création et c'est la tâche particulière de la théologie de découvrir « l'empreinte trinitaire qui fait du cosmos dans lequel nous vivons "un tissu de relations" où "il est propre à tout être vivant de tendre vers une autre chose" » (Constitution apostolique Veritatis gaudium, Préambule, 4a).
5.Cette dimension relationnelle caractérise et définit, d'un point de vue épistémique, le statut de la théologie, qui est poussée à ne pas se refermer sur elle-même, ce qui conduit à l'isolement et à l'insignifiance, mais à se saisir comme insérée dans une trame de rapports, d'abord avec les autres disciplines et savoirs. C'est l'approche de la transdisciplinarité, c'est-à-dire une interdisciplinarité au sens fort, distincte de la multidisciplinarité, comprise comme interdisciplinarité au sens faible. Cette dernière favorise certes une meilleure compréhension de l'objet d'étude en le considérant de plusieurs points de vue, qui restent cependant complémentaires et séparés. La transdisciplinarité doit au contraire être pensée « comme position et ferment de tous les savoirs dans l'espace de Lumière et de Vie offert par la Sagesse qui émane de la Révélation de Dieu » (Constitution apostolique Veritatis gaudium, Préambule, 4c). Il en découle la tâche ardue pour la théologie d'être capable de s'appuyer sur de nouvelles catégories élaborées par d'autres savoirs, pour pénétrer et communiquer les vérités de la foi et transmettre l'enseignement de Jésus dans les langages d'aujourd'hui, avec originalité et conscience critique.
6.Le dialogue avec les autres savoirs présuppose évidemment le dialogue au sein de la communauté ecclésiale et la conscience de la dimension essentiellement synodale et communautaire de la théologie : le théologien ne peut que vivre en première personne la fraternité et la communion, au service de l'évangélisation et pour atteindre le cœur de tous. Comme je l'ai dit aux théologiens dans le Discours aux Membres de la Commission Théologique Internationale, le 24 novembre 2022 : « La synodalité ecclésiale engage donc les théologiens à faire de la théologie de manière synodale, en favorisant entre eux la capacité d'écouter, de dialoguer, de discerner et d'intégrer la multiplicité et la variété des instances et des apports ». Il est donc important qu'existent des lieux, même institutionnels, dans lesquels vivre et faire l'expérience de la collégialité et de la fraternité théologiques.
7.Enfin, l'attention nécessaire au statut scientifique de la théologie ne doit pas occulter sa dimension sapientielle, déjà clairement affirmée par saint Thomas d'Aquin (cf. Somme théologique I, q. 1, a. 6). C'est pourquoi le bienheureux Antonio Rosmini considérait la théologie comme une expression sublime de "charité intellectuelle", tandis qu'il demandait que la raison critique de tous les savoirs s'oriente vers l'Idée de Sagesse. Or l'Idée de Sagesse lie intérieurement dans un "cercle solide" la Vérité et la Charité ensemble, de sorte qu'il est impossible de connaître la vérité sans pratiquer la charité : « parce que l'une est dans l'autre et aucune des deux en dehors de l'autre ne se trouve. Ainsi, celui qui a cette Vérité a avec elle la Charité qui la comble, et celui qui a cette Charité a la Vérité comblée » (cf. Des études de l'Auteur, nn.100-111). La raison scientifique doit élargir ses frontières dans la direction de la sagesse, pour ne pas se déshumaniser et s'appauvrir. Par ce chemin, la théologie peut contribuer au débat actuel de "repenser la pensée", en montrant qu'elle est un vrai savoir critique en tant que savoir sapientiel, non abstrait et idéologique, mais spirituel, élaboré à genoux, lourd d'adoration et de prière ; un savoir transcendant et, en même temps, attentif à la voix des peuples, donc théologie "populaire", tournée miséricordieusement vers les plaies ouvertes de l'humanité et de la création et au sein des plis de l'histoire humaine, à laquelle elle prophétise l'espérance d'un accomplissement ultime.
8.Il s'agit de la "timbre" pastoral que la théologie dans son ensemble, et pas seulement dans un domaine qui lui est propre, doit assumer : sans opposer théorie et pratique, la réflexion théologique est sollicitée à se développer avec une méthode inductive, qui parte des différents contextes et des situations concrètes dans lesquelles les peuples sont insérés, en se laissant interpeller sérieusement par la réalité, pour devenir discernement des "signes des temps" dans l'annonce de l'événement salvifique du Dieu-agapè, qui s'est communiqué en Jésus-Christ. C'est pourquoi il faut d'abord privilégier le savoir du sens commun des gens qui est de fait lieu théologique dans lequel habitent tant d'images de Dieu, souvent ne correspondant pas au visage chrétien de Dieu, seul et toujours amour. La théologie se met au service de l'évangélisation de l'Église et de la transmission de la foi, pour que la foi devienne culture, c'est-à-dire ethos sage du peuple de Dieu, proposition de beauté humaine et humanisante pour tous.
9.Face à cette mission renouvelée de la théologie, la Pontificale Académie de Théologie est appelée à développer, dans la constante attention à la scientificité de la réflexion théologique, le dialogue transdisciplinaire avec les autres savoirs scientifiques, philosophiques, humanistes et artistiques, avec croyants et non-croyants, avec des hommes et des femmes de différentes confessions chrétiennes et de différentes religions. Cela pourra se faire en créant une communauté académique de partage de la foi et de l'étude, qui tisse un réseau de relations avec d'autres institutions de formation, éducatives et culturelles et qui sache pénétrer, avec originalité et esprit d'imagination, dans les lieux existentiels de l'élaboration du savoir, des professions et des communautés chrétiennes.
10.Grâce aux nouveaux Statuts, la Pontificale Académie de Théologie pourra ainsi plus facilement poursuivre les objectifs que le temps présent exige. Accueillant favorablement les vœux qui m'ont été adressés pour que j'approuve ces nouvelles règles, et y répondant, je désire que ce siège éminent des études se développe en qualité et c'est pourquoi j'approuve, en vertu de cette Lettre Apostolique, et à perpétuité, les Statuts de la Pontificale Académie de Théologie, légitimement élaborés et révisés à nouveau et je leur confère la force de l'Approbation Apostolique.
Tout ce que j'ai décrété dans cette Lettre Apostolique motu proprio data, j'ordonne qu'il ait une valeur stable et durable, nonobstant toute chose contraire.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 1er novembre de l'an 2023, Solennité de la Toussaint, onzième du Pontificat.
FRANÇOIS