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 Lettre aux prêtres du diocèse de Rome

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MessageSujet: Lettre aux prêtres du diocèse de Rome   Lettre aux prêtres du diocèse de Rome Icon_minitimeLun 7 Aoû 2023 - 21:45

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Points clés :

- Le Pape François écrit cette lettre aux prêtres du diocèse de Rome pour les encourager et les soutenir dans leur ministère. Il leur exprime sa proximité et son affection.
- Il les remercie pour leur témoignage et leur service, souvent dans des conditions difficiles. et  les invite à se reposer physiquement et spirituellement.
- Le Saint-Père les met en garde contre la "mondanité spirituelle" qui est un grand danger pour l'Église, quand l'apparence religieuse cache en réalité l'attachement aux critères du monde.
- Il s'inquiète particulièrement du cléricalisme, qui est une forme de cette mondanité chez les prêtres : recherche des honneurs, du pouvoir, obsession de l'image, du succès, perte de l'esprit de service.
- Pour lutter contre cela, il faut regarder Jésus humilié et serviteur, et vivre dans un esprit de louange et de gratuité. Le clericalisme touche aussi les laïcs.
- Malgré les difficultés actuelles de l'Église et de la foi, il ne faut pas se décourager mais revenir aux sources de l'Évangile avec un esprit nouveau.
- L'enjeu est de ne pas être une Église riche en autorité mais pauvre en apostolicité et évangélisation. D'où l'appel à la conversion personnelle et pastorale.

Texte en intégralité :

Chers frères prêtres,

Je désire vous rejoindre avec une pensée d'accompagnement et d'amitié, qui je l'espère, pourra vous soutenir alors que vous poursuivez votre ministère, avec son lot de joies et de fatigues, d'espérances et de déceptions. Nous avons besoin d'échanger des regards empreints de sollicitude et de compassion, en apprenant de Jésus qui regardait ainsi les apôtres, sans leur imposer un programme dicté par le critère de l'efficacité, mais en leur offrant attention et réconfort. Ainsi, lorsque les apôtres sont revenus de leur mission, enthousiastes mais fatigués, le Maître leur dit : « Venez à l'écart, dans un lieu désert, et reposez-vous un peu » (Mc 6,31).

Je pense à vous, en ce moment où, parallèlement aux activités estivales, vous pouvez aussi vous reposer un peu après les fatigues pastorales des derniers mois. Et avant tout, je voudrais renouveler mes remerciements : « Merci pour votre témoignage, merci pour votre service ; merci pour tant de bien caché que vous faites, merci pour le pardon et la consolation que vous offrez au nom de Dieu [...] ; merci pour votre ministère, qui se déroule souvent entre de nombreuses fatigues, malentendus et peu de reconnaissances » (Homélie pour la Messe du Chrism, 6 avril 2023).

D'autre part, notre ministère sacerdotal ne se mesure pas aux succès pastoraux (le Seigneur lui-même en a eu de moins en moins au fil du temps !). Au cœur de notre vie, il n'y a même pas l'agitation des activités, mais le fait de demeurer dans le Seigneur pour porter du fruit (cf. Jn 15). C'est Lui notre réconfort (cf. Mt 11,28-29). Et la tendresse qui nous console jaillit de sa miséricorde, de l'accueil du "magis" de sa grâce, qui nous permet d'avancer dans le travail apostolique, de supporter les échecs et les échecs, de nous réjouir avec simplicité de cœur, d'être doux et patients, de repartir et de recommencer toujours, de tendre la main aux autres. En effet, nos indispensables "moments de recharge" n'ont pas lieu seulement quand nous nous reposons physiquement ou spirituellement, mais aussi quand nous nous ouvrons à la rencontre fraternelle entre nous : la fraternité réconforte, offre des espaces de liberté intérieure et ne nous laisse pas seuls face aux défis du ministère.

C'est dans cet esprit que je vous écris. Je me sens en chemin avec vous et je voudrais vous faire sentir que je suis proche de vous dans les joies et les souffrances, les projets et les efforts, les amertumes et les consolations pastorales. Surtout, je partage avec vous le désir de communion, affective et effective, tout en offrant ma prière quotidienne pour que notre mère Église de Rome, appelée à présider dans la charité, cultive le précieux don de la communion d'abord en elle-même, le faisant germer dans les différentes réalités et sensibilités qui la composent. Que l'Église de Rome soit pour tous un exemple de compassion et d'espérance, avec ses pasteurs toujours, vraiment toujours, prêts et disponibles à dispenser le pardon de Dieu, comme des canaux de miséricorde qui étanchent la soif de l'homme d'aujourd'hui.

Et maintenant, chers frères, je me pose la question : que nous demande le Seigneur en ce moment, où l'Esprit qui nous a oints et envoyés comme apôtres de l'Évangile nous oriente ? Dans la prière, ceci me revient à l'esprit : Dieu nous demande de nous engager pleinement dans la lutte contre la mondanité spirituelle. Le Père Henri de Lubac, dans quelques pages d'un texte que je vous invite à lire, a défini la mondanité spirituelle comme "le plus grand danger pour l'Église - pour nous qui sommes l'Église - la tentation la plus insidieuse, celle qui renaît toujours, insidieusement, lorsque les autres ont été vaincues". Et il a ajouté des mots qui me semblent bien frapper dans le mille : "Si cette mondanité spirituelle devait envahir l'Église et travailler à la corrompre en entamant son principe même, elle serait infiniment plus désastreuse que toute mondanité simplement morale" (Méditation sur l'Église, Milan 1965, 470).

Ce sont des choses que j'ai rappelées à d'autres occasions, mais je me permets de les redire, les considérant comme prioritaires : la mondanité spirituelle est dangereuse car c'est un mode de vie qui réduit la spiritualité à une apparence. Elle nous conduit à être des "professionnels de l'esprit", des hommes revêtus de formes sacrées qui en réalité continuent à penser et à agir selon les modes du monde. Cela se produit lorsque nous nous laissons séduire par les attraits de l'éphémère, par la médiocrité et l'habitude, par les tentations du pouvoir et de l'influence sociale. Et aussi par la vanité et le narcissisme, l'intolérance doctrinale et l'esthétisme liturgique, des formes et des manières dans lesquelles la mondanité "se cache derrière des apparences de religiosité et même d'amour pour l'Église", mais en réalité "consiste à rechercher, au lieu de la gloire du Seigneur, la gloire humaine et le bien-être personnel" (Evangelii gaudium, 93). Comment ne pas reconnaître en tout cela une version actualisée de l'hypocrisie formelle que Jésus voyait chez certaines autorités religieuses de l'époque et qui, au cours de sa vie publique, l'a peut-être fait souffrir plus que toute autre chose ?

La mondanité spirituelle est une tentation "douce" et donc encore plus insidieuse. Elle s'insinue en effet en se cachant bien derrière de bonnes apparences, voire derrière des motivations "religieuses". Et même si nous la reconnaissons et l'éloignons de nous, tôt ou tard, elle réapparaît déguisée sous une autre forme. Comme Jésus le dit dans l'Évangile : "Quand l'esprit impur sort de l'homme, il va dans des lieux arides, cherchant du repos, et n'en trouve pas. Alors il dit : 'Je vais retourner dans ma maison, d'où je suis sorti'. Il revient donc et trouve la maison balayée et bien rangée. Alors il s'en va prendre avec lui sept autres esprits plus mauvais que lui ; ils entrent dans la maison, s'y installent, et l'état de cet homme-là devient pire qu'avant" (Lc 11,24-26). Nous avons besoin de vigilance intérieure, de garder notre esprit et notre cœur, de nourrir en nous le feu purificateur de l'Esprit, car les tentations mondaines reviennent et "frappent" poliment, "ce sont les "démons bien éduqués" : ils entrent avec politesse, sans que je m'en rende compte" (Discours à la Curie romaine, 22 décembre 2022).

Cependant, je voudrais insister sur un aspect de cette mondanité. Lorsqu'elle pénètre le cœur des pasteurs, elle prend une forme spécifique, celle du cléricalisme. Excusez-moi de le répéter, mais en tant que prêtres, je pense que vous me comprendrez, car vous partagez également ce en quoi vous croyez avec ferveur, selon cette belle caractéristique typiquement romaine (romanesque !) où la sincérité des lèvres provient du cœur, et sait le toucher ! Et moi, en tant qu'aîné et de cœur, je ressens le besoin de vous dire que je m'inquiète lorsque nous retombons dans les formes du cléricalisme ; quand, peut-être sans nous en rendre compte, nous donnons l'impression aux gens d'être supérieurs, privilégiés, placés "en haut" et donc séparés du reste du Peuple saint de Dieu. Comme me l'a écrit un jour un prêtre de valeur, "le cléricalisme est le symptôme d'une vie sacerdotale et laïque tentée de vivre dans le rôle et non dans le vrai lien avec Dieu et les frères". Cela indique donc une maladie qui nous fait oublier le Baptême que nous avons reçu, laissant en arrière-plan notre appartenance au même Peuple saint et nous amenant à exercer l'autorité dans les différentes formes du pouvoir, sans plus percevoir les doubles jeux, sans humilité mais avec des attitudes détachées et arrogantes.

Pour nous secouer de cette tentation, il est bon d'écouter ce que le prophète Ézéchiel dit aux pasteurs : "Vous vous nourrissez de lait, vous vous habillez de laine, vous abattez les brebis grasses, mais vous ne faites pas paître le troupeau. Vous n'avez pas fortifié les brebis faibles, soigné les malades, pansé les blessées, ramené les égarées. Vous n'êtes pas allés à la recherche des perdues, mais vous les avez gouvernées d'une main brutale et violente" (34,3-4). Il est question de "lait" et de "laine", ce qui nourrit et réchauffe ; le risque que la Parole nous met en garde est donc de nous nourrir nous-mêmes et de nourrir nos intérêts, en nous revêtant d'une vie confortable et aisée.

Certainement - comme le dit Saint Augustin - le pasteur doit également vivre grâce au soutien offert par le lait de son troupeau ; mais l'évêque d'Hippone commente : "Qu'ils prennent donc le lait des brebis et qu'ils se maintiennent dans leur propre besoin. Cependant, qu'ils ne négligent pas la faiblesse des brebis, c'est-à-dire qu'ils ne cherchent pas, pour ainsi dire, leur profit dans leur activité, en donnant l'impression de prêcher l'Évangile pour gagner leur vie personnellement, mais qu'ils dispensent aux autres la lumière de la parole de vérité qui les illumine" (Discours sur les pasteurs, 46,5). De même, Augustin parle de laine en la liant à l'honneur : elle, qui revêt la brebis, peut faire penser à tout ce dont nous pouvons nous parer extérieurement, cherchant les louanges des hommes, le prestige, la renommée, la richesse. Le grand père latin écrit : "Celui qui offre de la laine rend l'honneur. Ce sont les deux avantages que recherchent les pasteurs qui se nourrissent eux-mêmes et non les brebis : les ressources pour subvenir à leurs besoins et des égards particuliers sous la forme d'honneurs et d'éloges" (ibid., 46,6). Quand nous nous préoccupons seulement du lait, nous pensons à notre bénéfice personnel ; quand nous cherchons de manière obsessionnelle la laine, nous pensons à soigner notre image et à accroître le succès. Et ainsi, l'esprit sacerdotal se perd, le zèle pour le service, le désir de prendre soin du peuple, en finissant par raisonner selon la stupidité mondaine : "Que m'importe ? Que chacun fasse ce qu'il lui plaît ; ma subsistance est assurée, de même que mon honneur. J'ai assez de lait et de laine. Que chacun aille où bon lui semble" (ibid., 46,7).

L'inquiétude se concentre donc sur le "moi" : sa subsistance, ses besoins, la louange reçue pour soi-même plutôt que pour la gloire de Dieu. Cela se produit dans la vie de ceux qui glissent dans le cléricalisme : ils perdent l'esprit de louange parce qu'ils ont perdu le sens de la grâce, l'émerveillement pour la gratuité avec laquelle Dieu les aime, cette confiante simplicité du cœur qui tend les mains vers le Seigneur, attendant de Lui la nourriture au moment opportun (cf. Ps 104,27), dans la conscience que sans Lui nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15,5). C'est seulement quand nous vivons dans cette gratuité que nous pouvons exercer le ministère et les relations pastorales dans l'esprit du service, selon les paroles de Jésus : "Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement" (Mt 10,8 ).

Nous avons besoin de regarder Jésus lui-même, la compassion avec laquelle Il voit notre humanité blessée, la gratuité avec laquelle Il a offert sa vie pour nous sur la croix. Voilà l'antidote quotidien à la mondanité et au cléricalisme : regarder Jésus crucifié, fixer les yeux chaque jour sur Lui qui s'est vidé de Lui-même et s'est humilié pour nous jusqu'à la mort (cf. Ph 2,7-8 ). Il a accepté l'humiliation pour nous relever de nos chutes et nous libérer du pouvoir du mal. Ainsi, en regardant les plaies de Jésus, en le voyant humilié, nous apprenons que nous sommes appelés à nous offrir nous-mêmes, à devenir du pain rompu pour celui qui a faim, à partager le chemin de ceux qui sont fatigués et opprimés. C'est là l'esprit sacerdotal : devenir serviteurs du Peuple de Dieu et non des maîtres, laver les pieds des frères et non les écraser sous nos pieds.

Restons donc vigilants face au cléricalisme. Que l'Apôtre Pierre, qui, comme la tradition le rappelle, s'est même laissé crucifier la tête en bas pour ne pas être digne de son Seigneur, nous aide à nous en éloigner. Que l'Apôtre Paul, qui à cause du Christ le Seigneur a considéré tous les biens de la vie et du monde comme des déchets (cf. Ph 3,8 ), nous en préserve.

Le cléricalisme, nous le savons, peut concerner tout le monde, y compris les laïcs et les acteurs pastoraux : on peut en effet adopter un "esprit clérical" dans l'exercice des ministères et des charismes, en vivant sa vocation de manière élitiste, en se refermant sur son groupe et en érigeant des murs face à l'extérieur, en développant des liens possessifs envers les rôles dans la communauté, en cultivant des attitudes prétentieuses et arrogantes envers les autres. Et les symptômes sont précisément la perte de l'esprit de louange et de la joie gratuite, tandis que le diable s'insinue en alimentant le mécontentement, la négativité et l'insatisfaction chronique à l'égard de ce qui ne va pas, l'ironie qui devient cynisme. Mais ainsi on se laisse absorber par le climat de critique et de colère ambiant, au lieu d'être ceux qui, avec la simplicité évangélique et la douceur, avec la gentillesse et le respect, aident les frères et les sœurs à sortir des sables mouvants de l'impatience.

Dans tout cela, dans nos fragilités et nos insuffisances, ainsi que dans la crise actuelle de la foi, ne nous décourageons pas ! De Lubac concluait en affirmant que l'Église, "même aujourd'hui, malgré toutes nos opacités [...] est, comme la Vierge, le Sacrement de Jésus-Christ. Aucune de nos infidélités ne peut l'empêcher d'être "l'Église de Dieu", "la servante du Seigneur"" (Méditation sur l'Église, cit., 472). Frères, c'est cette espérance qui soutient nos pas, allège nos fardeaux, redonne élan à notre ministère. Remontons nos manches et fléchissons nos genoux (vous qui le pouvez !) : prions l'Esprit les uns pour les autres, demandons-lui de nous aider à ne pas tomber, dans la vie personnelle comme dans l'action pastorale, dans cette apparence religieuse pleine de tant de choses mais vide de Dieu, pour ne pas être des fonctionnaires du sacré, mais des annonceurs passionnés de l'Évangile, non pas des "clercs d'État", mais des pasteurs du peuple. Nous avons besoin d'une conversion personnelle et pastorale. Comme le disait le Père Congar, il ne s'agit pas de ramener à une bonne observance ou de faire une réforme de cérémonies extérieures, mais de retourner aux sources évangéliques, de découvrir des énergies nouvelles pour surmonter les habitudes, d'insuffler un esprit nouveau dans les vieilles institutions ecclésiales, afin que nous ne soyons pas une Église "riche dans son autorité et sa sécurité, mais peu apostolique et médiocrement évangélique" (Vraie et fausse réforme de l'Église, Milan 1972, 146).

Merci de l'accueil que vous voudrez réserver à ces paroles, en les méditant dans la prière et en les confrontant à Jésus dans l'adoration quotidienne ; je peux vous dire qu'elles sont venues du cœur et de l'affection que j'ai pour vous. Allons de l'avant avec enthousiasme et courage : travaillons ensemble, entre prêtres et avec les frères et sœurs laïcs, en lançant des formes et des chemins synodaux qui nous aident à nous dépouiller de nos sécurités mondaines et "cléricales", afin de chercher, avec humilité, des voies pastorales inspirées par l'Esprit, pour que la consolation du Seigneur arrive vraiment à tous. Devant l'image de la Salus Populi Romani, j'ai prié pour vous. J'ai demandé à la Vierge de vous protéger, de sécher vos larmes secrètes, de raviver en vous la joie du ministère et de vous rendre chaque jour des pasteurs amoureux de Jésus, prêts à donner leur vie sans mesure par amour pour Lui. Merci pour ce que vous faites et pour ce que vous êtes. Je vous bénis et vous accompagne par la prière. Et vous, s'il vous plaît, n'oubliez pas de prier pour moi.

Fraternellement,

Lisbonne, le 5 août 2023, Mémoire de la Dédicace de la Basilique Sainte-Marie-Majeure.
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Source : www.vatican.va
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