Ce mercredi 14 juin 2023, dans un discours lu par Mgr Paul Richard Gallagher devant le Conseil de sécurité de l'ONU à New York, le Pape déclare que «la paix est possible si elle est désirée. C'est le rêve de Dieu, mais avec la guerre, ce rêve se transforme en cauchemar». François met en garde contre le recul de l'humanité vers un «nationalisme exagéré et agressif» et demande d'appliquer «la Charte de l'ONU sans arrière-pensées».
Discours du Saint-Père au Conseil de Sécurité des Nations Unies,
lu par Son Excellence Monseigneur Paul R. Gallagher,
Secrétaire pour les Relations avec les États et les Organisations Internationales :
Madame la Présidente du Conseil de Sécurité,
Monsieur le Secrétaire Général,
Cher Frère, Grand Imam d'Al-Azhar,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie pour l'aimable invitation de m'adresser à vous, que j'ai acceptée volontiers car nous traversons un moment crucial pour l'humanité, où la paix semble céder devant la guerre. Les conflits augmentent et la stabilité est de plus en plus menacée. Nous vivons une troisième guerre mondiale morcelée qui, plus le temps passe, semble s'étendre. Le Conseil, dont le mandat est de veiller à la sécurité et à la paix dans le monde, apparaît parfois impuissant et paralysé aux yeux des peuples. Mais votre travail, apprécié par le Saint-Siège, est essentiel pour promouvoir la paix et c'est pourquoi je vous invite ardemment à aborder les problèmes communs en vous éloignant des idéologies et des particularismes, des visions et des intérêts partisans, et en cultivant un seul objectif : œuvrer pour le bien de toute l'humanité. En effet, du Conseil, on attend qu'il respecte et applique "la Charte des Nations Unies avec transparence et sincérité, sans arrière-pensées, comme un point de référence obligatoire de justice et non comme un instrument pour dissimuler des intentions ambiguës" [1].
Dans le monde globalisé d'aujourd'hui, nous sommes tous plus proches, mais pas pour autant plus frères. Au contraire, nous souffrons d'une famine de fraternité, qui découle de nombreuses situations d'injustice, de pauvreté et d'inégalité, du manque d'une culture de la solidarité. "Les nouvelles idéologies, caractérisées par l'individualisme répandu, l'égoïsme et la consommation matérialiste, affaiblissent les liens sociaux, nourrissant cette mentalité du "rebut" qui conduit au mépris et à l'abandon des plus faibles, de ceux qui sont considérés comme "inutiles". Ainsi, la coexistence humaine devient de plus en plus semblable à une simple relation pragmatique et égoïste du type "donnant-donnant"" [2]. Mais l'effet le plus néfaste de cette famine de fraternité est les conflits armés et les guerres, qui divisent non seulement les individus, mais des peuples entiers, et dont les conséquences négatives se répercutent sur plusieurs générations. Avec la création des Nations Unies, il semblait que l'humanité avait appris, après deux terribles conflits mondiaux, à s'orienter vers une paix plus stable, à devenir enfin une famille de nations. Il semble au contraire que nous régressions dans l'histoire, avec l'émergence de nationalismes fermés, exacerbés, rancuniers et agressifs, qui ont déclenché des conflits non seulement anachroniques et dépassés, mais même plus violents [3].
En tant qu'homme de foi, je crois que la paix est le rêve de Dieu pour l'humanité. Mais je constate malheureusement que, à cause de la guerre, ce merveilleux rêve se transforme en cauchemar. Certes, du point de vue économique, la guerre est souvent plus attrayante que la paix car elle favorise les profits, mais seulement pour quelques-uns et au détriment du bien-être de populations entières ; ainsi, l'argent gagné grâce à la vente d'armes est de l'argent souillé du sang innocent. Il faut plus de courage pour renoncer aux profits faciles afin de préserver la paix que pour vendre des armes de plus en plus sophistiquées et puissantes. Il faut plus de courage pour rechercher la paix que pour faire la guerre. Il faut plus de courage pour favoriser la rencontre que le conflit, pour s'asseoir à la table des négociations plutôt que de continuer les hostilités.
Pour construire la paix, nous devons sortir de la logique de la légitimité de la guerre : si elle pouvait être valable dans le passé, lorsque les conflits armés avaient une portée plus limitée, aujourd'hui, avec les armes nucléaires et de destruction massive, le champ de bataille est pratiquement illimité et les effets potentiellement catastrophiques. Il est temps de dire sérieusement "non" à la guerre, d'affirmer que ce ne sont pas les guerres qui sont justes, mais que seule la paix est juste : une paix stable et durable, construite non sur l'équilibre précaire de la dissuasion, mais sur la fraternité qui nous unit. En effet, nous sommes en marche sur la même terre, tous frères et sœurs, habitants de la même maison commune, et nous ne pouvons pas obscurcir le ciel sous lequel nous vivons avec les nuages du nationalisme. Où allons-nous finir si chacun ne pense qu'à lui-même ? C'est pourquoi ceux qui s'efforcent de construire la paix doivent promouvoir la fraternité. C'est un travail artisanal qui demande passion et patience, expérience et vision, ténacité et dévouement, dialogue et diplomatie. Et écoute : l'écoute du cri de ceux qui souffrent à cause des conflits, en particulier des enfants. Leurs yeux baignés de larmes nous jugent ; l'avenir que nous leur préparons sera le tribunal de nos choix présents.
La paix est possible, si elle est vraiment désirée ! Elle devrait trouver dans le Conseil de Sécurité ses caractéristiques fondamentales, que la conception erronée de la paix fait facilement oublier : la paix doit être rationnelle, pas passionnelle, magnanime, pas égoïste ; la paix ne doit pas être inerte et passive, mais dynamique, active et progressive en fonction des justes exigences des droits déclarés et équitables de l'homme qui réclament de nouvelles et meilleures expressions ; la paix ne doit pas être faible, inefficace et servile, mais forte à la fois pour les raisons morales qui la justifient et pour le consensus unanime des Nations qui doivent la soutenir [4].
Il est encore temps d'écrire un nouveau chapitre de paix dans l'histoire : nous pouvons faire en sorte que la guerre appartienne au passé et non à l'avenir. Les discussions au sein du Conseil de Sécurité servent à cela et doivent être ordonnées en conséquence. Je voudrais souligner une fois de plus un mot que j'aime répéter car je le considère déterminant : la fraternité. Elle ne peut pas rester une idée abstraite, elle doit devenir un point de départ concret : en effet, elle est "une dimension essentielle de l'homme, qui est un être relationnel. La conscience vive de cette relationnalité nous pousse à voir et à traiter chaque personne comme une véritable sœur et un véritable frère ; sans elle, il est impossible de construire une société juste, une paix solide et durable" [5].
Pour la paix, pour chaque initiative et processus de paix, je vous assure de mon soutien, de ma prière et de celle des fidèles catholiques. Je souhaite sincèrement que non seulement le Conseil de Sécurité, mais toute l'Organisation des Nations Unies, tous ses États membres et chacun de ses fonctionnaires, puissent rendre un service efficace à l'humanité, en assumant la responsabilité de préserver non seulement leur propre avenir, mais celui de tous, avec l'audace de renouveler maintenant, sans peur, ce qui est nécessaire pour promouvoir la fraternité et la paix de toute la planète. "Heureux les artisans de paix" (Mt 5,9).
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[1] Discours aux membres de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies, 25 septembre 2015.
[2] Message pour la XLVIIe Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2014.
[3] Cf. Lettre encyclique Fratelli tutti, n° 11.
[4] Saint-Paul VI, Message pour la VIe Journée mondiale de la paix, 1er janvier 1973.
[5] Message pour la XLVIIe Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2014.