En recevant l'INAIL, l’institut national italien d’assurance contre les accidents du travail, François a rappelé l’importance de sortir d’une logique productiviste et de privilégier toujours la dignité des personnes dans leur travail.
Aux cadres et au personnel de l'Institut national d'assurance
contre les accidents du travail (INAIL) :
Chers frères et soeurs, bonjour !
Je vous souhaite la bienvenue et je remercie le président pour ses paroles. Merci d'avoir fait référence à la doctrine sociale de l'Église. Je me réjouis de cette rencontre pour encourager votre engagement qui, comme l'a dit le président, veut "construire une société dans laquelle personne ne reste à la traîne". Vous le faites en oeuvrant pour que soit protégée la dignité des personnes dans le milieu du travail. Nous savons que ce n'est pas toujours le cas et que ce n'est pas le cas partout. Souvent, le poids d'une blessure est chargé sur les épaules de la famille, et cette tentation se manifeste sous différentes formes. La récente pandémie a augmenté le nombre de plaintes en Italie, en particulier dans les secteurs de la santé et des transports.
Merci pour le supplément de soins que vous avez mis en place dans la période de crise sanitaire maximale, en particulier à l'égard des catégories les plus fragiles de la population. Ces derniers mois, nous avons également constaté une augmentation des cas d'accidents chez les femmes, pour nous rappeler que la protection totale des femmes sur le lieu de travail n'est pas encore assurée. Et là aussi, je me permets de dire, il y a un écart préalable des femmes, de peur qu'elles ne tombent enceintes ; une femme est moins "sûre", parce qu'elle peut devenir enceinte. C'est ce que vous pensez au moment de l'embaucher : quand vous commencez à "grossir" si vous pouvez l'envoyer loin, c'est mieux. Telle est la mentalité et nous devons lutter contre cela.
L'activité de votre institut est doublement précieuse, tant sur le plan de la formation à la prévention des accidents du travail que sur celui de l'accompagnement des blessés et du soutien concret à leurs familles. Le service auquel vous vous consacrez vous permet de ne faire sentir personne abandonné à soi-même. C'est décisif. Sans protection, la société devient de plus en plus esclave de la culture des rejets. Il finit par céder au regard utilitariste de la personne, plutôt que de reconnaître sa dignité. La terrible logique qui diffuse l'écart se résume à la phrase : "Vaux si tu produis". Seuls comptent ceux qui réussissent à rester dans l'engrenage de l'activité et les victimes sont mises de côté, considérées comme un fardeau et confiées au bon coeur des familles.
Dans l'Encyclique Fratelli, tout le monde souligne que "l'écart se manifeste de plusieurs manières, comme dans l'obsession de réduire les coûts du travail, sans se rendre compte des graves conséquences que cela provoque, parce que le chômage qui se produit a pour effet direct d'élargir les frontières de la pauvreté" (n. 20). Les conséquences d’un manque d’investissement dans la sécurité sur le lieu de travail sont également l’augmentation du nombre d’accidents. Devant cette mentalité, nous devons nous rappeler que la vie n'a pas de prix. La santé d’une personne ne peut être échangée contre un peu plus d’argent ou contre l’intérêt individuel de quelqu’un. Et il faut malheureusement ajouter que l'un des aspects de la culture des rejets est la tendance à culpabiliser les victimes. Cela se voit toujours, c'est une façon de justifier, et c'est le signe de la pauvreté humaine dans laquelle nous risquons de faire tomber les relations, si nous perdons la hiérarchie droite des valeurs, qui a au sommet la dignité de la personne humaine.
Chers amis, votre présence aujourd'hui permet de réfléchir sur le sens du travail et sur la façon dont il est possible, dans des contextes historiques différents, de conjuguer la parabole évangélique du bon Samaritain (cf. Lc 10,25-37). L'attention portée à la qualité du travail, ainsi qu'aux lieux et aux transports, est fondamentale si l'on veut promouvoir l'importance centrale de la personne; lorsque l'on dégrade le travail, on appauvrit la démocratie et on assouplit les liens sociaux. Il est important de veiller à ce que les règles de sécurité soient respectées: elles ne peuvent jamais être considérées comme un fardeau ou un fardeau inutile. Comme toujours, nous ne réalisons la valeur de la santé que lorsque celle-ci fait défaut. L'utilisation de la technologie peut également nous aider. Par exemple, elle a favorisé le développement du travail "à distance", qui peut parfois être une bonne solution, pour autant qu'il n'isole pas les travailleurs en les empêchant de se sentir partie d'une communauté. La séparation marquée entre le lieu de vie de famille et le milieu de travail a eu des conséquences négatives non seulement sur la famille, mais aussi sur la culture du travail. Elle a soutenu l’idée selon laquelle la famille serait le lieu de consommation et l’entreprise celui de la production. C'est trop simpliste. Il a fait croire que le soin est fait exclusivement de la famille et n'a rien à voir avec le travail. Il a failli développer l'idée que les gens valent pour ce qu'ils produisent, et perdent de la valeur en dehors du monde de la production, défini exclusivement avec l'argent. C'est une pensée habituelle, une pensée, je dirais, pas tout à fait consciente, mais subliminale.
Votre activité rappelle que le style du bon Samaritain est toujours d'actualité et a une valeur sociale. "Par ses gestes, le bon samaritain a montré que l'existence de chacun de nous est liée à celle des autres : la vie n'est pas le temps qui passe, mais le temps de la rencontre" (Frères tous, 66). Quand une personne invoque de l'aide, se trouve dans la souffrance et risque d'être abandonnée sur le bord de la route de la société, l'engagement rapide et efficace d'institutions comme la vôtre, qui mettent en pratique les verbes de la parabole évangélique : voir, avoir de la compassion, se faire voisins, panser les blessures, se faire prendre en charge, est fondamental. Et ce n'est pas une bonne affaire, il est toujours en perte !
Je vous encourage à regarder en face toutes les formes d'incapacité qui se présentent. Pas seulement physique, psychologique, culturelle et spirituelle. L’abandon social a des répercussions sur la manière dont chacun d’entre nous se regarde et se perçoit. "Voir" l'autre signifie aussi traiter les gens dans leur singularité et leur singularité, en les faisant sortir de la logique des nombres. La personne n'est pas un numéro. Il n’y a pas de "blessé", mais le nom et le visage de celui qui a été blessé. Il y a le nom, pas l'adjectif : une personne blessée ; non, c'est une personne blessée. Nous sommes habitués à trop utiliser les adjectifs, nous sommes dans une civilisation qui est tombée un peu dans l'utilisation trop des adjectifs et nous avons le risque de perdre la culture du substantif. Ce n'est pas un blessé, c'est une personne qui a eu une blessure, mais c'est une personne.
Ne renoncez pas à la compassion - qui n'est pas une chose stupide par les femmes, par les vieilles dames, non, c'est une réalité humaine très grande - : je partage parce que j'ai une certaine compassion, qui n'est pas le même que l'estime [espagnol : pitié], mais c'est partager le destin. Il s'agit de sentir dans sa propre chair la souffrance de l'autre. C'est le contraire de l'indifférence - nous vivons dans une culture de l'indifférence -, qui conduit à tourner le regard ailleurs, à tirer droit sans se laisser toucher intérieurement. La compassion et la tendresse sont des attitudes qui reflètent le style de Dieu. Si nous nous demandons quel est le style de Dieu, trois mots l'indiquent : proximité, Dieu toujours est proche, il ne se cache pas ; miséricorde, il est miséricordieux, il a compassion et pour cela il est miséricordieux ; et troisièmement, il est tendre, il a tendresse. Proximité, miséricorde compatissante et tendresse. C'est le style de Dieu et nous devons aller dans cette direction.
Pensons à la proximité, à la proximité : combler les distances et se placer sur le même plan de fragilité partagée. Plus on se sent fragile, plus il mérite de se sentir proche. De cette manière, les barrières sont levées pour trouver un plan de communication commun qui est notre humanité.
Faire des blessures peut signifier pour vous de prendre du temps et d'écarter toute tentation bureaucratique. La personne qui a subi un accident demande à être accueillie avant même d'être indemnisée. Et toute indemnisation financière prend toute sa valeur dans l'accueil et la compréhension de la personne.
Il s'agit aussi de prendre en charge avec la famille la situation dramatique de ceux qui sont contraints d'abandonner leur travail à cause d'un accident; de s'en occuper intégralement. Cela exige également de la créativité, afin que la personne se sente accompagnée et soutenue pour ce qu'elle est et non avec une fausse pitié. Ce n’est pas une aumône, c’est un acte de justice.
Chers amis, laissons-nous interpeller par les blessures de nos soeurs et de nos frères - ces blessures nous interpellent, laissons-nous interpeller - et tracons des sentiers de fraternité. Notre assurance, c'est la solidarité et la charité, avant tout. Elle ne répond pas seulement à des critères de justice légale, mais elle est aussi une préoccupation de l'humanité dans ses différentes dimensions. Lorsque cela échoue, le "sauve qui peut" se traduit rapidement par "tous contre tous" (cf. Frères tous, 33). L’indifférence est le signe d’une société désespérée et médiocre. Je dis désespérée dans le sens où elle n'a pas d'espoir.
Je vous confie la protection de saint Joseph, patron de tous les travailleurs. Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge vous garde. Et s'il vous plaît, priez pour moi. Merci !