Ce dimanche 6 novembre 2022, lors de la conférence de presse tenue à bord du vol de retour de Bahreïn, le Pape François a parlé de l'Ukraine et des nombreux conflits dans le monde. Il est également revenu sur son amitié avec le Grand Imam d'Al-Ahzar, sur l'importance de donner des droits et l'égalité aux femmes, sur les migrants à bord des bateaux ou la maltraitance des enfants. Le Pape a également évoqué le synode de l’Église catholique en Allemagne, souhaitant ne pas voir se créer «une nouvelle Église évangélique».
Conférence de presse :
FrançoisBonjour, merci beaucoup pour votre compagnie durant ces jours, pour votre travail. Merci beaucoup. Je suis à présent à votre disposition pour répondre à vos questions. J'essaierai de répondre à tout ce que je sais ! Merci.
Matteo BruniVotre Sainteté, la première question est posée par une journaliste bahreïnienne, Fatima Al Najem, de l’agence de presse bahreïnienne.Fatima Al Najem (Agence de presse du Bahreïn)Votre Sainteté, voici Fatima Al Najem de l'agence de presse de Bahreïn. Je voudrai juste dire quelque chose avant de poser ma question. Vous avez une place très spéciale dans mon coeur, non seulement parce que vous avez visité mon pays, mais parce que, lorsque vous avez été annoncé comme le Pape du Vatican, c'était mon anniversaire ! J'ai donc une question. Comment évaluez-vous les résultats de votre visite historique au Royaume de Bahreïn et comment trouvez-vous les efforts de Bahreïn pour consolider et promouvoir la coexistence entre tous les secteurs de la société, de toutes les religions, de tous les sexes et de toutes les races ?
FrançoisC'était, je dirais, un voyage de rencontre. Parce que la finalité était précisément de se trouver dans le dialogue interreligieux avec l'islam et dans le dialogue oecuménique avec Barthélemy. Les idées exposées par le Grand Imam d'Al-Azhar étaient précisément dans cette direction de rechercher l'unité, l'unité au sein de l'islam en respectant les nuances, les différences, mais avec l'unité ; l'unité avec les chrétiens et les autres religions.
Et pour entrer dans le dialogue interreligieux ou dans le dialogue oecuménique, il faut une identité propre. On ne peut pas partir d'une identité répandue. "Je suis islamique", "Je suis chrétien", j'ai cette identité et je peux donc parler avec identité. Quand on n'a pas d'identité propre, ou qu'on est un peu "dans l'air", le dialogue est difficile parce qu'il n'y a pas d'aller-retour, c'est pour cela que c'est important. Et ces deux personnes qui sont venus, le Grand Imam d'Al-Azhar et le Patriarche Bartholomée, ont une grande identité. Et c'est bien.
Du point de vue islamique, j'ai écouté avec attention les trois interventions du Grand imam et j'ai été frappé par la façon dont il insistait tant sur le dialogue intra-islamique, entre vous, non pas pour effacer les différences mais pour se comprendre et travailler ensemble, non pour être contre. Nous, chrétiens, avons une histoire un peu laide des différences qui nous ont conduits à des guerres de religion : catholiques contre orthodoxes ou contre luthériens. Maintenant, grâce à Dieu, après le Concile, il y a un rapprochement, nous pouvons dialoguer et travailler ensemble et c'est important, en témoignant de faire du bien aux autres. Puis les spécialistes, les théologiens discuteront des choses théologiques, mais nous devons marcher ensemble comme des croyants, comme des amis, comme des frères, faire le bien.
J'ai également été frappé par ce qui a été dit au Conseil Musulman des Anciens, sur la création et la sauvegarde de la création : c'est une préoccupation commune à tous, islamistes, chrétiens, tous.
Maintenant, dans le même avion, le secrétaire d'État du Vatican et le grand imam d'Al-Azhar vont de Bahreïn au Caire, ensemble, en tant que frères. C'est quelque chose qui a assez ému — c'est important, c'est quelque chose qui a bien fait. La présence du Patriarche Bartholomée, qui est une autorité dans le domaine oecuménique, a également fait du bien. Nous l'avons vu dans l'acte, dans la fonction oecuménique que nous avons faite, et aussi dans les paroles qu'il a dites auparavant. Pour résumer, c'était un voyage de rencontre.
Pour moi, la nouveauté de connaître une culture ouverte à tous. Dans votre pays, il y a de la place pour tout le monde. Le Roi m'a dit : "Ici tout le monde fait ce qu'il veut : si une femme veut travailler, qu'elle travaille. Ouverture totale". Alors il m'a dit — vous savez, votre travail. Et même la partie religieuse, même ici l'ouverture... J'ai été frappé par la quantité de chrétiens, philippins, indiens du Kerala qui sont ici, ils vivent dans le pays et travaillent dans le pays, ils sont nombreux.
Fatima Al NajemDites lui qu' ils l' aiment , ils l' adorent .
Matteo BruniIls l'aiment beaucoup.
FrançoisC'est l'idée, j'ai trouvé quelque chose de nouveau et cela m'aide à comprendre et à interagir davantage avec les gens. Le mot-clé est le dialogue, et pour dialoguer, il faut commencer par son identité, avoir une identité.
Fatima Al NajemMerci, Votre Sainteté, je prie Allah le Tout-Puissant, de vous bénir ainsi qu'une bonne santé, bonheur et longue vie !
FrançoisOui, priez pour moi. Pour, pas contre !
Matteo BruniVotre Sainteté, la deuxième question vient d'Imad Atrach de Sky tv News Arabia.Imad Atrach (Sky Tv News Arabia)Saint-Père, de la signature du "Document sur la Fraternité humaine", il y a trois ans, à la visite à Bagdad, puis encore récemment au Kazakhstan : est-ce un chemin qui, selon vous, porte des fruits tangibles ? Peut-on penser qu'il pourrait aboutir à une rencontre au Vatican ? Je voudrais ensuite vous remercier d'avoir cité le Liban aujourd'hui, car en tant que Libanais, je peux vous dire que nous avons vraiment besoin de votre voyage d'urgence, surtout parce que nous n'avons même pas de président, alors allez directement embrasser le peuple. Merci.
FrançoisMerci. J'ai beaucoup réfléchi ces derniers jours, et nous en avons parlé avec le Grand Imam, sur comment est venue l'idée du Document d'Abou Dhabi, ce Document que nous avons fait ensemble, le premier. Il était venu au Vatican pour une visite de courtoisie et nous avons eu la visite protocolaire. C'était presque l'heure du déjeuner et il partait et, alors que j'allais le licencier, je demandai : "Mais où allez-vous déjeuner ?". Je ne sais pas ce qu'il m'a dit... "Venez, déjeunons ensemble." C'était quelque chose de l'intérieur. Puis, assis à table, lui, son secrétaire, deux conseillers, moi, mon secrétaire, mon conseiller, nous avons pris le pain, nous l'avons brisé et nous l'avons donné l'un à l'autre : un geste d'amitié, offrir le pain. C'était un très beau déjeuner, très fraternel. Et vers la fin, je ne sais pas à qui l'idée est venue : "Pourquoi ne pas faire un écrit sur cette rencontre ?". C'est ainsi qu'est né le Document d'Abou Dhabi. Les deux secrétaires se sont mis au travail, avec un brouillon qui va, un brouillon qui revient, un qui va et un qui revient... Et finalement nous avons profité de la rencontre à Abou Dhabi pour le publier. C'était quelque chose de Dieu, on ne peut pas le comprendre autrement, parce qu'aucun de nous n'avait cela en tête. Il est sorti pendant un déjeuner amical, et c'est une grande chose.
Puis j'ai continué à penser, et le Document d'Abou Dhabi était la base des Frères tous. Même ce que j'ai écrit après sur l'amitié humaine dans les Frères tous, a sa base dans le Document d'Abou Dhabi. Je crois qu'on ne peut pas penser une telle voie sans penser à une bénédiction spéciale du Seigneur sur ce chemin. Je veux le dire par justice, il me semble juste que vous sachiez comment le Seigneur a inspiré cette voie. Je ne savais même pas comment s'appelait le Grand Imam, et puis nous sommes devenus amis et nous avons fait quelque chose comme deux amis. Et maintenant, nous avons parlé ensemble, à chaque fois que nous nous rencontrons. Voilà pour le Document, qui est d'actualité, et on travaille pour le faire connaître.
Ensuite, sur le Liban. Le Liban est une douleur pour moi, parce que le Liban n'est pas seulement un pays [à voir] en lui-même - un Pape l'a dit avant moi - le Liban n'est pas seulement un pays, c'est un message. Le Liban a une très grande signification pour nous tous. Et le Liban souffre en ce moment. Je prie. Et j'en profite pour lancer un appel aux politiciens libanais : écartez les intérêts personnels, regardez le pays et mettez-vous d'accord. D'abord Dieu et la patrie, puis il s'y intéresse. Mais avant Dieu et la patrie. Je ne veux pas dire en ce moment "Sauvez le Liban", parce que nous ne sommes pas des sauveurs, mais s'il vous plaît, soutenez le Liban, aidez-le, pour que le Liban s'arrête dans cette voie qui descend, pour que le Liban reprenne sa grandeur. Il y a des moyens... Il y a la générosité du Liban : combien de réfugiés politiques le Liban a-t-il ? Il est si généreux, et il souffre. J'en profite pour vous demander une prière pour le Liban. La prière est également une amitié. Vous êtes journalistes, vous regardez le Liban et vous parlez de ça pour que la conscience grandisse. C'est ce que je veux te dire. Merci.
Matteo BruniMerci Sainteté, la troisième question vient de Carol Glatz, du Catholic News Service.Carol Glatz (CNS)Merci, Saint-Père. Au cours de ce voyage à Bahreïn, elle a parlé des droits fondamentaux, y compris ceux de la femme, de sa dignité, du droit à avoir sa place dans la sphère sociale et publique et a encouragé, comme toujours, les jeunes à avoir du courage, à faire du bruit ; à aller de l'avant pour construire un monde plus juste. Compte tenu de la situation qui règne à proximité de l'Iran, avec les protestations déclenchées par certaines femmes et par tant de jeunes qui veulent plus de liberté, soutenez-vous cet engagement des femmes et des hommes qui demandent à avoir des droits fondamentaux qui se trouvent également dans le document de la fraternité humaine ?
FrançoisNous devons nous dire la vérité: la lutte pour les droits de la femme est une lutte permanente. Parce que, dans certains endroits, les femmes arrivent à avoir une égalité avec les hommes, mais dans d'autres, on n'y arrive pas. N'est-ce pas? Je me souviens dans les années 50 dans mon pays, quand il y a eu la lutte pour les droits civils des femmes, pour que les femmes puissent voter - parce que jusqu’à 1950, à peu près, seuls les hommes votaient chez nous. Et je pense à ce même combat aux Etats-Unis, célèbre, pour le vote des femmes. Mais pourquoi la femme doit-elle se battre ainsi pour faire valoir ses droits ? Il y a une - je ne sais pas si c'est une légende - une légende sur l'origine des bijoux chez la femme, qui nous explique la cruauté de tant de situations contre la femme. On dit que la femme porte beaucoup de bijoux parce que dans certains pays - je ne me souviens pas, c'est peut-être historique - il y avait l'habitude que lorsque le mari en avait marre de la femme, il lui disait "va-t'en !", et elle ne pouvait pas revenir pour prendre quoi que ce soit. Il devait partir avec ce qu'il portait. Et c'est pour ça qu'ils ont accumulé de l'or au moins pour emporter quelque chose. Ils disent que c'est l'origine des bijoux. Je ne sais pas si c'est vrai ou non, mais l'image nous aide.
Les droits sont fondamentaux. Comment se fait-il qu'aujourd'hui, dans le monde entier, nous ne puissions pas arrêter la tragédie de l'infibulation des petites filles ? Mais c'est terrible ! Aujourd'hui ! Qu’il y ait cette pratique, que l’humanité ne parvienne pas à arrêter ce qui est un crime, un acte criminel! Les femmes, selon deux commentaires que j'ai entendus, ou sont des matériaux "jetables" - c'est moche ! - soit une "espèce protégée". Mais l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas encore universelle. Et il y a ces épisodes, où les femmes sont de seconde zone ou moins. Nous devons continuer à nous battre pour cela, car les femmes sont un don. Dieu n'a pas créé l'homme, puis lui a donné un petit chien pour s'amuser. Non ! Non ! Il les a créés deux, égaux : homme et femme. Et ce que Paul a écrit dans l'une de ses Lettres sur le rapport homme-femme, qui nous semble aujourd'hui dépassé, a été tellement révolutionnaire à ce moment-là qu'il a scandalisé : la fidélité de l'homme à la femme, et que l'homme "prenne soin de la femme comme de sa propre chair" (cf. 2 Co 5, 28-29). Et c'était une chose révolutionnaire à ce moment-là. Tous les droits de la femme viennent de cette égalité. Et une société qui n'est pas capable de mettre la femme à sa place ne va pas de l'avant. Nous en avons l’expérience.
Dans le livre que j'ai écrit, Revenons à rêver, la partie sur l'économie par exemple : il y a des femmes économistes en ce moment dans le monde qui ont changé la vision économique et sont capables de la mener à bien. Parce qu'ils ont un don différent. Ils peuvent gérer les choses d'une autre manière, qui n'est pas inférieure, est complémentaire. Une fois, j'ai eu un entretien avec un chef de gouvernement, un grand chef de gouvernement, une mère de plusieurs enfants, qui avait eu un très grand succès pour résoudre une situation très difficile. Et je lui ai demandé : "Dites-moi, Madame, comment avez-vous fait pour résoudre une situation aussi difficile ?" Et elle a commencé à bouger les mains comme ça, silencieusement, et elle m'a dit, "Comme nous les mères." La femme a sa propre voie pour résoudre ce problème, qui n’est pas celle de l’homme. Et les deux routes doivent travailler ensemble : la femme égale à l'homme travaille pour le bien commun avec cette intuition qu'ont les femmes. J'ai vu qu'au Vatican, chaque fois qu'une femme entre pour faire un travail, les choses s'améliorent. Par exemple, la vice-gouverneur du Vatican est une femme, et les choses ont bien changé. Au Conseil de l'Économie sont six cardinaux et six laïcs, tous des hommes : j'ai changé et en tant que laïcs j'ai mis un homme et cinq femmes. Et c'est une révolution, parce que les femmes peuvent trouver la bonne voie, elles peuvent aller de l'avant. Et maintenant j'ai mis Marianna Mazzuccato à l'Académie pontificale pour la vie, une grande économiste des États-Unis, pour donner un peu plus d'humanité. Les femmes portent le leur. Ils ne doivent pas devenir comme les hommes, non, ce sont des femmes, nous en avons besoin. Et une société qui efface les femmes de la vie publique est une société qui s'appauvrit. Il s'appauvrit. Oui à l’égalité des droits, mais aussi à l’égalité des chances, à l’égalité dans l’avancement, parce qu’au contraire, on s’appauvrit. Je crois qu'avec ça, je t'ai dit globalement ce qu'il faut faire. Et il y a encore du chemin à faire parce qu'il y a ce machisme. Je viens d'un peuple machiste. Nous, les Argentins, sommes des machistes, toujours. Et c'est moche ! Et quand il le faudra, on ira voir les mères qui résolvent les problèmes. Mais ce machisme tue l'humanité. Merci de m'avoir donné l'occasion de dire cela, que je porte tant dans mon coeur. Nous nous battons non seulement pour les droits, mais parce que nous avons besoin de femmes dans la société pour nous aider, nous aider à changer. Merci.
Matteo BruniMerci, Votre Sainteté. Une autre question vient d'Antonio Pelayo, de Vida NuevaAntonio Pelayo (Vida Nueva)Saint-Père, la seule fois que vous avez parlé à bras-le-corps lors de ce voyage, c'était pour faire référence à "l'Ukraine martyrisée" et aux "négociations de paix". Je voudrais vous demander si vous pouvez nous dire quelque chose sur la manière dont ces négociations se déroulent du côté vatican; et une autre question complémentaire: avez-vous parlé récemment à M. Poutine ou avez-vous l’intention de le faire prochainement?
FrançoisTrès bien. Tout d'abord, le Vatican est constamment attentif, la Secrétairerie d'Etat travaille et travaille bien, travaille bien. Je sais que le Secrétaire [pour les Relations avec les Etats et les Organisations Internationales], Mgr. Gallagher, ça va. Ensuite, un peu d'histoire. Le lendemain du début de la guerre - j'ai pensé que cela ne pouvait pas être fait, chose inhabituelle -, je suis allé à l'ambassade russe [près du Saint-Siège], parler à l'ambassadeur, qui est un bon homme, que je connais depuis six ans, depuis qu'il est arrivé, un humaniste. Je me souviens d'un commentaire qu'il m'avait alors fait : "Nous sommes tombés dans la dictature de l'argent" (Nous sommes tombés dans la dictature de l'argent), parlant de la civilisation. Un humaniste, un homme qui lutte pour l’égalité. Je lui ai dit que j'étais prêt à aller à Moscou pour parler à Poutine s'il le fallait. Il m'a répondu très gentiment [le ministre des Affaires étrangères] Lavrov : merci, il a répondu, mais pour l'instant ce n'était pas nécessaire. Mais depuis, on s'est beaucoup intéressé. J’ai parlé trois fois au téléphone avec le président Zelensky, puis avec l’ambassadeur ukrainien plusieurs fois de plus. Et vous vous rapprochez, et vous essayez de trouver des solutions. Le Saint-Siège fait ce qu'il doit faire aussi à l'égard des prisonniers... ce sont des choses qu'on fait toujours, le Saint-Siège les a toujours faites, toujours. Et puis la prédication pour la paix. Je suis frappé - c’est pourquoi j’utilise le mot "martyrisée" pour l’Ukraine - par la cruauté, qui n’est pas celle du peuple russe, parce que le peuple russe est un grand peuple, mais c’est des mercenaires, des soldats qui vont faire la guerre comme faire une aventure: les mercenaires. Je préfère penser ainsi, parce que j’ai une haute estime pour le peuple russe, pour l’humanisme russe. Il suffit de penser à Dostoïevski qui, aujourd'hui encore, nous inspire, inspire les chrétiens à penser le christianisme. J'ai une grande affection pour le peuple russe. Et j'ai aussi une grande affection pour le peuple ukrainien. Quand j'avais onze ans, il y avait près d'un prêtre ukrainien qui célébrait et n'avait pas de petit-enfant, et il m'a appris à servir la Messe en ukrainien. Tous ces chants ukrainiens, je les connais dans leur langue, parce que je les ai appris enfant, donc j'ai une très grande affection pour la liturgie ukrainienne. Je suis au milieu de deux peuples que j'aime.
Mais pas seulement moi, le Saint-Siège a fait beaucoup de rencontres confidentielles, beaucoup de choses avec succès. Parce que nous ne pouvons pas nier qu'une guerre, au début, peut-être nous fait courageux, mais ensuite fatigué et fait mal et on voit le mal qui fait une guerre. C'est à propos de la partie la plus humaine, la plus proche.
Puis, profitant de cette question : je voudrais exprimer ce lament : en un siècle, en un siècle, trois guerres mondiales ! Celle de 1914-1918, celle de 1939-1945, et celle-là ! Parce que c'est une guerre mondiale. Parce qu'il est vrai que lorsque les empires, d'un côté comme de l'autre, s'affaiblissent, ils ont besoin de faire la guerre pour se sentir forts et aussi pour vendre les armes ! Parce qu’aujourd’hui, je crois que la plus grande catastrophe, la plus grande catastrophe du monde, c’est l’industrie des armes. Ils m'ont dit, je ne sais pas si c'est vrai ou non, que si vous ne preniez pas les armes pendant un an, vous pourriez finir par avoir faim dans le monde. L’industrie de l’armement est terrible. Il y a quelques années, trois ou quatre, un navire armé est venu d'un pays à Gênes, et les armes devaient être transférées sur un plus grand navire pour être acheminées au Yémen. Les ouvriers de Gênes n'ont pas voulu faire ça... c'était un geste. Le Yémen : plus de dix ans de guerre. Les enfants du Yémen n'ont pas à manger ! Et les rohingyas, "gitans" d'un côté à l'autre parce qu'ils ont été expulsés, toujours en guerre, au Myanmar : c'est terrible ce qui se passe. Maintenant, j'espère qu'aujourd'hui en Ethiopie on arrête quelque chose, avec un traité — nous sommes en guerre partout et nous ne comprenons pas ça. Aujourd'hui, la guerre russo-ukrainienne nous touche de près en Europe. Mais partout, depuis des années : en Syrie, douze à treize ans de guerre, et personne ne sait s'il y a des prisonniers et ce qui se passe là-dedans. Puis le Liban, nous avons parlé de cette tragédie... Je ne sais pas si je vous l'ai dit parfois : quand je suis allé à Redipuglia, en 2014 - et mon grand-père avait fait le Piave et m'a raconté ce qui se passait là-bas - j'ai vu ces tombes, tous jeunes, j'ai pleuré, j'ai pleuré, je n'ai pas honte à le dire. Puis un 2 novembre - je vais toujours dans un cimetière le 2 novembre - je suis allé à Anzio, quelques années plus tard, et j'ai vu la tombe de ces enfants américains, au débarquement d'Anzio : 19, 20, 22, 23 ans, et j'ai pleuré, vraiment, ça m'est venu du coeur. Et j'ai pensé aux mères, quand elles frappent à leur porte, "Madame, une enveloppe pour vous." Elle ouvre l'enveloppe : "Madame, j'ai l'honneur de vous dire que vous avez un fils héros de la patrie". Les tragédies de la guerre. Ensuite, une chose que je ne veux pas dénigrer, mais qui m'a touché le coeur : quand s'est faite la commémoration du débarquement en Normandie, il y avait les chefs de nombreux gouvernements pour commémorer cela. C’est vrai, c’était le début de la chute du nazisme, c’est vrai. Mais combien d'enfants sont restés sur la plage de Normandie ? Ils disent 30 000. Qui pense à ces enfants ? La guerre sème tout cela. C'est pourquoi, vous qui êtes journalistes, s'il vous plaît, soyez pacifistes, parlez contre les guerres, luttez contre la guerre. Je vous le demande comme un frère. Merci. Merci.
Matteo BruniMerci, Votre Sainteté, pour ces paroles. Une autre question vient de Hugues Lefèvre d'I.Media, journaliste français.Hugues Lefèvre (I.Media)Merci, Saint-Père. Ce matin, dans votre discours au clergé de Bahreïn, vous avez parlé de l'importance de la joie chrétienne, mais ces derniers jours, de nombreux fidèles français ont perdu cette joie lorsqu'ils ont découvert dans la presse que l'Église avait tenu secrète la condamnation en 2021 d'un évêque, aujourd’hui à la retraite, qui avait commis des abus sexuels dans les années 90 alors qu'il était prêtre ; lorsque cette histoire est sortie dans la presse, cinq nouvelles victimes se sont présentées. Aujourd'hui, beaucoup de catholiques souhaitent savoir si la culture du secret de la justice canonique doit changer et devenir transparente, et je voudrais savoir si vous pensez que les sanctions canoniques doivent être rendues publiques. Merci.
FrançoisMerci pour la question, merci. Je voudrais commencer par vous raconter une petite histoire à ce sujet. Le problème des abus a toujours été, toujours, pas seulement dans l'Église. Partout. Vous savez que 42 à 46% des abus sexuels se font dans la famille ou dans le quartier : c'est très grave. Mais l'habitude a toujours été de couvrir. Dans la famille, tout est encore couvert, et même dans le quartier, tout ou au moins la plupart sont couverts. C'est une mauvaise habitude qui a commencé à changer dans l'Eglise quand il y a eu le scandale de Boston, du Cardinal Law, qui était Cardinal là et maintenant il est mort. Pour ce scandale, le cardinal Law a démissionné : c'est la première fois qu'il est sorti ainsi, comme scandale. Et à partir de là, l'Eglise a pris connaissance de cela et a commencé à travailler, alors que dans la société normalement elle se couvre, normalement, dans d'autres institutions.
Quand il y a eu la rencontre des présidents des Conférences épiscopales, j'ai demandé à l'Unicef, aux Nations unies, les statistiques et je leur ai donné les pourcentages : quel pourcentage dans les familles, quel pourcentage dans les quartiers - la majorité -, combien dans les écoles, dans l'activité du sport... C'est une chose qu'ils ont bien étudiée, et même dans l'Église. Quelqu'un vient dire : "Nous sommes une minorité." Mais si c'était un seul, c'est tragique, c'est tragique, parce que tu as la vocation de faire grandir les gens et tu les détruis avec ça. Pour un prêtre, c'est comme aller à l'encontre de sa nature sacerdotale, même à l'encontre de sa nature sociale. C'est pourquoi c'est tragique et nous ne devons pas nous arrêter, nous ne devons pas nous arrêter.
En se réveillant pour faire l'enquête et les accusations, ce n'était pas toujours la même chose : certaines choses ont été cachées. Avant le scandale New York Law de Boston, les gens changeaient... Maintenant, tout est clair et nous avançons sur ce point. Il n'est donc pas étonnant que de tels cas se présentent. Ou un autre évêque me vient à l'esprit... il y en a, tu sais ? Et il n'est pas facile de dire "nous ne le savions pas" ou "c'était la culture de l'époque et continue à être la culture sociale de beaucoup, cacher". Je te le dis : l'Eglise est décidée sur ce point, et je veux remercier publiquement ici l'héroïcité du Cardinal O'Malley : c'est un bon Cappuccino, qui a vu le besoin d'institutionnaliser ce travail avec la Commission pour la protection des mineurs ; il le fait bien, et il nous fait du bien à tous et il nous donne du courage.
Nous travaillons avec tout ce que nous pouvons, mais sachez qu'il y a des personnes à l'intérieur de l'Eglise qui ne la voient pas encore claire, ne partagent pas ainsi : "Attendons un peu, voyons...". C'est un processus que nous menons avec courage et nous n'avons pas tous le courage. Parfois, la tentation des compromis vous vient, et nous sommes tous esclaves de nos péchés. Mais la volonté de l'Église est de tout éclaircir.
Par exemple : j'ai reçu ces derniers mois deux plaintes d'abus qui avaient été couverts et mal jugés par l'Église. J'ai immédiatement dit : vous étudiez à nouveau, et vous faites un nouveau jugement. Encore une fois : révision de jugements anciens, pas bien faits. Nous faisons ce que nous pouvons, nous sommes des pécheurs. Et la première chose que nous devons entendre est la honte, la profonde honte de cela. Je crois que la honte est une grâce, tu sais ? Nous pouvons lutter contre tous les maux du monde, mais sans honte, nous ne pourrons pas. C'est pourquoi il m'a étonné quand saint Ignace, dans les Exercices, te fait demander pardon des péchés que tu as faits, te fait aller jusqu'à la honte, et si tu n'as pas la grâce de la honte tu ne peux pas aller de l'avant. Une des insultes que nous avons dans ma terre est "tu es un sans honte", et je crois que l'Eglise ne peut pas être "sans honte", qu'elle doit avoir honte des mauvaises choses, comme certain donner grâce à Dieu pour les bonnes choses qu'elle fait. Je dois vous dire : toute la bonne volonté et aller de l'avant, même avec votre aide.
Matteo BruniMerci, Votre Sainteté. L'autre question vient de Vania De Luca, de la Rai.Vania De Luca (Rai Tg3)Votre Sainteté, les migrants : vous en avez parlé ces jours-ci. Quatre navires au large de la Sicile, avec des centaines de femmes, hommes, enfants en difficulté, mais pas tous peuvent débarquer. Craignez-vous qu'en Italie soit revenue une politique des "ports fermés" du centre-droit ? Comment la Commission évalue-t-elle la position de certains pays du nord de l'Europe ? Et puis, je voulais vous demander aussi en général : quelle impression, quel jugement avez-vous sur le nouveau gouvernement italien, qui pour la première fois est dirigé par une femme ?
FrançoisC'est un défi, c'est un défi pour les migrants. Le principe pour les migrants : les migrants doivent être accueillis, accompagnés, promus et intégrés. Si vous ne pouvez pas faire ces quatre pas, le travail avec les migrants ne peut pas être bon. Accueillis, accompagnés, promus et intégrés : arriver à l'intégration. Et la deuxième chose que je dis : chaque gouvernement de l'Union européenne doit se mettre d'accord sur le nombre de migrants qu'il peut recevoir. Parce qu’au contraire, quatre pays reçoivent les migrants: Chypre, la Grèce, l’Italie et l’Espagne, parce que ce sont les pays méditerranéens les plus proches. Dans l’arrière-pays, il y en a certains, comme la Pologne, le Belarus... Mais la plupart des migrants viennent de la mer. La vie doit être sauvée ! Aujourd'hui, tu le sais, la Méditerranée est un cimetière, peut-être le plus grand cimetière du monde.
Je crois que la dernière fois que je vous ai dit que j'ai lu un livre en espagnol qui s'appelle Hermanito, il est petit, il lit rapidement, je crois qu'il a été certainement traduit en français, en italien aussi bien. On peut le lire tout de suite, en deux heures. C'est l'histoire d'un jeune homme d'Afrique, je ne sais pas, de Tanzanie ou d'où il était, qui, suivant la trace de son frère, est arrivé en Espagne. Cinq esclavage a subi, avant d'embarquer ! Et beaucoup de gens, il raconte, les amènent la nuit à ces bateaux - pas aux gros bateaux qui ont un autre rôle - et s'ils ne veulent pas monter : boum, boum !, et les laissent sur la plage. C'est vraiment une dictature, l'esclavage, ce que ces gens font. Et puis, le risque de mourir en mer. Si tu as le temps de lire ça, c'est important.
La politique des migrants doit être convenue entre tous les pays : on ne peut pas faire une politique sans consensus, et l'Union européenne doit prendre en main une politique de collaboration et d'aide, elle ne peut laisser à Chypre, à la Grèce, à l'Italie, à l'Espagne la responsabilité de tous les migrants qui arrivent aux plages. Jusqu'à présent, la politique des gouvernements était de sauver des vies, c'est vrai. Jusqu'à un certain point, c'est ce qui s'est passé ; et je crois que ce gouvernement [italien] a la même politique, ce n'est pas inhumain... Je ne connais pas les détails, mais je ne pense pas qu'il veuille qu'ils partent. Je crois qu'il a déjà fait débarquer les enfants, les mères, les malades, je crois qu'il les a fait débarquer - je crois, pour ce que j'ai entendu. Au moins, l’intention était là. L’Italie, pensons-nous ici, ce gouvernement, ou pensons-nous une gauche, ne peut rien faire sans un accord avec l’Europe, la responsabilité est européenne.
Et puis, je voudrais mentionner une chose, une autre responsabilité européenne: l’Afrique. Je crois que c'est ce qu'a dit une des grandes femmes d'État que nous avons eues et que nous avons, Mme Merkel: elle a dit que le problème des migrants devait être résolu en Afrique. Mais si nous pensons à l’Afrique avec le slogan "l’Afrique doit être exploitée", il est logique que les migrants, les gens, fuient cette exploitation. Nous devons, l’Europe doit essayer de faire des plans de développement pour l’Afrique. Penser que certains pays en Afrique ne sont pas maîtres de leur sous-sol, qui dépend encore des puissances colonialistes ! Il est hypocrite de résoudre le problème des migrants en Europe, non, allons-y chez eux. L'exploitation des populations en Afrique est terrible à cause de cette conception. Le 1er novembre, le jour des Saints, j'ai eu une rencontre avec des étudiants d'Afrique, la même que celle que j'ai eue avec des étudiants de l'Université de Loyola aux États-Unis. Ces étudiants ont une capacité, une intelligence, un caractère critique, une volonté de poursuivre ! Mais parfois, ils ne peuvent pas à cause de la force colonialiste que l’Europe a envers leurs gouvernements. Si nous voulons résoudre définitivement le problème des migrants, résolvons l’Afrique. Les migrants qui viennent d’ailleurs sont moins nombreux; allons en Afrique, aidons l’Afrique, continuons.
Le nouveau gouvernement commence maintenant, et je suis ici pour lui souhaiter le meilleur. Je souhaite toujours le meilleur à un gouvernement parce que le gouvernement est pour tous. Et je lui souhaite le meilleur pour qu'il puisse faire avancer l'Italie ; et aux autres, qui sont opposés au parti vainqueur, qu'ils collaborent avec la critique, avec l'aide, mais un gouvernement de collaboration, pas un gouvernement où ils vous tournent la face, ils vous font tomber si vous n'aimez pas une chose ou l'autre. S'il vous plaît, j'en appelle à la responsabilité. Dites-moi : est-il juste que depuis le début du siècle jusqu'à maintenant l'Italie ait eu vingt gouvernements ? Finissons-en avec ces blagues !
Matteo BruniNous posons la dernière question, de Ludwig Ring-Eifel, de l'Agence de presse catholique allemande.Ludwig Ring-Eifel (Centrum informationis Catholicum),Moi aussi, je veux, tout d'abord, dire quelque chose de personnel, parce que je me sens très heureux, parce qu'après une pause de huit ans je suis de nouveau sur le vol papal. Je suis très reconnaissant d'être ici à nouveau.
FrançoisBon retour !
Ludwig Ring-EifelMerci, bien trouvé. Nous, dans le groupe allemand, nous sommes peu, seulement trois dans ce vol, nous avons pensé : comment faire un lien entre ce que nous avons vu à Bahreïn et la situation en Allemagne ? Parce qu'à Bahreïn, nous avons vu une petite Église, un petit troupeau, une Église pauvre, avec tant de restrictions et ainsi de suite, mais une Église vivante, pleine d'espérance, qui grandit. En Allemagne, par contre, nous avons une Église grande, avec de grandes traditions, riche, avec théologie, argent et tout, mais qui perd chaque année trois cent mille croyants qui partent, qui est en crise profonde. Y a-t-il quelque chose à apprendre de ce petit troupeau que nous avons vu à Bahreïn pour la grande Allemagne ?
FrançoisL'Allemagne a une vieille histoire religieuse. En citant Hölderlin je dirais : "Vieles haben sie verlernt, vieles" (Beaucoup ont désappris, beaucoup). Votre histoire religieuse est grande et compliquée, de luttes. Aux catholiques allemands, je dis : l'Allemagne a une grande et belle Église évangélique ; je n'en voudrais pas une autre, qui ne sera pas aussi bonne que celle-ci ; mais je la veux catholique, à la catholique, en fraternité avec cette évangélique. Parfois, on perd le sens religieux du peuple, du saint peuple fidèle de Dieu, et nous tombons dans les discussions éthiques, dans les discussions de conjoncture, dans les discussions politiques ecclésiastiques, dans les discussions qui sont des conséquences théologiques, mais qui ne sont pas le noyau de la théologie. Que pense le saint peuple fidèle de Dieu ? Comment le peuple de Dieu le sent-il ? Aller là-bas et trouver ce qu'elle pense, ce qu'elle ressent, cette religiosité simple, qu'elle trouve chez ses grands-parents. Je ne dis pas de revenir en arrière, non, mais à la source d'inspiration, aux racines. Nous avons tous une histoire de racines de la foi, même les peuples l'ont : il faut la retrouver ! Je me souviens de cette phrase de Hölderlin pour notre âge : "Dass dir halte der Mann, was er als Knabe gelobt" (Le vieil homme tient ce qu'il a promis quand il était enfant). Dans notre enfance, dans notre espoir, nous avons promis beaucoup de choses, beaucoup de choses. Maintenant, nous nous mettons en discussions éthiques, en discussions conjoncturelles... Mais la racine de la religion est la "gifle" que vous donne l'Evangile, la rencontre avec Jésus Christ vivant : et de là les conséquences, toutes ; de là le courage apostolique, de là l'aller aux périphéries, même aux périphéries morales des gens, pour l'aider ; mais toujours de la rencontre avec Jésus Christ. S'il n'y a pas de rencontre avec Jésus-Christ, il y aura un éthisme déguisé en christianisme. C'est ce que je voulais dire, par le coeur. Merci. Merci.
Je vous souhaite un bon déjeuner et une bonne arrivée à Rome. Et je vous demande de prier pour moi. Je le ferai pour vous. Merci pour votre collaboration.