Le travail et l'amour des pauvres combattent la misère

Le Pape François a reçu un groupe d’entrepreneurs espagnols originaires de Galice (nord-ouest de l’Espagne), ce lundi 17 octobre 2022, en salle du consistoire au Palais apostolique. Dans un discours prononcé dans sa langue natale, le Pape les a encouragé à combattre la pauvreté par leur capacité à créer des emplois et ainsi octroyer dignité au prochain, en vue d'une économie «qui réconcilie», et «ne méprise pas».


Je vous salue cordialement, chers frères et soeurs, membres de la Confédération espagnole des associations de jeunes entrepreneurs et de la Confédération des entrepreneurs de Galice — vous êtes tous jeunes pour ce que je vois, ce qui est très bon —, et je vous remercie des paroles aimables que vous m'avez adressées. Sa présence ici est un signe d'espérance.

Nous vivons une époque caractérisée par des déséquilibres économiques et sociaux notoires. Le Concile Vatican II avait déjà affirmé que "le luxe pullule à côté de la misère - je cite -. Et tandis que quelques-uns disposent d'un très large pouvoir de décision, beaucoup manquent de toute initiative et de toute responsabilité, vivant souvent dans des conditions de vie et de travail indignes de la personne humaine" (Const. past. Gaudium et Spes, 63). Dans ce contexte, il est urgent de proposer une économie adéquate pour contribuer à résoudre les grandes problématiques que nous vivons au niveau mondial.

Je voudrais partager avec vous trois idées qui me semblent pertinentes dans votre démarche d'entrepreneur. Premièrement, il y a la prophétie. Comment, Père, qu'a-t-il dit ? La prophétie ? Qu'est-ce que la prophétie a à voir avec l'entreprise ? Je vous les propose. Dans la Bible, le prophète est celui qui parle au nom de Dieu, qui transmet son message, et à travers lequel il favorise un changement dans son environnement. Par exemple, Amos, le prophète de la "justice", dénonçait dès le VIIe siècle av. J.-C. le désir de luxe et d'enrichissement des puissants dans le peuple d'Israël, qui ne profitait qu'à un secteur qui pouvait, alors que la grande majorité du peuple était opprimée, affamée, en détresse. Dans un contexte aussi complexe que celui d'aujourd'hui, caractérisé par la guerre et la crise environnementale, c'est à vous qu'il revient d'accomplir votre service, disons, en tant que prophètes qui annoncent et édifient la maison commune, en respectant toutes les formes de vie, en s'intéressant au bien de tous et en promouvant la paix. Sans prophétie, l'économie, et en général toute l'action humaine, est aveugle. Parce que celle-là réside en elle-même, n'est-ce pas ? Quand elle ne tombe pas malade et se transforme en finance, et quand l'économie se transforme en finance, tout devient liquide ou gazeux et finit comme la chaîne de saint Antoine, dont on ne sait pas combien il y a ici, combien il y a là-bas, parce qu'on ne touche pas et que tout est gazeux. Un jour, une responsable de la finance et de l'économie du monde entier, discutant avec moi, m'a dit qu'elle avait essayé — elle était très haut placée — de faire la rencontre entre l'économie, l'humanisme et la religion, et qu'elle s'était très bien comportée. Il a essayé de faire la même chose avec la finance, l'humanisme et la religion, et ils n'ont trouvé aucune issue. Ça me fait réfléchir, non ?

Le deuxième aspect concerne le soin de la relation avec Dieu. D'abord la prophétie, ensuite, attention à la relation avec Dieu. Comme la terre, lorsqu’elle est bien cultivée et soignée, porte d'abondants fruits, nous aussi, lorsque nous cultivons la santé spirituelle, lorsque nous avons une relation bien soignée avec le Seigneur, nous commençons à porter de nombreux bons fruits. Le prophète Amos souligne : "Cherchez le Seigneur et vous vivrez, [...] cherchez le bien et non le mal, et ainsi le Seigneur sera avec vous" (5,6.14). L'héroïcité dont le monde a besoin de votre part aujourd'hui ne peut être durable que s'il y a des racines fortes. Se demander, comment vont mes racines ? Ce qui ne veut pas dire revenir en arrière, non. Les racines pour pouvoir mieux grandir. Que ce soit une harmonie entre les racines, le tronc, les fruits. La conversion économique sera possible quand nous vivrons une conversion du coeur ; quand nous serons capables de penser davantage aux nécessiteux ; quand nous apprendrons à faire passer le bien commun avant le bien individuel ; quand nous comprendrons que le manque d'amour et de justice dans nos relations est la conséquence d'un mépris de notre relation avec le Créateur, et cela se répercute aussi dans notre maison commune. Alors, et peut-être seulement à ce moment-là, nous pourrons faire marche arrière aux actions néfastes qui préparent un triste avenir pour les nouvelles générations. Rappelez-vous que cultiver la relation avec le Seigneur rend possible d'avoir des racines fortes qui soutiendront les projets que l'on souhaite entreprendre.

La troisième pensée que je partage avec vous concerne le travail et la pauvreté. Parmi ceux-ci, saint François d'Assise nous a donné un important témoignage, qui a non seulement porté en avant la restauration de la chapelle de saint Damien, mais qui a surtout contribué à restaurer l'Église de son temps. Concrètement, il l'a fait avec l'amour qu'il avait pour les pauvres et avec sa façon austère de vivre. Avec les valeurs du travail et de la pauvreté, qui impliquent la confiance totale en Dieu et non dans les choses, on peut créer une économie qui réconcilie entre eux tous les membres des différentes étapes de production, sans qu'ils se méprisent mutuellement, sans que se créent de plus grandes injustices ou que se vive une froide indifférence. D'un autre côté, cela ne veut pas dire que l'on aime la misère, qui, au contraire, doit être combattue, et pour cela vous avez les bons instruments, comme la possibilité de créer des emplois, et contribuer ainsi à la dignité de vos proches. Car par le travail, le Seigneur "lève de la poussière le pauvre, lève des ordures le pauvre" (Ps 113,7). Nous avons donc ici un remède pour combattre la maladie de la misère : le travail et l'amour des pauvres. Soyez créatifs dans la planification du travail, soyez créatifs et cela vous donnera beaucoup plus de force.

Je vous encourage à continuer de transformer avec créativité le visage de l'économie, afin qu'elle soit plus attentive aux principes éthiques (cf. Lettre enc. Laudato si’, n. 189) et n'oubliez pas que son activité est au service de l'être humain, non seulement de quelques-uns mais de tous, en particulier des pauvres. En outre, il est important qu'elle prenne conscience qu'elle n'est pas au-dessus de la nature, mais qu'elle doit s'en occuper, car c'est de cela que dépendent les générations futures. Votre entreprise doit, d'une certaine manière, prendre soin de ne plus polluer la nature, au contraire, ouvrir des voies de guérison. Lors d'une rencontre que j'ai eue il y a six mois, l'un des grands scientifiques européens a déclaré: "Une petite-fille est née hier, et je me suis dit, pauvre, si les choses continuent ainsi, dans trente ans, il lui appartiendra d'habiter un monde inhabitable". Il est encore de notre ressort de changer cette tendance de pollution qui détruit tout.

Je voudrais terminer mon message en vous confiant à la protection de la Très Sainte Vierge et de saint Joseph. Ils ont su s'occuper de leur famille et de leur maison avec un coeur de parents. Qu'ils intercèdent pour vous, afin que le Seigneur vous accorde aussi un amour maternel et paternel pour prendre soin de la famille humaine, prendre soin, et prendre soin de la maison commune. C'est une vertu dont on ne parle pas beaucoup quand on donne des cours d'économie — soyez vigilants — l'une de vos principales fonctions est de prendre soin des vôtres, de prendre soin de votre entreprise, de prendre soin de vos employés, de prendre soin de la maison commune, de prendre soin de tout, n'est-ce pas ? Le bon économiste, le bon entrepreneur veille. Que Dieu vous bénisse, que la Vierge vous protège. Et n'oubliez pas de prier pour moi, j'en ai besoin. Merci.

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