Dans un message lu par le cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin lors de l’ouverture des festivités de ce Mardi 3 février 2020 en présence du président de la République Sergio Mattarella, le pape rappelle notamment les années de l’occupation nazie, mais aussi le Concile Vatican II, où « Rome a brillé comme un lieu universel, catholique, œcuménique » : « Elle est devenue cité universelle de dialogue œcuménique et interreligieux, de paix. »
Message du pape François :
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de m’unir, comme évêque de Rome, à l’ouverture des célébrations des 150 ans de « Roma Capitale » qui, par l’initiative de la maire de Rome, Virginia Raggi, commencent aujourd’hui en présence du président de la République. En rappelant l’événement de « Roma Capitale », à la veille du Concile Vatican II, le cardinal Montini dit : « Cela sembla un effondrement ; et pour la domination territoriale pontificale, ce le fut […]. Mais la Providence, nous le voyons bien désormais, avait disposé les choses autrement, en jouant presque dramatiquement dans les événements. »
La proclamation de « Roma Capitale » fut un événement providentiel, qui suscita à l’époque des polémiques et des problèmes. Mais Rome changea, ainsi que l’Italie et l’Eglise : une nouvelle histoire commençait.
En 150 ans, Rome a tellement grandi et changé : « d’un environnement homogène à une communauté multiethnique, dans laquelle coexistent, au côté de la vision catholique, des visions de la vie inspirées d’autres credo religieux et de conceptions non religieuses de l’existence » (S. Jean-Paul II, Discours au Capitole, 15 janvier 1998: Enseignements XXI,1 [1998], 115). L’Eglise, durant cette histoire, a partagé les joies et les douleurs des Romains. Je voudrais, en exemple, rappeler au moins trois moments de cette riche histoire commune.
Pensons aux neuf mois de l’occupation nazie, marqués par tant de souffrances, entre 1943 et 1944. A partir du 16 octobre 1943, se développa la terrible chasse pour déporter les juifs. La Shoah a été vécue à Rome. L’Eglise fut alors un lieu d’asile pour les persécutés : de vieilles barrières et des distances douloureuses sont tombées. De ces temps difficiles, nous tirons avant tout la leçon de la fraternité impérissable entre l’Eglise catholique et la communauté juive, confirmée lors de ma visite au Grand temple de Rome. Nous sommes en outre convaincus, avec humilité, que l’Eglise représente une ressource d’humanité dans la ville. Et les catholiques sont appelés à vivre avec passion et responsabilité la vie de Rome, surtout ses aspects les plus douloureux.
Je voudrais rappeler, en second lieu, les années du Concile Vatican II, de 1962 à 1965, quand la ville a accueilli les Pères conciliaires, les observateurs œcuméniques et tant d’autres. Rome a brillé comme un lieu universel, catholique, œcuménique. Elle est devenue cité universelle de dialogue œcuménique et interreligieux, de paix. L’on a vu ce que cette ville signifie pour l’Eglise et pour le monde entier. Parce que, comme le rappelait le savant allemand Theodor Mommsen à la fin du dix-neuvième siècle : « On n’est pas à Rome sans avoir des intentions cosmopolites ».
Le troisième moment que je voudrais rappeler est typiquement diocésain, mais il a touché la ville : le fameux congrès sur les « maux de Rome » de février 1974, voulu par celui qui était alors le cardinal vicaire Ugo Poletti. Dans des assemblées populaires nombreuses, il s’est mis à l’écoute de l’attente des pauvres et des périphéries. Là, il s’agissait d’universalité, mais dans le sens de l’inclusion de ceux qui sont dans les périphéries. La ville doit être la maison de tous. C’est une responsabilité aujourd’hui encore : les périphéries actuelles sont marquées par trop de misères, habitées par de grandes solitudes et pauvres en liens sociaux.
Il y a une demande d’inclusion inscrite dans la vie des pauvres et de ceux qui, immigrés et réfugiés, voient en Rome un port de salut. De manière incroyable, leurs yeux voient souvent la ville avec davantage d’attente et d’espérance que nous, Romains, qui, en raison des multiples problèmes quotidiens, la regardons avec pessimisme, comme si elle était destinée à la décadence. Non, Rome est une grande ressource de l’humanité ! « Rome et une ville d’une beauté unique » (Célébration des Premières Vêpres de Marie, Mère de Dieu, 31 décembre 2013 : Enseignements I, 2 [2013], 804). Rome peut et doit se renouveler dans le double sens de l’ouverture au monde et de l’inclusion de tous. C’est aussi à cela que la stimulent les Jubilés, et celui de 2025 n’est désormais plus loin.
Nous ne pouvons vivre à Rome « la tête baissée », chacun dans ses circuits et ses engagements. En cet anniversaire de « Roma Capitale », nous avons besoin d’une vision commune. Rome vivra sa vocation universelle, uniquement si elle devient de plus en plus une ville fraternelle. Oui, une ville fraternelle ! Jean-Paul II, qui a tant aimé Rome, citait souvent un poète polonais : « Si tu dis Rome, elle te répond Amour ». Cet amour ne fait pas vivre pour soi, mais pour les autres et avec les autres
Nous avons besoin de nous réunir autour d’une vision de ville fraternelle et universelle, qui soit un rêve proposé aux jeunes générations. Cette vision est inscrite dans les chromosomes de Rome. À la fin de son pontificat, saint Paul VI a dit : « Rome est l’unité, et pas seulement du peuple italien, mais héritière de l’idéal type de la civilisation en tant que telle et toujours comme le centre de l’Église catholique, c’est-à-dire universelle » (Angélus, 9 juillet 1978 : Enseignements XVI [1978], 541). Rome sera promotrice d’unité et de paix dans le monde autant qu’elle sera capable de se construire comme une ville fraternelle. Nous célébrons les 150 ans de Rome Capitale, une histoire longue et importante. Souvent, l’oubli de l’histoire s’accompagne du manque d’espérance dans un lendemain meilleur et de résignation dans sa construction. Assumer le souvenir du passé pousse à vivre un avenir commun. Rome aura un avenir, si nous partageons la vision de la ville fraternelle, inclusive, ouverte au monde. Dans le panorama international, lourd de conflits, Rome pourra être une ville de la rencontre : « Rome parle au monde de fraternité, de concorde et de paix », disait Paul VI (ibid.).
C’est avec ces sentiments et cette espérance que je forme les vœux les plus chaleureux pour l’avenir de la ville et de ses habitants.
Rome, Saint-Jean-de-Latran, 3 février 2020
FRANÇOIS