Au troisième jour de sa visite au pays du Soleil levant, ce 25 novembre 2019, le pape a célébré une messe à 16h (8h à Rome) au stade Tokyo Dome, entouré de 50 000 personnes, japonaises, mais aussi vietnamiennes, coréennes, brésiliennes, ou des Philippines…
Homélie du pape François :
L’Evangile que nous avons entendu fait partie du premier grand sermon de Jésus ; nous le connaissons sous le nom de “Sermon sur la montagne” et il nous décrit la beauté du chemin que nous sommes invités à parcourir. Selon la Bible, la montagne, c’est le lieu où Dieu se manifeste et se fait connaître : « Monte vers le Seigneur » dit Dieu à Moïse (cf. Ex 24, 1). C’est une montagne dont la cime ne peut être atteinte par volontarisme ni par ‘‘carriérisme’’, mais seulement par l’écoute attentive, patiente et subtile du Maître aux croisées des chemins. La cime devient une plaine pour nous offrir une perspective toujours nouvelle de tout ce qui nous entoure, avec, au centre, la compassion du Père. Nous trouvons en Jésus le sommet de ce que signifie être humain, et il nous montre le chemin qui nous conduit à la plénitude capable de surpasser tous les calculs connus ; en lui, nous trouvons une vie nouvelle où nous faisons l’expérience de la liberté de nous savoir des fils bien-aimés.
Mais nous savons qu’en chemin cette liberté de fils peut se trouver asphyxiée et affaiblie lorsque nous nous enfermons dans le cercle vicieux de l’anxiété et de la compétition ; ou bien lorsque nous focalisons toute notre attention et nos meilleures énergies sur la recherche, étouffante et frénétique, de la productivité et sur le consumérisme comme l’unique critère pour mesurer et valider nos options ou pour bien définir qui nous sommes et ce que nous valons. Une mesure qui, peu à peu, nous rend imperméables ou insensibles à ce qui est important, conduisant notre cœur à battre pour ce qui est superflu et passager. Comme l’obsession de croire que tout peut se fabriquer, s’acquérir et se contrôler, opprime et enchaîne l’âme !
Ici, au Japon, dans une société dont l’économie est très développée, les jeunes me faisaient remarquer ce matin, lors de ma rencontre avec eux, que sont nombreuses les personnes isolées socialement, qui restent en marge, incapables de comprendre le sens de la vie et de leur propre existence. Le foyer, l’école et la communauté, destinés à être des lieux où chacun soutient et aide les autres, sont de plus en plus affectés par la compétition excessive dans la recherche du profit et de l’efficacité. Beaucoup de personnes se sentent perdues et inquiètes, sont accablées par trop d’exigences et de préoccupations qui leur ôtent la paix et l’équilibre.
Comme baume réparateur, les paroles du Seigneur qui nous disent de ne pas nous inquiéter et d’avoir confiance. Il nous dit trois fois avec insistance : « Ne vous souciez pas pour votre vie… pour demain » (cf. Mt 6, 25.31.34). Cela ne veut pas dire que nous sommes invités à nous désintéresser de ce qui se passe autour de nous ou à négliger nos occupations et nos responsabilités quotidiennes. Tout au contraire, c’est une incitation à ouvrir nos priorités à un horizon de sens plus large et à créer ainsi de l’espace pour regarder dans la même direction que lui : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33).
Le Seigneur ne nous dit pas que les besoins primaires, comme la nourriture et le vêtement, ne sont pas importants ; il nous invite plutôt à reconsidérer nos choix quotidiens pour ne pas rester englués ou nous isoler dans la recherche du succès à tout prix, y compris de notre propre vie. Les attitudes mondaines conduisant à ne viser et poursuivre que l’intérêt ou le bénéfice personnel ici-bas, de même que l’égoïsme qui prétend au bonheur individuel, ne font en réalité que nous rendre subtilement malheureux et esclaves, en entravant en outre le développement d’une société véritablement harmonieuse et humaine.
Le contraire du moi isolé, enfermé jusqu’à l’étouffement, ne peut être qu’un nous partagé, célébré et communiqué (cf. Catéchèse de l’Audience générale, 13 février 2019). Cette invitation du Seigneur nous rappelle qu’ « il nous faut “accepter joyeusement que notre être soit un don, et accepter même notre liberté comme une grâce. C’est ce qui est difficile aujourd’hui dans un monde qui croit avoir quelque chose par lui-même, fruit de sa propre originalité ou de sa liberté” » (Gaudete et exsultate, n. 55). C’est pourquoi, dans la première lecture, la Bible nous rappelle comment notre monde, rempli de vie et de beautés, est avant tout un don merveilleux du Créateur, qui nous précède : « Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon » (Gn 1, 31). Une beauté et une bonté offertes pour que nous puissions nous aussi les partager et les offrir aux autres, non comme des souverains ou des propriétaires mais comme faisant partie d’un même rêve créateur. « La protection authentique de notre propre vie comme de nos relations avec la nature est inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité aux autres » (Laudato si’, n. 70).
Face à cette réalité, nous sommes, comme communauté chrétienne, invités à protéger toute vie et à témoigner avec sagesse et courage d’une attitude marquée par la gratitude et la compassion, la générosité et l’écoute simple, en mesure d’embrasser et de recevoir la vie comme elle se présente « avec toute sa fragilité, sa petitesse et, souvent, avec toutes ses contradictions et ses insignifiances » (Journées Mondiales de la Jeunesse, Panama, Veillée, 26 janvier 2019). Nous sommes invités à former une communauté en mesure de développer cette pédagogie capable d’accueillir « tout ce qui n’est pas parfait, tout ce qui n’est pas pur ni distillé, mais non pas moins digne d’amour. Peut-être qu’une personne, n’est-elle pas digne d’amour parce qu’elle est handicapée ou fragile ? Quelqu’un, du fait d’être étranger, de s’être trompé, d’être malade ou en prison, n’est-il pas digne d’amour ? Jésus a fait ainsi : il a embrassé le lépreux, l’aveugle et le paralytique, il a embrassé le pharisien et le pécheur. Il a embrassé le larron sur la croix et il a même embrassé et pardonné ceux qui le crucifiaient » (Ibid).
L’annonce de l’Evangile de la vie nous pousse et exige que, comme communauté, nous devenions un hôpital de campagne, destiné à soigner les blessures et à toujours indiquer un chemin de réconciliation et de pardon. Car, pour le chrétien, l’unique manière convenable de juger toute personne et toute situation, c’est la compassion du Père pour tous ses enfants.
Unis au Seigneur, en collaborant et en dialoguant toujours avec les hommes et les femmes de bonne volonté, et aussi avec ceux qui ont des convictions religieuses différentes, nous pouvons devenir le levain prophétique dans une société en mesure de protéger et de prendre soin, toujours davantage, de toute vie.