« Aujourd’hui, nous, serviteurs du Seigneur – évêques, prêtres, consacrés, laïcs convaincus – nous devons être proches du peuple de Dieu », a assuré le pape François aux évêques polonais
Lors de la rencontre avec les évêques polonais dans la cathédrale des Saints Stanislas et Venceslas de Cracovie le 27 juillet 2016, au cours de son voyage apostolique dans le pays, le pape a parlé de « la proximité » avec le peuple, qui est une réponse aux défis du monde déchristianisé.
Dialogue du pape François avec les évêques polonais :
Mgr Marek Jędraszewski (archevêque de Lodz)Saint Père, il semble que les fidèles de l’Église catholique et, en général, tous les chrétiens en Europe de l’ouest se trouvent de plus en plus en minorité dans le cadre d’une culture contemporaine athée-libérale. En Pologne, nous assistons à une opposition profonde, à une lutte immense entre la foi en Dieu d’un côté et de l’autre une pensée et des styles de vie comme si Dieu n’existait pas. D’après vous, Saint Père, quel type d’actions pastorales l’Église catholique dans notre pays devrait-elle entreprendre afin que le peuple polonais reste fidèle à sa tradition chrétienne désormais plus que millénaire ? Merci.
Pape FrançoisExcellence, vous êtes évêque de… ?
Mgr Marek Jędraszewski:De Lodz, où a commencé le chemin de sainte Faustine ; parce que c’est là précisément qu’elle a entendu la voix du Christ pour aller à Varsovie et entrer au monastère, précisément à Lodz. L’histoire de sa vie a commencé dans ma ville.
Papa Francesco:Vous êtes un privilégié !
C’est vrai, la déchristianisation, la sécularisation du monde moderne est forte. Elle est très forte. Mais certains disent : Oui, elle est forte mais on voit des phénomènes de religiosité, comme si le sens religieux se réveillait. Et cela aussi peut-être un danger. Je crois que nous, dans ce monde si sécularisé, nous avons aussi l’autre danger, de la spiritualisation gnostique : cette sécularisation nous donne la possibilité de faire grandir une vie spirituelle un peu gnostique. Souvenons-nous que cela a été la première hérésie de l’Église : l’apôtre Jean tape sur les gnostiques – et comment, avec quelle force ! –, où il y a une spiritualité subjective, sans le Christ. Le problème plus grave, pour moi, que cette sécularisation est la déchristianisation : enlever le Christ, enlever le Fils. Je prie, je sens… et rien de plus. C’est le gnosticisme. Il existe une autre hérésie qui est aussi à la mode, en ce moment, mais je la laisse de côté parce que votre question, Excellence, va dans cette direction. Il existe aussi un pélagianimse, mais cela, laissons-le de côté, pour en parler à un autre moment. Trouver Dieu sans le Christ : un Dieu sans le Christ, un peuple sans Église. Pourquoi ? Parce que l’Église est la Mère, celle qui te donne la vie, et le Christ est le Frère ainé, le Fils du Père, qui se réfère au Père, celui qui te révèle le nom du Père. Une Église orpheline : le gnosticisme d’aujourd’hui, parce qu’il est justement une déchristianisation, sans le Christ, nous conduit à une Église, ou mieux, à des chrétiens, à un peuple orphelin. Et nous devons faire sentir cela à notre peuple.
Qu’est-ce que je conseillerais ? Il me vient à l’esprit – mais je crois que c’est la pratique de l’Évangile, où se trouve justement l’enseignement du Seigneur – la proximité. Aujourd’hui, nous, serviteurs du Seigneur – évêques, prêtres, consacrés, laïcs convaincus – nous devons être proches du peuple de Dieu. Sans proximité, il n’y a que la parole sans la chair. Pensons – j’aime bien penser à cela – aux deux piliers de l’Évangile. Quels sont les deux piliers de l’Évangile ? Les Béatitudes et puis Matthieu 25, le « protocole » selon lequel nous serons tous jugés. Être concret. Proximité. Toucher. Les œuvres de miséricorde, corporelles et spirituelles. « Mais vous dites cela parce que c’est la mode de parler de miséricorde cette année… » Non, c’est l’Évangile ! L’Évangile, les œuvres de miséricorde. Il y a ce Samaritain hérétique ou mécréant qui est ému et qui fait ce qu’il doit faire, et il risque même son argent ! Toucher. Il y a Jésus qui était toujours parmi les gens ou avec son Père. Ou en prière, seul avec le Père, ou parmi les gens, là, avec ses disciples. Proximité. Toucher. C’est la vie de Jésus… Quand il a été ému, aux portes de la ville de Naïn (cf. Lc 7, 11-17), il a été ému, il est allé toucher le cercueil en disant : « Ne pleure pas… ». La proximité. Et la proximité consiste à toucher la chair souffrante du Christ. Et l’Église, la gloire de l’Égllise, ce sont les martyrs, certainement, mais ce sont tous ces hommes et femmes qui ont tout laissé et ont passé leur vie dans les hôpitaux, dans les écoles, avec les enfants, avec les malades… Je me souviens, en Centrafrique, une petite sœurs, elle avait 83-84 ans, maigre, bonne, comme une petite fille… Elle est venue me saluer : « Je ne suis pas d’ici, je suis de l’autre partie du fleuve, du Congo, mais chaque fois, une fois par semaine, je viens faire les courses ici parce que c’est plus pratique ». Elle m’a dit son âge : 83-84 ans. « – Cela fait 23 ans que je suis ici : je suis infirmière obstétricienne, j’ai fait naître deux à trois mille enfants… – Ah et vous venez seule ici ? – Oui, oui, nous prenons le canoé… » À 83 ans ! Elle faisait une petite heure en canoë et elle arrivait. Cette femme et beaucoup comme elle ont quitté leur pays – elle est italienne, de Brescia – ont quitté leur pays pour toucher la chair du Christ. Si nous allons dans ces pays de mission, en Amazonie, en Amérique latine, dans les cimetières nous trouvons les tombes de tous les hommes et les femmes religieux morts jeunes parce qu’ils n’avaient pas les anticorps contre les maladies de cette terre, et ils mouraient jeunes.
Les œuvres de miséricorde : toucher, enseigner, consoler, « perdre son temps ». Perdre son temps. J’ai beaucoup aimé, une fois, un monsieur qui est allé se confesser et il était dans une situation telle qu’il ne pouvait pas recevoir l’absolution. Il y est allé avec un peu de peur parce qu’il avait été renvoyé plusieurs fois : « Non, non, va-t-en ! » Le prêtre l’a écouté, lui a expliqué la situation et lui a dit : « Mais toi, prie. Dieu t’aime. Je te donnerai la bénédiction, mais reviens, tu me le promets ? » Et ce prêtre « perdait son temps » pour attirer cet homme aux sacrements. Cela s’appelle la proximité. Et en parlant de proximité aux évêques, je crois que je dois parler de la proximité la plus importante, celle à l’égard des prêtres. L’évêque doit être disponible pour ses prêtres. Quand j’étais en Argentine, j’ai entendu de prêtres – très, très souvent, quand j’allais donner les Exercices, j’aimais donner les Exercices – je disais : « Parles-en avec ton évêque. – Mais non, je l’ai appelé, la secrétaire me dit : Non, il est très, très occupé mais il te recevra dans trois mois ». Mais ce prêtre se sent orphelin, sans père, sans la proximité, et il commence à perdre le moral. Un évêque qui voit, sur la liste des appels, le soir à son retour, l’appel d’un prêtre, doit le rappeler aussitôt le soir même ou le lendemain. « Oui, je suis occupé, mais c’est urgent ? – Non, non, mais mettons-nous d’accord… » Que le prêtre sente qu’il a un père. Si nous enlevons aux prêtres la paternité, nous ne pouvons pas leur demander d’être des pères. Et ainsi, le sens de la paternité de Dieu s’éloigne. L’œuvre du Fils est de toucher les misères humaines, spirituelles et corporelles. La proximité. L’œuvre du Père : être père, évêque-père.
Ensuite, les jeunes. Parce qu’il faut parler des jeunes ces jours-ci. Les jeunes sont « ennuyeux » ! Parce qu’on entend toujours les mêmes choses, ou alors « moi, je pense comme ceci » ou encore « l’Église devrait… » et il faut de la patience avec les jeunes. J’ai connu, dans ma jeunesse, quelques prêtres : c’était une époque où l’on fréquentait davantage le confessionnal que maintenant, ils passaient des heures à écouter ou ils les recevaient dans le bureau paroissial à écouter les mêmes choses… mais avec patience. Et puis, emmener les jeunes à la campagne, à la montagne… Mais pensez à saint Jean-Paul II, que faisait-il avec les étudiants ? Oui, il faisait l’école, mais ensuite il allait à la montagne avec eux ! La proximité. Il les écoutait. Il était avec les jeunes…
Et une dernière chose que je voudrais souligner, parce que je crois que le Seigneur me le demande : les grands-parents. Vous, qui avez souffert du communisme, de l’athéisme, vous le savez : ce sont les grands-pères, ce sont les grands-mères qui ont sauvé et transmis la foi. Les grands-parents ont la mémoire d’un peuple, ils ont la mémoire de la foi, la mémoire de l’Église. Ne rejetez pas les grands-parents ! Dans cette culture du déchet, qui est justement déchristianisée, on rejette ce qui ne sert pas, ce qui ne va pas. Non ! Les grands-parents sont la mémoire d’un peuple, ils sont la mémoire de la foi. Et mettre en lien les jeunes avec les grands-parents : cela aussi est de la proximité. Être proches et créer de la proximité. Je répondrais ainsi à cette question. Il n’y a pas de recettes, mais nous devons descendre sur le terrain. Si nous attendons un appel ou qu’on frappe à la porte… Non ! Nous devons sortir pour chercher, comme le pasteur qui va chercher les égarés. Je ne sais pas. C’est ce qui me vient. Simplement.
Mgr Slawoj Leszek Glódź (archevêque de Gdańsk)Cher pape François, nous sommes surtout très reconnaissants que le pape François ait approfondi l’enseignement sur la miséricorde qu’avait commencé saint Jean-Paul II, précisément ici, à Cracovie. Nous savons tous que nous vivons dans un monde dominé par l’injustice : les plus riches deviennent encore plus riches, les pauvres tombent dans la misère, il y a le terrorisme, il y a une éthique et une moralité libérales, sans Dieu… Et ma question est la suivante : comment appliquer l’enseignement de la miséricorde et à qui surtout ? Le Saint Père a fait la promotion d’un médicament qui s’appelle « misericordina » que j’ai avec moi : merci pour la promotion !
Pape François… mais maintenant il existe la « misericordina plus », elle est plus forte !
Mgr Slawoj Leszek Glódź:Oui, et merci pour ce « plus » ! Nous avons aussi le programme « plus », promu par le gouvernement pour les familles nombreuses. Ce « plus » est à la mode. À qui et comment, surtout ? En premier lieu, qui devrait faire l’objet de notre enseignement sur la miséricorde ? Merci.
Pape FrançoisMerci. La miséricorde n’est pas quelque chose qui m’est venu à l’esprit personnellement. C’est un processus. Si nous regardons déjà le bienheureux Paul VI, il avait quelques accents sur la miséricorde. Et puis, saint Jean-Paul II a été le géant de la miséricorde avec l’encyclique Dives in misericordia, la canonisation de sainte Faustine et puis l’octave de Pâques : il est mort à la veille de ce jour. C’est un processus, depuis des années, dans l’Église. On voit que le Seigneur demandait de réveiller dans l’Église cette attitude de miséricorde parmi les fidèles. Il est le Miséricordieux qui pardonne tout. Je suis très touché par un chapiteau médiéval qui se trouve dans la Basilique Sainte Marie Madeleine à Vézelay, en France, où commence le Chemin de Saint Jacques. Sur ce chapiteau, d’un côté figure Judas, pendu, les yeux ouverts, la langue sortie et de l’autre il y a le Bon pasteur qui le porte sur ses épaules. Et si nous regardons bien, le visage du Bon pasteur, d’un côté ses lèvres sont tristes, mais de l’autre elles font un sourire. La miséricorde est un mystère, c’est un mystère. C’est le mystère de Dieu. On m’a demandé une interview, d’où a été tiré un livre intitulé Le nom de Dieu est miséricorde, mais c’est une expression journalistique ; je crois que l’on peut dire que Dieu est le Père miséricordieux. Au moins, dans l’Évangile, Jésus le montre ainsi. Il punit pour convertir. Et puis les paraboles de la miséricorde et la manière dont il a voulu nous sauver. Quand vint la plénitude des temps, il fait naître son Fils d’une femme : avec la chair, il nous sauve avec la chair ; non à partir de la peur, mais de la chair. Dans ce processus de l’Église, nous recevons beaucoup de grâces. Et vous voyez ce monde malade d’injustice, de manque d’amour, de corruption. Mais c’est vrai, c’est vrai. Aujourd’hui, dans l’avion, en parlant de ce prêtre de plus de quatre-vingts ans, tué en France : il y a longtemps que je dis que le monde est en guerre, que nous vivons la troisième guerre mondiale par morceaux. Pensons au Nigéria… Les idéologies, oui, mais quelle est l’idéologie d’aujourd’hui, qui est vraiment au centre et qui est la mère des corruptions, des guerres ? L’idolâtrie de l’argent. L’homme et la femme ne sont plus au sommet de la création, on y a mis l’idole argent, et tout s’achète et se vend pour de l’argent. Au centre, l’argent. On exploite les gens. Et la traite des personnes aujourd’hui ? Cela a toujours été comme cela : la cruauté ! J’ai parlé de ce sentiment à un chef de gouvernement qui m’a dit : « Il y a toujours eu la cruauté. Le problème est que maintenant, nous la regardons à la télévision, elle s’est rapprochée de notre vie ». Mais toujours, cette cruauté. Tuer pour de l’argent. Exploiter les gens, exploiter la création. Un chef de gouvernement africain, récemment élu, est venu me voir en audience et m’a dit : « Le premier acte de gouvernement que j’ai fait a été la reforestation du pays qui avait été déforesté et détruit ». Nous ne prenons pas soin de la création ! Et cela signifie davantage de pauvres, plus de corruption. Mais que pensons-nous quand 80% – plus ou moins, cherchez bien les statistiques et si ce n’est pas 80, c’est 82 ou 78 – des richesses sont dans les mains de moins de 20% des gens ? « Père, ne parlez pas comme cela, vous êtes communiste ! » Non, non, ce sont les statistiques ! Et qui paye cela ? Ce sont les gens qui payent, le peuple de Dieu : les jeunes filles exploitées, les jeunes sans travail. En Italie, chez les moins de 25 ans, 40% sont sans travail ; en Espagne, 50% ; en Croatie, 47%. Pourquoi ? Parce qu’il y a une économie liquide, qui favorise la corruption. Un grand catholique, qui est allé chez un ami entrepreneur, m’a raconté, scandalisé : « Je vais te montrer comment je gagne 20.000 dollars sans bouger de chez moi ». Et avec son ordinateur, de Californie, il a fait l’acquisition de je ne sais quoi et l’a vendu en Chine : en 20 minutes, en moins de 20 minutes, il avait gagné ces 20.000 dollars. Tout est liquide ! Et les jeunes n’ont pas la culture du travail parce qu’ils n’ont pas de travail ! La terre est morte parce qu’elle a été exploitée sans sagesse. Et c’est ainsi que nous avançons. Le monde se réchauffe, pourquoi ? Parce que nous devons gagner. Le gain. « Nous sommes tombés dans l’idolâtrie de l’argent » : c’est ce que m’a dit un ambassadeur quand il est venu pour ses lettres de créance. C’est une idolâtrie.
La divine miséricorde est le témoignage, le témoignage de beaucoup de personnes, de beaucoup d’hommes et de femmes, laïcs, jeunes, qui font des œuvres : en Italie, par exemple, le coopérativisme. Oui, il y en a certains qui sont trop malins, mais on fait toujours du bien, on fait toujours de bonnes choses. Et les institutions pour soigner les malades : des organisations fortes. Aller sur cette voie, faire des choses pour que la dignité humaine grandisse. Mais c’est vrai, ce que vous dites. Nous vivons un analphabétisme religieux, au point que dans certains sanctuaires du monde, on confond tout : on va prier, il y a des magasins où l’on achète des objets de piété, des rosaires… mais il y en a qui vendent des objets de superstition, parce qu’on cherche le salut dans la superstition, dans l’analphabétisme religieux, ce relativisme qui confond une chose avec une autre. Et là, il faut la catéchèse, la catéchèse de vie. La catéchèse qui n’est pas seulement donner des notions, mais accompagner le chemin. Accompagner est une des attitudes les plus importantes ! Accompagner la croissance de la foi. C’est un grand travail et les jeunes attendent cela ! Les jeunes attendent… « Mais si je commence à parler, ils s’ennuient ! » Mais donne-leur un travail à faire. Dis-leur d’aller, pendant les vacances, 15 jours à aider à construire des habitations modestes pour les pauvres ou à faire autre chose. Qu’ils commencent à se sentir utiles. Et là, on laisse tomber la semence de Dieu. Lentement. Mais seulement avec les paroles, cela ne va pas ! L’analphabétisme religieux d’aujourd’hui, nous devons le confronter à trois langages, aux trois langues : la langue de l’esprit, la langue du cœur et la langue des mains. Toutes les trois, harmonieusement.
Je ne sais pas. Je parle trop ! Ce sont des idées que je vous dis. Vous, avec votre prudence, vous saurez quoi faire. Mais toujours une Église qui sort. Une fois, j’ai osé dire : il y a ce verset de l’Apocalypse : « Je me tiens à la porte et je frappe » (3, 20) ; il frappe à la porte mais je me demande combien de fois le Seigneur frappe à la porte de l’intérieur, pour que nous lui ouvrions et qu’il puisse sortir avec nous, porter l’Évangile au dehors. Pas enfermés, dehors ! sortir, sortir ! Merci.
Mgr Leszek Leszkiewicz (évêque auxiliaire de Tarnów):Saint Père, notre engagement pastoral est basé essentiellement sur le modèle traditionnel de la communauté paroissiale, organisée autour de la vie sacramentelle. Un modèle qui continue à porter du fruit ici. Toutefois nous nous rendons compte que chez nous aussi, les conditions et les circonstances de la vie quotidienne changent rapidement et demandent de l’Église de nouvelles modalités pastorales. Les pasteurs et les fidèles ressemblent un peu à ces disciples qui écoutent, se donnent beaucoup de mal mais ne savent pas toujours mettre à profit le dynamisme missionnaire intérieur et extérieur des communautés ecclésiales. Saint Père, dans Evangelii gaudium, vous parlez des disciples missionnaires qui portent la Bonne nouvelle au monde d’aujourd’hui avec enthousiasme. Que nous suggérez-vous ? À quoi nous encouragez-vous pour que nous puissions édifier dans notre monde la communauté de l’Église de manière fructueuse, féconde, avec joie, avec un dynamisme missionnaire ?
Pape FrançoisMerci ! Je voudrais souligner quelque chose : la paroisse est toujours valide ! La paroisse doit rester : c’est une structure que nous ne devons pas jeter par la fenêtre. La paroisse est précisément la maison du peuple de Dieu, celle où il vit. Le problème est comment la paroisse est organisée ! Il y a des paroisses avec des secrétaires paroissiales qui ressemblent à des « disciples de Satan », qui font peur aux gens ! Des paroisses aux portes fermées. Mais il y a aussi des paroisses aux portes ouvertes, des paroisses où, quand quelqu’un vient poser une question, on répond : « Oui, oui… Asseyez-vous. Quel est votre problème ?… ». Et on écoute patiemment… parce que prendre soin du peuple de Dieu est fatigant, c’est fatigant ! Un bon professeur universitaire, un jésuite que j’ai connu à Buenos Aires, lorsqu’il est parti à la retraite, a demandé au provincial d’aller comme curé dans un quartier pour faire cette nouvelle expérience. Une fois par semaine, il venait à la faculté – il dépendait de cette communauté – et un jour il m’a dit : « Dis à ton professeur d’ecclésiologie qu’il manque deux thèses dans son traité. – Lesquelles ? – D’abord, le peuple saint de Dieu est essentiellement fatigant. – Et la seconde ? – Le peuple saint de Dieu, ontologiquement, fait ce qui lui semble le mieux. Et c’est fatigant ! ». Aujourd’hui, être curé est fatigant ; tenir une paroisse est fatigant, dans ce monde d’aujourd’hui avec tous ses problèmes. Et le Seigneur nous a appelés pour que nous nous fatiguions un peu, pour travailler et non pour nous reposer. La paroisse est fatigante quand elle est bien organisée. Le renouvellement de la paroisse est une des choses que les évêques doivent toujours avoir sous les yeux : comment va cette paroisse ? Que fais-tu ? Comment va la catéchèse ? Comment l’enseignes-tu ? Est-elle ouverte ? Beaucoup de choses… Je pense à une paroisse de Buenos Aires, quand les fiancés arrivaient : « Nous voudrions nous marier ici – Oui, disait la secrétaire, voici les prix ». Cela ne va pas, une paroisse comme cela ne va pas. Comment les personnes sont-elles accueillies ? Comment sont-elles écoutées ? Y a-t-il toujours quelqu’un dans le confessionnal ? Dans les paroisses – pas celles qui sont dans des petits quartiers, mais dans les paroisses qui sont dans le centre, sur les grandes rues, s’il y a un confessionnal avec la lampe allumée, les gens y vont toujours. Toujours ! Une paroisse accueillante. Nous, les évêques, nous devons demander cela aux prêtres : Comment va ta paroisse ? Et est-ce que tu sors ? Est-ce que tu visites les détenus, les malades, les petites vieilles ? Et que fais-tu avec les enfants ? Comment les fais-tu jouer et comment marche « l’oratorio » ? C’est une des grandes institutions paroissiales, au moins en Italie. « L’oratorio » : les enfants y jouent et on leur donne une parole, un peu de catéchisme. Ils rentrent chez eux fatigués, contents et avec une bonne graine. La paroisse est importante !
Certains disent que la paroisse ne marche plus parce que c’est maintenant le temps des mouvements. Ce n’est pas vrai ! Les mouvements aident, mais les mouvement ne doivent pas être une alternative à la paroisse : ils doivent aider dans la paroisse, la faire vivre, de même qu’il y a la Congrégation mariale, l’Action catholique et beaucoup de réalités. Chercher la nouveauté et changer la structure paroissiale ? Ce que je vous dis pourra peut-être sembler une hérésie mais je la vis comme cela : je crois que c’est quelque chose d’analogue à la structure épiscopale, elle est différente mais analogue. On ne touche pas à la paroisse : elle doit rester comme un lieu de créativité, de référence, de maternité et toutes ces choses. Et là, mettre en œuvre cette capacité d’inventivité ; et quand une paroisse avance comme cela, elle réalise ce que j’appelle, à propos des disciples missionnaires, une « paroisse qui sort ». Par exemple, je pense à une paroisse – un bel exemple qui ensuite a été imité par beaucoup – dans un pays où il n’était pas habituel de baptiser les enfants, parce qu’il n’y avait pas d’argent ; mais pour la fête patronale, on prépare la fête 3 ou 4 mois avant, avec la visite dans les maisons et là, on voit combien d’enfants ne sont pas baptisés. On prépare les familles et une des activités de la fête patronale est le baptême des 30 – 40 enfants qui, sinon, seraient restés sans baptême. Inventer des choses de ce genre. Les gens ne se marient pas à l’église. Je pense à une réunion de prêtres ; l’un d’eux s’est levé et a dit : « As-tu pensé pourquoi ? » Et il a donné de nombreuses raisons que nous partageons : la culture actuelle, etc. Mais il y a un bon groupe de personnes qui ne se marient pas parce que, aujourd’hui, se marier coûte cher ! Tout coûte, la fête… C’est un fait social. Et ce curé, qui avait une grande inventivité, a dit : « Ceux qui veulent se marier, je les attends ». Parce qu’en Argentine, il y a deux mariages : on doit toujours aller à la mairie, où l’on fait le mariage civil et ensuite, si tu le veux, tu vas dans le temple de ta religion te marier. Quelques-uns – ils sont nombreux ! – ne viennent pas se marier parce qu’ils n’ont pas d’argent pour faire une grande fête… Mais les prêtres qui ont un peu de génie disent : « non, non, je t’attends ». Ce jour-là, à la mairie, on se marie à 11h, 12h, 13h, 14h : ce jour-là, je ne fais pas la sieste ! Après le mariage civil, ils se marient et vont en paix. Inventer, chercher, sortir, aller chercher les gens, se mettre dans les difficultés des gens. Mais une paroisse-bureau, aujourd’hui, ça ne va pas ! Parce que les gens ne sont pas disciplinés. Vous avez un peuple discipliné et c’est une grâce de Dieu ! Mais en général, ils ne sont pas disciplinés. Je pense à ma terre : les gens, si tu ne vas pas les chercher, si tu ne les approches pas, ils ne viennent pas. Et voilà le disciple missionnaire, la paroisse qui sort. Sortir et aller chercher, comme l’a fait Dieu qui à envoyé son Fils pour nous chercher.
Je ne sais pas si c’est une réponse simpliste, mais je n’en ai pas d’autre. Je ne suis pas un pastoraliste éclairé, je dis ce qui me vient.
Mgr Krzysztof Zadarko (évêque auxiliaire de Koszalin-Kolobrzeg)Saint Père, un des problèmes les plus angoissants auxquels est confrontée l’Europe d’aujourd’hui est la question des réfugiés. Comment pouvons-nous les aider, vu qu’ils sont si nombreux ? Et que pouvons-nous faire pour surmonter la peur d’une invasion ou d’une agression de leur part, qui paralyse toute la société ?
Pape FrançoisMerci ! Le problème des réfugiés… Les réfugiés n’ont pas été comme maintenant à toutes les époques. Disons les migrants et les réfugiés, nous les considérons ensemble. Mon papa est un migrant. Et je racontais au président [de la Pologne] que, dans l’usine où il travaillait, il y avait beaucoup de migrants polonais, dans l’après-guerre ; j’étais enfant et j’en ai connu beaucoup. Ma terre est une terre d’immigrants, tous… Et là, il n’y avait pas de problèmes ; c’était une autre époque, vraiment. Aujourd’hui, pourquoi y a-t-il tant de migration ? Je ne parle pas d’émigration à partir de sa patrie vers l’extérieur : cela, c’est pour le manque de travail. Il est clair qu’ils vont chercher du travail à l’extérieur. C’est un problème de maison, que vous aussi, vous avez un peu… Je parle de ceux qui viennent chez nous : ils fuient les guerres, la faim. Le problème est là. Et pourquoi le problème est-il là ? Parce que sur cette terre, il y a une exploitation de la population, il y a une exploitation de la terre, il y a une exploitation pour gagner plus d’argent. En parlant avec des économistes mondiaux, qui voient ce problème, ils disent : nous devons investir dans ces pays ; en investissant, ils auront du travail et n’auront pas besoin d’émigrer. Mais il y a la guerre ! Il y a la guerre des tribus, certaines guerres idéologiques ou certaines guerres artificielles, préparées par les trafiquants d’armes qui vivent de cela : il te donnent les armes, à toi qui es contre ceux-ci et à ceux-ci qui sont contre toi. Et c’est ainsi qu’ils vivent, eux ! La corruption est vraiment à l’origine de la migration. Comment faire ? Je crois que chaque pays doit voir comment et quand : tous les pays ne sont pas égaux ; tous les pays n’ont pas les mêmes possibilités. Oui, mais ils ont la possibilité d’être généreux. Généreux en tant que chrétiens. Nous ne pouvons pas investir là-bas, mais pour ceux qui viennent… Combien et comment ? On ne peut pas donner de réponse universelle, parce que l’accueil dépend de la situation de chaque pays et aussi de la culture. Mais on peut certainement faire beaucoup de choses. Par exemple, la prière : une fois par semaine, l’oraison devant le Saint Sacrement avec une prière pour ceux qui frappent à la porte de l’Europe et qui ne réussissent pas à entrer. Certains réussissent, mais d’autres non… Et puis l’un d’eux entre et prend un chemin qui génère de la peur. Nous avons des pays qui ont bien su intégrer les migrants, depuis des années ! Ils ont bien su les intégrer. Dans d’autres, malheureusement, des sortes de ghettos se sont formés. Il y a toute une réforme à faire, au niveau mondial, sur cet engagement, sur l’accueil. Mais c’est cependant un aspect relatif : ce qui est absolu, c’est le cœur ouvert pour accueillir. Cela, c’est l’absolu ! Par la prière, l’intercession, faire ce que je peux. La manière dont je peux le faire est relative : tout le monde ne peut pas le faire de la même manière. Mais le problème est mondial ! L’exploitation de la création et l’exploitation des personnes. Nous vivons un moment d’anéantissement de l’homme comme image de Dieu.
Et là, je voudrais conclure sur cet aspect parce que, derrière cela, il y a des idéologies. En Europe, en Amérique, en Amérique latine, en Afrique, dans certains pays d’Asie, il y a de véritables colonisations idéologiques. Et une de celle-ci – je le dis clairement avec « le nom et le prénom » – est le ‘gender’ ! Aujourd’hui, à l’école, on enseigne ceci aux enfants – aux enfants ! : que chacun peut choisir son sexe. Et pourquoi enseigne-t-on ceci ? Parce que les livres sont ceux des personnes et des institutions qui te donnent l’argent. Ce sont des colonisations idéologiques soutenues aussi par des pays très influents. Et c’est terrible. En parlant avec le pape Benoît, qui va bien et qui a une pensée claire, il me disait : « Sainteté, notre époque est celle du péché contre le Dieu Créateur ! » C’est intelligent ! Dieu a créé l’homme et la femme ; Dieu a créé le monde comme ceci, comme ceci, comme cela… et nous faisons le contraire. Dieu nous a donné un état « inculte » pour que nous le fassions devenir culture ; et ensuite avec cette culture, nous faisons des choses qui nous ramènent à l’état « inculte » ! Ce que le pape Benoît a dit, nous devons y penser : « C’est l’époque du péché contre le Dieu Créateur ! ». Et cela nous aidera.
Mais toi, Cristoforo, tu me diras : « Qu’est-ce que cela a à voir avec les migrants ? ». C’est un peu le contexte, tu sais ? En ce qui concerne les migrants, je dirai : le problème est là, sur leur terre. Mais comment les accueillons-nous ? Chacun doit voir comment. Mais nous pouvons tous avoir le cœur ouvert et penser à faire une heure dans les paroisses, une heure par semaine, d’adoration et de prière pour les migrants. La prière soulève les montagnes !
C’était les quatre questions. Je ne sais pas… Excusez-moi si j’ai trop parlé, mais mon sang italien me trahit…
Merci beaucoup pour l’accueil et espérons que ces jours-ci nous rempliront de joie : de joie, d’une grande joie. Et prions la Vierge Marie qui est Mère et qui nous tient toujours par la main.
Salve Regina…
Et n’oubliez pas les grands-parents, qui sont la mémoire d’un peuple.