« Je crois que nous avons peur de la liberté, dans la pastorale également », diagnostique le pape François en réponse à une question de son diocèse sur le mariage et la famille.
Le pape est intervenu lors de l’ouverture du Congrès ecclésial de son diocèse de Rome, dans la basilique Saint-Jean-du-Latran, jeudi 16 juin 2016.
Le thème de cette année était « ‘La joie de l’amour’ : le chemin des familles à Rome, à la lumière de l’exhortation apostolique Amoris laetitia, du pape François ».
Dialogue
Première questionDans l’exhortation Evangelii gaudium, vous dites que le grand problème d’aujourd’hui est l’« individualisme pratique et avare », et dans Amoris laetitia, vous dites qu’il faut créer des réseaux de relations entre les familles. Vous utilisez une expression qui pourrait sonner un peu mal en italien : « la famille élargie ». Une révolution de la tendresse est nécessaire. Nous ressentons nous aussi le virus de l’individualisme dans nos communautés. Nous avons besoin d’aide pour créer ce réseau de relations entre les familles, capable de briser la fermeture et de se retrouver.
Première réponse du pape FrançoisIl est vrai que l’individualisme est comme l’axe de cette culture. Et cet individualisme a de nombreux noms, de nombreux noms à la racine égoïste : ils se cherchent toujours eux-mêmes, ils ne regardent pas l’autre, ils ne regardent pas les autres familles… L’on en vient parfois à de véritables cruautés pastorales. Je parle par exemple d’une expérience que j’ai vécue lorsque j’étais à Buenos Aires : dans un diocèse voisin, certains curés ne voulaient pas baptiser les enfants des filles-mères. Pensez-vous ! Comme si c’étaient des animaux. Et c’est de l’individualisme. « Non, nous sommes les parfaits, telle est la route à suivre… ». C’est un individualisme qui recherche aussi le plaisir, il est hédoniste. Je dirais presque un mot un peu fort, mais je le dis entre guillemets : ce « maudit bien-être » qui nous a fait tant de mal. Le bien-être. Aujourd’hui, l’Italie connaît un ralentissement terrible des naissances : il est, je crois, en-dessous de zéro. Mais cela a commencé avec cette culture du bien-être, depuis quelques décennies… J’ai connu de nombreuses familles qui préféraient — mais s’il vous plaît, les associations de protection des animaux, ne m’accablez pas, car je ne veux offenser personne — avoir deux ou trois chats, un chien plutôt qu’un enfant. Parce que faire un enfant n’est pas facile, et ensuite l’éduquer… Mais ce qui devient le plus un défi avec un enfant, est que tu fais une personne qui deviendra libre. Le chien, le chat, te donneront de l’affection, mais une affection « programmée », jusqu’à un certain point, non libre. Tu as un, deux, trois, quatre enfants, et ils seront libres et devront s’insérer dans la vie avec les risques qu’elle comporte. Voilà le défi qui fait peur : la liberté.
Et revenons-en à l’individualisme: je crois que nous avons peur de la liberté. Dans la pastorale également : « Mais que dira-t-on si je fais cela ?…Et peut-on le faire ?… ». Et on a peur. Mais tu as peur : prends le risque ! Dès lors que tu es là, et que tu dois décider, prends le risque ! Si tu commets une erreur, il existe le confesseur, il existe l’évêque, mais prends le risque ! C’est comme le pharisien : la pastorale des mains propres, tout propre, tout en ordre, tout beau. Mais en dehors de ce milieu, combien de misère, combien de douleur, combien de pauvreté, combien de manque d’opportunité de développement ! C’est un individualisme égoïste, c’est un individualisme qui a peur de la liberté. C’est un individualisme — je ne sais pas si la grammaire me le permet — je dirais « encageante » : il te met en cage, il ne te laisse pas voler en liberté. Et ensuite, oui, la famille élargie. C’est vrai, c’est un mot qui ne sonne pas toujours bien, mais cela dépend des cultures; j’ai écrit l’exhortation en espagnol… J’ai connu par exemple des familles…
L’autre jour précisément, il y a une semaine ou deux, l’ambassadeur d’un pays est venu présenter ses Lettres de Créance. Il y avait l’ambassadeur, sa famille et la dame qui faisait le ménage chez eux depuis de nombreuses années : voilà une famille élargie. Et cette femme était de la famille : une femme seule, et non seulement ils la payaient bien, ils la payaient en règle, mais quand ils ont dû aller voir le Pape pour présenter les Créances : « Viens avec nous, car tu fais partie de la famille ». C’est un exemple. Il s’agit de donner de la place aux gens. Et parmi les gens simples, avec la simplicité de l’Evangile, cette bonne simplicité, il y a ces exemples, d’élargissement de la famille…
Et ensuite, l’autre mot-clé que tu as dit, en plus de l’individualisme, de la peur de la liberté et de l’attachement au plaisir, tu as dit un autre mot : la tendresse. C’est la caresse de Dieu, la tendresse. Un jour, lors d’un synode, cette phrase a été prononcée : « Nous devons faire la révolution de la tendresse ». Et certains pères — il y a des années — ont dit : « Mais on ne peut pas dire cela, ça ne sonne pas bien ». Mais aujourd’hui, nous pouvons le dire : il manque la tendresse, il manque la tendresse. Caresser non seulement les enfants, les malades, caresser tout, les pécheurs… Et il y a de bons exemples de la tendresse… La tendresse est un langage qui vaut pour les plus petits, pour ceux qui n’ont rien : un enfant connaît son papa et sa maman par les caresses, ensuite par la voix, mais c’est toujours la tendresse. Et il me plaît d’entendre un papa ou une maman parler à l’enfant qui commence à parler, le papa et la maman deviennent eux aussi enfants [le Pape les imite]
Ils parlent comme ça… Nous l’avons tous vu, c’est vrai. Telle est la tendresse. C’est m’abaisser au niveau de l’autre. C’est le chemin qu’a suivi Jésus. Jésus n’a pas considéré le fait d’être Dieu comme un privilège: il s’est abaissé ( cf. Ph 2, 6-7 ). Et il a parlé notre langue, il a parlé avec nos gestes. Et le chemin de Jésus est le chemin de la tendresse. Voilà : l’hédonisme, la peur de la liberté, tel est précisément l’individualisme contemporain. Il faut sortir par le chemin de la tendresse, de l’écoute, de l’accompagnement, sans demander… Oui, avec ce langage, avec cette attitude, les familles grandissent : il y a la petite famille, ensuite la grande famille des amis ou de ceux qui viennent… Je ne sais pas si j’ai répondu, mais il me semble que oui, cela m’est venu ainsi.
Deuxième questionNous savons qu’en tant que communautés chrétiennes, nous ne voulons pas renoncer aux exigences radicales de l’Évangile de la famille. Comment éviter que naisse dans nos communautés une double morale, une exigence et une permissivité, l’une rigoriste et l’autre laxiste ?
Deuxième réponseAucune des deux n’est vérité : ni le rigorisme, ni le laxisme ne sont vérité. L’Évangile choisit une autre voie. C’est la raison de ces quatre mots — accueillir, accompagner, intégrer, discerner — sans mettre le nez dans la vie morale des gens. Pour votre tranquillité, je dois vous dire que tout ce qui est écrit dans l’exhortation — et je reprends les mots d’un grand théologien qui a été secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Schönborn, qui l’a présentée — tout est thomiste, du début à la fin. C’est la doctrine sûre. Mais nous voulons, si souvent, que la doctrine sûre soit dotée de cette mathématique sûre qui n’existe pas, ni avec le laxisme, peu regardant, ni avec la rigidité. Pensons à Jésus: l’histoire demeure la même, elle se répète. Quand Jésus parlait aux gens, ceux-ci disaient : « Il enseignait non pas comme les scribes, mais comme celui qui parle avec autorité » ( cf. Mc 1, 22 ). Ces docteurs connaissaient la loi, et pour chaque cas, ils avaient une loi spécifique, pour arriver en fin de compte à environ 600 préceptes. Tout est réglé, tout. Et le Seigneur — la colère de Dieu, je la vois dans ce chapitre 23 de Matthieu, ce chapitre est terrible — m’impressionne surtout lorsqu’il parle du quatrième commandement et dit : « Vous, qui au lieu de donner à manger à vos parents âgés, leur dites : “ Non, j’en ai fait la promesse, mieux vaut l’autel que vous ”, vous êtes en contradiction » ( cf. Mt 7, 10-13 ). Jésus était ainsi, et il a été condamné par haine, ils lui tendaient toujours des pièges : « Peut-on faire cela, ou pas ? ». Pensons à la scène de l’adultère ( cf. Jn 8, 1-11 ). Il est écrit : elle doit être lapidée. C’est la morale. Elle est claire. Et elle n’est pas rigide, celle-là n’est pas rigide, c’est une morale claire. Elle doit être lapidée. Pourquoi ? En vertu de la sacralité du mariage, la fidélité. Jésus est clair en cela. Le mot est adultère. Il est clair. Et Jésus joue un peu l’innocent, il laisse passer le temps, écrit par terre… Et ensuite il dit : « Commencez : que le premier d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Jésus a manqué à la loi, dans ce cas. Ils sont partis, à commencer par les plus vieux. « Femme, personne ne t’a condamnée ? Moi non plus ». Quelle est la morale ? C’était de la lapider. Mais Jésus va au-delà, au-delà de la morale. Cela nous fait penser que l’on ne peut pas parler de la « rigidité », de la « sécurité », d’être mathématique dans la morale, comme la morale de l’Évangile.
Ensuite, continuons avec les femmes: quand cette femme ou cette jeune fille [la Samaritaine, cf. Jn 4, 1-27], je ne sais pas quelle était sa situation, commença à faire un peu la « catéchiste » et à dire : « Mais il faut adorer Dieu sur cette montagne, ou sur celle-ci ?… ». Jésus lui a dit : « Et ton mari ?… » — « Je n’en ai pas » — « Tu as dit la vérité ». Et en effet, elle portait de nombreuses médailles d’adultère, beaucoup de « décoration »… Pourtant, elle a été la première à être pardonnée, elle a été « l’apôtre » de la Samarie. Alors, comment doit-on faire ? Allons à l’Evangile, allons à Jésus ! Cela ne signifie pas jeter le bébé avec l’eau sale du bain, non, non. Cela signifie chercher la vérité; et que la morale est un acte d’amour, toujours : d’amour pour Dieu, d’amour envers son prochain. C’est également un acte qui laisse place à la conversion de l’autre, il ne condamne pas immédiatement, il laisse de l’espace.
Une fois — il y a beaucoup de prêtres ici, mais excusez-moi — mon prédécesseur, non, l’autre, le cardinal Aramburu, qui est mort après mon prédécesseur, m’a donné un conseil quand j’ai été nommé archevêque : « Quand tu vois qu’un prêtre vacille un peu, glisse, appelle-le et dis-lui: “ Parlons un peu, on m’a dit que tu étais dans cette situation, presque de double vie, je ne sais pas… ”; et tu verras que ce prêtre commencera à te dire : “ Non ce n’est pas vrai, non… ” ; interromps-le et dis-lui : “ Ecoute-moi, rentre chez toi, penses-y et reviens dans quinze jours, nous en reparlerons ; et pendant ces quinze jours — c’est ce qu’il me disait — il avait le temps de penser, de repenser devant Jésus et de revenir : “ Oui, c’est vrai. Aide-moi ! ”. Il faut toujours du temps. “ Mais, Père, ce prêtre a vécu, il a célébré la Messe, en état de péché mortel pendant ces quinze jours, c’est ce que dit la morale, et vous, que dites-vous ? ”. Qu’est-ce qui est mieux ? Qu’est-ce qui a été mieux ? Que l’évêque ait eu la générosité de lui laisser quinze jours pour y penser, malgré le risque de célébrer la Messe en état de péché mortel, c’est cela qui est mieux ou l’autre option, la morale rigide ? Et à propos de la morale rigide, je vous raconterai un fait auquel j’ai moi-même assisté. Pendant mes études de théologie, l’examen concernant l’écoute des Confessions — il s’appelait « ad audiendas » — avait lieu en troisième année, mais nous, ceux de deuxième année, nous avions la permission d’aller y assister pour nous préparer ; et une fois, on a soumis à l’un de nos camarades le cas d’une personne qui va se confesser, mais un cas très compliqué, concernant le septième commandement, « de justitia et jure » ; mais c’était vraiment un cas tellement irréel… ; et ce camarade, qui était une personne normale, a dit au professeur : « Mais père, cela n’arrive pas dans la vie » — « Oui, mais on le trouve dans les livres ! ». J’ai vu cela.
Où que l’on aille, nous entendons parler aujourd’hui de crise du mariage. C’est pourquoi nous voulions vous demander : sur quoi devons-nous miser aujourd’hui pour éduquer les jeunes à l’amour, en particulier au mariage sacramentel, en surmontant leurs résistances, le scepticisme, le désenchantement, la peur du définitif ?
Je reprends ton dernier mot : nous vivons aussi une culture du provisoire. J’ai entendu un évêque raconter, il y a quelques mois, qu’il avait reçu un jeune homme qui avait fini ses études universitaires, un brave garçon, qui lui a dit : « Je veux devenir prêtre, mais pendant dix ans ». C’est la culture du provisoire. Et cela se produit partout, même dans la vie sacerdotale, dans la vie religieuse. Le provisoire. C’est pour cela qu’une partie de nos mariages sacramentels sont nuls, car ils [les époux] disent : « Oui, pour toute la vie », mais ils ne savent pas ce qu’ils disent, car ils ont une autre culture. Ils le disent et ils sont de bonne volonté, mais ils n’en ont pas la conscience. Une fois, à Buenos Aires, une femme m’a adressé un reproche : « Vous les prêtres, vous êtes malins, car pour devenir prêtre vous étudiez huit ans, et ensuite, si les choses ne vont pas bien et que le prêtre rencontre une jeune fille qui lui plaît… pour finir vous lui donnez la permission de se marier et de fonder une famille. Et nous les laïcs, qui recevons un sacrement indissoluble pour toute la vie, on nous fait suivre quatre conférences et cela pour toute la vie ! ». Pour moi, l’un des problèmes est le suivant : la préparation au mariage.
Ensuite, cette question est profondément liée au fait social. Je me souviens avoir téléphoné — ici en Italie, l’année dernière — avoir téléphoné à un jeune homme que j’avais connu quelques temps auparavant à Ciampino et qui se mariait. Je l’ai appelé et je lui ai dit : « Ta mère m’a dit que tu te mariais le mois prochain… Où le feras-tu.. ? — Mais nous ne savons pas, parce que nous sommes en train de chercher l’église adaptée à la robe de ma fiancée… Et ensuite nous devons faire beaucoup de choses : les dragées, chercher un restaurant qui ne soit pas loin…». Voilà les préoccupations ! Un fait social. Comment changer cela ? Je ne sais pas. Un fait social à Buenos Aires : j’ai interdit de célébrer des mariages religieux, à Buenos Aires, dans les cas que nous appelons « matrimonios de apuro », mariages « en hâte » [réparateurs], quand un bébé est attendu. A présent, les choses sont en train de changer, mais il existe cela : socialement, tout doit être en règle, le bébé arrive, nous célébrons le mariage. J’ai interdit de le faire, car ils ne sont pas libres, ils ne sont pas libres ! Peut-être s’aiment-ils. Et j’ai vu de beaux cas, où ensuite, après deux-trois ans, ils se sont mariés, et je les ai vus entrer dans l’église, le papa, la maman et l’enfant qu’elle tenait par la main. Mais ils savaient bien ce qu’ils faisaient. La crise du mariage existe parce qu’on ne sait pas ce qu’est le sacrement: on ne sait pas qu’il est indissoluble, on ne sait pas que c’est pour toute la vie. C’est difficile. Voilà une autre de mes expériences à Buenos Aires : quand les curés faisaient les cours de préparation au mariage, il y avait toujours 12-13 couples, pas plus, on n’arrivait pas à 30 personnes. La première question qui était posée était : « Combien d’entre vous vivent ensemble ? ». La majorité levait la main. Ils préfèrent vivre ensemble, et cela est un défi, demande du travail. Il ne faut pas dire tout de suite : « Pourquoi est-ce que tu ne te maries pas à l’église ? Non. Les accompagner : attendre et faire mûrir. Et faire mûrir la fidélité. Dans la campagne argentine, dans la zone du nord-est, il y a une superstition : les fiancés qui ont un enfant se mettent en concubinage. A la campagne, c’est ce qui arrive. Ensuite, quand l’enfant doit aller à l’école, ils font un mariage civil. Et ensuite, quand ils sont grand-parents, ils célèbrent le mariage religieux. C’est une superstition, car ils disent que célébrer tout de suite le mariage religieux fait peur au mari ! Nous devons lutter également contre cette superstition. Pourtant, je dois dire que j’ai vraiment vu une grande fidélité dans ces concubinages, une grande fidélité; et je suis certain que c’est un véritable mariage, ils ont la grâce du mariage, précisément en raison de la fidélité qu’ils vivent. Mais il y a des superstitions locales. La pastorale du mariage est la plus difficile.
Et ensuite, la paix dans la famille. Pas seulement quand les époux discutent entre eux, même si le conseil est toujours de ne pas finir la journée sans faire la paix, car la guerre froide du lendemain est pire. C’est pire, oui, c’est pire. Mais quand les parents, les beaux-parents s’en mêlent, car ce n’est pas facile de devenir beau-père ou belle-mère… ce n’est pas facile. J’ai entendu une belle chose, qui plaira aux femmes: quand une femme voit lors de l’échographie qu’elle est enceinte d’un petit garçon, à partir de ce moment elle commence à étudier pour devenir belle-mère !
Je reprends sérieusement : on doit faire la préparation au mariage de près, sans s’effrayer, lentement. C’est souvent un chemin de conversion. Il y a des jeunes garçons et des jeunes filles qui ont une pureté et un amour grands et qui savent ce qu’ils font. Mais ils sont peu nombreux. La culture d’aujourd’hui nous présente ces jeunes, ils sont bons et nous devons nous en approcher et les accompagner, les accompagner, jusqu’au moment de la maturité. Et, à ce moment-là, qu’ils reçoivent le sacrement, mais dans la joie, dans la joie ! Il faut tant de patience, tant de patience. C’est la même patience qu’il faut pour la pastorale des vocations. Ecouter les mêmes choses, écouter : l’apostolat de l’oreille, écouter, accompagner… Il ne faut pas avoir peur, s’il vous plaît, ne pas avoir peur. Je ne sais pas si j’ai répondu, mais je te parle de mon expérience, de ce que j’ai vécu comme curé.
Troisième questionOù que l’on aille, nous entendons parler aujourd’hui de crise du mariage. C’est pourquoi nous voulions vous demander : sur quoi devons-nous miser aujourd’hui pour éduquer les jeunes à l’amour, en particulier au mariage sacramentel, en surmontant leurs résistances, le scepticisme, le désenchantement, la peur du définitif ?
Troisième réponseJe reprends ton dernier mot : nous vivons aussi une culture du provisoire. J’ai entendu un évêque raconter, il y a quelques mois, qu’il avait reçu un jeune homme qui avait fini ses études universitaires, un brave garçon, qui lui a dit : « Je veux devenir prêtre, mais pendant dix ans ». C’est la culture du provisoire. Et cela se produit partout, même dans la vie sacerdotale, dans la vie religieuse. Le provisoire. C’est pour cela qu’une partie de nos mariages sacramentels sont nuls, car ils [les époux] disent : « Oui, pour toute la vie », mais ils ne savent pas ce qu’ils disent, car ils ont une autre culture. Ils le disent et ils sont de bonne volonté, mais ils n’en ont pas la conscience. Une fois, à Buenos Aires, une femme m’a adressé un reproche : « Vous les prêtres, vous êtes malins, car pour devenir prêtre vous étudiez huit ans, et ensuite, si les choses ne vont pas bien et que le prêtre rencontre une jeune fille qui lui plaît… pour finir vous lui donnez la permission de se marier et de fonder une famille. Et nous les laïcs, qui recevons un sacrement indissoluble pour toute la vie, on nous fait suivre quatre conférences et cela pour toute la vie ! ». Pour moi, l’un des problèmes est le suivant : la préparation au mariage.
Ensuite, cette question est profondément liée au fait social. Je me souviens avoir téléphoné — ici en Italie, l’année dernière — avoir téléphoné à un jeune homme que j’avais connu quelques temps auparavant à Ciampino et qui se mariait. Je l’ai appelé et je lui ai dit : « Ta mère m’a dit que tu te mariais le mois prochain… Où le feras-tu.. ? — Mais nous ne savons pas, parce que nous sommes en train de chercher l’église adaptée à la robe de ma fiancée… Et ensuite nous devons faire beaucoup de choses : les dragées, chercher un restaurant qui ne soit pas loin…». Voilà les préoccupations ! Un fait social. Comment changer cela ? Je ne sais pas. Un fait social à Buenos Aires : j’ai interdit de célébrer des mariages religieux, à Buenos Aires, dans les cas que nous appelons « matrimonios de apuro », mariages « en hâte » [réparateurs], quand un bébé est attendu. A présent, les choses sont en train de changer, mais il existe cela : socialement, tout doit être en règle, le bébé arrive, nous célébrons le mariage. J’ai interdit de le faire, car ils ne sont pas libres, ils ne sont pas libres ! Peut-être s’aiment-ils. Et j’ai vu de beaux cas, où ensuite, après deux-trois ans, ils se sont mariés, et je les ai vus entrer dans l’église, le papa, la maman et l’enfant qu’elle tenait par la main. Mais ils savaient bien ce qu’ils faisaient.
La crise du mariage existe parce qu’on ne sait pas ce qu’est le sacrement: on ne sait pas qu’il est indissoluble, on ne sait pas que c’est pour toute la vie. C’est difficile. Voilà une autre de mes expériences à Buenos Aires : quand les curés faisaient les cours de préparation au mariage, il y avait toujours 12-13 couples, pas plus, on n’arrivait pas à 30 personnes. La première question qui était posée était : « Combien d’entre vous vivent ensemble ? ». La majorité levait la main. Ils préfèrent vivre ensemble, et cela est un défi, demande du travail. Il ne faut pas dire tout de suite : « Pourquoi est-ce que tu ne te maries pas à l’église ? Non. Les accompagner : attendre et faire mûrir. Et faire mûrir la fidélité. Dans la campagne argentine, dans la zone du nord-est, il y a une superstition : les fiancés qui ont un enfant se mettent en concubinage. A la campagne, c’est ce qui arrive. Ensuite, quand l’enfant doit aller à l’école, ils font un mariage civil. Et ensuite, quand ils sont grand-parents, ils célèbrent le mariage religieux. C’est une superstition, car ils disent que célébrer tout de suite le mariage religieux fait peur au mari ! Nous devons lutter également contre cette superstition. Pourtant, je dois dire que j’ai vraiment vu une grande fidélité dans ces concubinages, une grande fidélité; et je suis certain que c’est un véritable mariage, ils ont la grâce du mariage, précisément en raison de la fidélité qu’ils vivent. Mais il y a des superstitions locales. La pastorale du mariage est la plus difficile.
Et ensuite, la paix dans la famille. Pas seulement quand les époux discutent entre eux, même si le conseil est toujours de ne pas finir la journée sans faire la paix, car la guerre froide du lendemain est pire. C’est pire, oui, c’est pire. Mais quand les parents, les beaux-parents s’en mêlent, car ce n’est pas facile de devenir beau-père ou belle-mère… ce n’est pas facile. J’ai entendu une belle chose, qui plaira aux femmes: quand une femme voit lors de l’échographie qu’elle est enceinte d’un petit garçon, à partir de ce moment elle commence à étudier pour devenir belle-mère !
Je reprends sérieusement : on doit faire la préparation au mariage de près, sans s’effrayer, lentement. C’est souvent un chemin de conversion. Il y a des jeunes garçons et des jeunes filles qui ont une pureté et un amour grands et qui savent ce qu’ils font. Mais ils sont peu nombreux. La culture d’aujourd’hui nous présente ces jeunes, ils sont bons et nous devons nous en approcher et les accompagner, les accompagner, jusqu’au moment de la maturité. Et, à ce moment-là, qu’ils reçoivent le sacrement, mais dans la joie, dans la joie ! Il faut tant de patience, tant de patience. C’est la même patience qu’il faut pour la pastorale des vocations. Ecouter les mêmes choses, écouter : l’apostolat de l’oreille, écouter, accompagner… Il ne faut pas avoir peur, s’il vous plaît, ne pas avoir peur. Je ne sais pas si j’ai répondu, mais je te parle de mon expérience, de ce que j’ai vécu comme curé.
[A la fin, après le chant du Salve Regina]
Merci beaucoup et priez pour moi.