Le pape a en effet adressé, en date du 16 octobre, un long message au maire de Turin (Italie), Piero Fassino, à l’occasion du Forum mondial du Développement économique local organisé du 13 au 16 octobre.
Le pape y rappelle notamment le respect de la justice et de l’auto-détermination comme fondements de toute action politique ou toute décision économique : « L’action politique et économique est une activité qui demande de la prudence, guidée par un concept de justice qui ne doit jamais mourir, et ne saurait faire oublier qu’avant tout plan ou programme, il y a de vrais hommes et de vraies femmes qui, comme leurs gouvernants, vivent, luttent et souffrent, et que ceux-ci doivent être les premiers acteurs de leur destin. »
Il rappelle les objectifs qu’il a indiqués à l’ONU en septembre dernier : « un toit, un emploi digne et correctement rémunéré, une alimentation adéquate et l’eau potable ; la liberté religieuse et plus généralement, la liberté de penser et d’éduquer ».
Pour atteindre ces objectifs « vraiment, et de manière permanente », le pape recommande de « travailler au niveau local ».
Message du pape François :
Veuillez recevoir, Monsieur le maire, et vous les autorités ainsi que tous les participants au IIIe Forum mondial de Développement local, organisé à Turin du 13 au 16 octobre, mes plus sincères salutations.
Ce forum, à très juste titre, entend réfléchir et discuter des potentialités du développement économique local, comme moteur d’une vision différente de l’économie, du développement, des rapports avec la terre et entre les personnes. Que Dieu apporte lumière et inspirations à cette rencontre, très importante pour promouvoir et mettre en œuvre l’Agenda 2030, pour l’inclusion, la défense de l’environnement et un développement humain intégral.
Pour vous aider dans vos efforts, je tiens à rappeler certaines idées que j’ai développées récemment à l’Assemblée des Nations unies concernant les Objectifs d’un Développement durable, qui sont source d’espérance pour l’humanité, à condition de les promouvoir de manière adéquate. La mise en œuvre effective de l’Agenda 2030 est urgente et indispensable. Les décisions adoptées par la communauté internationale sont importantes, mais s’accompagnent toujours de la tentation de tomber dans un nominalisme déclamatoire qui a pour effet d’anesthésier les consciences.
Par ailleurs, la multiplicité et la complexité des problèmes exigent l’utilisation d’instruments techniques de mesure qui présentent un double danger : celui de se limiter à un travail bureaucratique consistant à ne rédiger qu’une longue liste de bonnes intentions – objectifs et statistiques – ou de croire qu’une seule solution théorique peut répondre à tous les défis.
L’action politique et économique est une activité qui demande de la prudence, guidée par un concept de justice qui ne doit jamais mourir, et ne saurait faire oublier qu’avant tout plan ou programme, il y a de vrais hommes et de vraies femmes qui, comme leurs gouvernants, vivent, luttent et souffrent, et que ceux-ci doivent être les premiers acteurs de leur destin. Le développement humain intégral et le plein exercice de la dignité humaine ne peuvent être imposés. Il revient à chacun, à chaque famille, de les réaliser, en communion avec les autres êtres humains et dans une juste relation avec les secteurs où la société humaine est active – amis, communautés, villages et communes, écoles, entreprises et syndicats, provinces, nations. Sous cet angle, le développement économique local apparaît la réponse la plus adéquate pour répondre aux défis que nous présente une économie mondialisée et souvent cruelle dans ses résultats.
Ce IIIe Forum, à juste titre, entend présenter des stratégies concrètes relatives à l’environnement local dans les processus mondiaux de développement, en discuter et focaliser le potentiel de telles stratégies, comme ressources essentielles à tous les niveaux, y compris régional, national et international.
J’ai signalé à l’ONU que la mesure et l’indicateur le plus simple et le mieux adapté pour répondre au nouvel Agenda pour le développement sera l’accès effectif, concret et immédiat, pour tous, aux biens matériels et spirituels indispensables : un toit, un emploi digne et correctement rémunéré, une alimentation adéquate et l’eau potable ; la liberté religieuse et plus généralement, la liberté de penser et d’éduquer. J’ajouterais que la seule façon d’atteindre vraiment, et de manière permanente, ces objectifs, est de travailler au niveau local.
Lors de mes rencontres avec les mouvements populaires et les coopératives italiennes, j’ai rappelé et développé ces idées, que l’on peut résumer en deux axiomes : « le petit est beau », « le petit est efficace ». Les récurrentes crises mondiales ont montré que les décisions économiques qui, en général, cherchent à promouvoir le progrès de tous en générant de nouveaux biens de consommation et en augmentant le profit, ne sont pas des décisions durables pour le bon développement de l’économie mondiale.
Ajoutons aussi qu’à partir du moment où toute demande sur ce qui est juste et qui sert vraiment au bien commun est écartée, on peut dire que celles-ci sont « immorales ». Les discussions politiques et économiques publiques et privées doivent au contraire s’interroger sur comment il est possible d’intégrer les critères éthiques aux systèmes et aux décisions. L’accent mis sur le local, comme le veulent les Forums de développement local, semble être une des voies maîtresses pour un vrai discernement éthique et pour la création d’économies et d’entreprises vraiment libres : libres des idéologies, libres des manipulations politiques, mais surtout libres de la loi du profit à tout prix et de la perpétuelle extension des affaires, pour être vraiment au service de tous et réintégrer les exclus dans la vie sociale.
La pensée sociale chrétienne, en Italie, grâce à des personnalités comme Giuseppe Toniolo, Don Sturzo et d’autres, en suivant les pistes énoncées par le pape Léon XIII dans l’encyclique Rerum novarum, a su offrir une analyse économique qui, en partant donc de l’environnement local et territorial, propose des options et des directions pour l’économie mondiale. Une bonne partie de la pensée sociale laïque, en partant de principes différents, arriva à des propositions similaires. Cette vision d’une économie qui va du local au monde est étudiée par beaucoup d’experts dans d’autres pays. Je me limite ici à citer Ernst Friedrich Schumacher et son célèbre Small is beautiful.
Monsieur le maire, j’espère que ces brèves réflexions vous seront utiles pour faire avancer le débat et pour les futures activités du Forum, afin de renforcer le développement local mais surtout inspirer la réforme des grands modèles généraux. Je vous renouvelle donc mes vœux d’une heureuse issue de votre rencontre, et demande à Dieu sa bénédiction pour vous, ainsi que pour les autres autorités et les participants au Forum, pour leurs familles et leurs activités.