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| Sujet: Ce que le Pape a dit dans l'avion du retour d'Amérique Latine Mar 14 Juil 2015 - 13:29 | |
| Dimanche 12 juillet 2015 :
Conversation du Pape avec les journalistes au cours du voyage de retour d'Asunción à Rome
Le Pape a répondu aux trois premières questions en espagnol et aux suivantes en italien.
Question : (Aníbal Veláquez – ABC Color) : Sainteté, je suis Aníbal Velázquez, du Paraguay. Nous vous remercions parce que vous avez déclaré le Sanctuaire de Caacupé Basilique, mais au Paraguay les gens se demandent : pourquoi le Paraguay n’a pas de Cardinal ? Quel est le péché du Paraguay pour qu’il n’ait pas un Cardinal ? Ou bien en tout cas, il n’aura pas un Cardinal de si tôt ?
Réponse : Bien ! Ne pas avoir de cardinal n’est pas un péché. La majeure partie des pays du monde n’a pas de cardinaux. Les nationalités des cardinaux – je ne me rappelle plus le nombre – sont une minorité par rapport à l’ensemble. C’est vrai, le Paraguay n’a eu aucun cardinal jusqu’à présent. Je ne saurais vous en donner la raison. Parfois pour l’élection des cardinaux, on examine, on lit, on étudie le dossier de chacun, on voit la personne, le charisme surtout du cardinal, qui devrait être celui de conseiller le Pape et de l’assister dans le gouvernement de l’Eglise universelle. Même s’il appartient à une Eglise particulière, le cardinal est – d’où le terme – incardiné dans l’Eglise de Rome, et il doit avoir une vision universelle. Cela ne veut pas dire qu’au Paraguay il n’y a pas d’Evêques qui aient une telle vision ou puissent l’avoir, mais comme toujours il faut élire jusqu’à un certain nombre – on ne peut pas désigner plus de 120 cardinaux électeurs-, donc, ce doit être pour cette raison. La Bolivie en a eu deux. L’Uruguay en a eu deux, Barbieri et l’actuel. Certains pays centraméricains n’en ont pas eu non plus, mais ce n’est pas un péché et tout dépend des circonstances, des personnes, du charisme pour être incardiné. Et cela ne signifie pas un mépris ou que les évêques paraguayens n’aient pas de valeur. Il y a des évêques paraguayens de grand génie. Je me souviens des deux Bogarín, qui ont marqué l’histoire au Paraguay. Pourquoi n’ont-ils pas été cardinaux ? Bien, ils ne l’ont pas été. Ce n’est pas une ascension, n’est-ce pas ? Moi, je me pose une autre question : est-ce que le Paraguay mérite d’avoir un cardinal, si nous considérons l’Eglise du Paraguay ? Je dirais : il mériterait d’en avoir deux ; mais c’est pour une autre raison, cela n’a rien à voir avec les mérites. C’est une Eglise vivante, une Eglise joyeuse, une Eglise qui lutte et qui a une histoire glorieuse.
Question : (Priscila Quiroga – Cadena A, et Cecilia Dorado Nava – El Deber, de Bolivie).
Sainteté, s’il vous plaît, cela nous intéresse de savoir, selon vous, si vous considérez juste le désir des boliviens d’avoir un accès souverain à la mer, d’avoir de nouveau un accès souverain à l’océan pacifique. Et Saint-Père, au cas où le Chili et la Bolivie solliciteraient votre médiation, accepteriez-vous ?
Réponse : En ce qui concerne la médiation, c’est une chose très délicate, et ce serait comme le dernier pas. C’est-à-dire, l’Argentine a vécu la même chose avec le Chili, et ça a été réellement pour éviter une guerre. Ce fut une situation très limite et très bien conduite par ceux que le Saint-Siège a chargés – derrière lesquels il y avait toujours saint Jean-Paul II qui s’y intéressait – et avec la bonne volonté des deux pays qui ont dit ‘‘voyons si ceci marche’’. Et, c’est curieux, il y a eu un groupe, au moins en Argentine, qui n’a jamais voulu de cette médiation, et lorsque le Président Alfonsín a organisé un referendum - pour savoir si on acceptait la proposition de médiation – évidemment, la majorité du pays a dit oui, mais il y a eu un groupe qui a résisté. Toujours, quand on fait la médiation, tout le pays est difficilement d’accord, mais c’est la dernière instance ; il y a toujours d’autres figures diplomatiques qui aident, dans ce cas, comme facilitateurs, etc.
En ce moment, je dois être très circonspect là-dessus, parce que la Bolivie a fait un recours à un tribunal international. Donc, en ce moment, si moi je fais un commentaire – je suis Chef d’un Etat – cela pourrait être interprété comme m’immiscer ou comme une pression. Je dois beaucoup respecter la décision qu’a prise le peuple bolivien qui a présenté ce recours. Je sais aussi qu’il y a eu des tentatives par le passé pour dialoguer. Je n’ai pas beaucoup d’informations à ce sujet. Celui qui m’a dit une chose du genre, qu’on était proche d’une solution, ce fut au temps du Président chilien Lagos, mais je le dis sans avoir de données exactes. Ça a été un commentaire qui m’a été fait par le Cardinal Errázuriz. Donc, je ne voudrais pas dire une ‘‘bêtise’’ là-dessus.
Une troisième chose que je voudrais aussi clarifier. A la cathédrale de Bolivie, j’ai abordé ce thème sans forcer le trait, en tenant compte de la situation de recours au Tribunal International [de la Haye]. Je me souviens parfaitement du contexte : ‘‘Les frères doivent dialoguer, les peuples latino-américains dialoguent pour créer la grande patrie, le dialogue est nécessaire’’. A ce niveau, je m’étais arrêté, j’ai fait silence, et j’ai dit : ‘‘Je pense à la mer’’. Et j’ai continué : ‘‘dialogue et dialogue’’. Je veux préciser que mon intervention a été une allusion à ce problème, mais en respectant la situation comme elle se présente maintenant. Devant un tribunal international, on ne peut parler de médiation, ni de facilitation, il faut attendre.
Question reprécisée : Est-ce juste ou non l’aspiration des boliviens ?
Réponse : Il y a toujours une base de justice quand il se produit un changement de limites territoriales et, surtout, après une guerre. Il y a une révision continue de cela. Je dirais qu’il n’est pas injuste de prendre en considération une chose de ce genre, cette aspiration. Je me souviens qu’en 1961, étant en première année de philosophie, on nous a fait voir un documentaire sur la Bolivie – un prêtre qui était venu de la Bolivie -, et je crois que le documentaire était intitulé ‘‘Les douze étoiles’’. La Bolivie a combien de provinces ? [On répond au Pape que les départements boliviens sont au nombre de 9]. Donc le documentaire était intitulé ‘‘Les 10 étoiles’’. Et il présentait chacun des 9 départements, et, à la fin, le dixième département ; on voyait la mer sans aucun commentaire. Cela m’est resté gravé. C’était en 1961. C’est-à-dire qu’on voit qu’il y a une aspiration. Evidemment, après une guerre de ce genre, surgissent des pertes et je crois qu’en tout premier lieu le dialogue et la saine négociation sont importants. A présent, le dialogue est arrêté évidemment, à cause du recours à la Haye.
Question : (Fredy Paredes - Teleamazonas, Ecuador). Sainteté, bonsoir, merci beaucoup. L’Equateur était en pleine convulsion avant votre visite. Après votre départ, les personnes qui s’opposent au Gouvernement sont retournées dans la rue. Il semble qu’on veut instrumentaliser politiquement votre présence en Equateur, spécialement à cause de la phrase que vous avez prononcée : ‘‘Le peuple équatorien s’est mis debout avec dignité’’. Moi, je vous demande, de manière ponctuelle, si c’est possible : A quoi se réfère cette phrase ? Sympathisez-vous avec le projet politique du Président Correa ? Croyez-vous que les recommandations générales que vous avez données au cours de votre visite en Equateur, visant à atteindre le développement, le dialogue, la construction de la démocratie, et à mettre fin à la politique du rejet, comme vous l’avez dénommé, sont déjà mises en application en Equateur ?
Réponse : Évidemment, je sais qu’il y avait des problèmes politiques et des grèves, ça je le sais. Je ne connais pas les tenants et les aboutissants de la politique de l’Equateur et ce serait idiot de ma part de donner une opinion. Après, on m’a dit qu’il y a eu comme une parenthèse durant ma visite, ce dont je remercie, parce que c’est le geste d’un peuple debout, que de respecter la visite du Pape. Je remercie pour cela et je le valorise. Maintenant, si les choses retournent [comme avant], évidemment, les problèmes et les discussions politiques se poursuivent. Par rapport à la phrase que vous mentionnez, je me réfère à la croissante conscience que le peuple équatorien a progressivement prise de sa propre valeur. Il y a eu une guerre frontalière avec le Pérou il n’y a pas longtemps. Il y a des histoires de guerre. Après, [il y a] une conscience croissante de la variété de richesse ethnique de l’Equateur. Et cela donne de la dignité. L’Equateur n’est pas un pays de rejet. C’est-à-dire que ça se réfère à tout le peuple et à toute la dignité de ce peuple qui, après la guerre de frontière, s’est mis debout et a pris toujours davantage conscience de sa dignité et de la richesse de l’unité dans la diversité qu’il possède. C’est-à-dire que [la phrase en question] ne peut pas être attribuée à une situation concrète. Car cette même phrase – c’est ce qu’on m’a dit, je n’ai pas vu – a été instrumentalisée pour expliquer les deux situations : que le Gouvernement a mis debout l’Equateur ou que se sont mis debout les opposants au Gouvernement. On peut instrumentaliser une phrase et en cela je crois qu’il faut être très prudent. Et je vous remercie pour la question, parce que c’est une manière d’être prudent. Vous faites acte de prudence.
Si vous me le permettez – cela comme vous ne me l’avez pas demandé, ce sont cinq minutes que je vous concède, si vous en avez besoin -. L’herméneutique d’un texte est très importante dans votre travail. Un texte ne peut pas être interprété par une phrase. L’herméneutique doit [prendre en compte] tout le contexte. Il y a des phrases qui sont vraiment la clef de l’herméneutique et il y a des phrases qui ne le sont pas, qui sont dites en passant ou qui sont des figures de style. Donc, [il faut] voir tout le contexte, voir la situation, voir l’histoire. Voir l’histoire de ce moment ou si nous parlons du passé, interpréter un fait du passé avec l’herméneutique de l’époque. Par exemple, les croisades : interprétons les croisades avec l’herméneutique de l’époque. C’est capital d’interpréter un discours, n’importe quel texte, avec une herméneutique globale, et non isolée. Je le dis comme une aide pour vous. Merci beaucoup. Maintenant, passons au guaraní.
Question (Stefania Falasca - Avvenire) : Dans le discours que vous avez fait en Bolivie aux mouvements populaires, vous avez parlé du nouveau colonialisme et vous avez parlé d’idolâtrie de l’argent qui soumet l’économie, et de l’imposition des mesures d’austérité qui ‘‘serrent toujours’’, comme vous avez dit, ‘‘la ceinture des pauvres’’. A présent, depuis des semaines, nous en Europe, nous avons ce cas de la Grèce et du sort de la Grèce qui risque de sortir de la monnaie européenne. Vous, que pensez-vous de ce qui arrive en Grèce et qui concerne aussi toute l’Europe ?
Réponse : Avant tout, la raison de mon intervention au colloque des mouvements populaire. C’est le second [colloque]. Le premier s’est tenu au Vatican, dans l’ancienne salle du Synode, il y avait environ 120 personnes… Il a été organisé par [le Conseil Pontifical] Justice et Paix. Je suis proche de cette réalité, parce que c’est un phénomène présent dans le monde entier, dans le monde entier. Egalement en Orient, aux Philippines, en Inde, en Thaïlande. Ce sont des mouvements qui s’organisent entre eux, non seulement pour protester, mais pour aller de l’avant et pouvoir vivre. Ce sont des mouvements qui ont de la force, et ces gens, qui sont très nombreux, ne se sentent pas représentés par les syndicats, parce qu’ils disent que les syndicats sont maintenant une corporation, ils ne luttent pas – je simplifie un peu – pour les droit des plus pauvres. Et l’Eglise ne peut être indifférente. L’Eglise a une doctrine sociale et dialogue avec ce mouvement, et elle dialogue bien. Vous avez vu, vous avez vu l’enthousiasme de sentir que l’Eglise – disent-ils – n’est pas loin de nous, que l’Eglise a une doctrine qui nous aide à lutter pour cela. C’est un dialogue. Ce n’est que l’Eglise fasse le choix du chemin de l’anarchie. Non, nous ne sommes pas des anarchistes : ceux-ci travaillent, ils cherchent à faire beaucoup de choses y compris avec les marginalisés, les choses qui font avancer : ils travaillent vraiment… C’est le premier point, l’importance de ce [mouvement].
Ensuite, concernant la Grèce et le système international : je suis très allergique à l’économie, parce que mon père était comptable et quand il ne terminait pas le travail au bureau, il l’apportait à la maison, le samedi et le dimanche, avec ces livres, de cette époque-là, où les titres étaient en lettres gothiques… et il travaillait, et moi, je voyais papa… et j’ai une allergie. Je ne comprends pas bien la situation [la question de la Grèce], mais certainement il serait simple de dire : la faute est seulement de ce côté. [Cependant] les gouvernants grecs qui ont conduit à cette situation de dette internationale ont aussi une responsabilité. Avec le nouveau gouvernement grec, on est allé vers une révision un peu [plus] juste. Je souhaite – et c’est l’unique chose que je peux te dire, parce que je ne connais pas bien [la situation] – qu’ils trouvent une voie pour résoudre le problème grec et aussi un chemin de surveillance pour que la situation ne se reproduise pas dans d’autres pays ; et que cela nous aide à aller de l’avant, parce que ce chemin de prêt et de dettes en fin de compte ne s’arrête jamais. On m’a dit, il y a plus ou moins un an, mais je n’en suis pas sûr, c’est une chose que j’ai entendue, qu’il y aurait un projet aux Nations Unies – si quelqu’un parmi vous le savait, ce serait bien qu’il l’explique – qu’il y aurait un projet selon lequel un pays peut se déclarer en faillite – ce qui n’est pas la même chose que le default – mais c’est un projet dont j’ai entendu parler et je ne sais pas la suite, je ne sais pas si c’est vrai ou non. Si une entreprise peut faire une déclaration de faillite, pourquoi un pays ne pourrait-il pas le faire et ainsi on irait au secours [les uns] des autres ? C’était le fondement du projet en question, mais je ne peux pas en dire plus.
Ensuite, en ce qui concerne les nouvelles colonisations, évidemment, toutes, elles touchent les valeurs. La colonisation du consumérisme par exemple. L’habitude du consumérisme est un processus de colonisation ; parce qu’elle te porte à une habitude qui n’est pas la tienne et déséquilibre aussi ta personnalité. Le consumérisme déséquilibre également l’économie interne et la justice sociale, ainsi que le santé physique et mentale, juste pour donner un exemple.
Question (Anna Matranga – Cbs News) : l’un des messages forts de ce voyage a été que le système global impose souvent la mentalité du profit à n’importe quel prix, au détriment des pauvres. Cela est perçu aux Etats-Unis comme une critique directe de leur système et de leur manière de vivre. Comment répondez-vous à cette perception ? Et quelle est votre évaluation de l’impact des Etats-Unis dans le monde ?
Réponse : Ce que j’ai dit - cette phrase - n’est pas nouveau. Je l’ai dit dans Evangelii gaudium : ‘‘cette économie tue’’ (n. 53). Cette phrase, je m’en rappelle bien ; elle est dans un contexte. Et je l’ai dite dans Laudato si’. La critique n’est pas une chose nouvelle, on le sait. J’ai entendu que certaines critiques ont été faites aux Etats-Unis. Je l’ai entendu. Mais je ne les ai pas lues et je n’ai pas eu le temps de bien les étudier, parce que chaque critique doit être reçue et étudiée pour qu’on dialogue ensuite. Vous me demanderez ce que je pense, mais si moi je n’ai pas dialogué avec ceux qui font la critique, je n’ai pas le droit d’exprimer une telle pensée, sans dialogue. C’est ce que j’ai envie de vous dire.
Question (suite) : Maintenant, vous irez aux Etats-Unis, avez-vous une idée de la façon dont vous serez reçu, avez-vous une pensée sur la nation… ?
Réponse : Non, je dois commencer à étudier maintenant, parce que jusqu’aujourd’hui j’ai étudié ces trois pays très beaux, qui sont une richesse et une merveille. A présent, je dois commencer à étudier Cuba, parce que j’y séjournerai durant deux jours et demi, et puis les Etats-Unis, les trois villes à l’Est, parce que je ne peux pas me rendre à l’Ouest : il y a Washington, New York et Philadelphie. Oui, je dois commencer à étudier ces critiques et puis dialoguer un peu.
Question (Aura Vistas Miguel) : Sainteté, qu’avez-vous éprouvé quand vous avez vu cette faucille et ce marteau avec le Christ dessus, offert par le Président Morales ? Et où est passé cet objet ?
Réponse : C’est curieux, je n’étais pas au courant de cela, et je ne savais pas non plus que le père Espinal était sculpteur et poète. Je l’ai appris ces jours-ci. Je l’ai vu, et pour moi ça a été une surprise. Deuxièmement, on peut qualifier cela comme un genre d’art protestataire. Par exemple, il y a quelques années à Buenos Aires, une exposition d’un bon sculpteur argentin, créatif, a été réalisée – il est mort à présent – : c’était un art protestataire, et je me souviens d’une œuvre qui était un Christ crucifié sur un bombardier qui descendait. C’était une critique du christianisme lié à l’impérialisme, qui était le bombardier. Premier point, donc, je ne savais pas. Deuxièmement ; je le qualifie d’art protestataire, qui, dans certains cas, peut être offensant, dans certains cas. Troisièmement, dans ce cas concret : le Père Espinal a été tué en 1980. C’était le temps où la théologie de la libération avait beaucoup de courants divers ; l’un d’eux faisait une analyse marxiste de la réalité, et le Père Espinal en faisait partie. Cela, oui, je le savais, parce qu’à ce moment-là j’étais Recteur de la Faculté de Théologie, et on parlait beaucoup de cela, des différents courants et de ceux qui en étaient les représentants. La même année, le Père Général de la Compagnie de Jésus, le Père Arrupe, a écrit une lettre à toute la Compagnie sur l’analyse marxiste de la réalité dans la théologie, arrêtant un peu ça, en disant, non, ça ne va pas, ce sont des choses différentes, ça ne va pas, ce n’est pas exact. Et quatre ans plus tard, en 1984, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi publie le premier petit livret, la première déclaration sur la théologie de la libération, qui critique cela. Ensuite vient le second, qui ouvre des perspectives plus chrétiennes. Je simplifie. Faisons l’herméneutique de cette époque. Espinal est enthousiaste de cette analyse marxiste de la réalité, mais aussi de la théologie, en utilisant le marxisme. L’œuvre est venue de cela. Les poésies d’Espinal également sont de ce genre protestataire : c’était sa vie, c’était sa pensée, c’était un homme particulier, avec un grand génie humain, et qui luttait de bonne foi. En faisant une herméneutique de ce genre je comprends cette œuvre. Elle n’a pas été une offense pour moi. Mais j’ai dû faire cette herméneutique et je vous en fais part pour qu’il n’y ait pas d’opinions erronées. Maintenant, cet objet je l’emmène avec moi, il vient avec moi. Vous avez peut-être entendu que le Président Morales a voulu me donner deux décorations : l’une est la plus importante de la Bolivie, et l’autre est de l’Ordre du Père Espinal, un Ordre nouveau. Cela étant, je n’ai jamais accepté de décoration, je n’en n’ai pas envie… Mais il l’a fait avec tant de bonne volonté et avec le désir de me faire plaisir. Et j’ai pensé que cela venait du peuple de Bolivie. J’ai prié et j’ai pensé : si j’emmène ces décorations au Vatican elles iront dans un musée et personne ne les verra. Alors j’ai pensé les laisser à la Vierge de Copacabana, la Mère de la Bolivie, et elles iront au sanctuaire de Copacabana, à la Vierge. En revanche, le Christ, je l’emporte avec moi. Merci.
Question (Anaïs Feuga) : Pendant la Messe à Guayaquil vous avez dit que le Synode devrait faire mûrir un vrai discernement pour trouver des solutions concrètes aux difficultés des familles. Et ensuite vous avez demandé aux gens de prier pour que même ce qui nous paraît impur, nous scandalise ou nous épouvante, Dieu puisse le transformer en miracle, avez-vous dit. Pouvez-vous nous préciser à quelles situations « impures » ou « épouvantables » ou scandaleuses » vous vous référiez ?
Réponse : Ici aussi je ferai l’herméneutique du texte. J’étais en train de parler du miracle du bon vin [aux noces de Cana] et j’ai dit que les amphores d’eau étaient pleines, mais qu’elles était destinées à la purification. C'est-à-dire que toute personne qui entrait à cette fête faisait sa purification et laissait ses souillures spirituelles. C’est un rite de purification avant d’entrer dans une maison, ou dans le temple. Un rite que nous avons maintenant dans l’eau bénite : il est resté ceci de ce rite juif. J’ai dit que Jésus fait le meilleur vin avec l’eau des souillures, avec le pire. De manière générale, j’ai pensé faire ce commentaire : la famille est en crise, nous le savons tous, il suffit de lire l’Instrumentum laboris que vous connaissez bien parce qu’il a été présenté, il est là… Je faisais référence à tout ça, en général : que le Seigneur nous purifie de ces crises, de tant de choses qui sont décrites dans cet Instrumentum laboris. C’est une considération générale, je n’ai pas pensé à un point particulier. Qu’il nous rende meilleurs, qu’il rende les familles plus matures, meilleures. La famille est en crise, que le Seigneur nous purifie, et que nous allions de l’avant. Mais les particularités de cette crise sont toutes dans l’Instrumentum laboris du Synode, qui est achevé, et vous l’avez.
Question (Javier Martinez Brocal di Romereports) : Sainteté, merci pour ce dialogue qui nous aide beaucoup personnellement et aussi dans notre travail. Je pose la question aussi au nom de tous les journalistes de langue espagnole. Nous avons vu comment a bien marché la médiation entre Cuba et les Etats-Unis. Pensez-vous qu’il soit possible de faire quelque chose de semblable dans d’autres situations délicates du continent latino-américain ? Je pense au Venezuela et je pense aussi à la Colombie. Ensuite, j’ai une curiosité : je pense à mon père, qui a quelques années de moins que vous, mais qui a seulement la moitié de votre énergie. Nous vous avons vu dans ce voyage, nous vous avons vu ces deux années et demi. Quel est votre secret ?
Réponse : Il voudrait demander : quelle est sa « drogue » …[il rit] c’était ça, la question !
Le processus entre Cuba et les États Unis n’a pas été une médiation. Il n’a pas eu le caractère d’une médiation. C’était un désir qui était venu. De l’autre côté, désir également… Et puis, en vérité, ça a été en janvier de l’année dernière ; puis trois mois sont passés durant lesquels j’ai seulement prié pour ça, je n’avais pas pris de décision… Mais que peut-on faire avec ces deux-là, après plus de cinquante ans qu’ils sont comme ça ? Mais ensuite le Seigneur m’a fait penser à un Cardinal. Il est allé là-bas, il a parlé, et puis je n’ai [plus] rien su. Des mois ont passé et un jour le Secrétaire d’État – qui est ici – m’a dit : « demain nous aurons la deuxième réunion avec les deux équipes » – « comment ? » – « oui, ils se parlent, entre les deux groupes ils se parlent et ils sont en train de faire…». C’est allé tout seul, ça n’a pas été une médiation, ça a été la bonne volonté de deux pays ; le mérite leur revient, ce sont eux qui ont fait ça. Nous, nous n’avons presque rien fait, seulement de petites choses ; et ça a été annoncé mi-décembre. C’est ça l’histoire, vraiment, rien de plus. Je suis soucieux en ce moment que le processus de paix en Colombie ne s’arrête pas. Ça, je dois le dire, je souhaite que ce processus continue, et dans ce sens nous sommes toujours disposés à aider, de tant de manières. Mais ce serait une mauvaise chose qu’il ne puisse pas continuer. Au Venezuela la Conférence épiscopale travaille pour faire un peu de paix, mais là non plus il n’y a aucune médiation. Dans le cas des États-Unis [et de Cuba] c’est le Seigneur, et deux circonstances fortuites, et ensuite c’est allé tout seul. Pour la Colombie je souhaite et je prie, et nous devons prier pour que ce processus ne s’arrête pas. C’est un processus qui dure depuis plus de cinquante ans là aussi, et que de morts ! J’ai entendu qu’ils sont des millions ! Sur le Venezuela je n’ai rien de plus à te dire.
…Ah, la ‘‘drogue’’. Le mate m’aide, mais je n’ai pas essayé la coca. Ça, c’est clair !
Question (Ludwig Ring-Eifel – Kna) : Saint-Père, nous avons entendu dans ce voyage beaucoup de messages forts pour les pauvres, et aussi beaucoup de messages forts, parfois sévères, pour les riches et les puissants, mais une chose que nous avons très peu entendue, c’était des messages pour la classe moyenne, c'est-à-dire les gens qui travaillent, les gens qui payent les impôts, les gens normaux, en somme. Ma question est : pourquoi dans l’enseignement du Saint-Père il y a si peu de messages pour cette classe moyenne ? Et s’il y avait un tel message, quel serait-il ?
Réponse : Merci beaucoup, c’est une belle correction, merci ! Vous avez raison, c’est une erreur de ma part. Je dois réfléchir à cela. Je ferai quelques commentaires, mais pas pour me justifier. Vous avez raison, je dois y penser un peu. Le monde est polarisé. La classe moyenne devient plus petite. La polarisation entre riches et pauvres est grande, c’est vrai, et ça m’a peut-être conduit à ne pas la prendre en compte. Je parle du monde ; certains pays non, ils vont très bien. Mais dans le monde en général la polarisation se voit, et le nombre des pauvres est grand. Et puis, pourquoi je parle des pauvres ? Mais parce que c’est le cœur de l’Évangile, et je parle toujours de la pauvreté à partir de l’Évangile, bien qu’elle soit [une réalité] sociologique. Ensuite, sur la classe moyenne il y a quelques paroles que j’ai dites, mais un peu ‘‘en passant’’. Mais les gens simples, les gens ordinaires, l’ouvrier… c’est une grande valeur. Cependant je crois que vous me dites une chose que je dois faire, je dois approfondir davantage l’enseignement là-dessus. Je vous remercie. Je vous remercie pour l’aide. Merci.
Question (Vania De Luca – Rainews 24) : Vous avez insisté ces jours-ci sur la nécessité des parcours d’intégration, d’inclusion sociale, contre la mentalité du rejet. Vous avez défendu aussi les projets qui vont dans cette direction du ‘‘vivre bien’’. Même si vous nous avez déjà dit que vous devez encore penser à votre voyage aux Etats-Unis, pensez-vous aborder ces questions à l’ONU, à la maison Blanche ? Pensiez-vous à ce voyage quand vous avez parlé de ces problématiques ?
Réponse : Non, je pensais seulement à ce voyage concret et au monde en général. En ce moment la dette des pays du monde est terrible. Tous les pays ont des dettes, et il y a un pays ou deux qui ont acheté les dettes des grands pays. C’est un problème mondial. Mais à ce propos je n’ai pas pensé particulièrement au voyage aux Etats-Unis.
Question (Courtney Walsh – Fox News) : Sainteté, nous avons parlé un peu de Cuba, où vous vous rendrez en septembre avant d’aller aux Etats-Unis, et du rôle que le Vatican a joué dans leur rapprochement. Maintenant que Cuba va avoir un rôle plus important dans la communauté internationale, la Havane devrait-elle, selon vous, améliorer sa réputation concernant le respect des droits humains y compris la liberté religieuse ? Et croyez-vous que Cuba risque de perdre quelque chose dans ce nouveau rapport avec le pays le plus puissant du monde ?
Réponse : Les droits humains sont pour tous, et ce n’est pas seulement dans deux ou trois pays qu’on ne les respecte pas. Moi, je dirais que dans beaucoup de pays du monde les droits humains ne sont pas respectés, dans beaucoup de pays du monde ! Et que perd Cuba et que perdent les Etats-Unis ? Tous deux gagneront quelque chose et perdront quelque chose, parce que c’est ainsi dans une négociation. Mais ce qu’ils gagneront tous deux c’est la paix. Cela est sûr. La rencontre, l’amitié, la collaboration : ça c’est le gain. Ce qu’ils perdront, je n’arrive pas à le concevoir, ce seront des choses concrètes, mais toujours dans une négociation on gagne et on perd. Revenant sur les droits humains et sur la liberté religieuse, mais pensez : dans le monde il y a des pays, également certains pays européens, qui ne te laissent pas faire un signe religieux, pour diverses raisons. Et la même choses sur d’autres continents. Oui, c’est ainsi. La liberté religieuse n’est pas respectée partout le monde, il y a beaucoup de pays où elle n’est pas respectée.
Question (Bénédicte Lutaud) : Sainteté, vous vous posez comme nouveau leader mondial des politiques alternatives ; je voudrais savoir pourquoi vous insistez beaucoup sur les mouvements populaires et moins sur le monde de l’entreprise, et je voudrais savoir si vous pensez que l’Église vous suivra dans votre main tendue vers les mouvements populaires qui sont très laïcisés.
Réponse : Merci ! Le monde des mouvements populaires est une réalité ; c’est une réalité très grande, partout dans le monde. Qu’est-ce que j’ai fait ? Ce que j’ai fait c’est de leur donner la doctrine sociale de l’Église, la même chose que je fais avec le monde de l’entreprise. Il y a une doctrine sociale de l’Église. Si vous lisez ce que j’ai dit aux mouvements populaires, qui est un discours assez long, c’est un résumé de la doctrine sociale de l’Église, mais appliquée à leur situation. Mais c’est la doctrine sociale de l’Église. Tout ce que j’ai dit est la doctrine sociale de l’Église, et quand je dois parler au monde de l’entreprise, je dis la même chose, c'est-à-dire ce que dit la doctrine sociale de l’Église du monde de l’entreprise. Par exemple, dans Laudato si’ il y a une partie sur le bien commun et sur la dette sociale de la propriété privée qui va dans ce sens ; mais c’est appliquer la doctrine sociale de l’Église.
Question (suite) : Pensez-vous que l’Église vous suivra dans cette main tendue ?
Réponse : C’est moi ici qui suis [suivre] l’Église, j’annonce simplement la doctrine sociale de l’Église à ce mouvement. Ce n’est pas une main tendue à un ennemi, ce n’est pas un fait politique, non. C’est un fait catéchétique. Je veux que cela soit clair. Merci.
Question (Cristina Cabrejas) : Saint Père, n’avez-vous pas un peu peur que vous et vos discours soyez instrumentalisés par les gouvernants, par les groupes de pouvoir, par les mouvements ? Merci.
Réponse : Je répète un peu ce que j’ai dit au début. Toute parole, toute phrase d’un discours peut être instrumentalisée. C’est ce que me demandait le journaliste équatorien. Exactement la même phrase, certains disaient qu’elle était en faveur du gouvernement et les autres disaient qu’elle était contre le gouvernement. C’est pourquoi je me suis permis de parler de l’herméneutique totale. Elles sont toujours instrumentalisées. Parfois il y a des informations qui prennent une phrase, et hors du contexte. Oui, je n’ai pas peur, je dis simplement : regardez le contexte ! Si je me trompe, avec un peu de honte je demande pardon, et je vais de l’avant.
Question (suite) : Me permettez-vous une plaisanterie ? Que pensez-vous de toutes ces « autophoto », « selfies », pendant la messe, que font les jeunes, les enfants, les collègues ?...
Réponse : Ce que je pense ? C’est une autre culture. Je me sens arrière-grand-père. Aujourd’hui, au moment de prendre congé, un policier, grand, environ quarante ans, m’a dit : je fais un selfie. Je lui ai dit : mais tu es un adolescent ! Oui, c’est une autre culture, mais je la respecte.
Question (Andrea Tornielli) : Saint-Père, pour résumer, quel message avez-vous voulu donner à l’Église latino-américaine ces jours-ci ? Et quel rôle peut avoir l’Église latino-américaine également comme signe dans le monde ?
Réponse : L’Église latino-américaine a une grande richesse : c’est une Église jeune, et c’est important. Une Église jeune qui a une certaine fraîcheur mais aussi des aspects informels. [Une Eglise] pas très formelle. De plus, elle a une théologie riche de recherches. J’ai voulu donner du courage à cette Église jeune et je crois que cette Église peut nous donner beaucoup. Je dis une chose qui m’a beaucoup touché. Dans les trois pays, tous les trois, il y avait le long des rues les papas et les mamans avec les enfants ; ils faisaient voir les enfants. Jamais je n’ai vu tant d’enfants, tant d’enfants. C’est un peuple – et l’Église est aussi comme ça – qui est une leçon pour nous, pour l’Europe, où la baisse des naissances fait un peu peur, et où les politiques pour aider les familles nombreuses sont peu conséquentes. Je pense à la France qui a une belle politique pour aider les familles nombreuses, et qui est arrivée, je crois, à plus de deux pourcents, alors que d’autres sont proches du zéro, même si tous ne sont pas dans le cas. Je crois qu’en Albanie 45 %, et au Paraguay plus de 70 % de la population a moins de quarante ans. La richesse de ce peuple et de cette Église c’est qu’il s’agit d’une Église vivante. C’est une richesse, une Église de vie. Ça, c’est important. Je crois que nous devons apprendre de cela et nous corriger, parce qu’autrement, s’il n’y a pas d’enfants… C’est ce qui me touche beaucoup dans ce « rejet » : on rejette les enfants, on rejette les personnes âgées, avec le manque de travail on rejette les jeunes. C’est pourquoi les nouveaux peuples, les peuples jeunes, nous donnent plus de force. Pour l’Église, que je dirais une Église jeune – avec beaucoup de problèmes, parce qu’elle en a des problèmes – je crois que c’est le message que je vois : il ne faut pas avoir peur pour cette jeunesse, de cette fraîcheur de l’Église. C’est peut être aussi une Église un peu indisciplinée, mais elle se disciplinera avec le temps, et elle nous donne beaucoup de bien.------------------------------------------------------------ Source : http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/ | |
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