Dans l'avion le ramenant hier de Strasbourg, le Saint-Père a répondu aux questions de journalistes:
Père Lombardi : Nous voilà. Nous sommes déjà de retour de ce voyage, bref, mais intense. Nous sommes impressionnés par les deux discours longs et complexes que vous avez prononcés ; vous avez déjà dit beaucoup de choses. Mais les journalistes ont toujours quelques questions à poser. Nous en avons préparé cinq : voyez si vous voulez répondre aux cinq. Alors, nous avons deux Français — étant donné que nous sommes en France, dans un certain sens — et nous donnons immédiatement la parole à Renaud Bernard qui est de France Télévision.
Renaud Bernard : Votre Sainteté, bonsoir. Je suis heureux de poser cette question au nom des journalistes français. Ce matin, devant le Parlement européen, vous avez prononcé un discours avec des paroles pastorales, mais des paroles qui peuvent être perçues comme des paroles politiques, et qui peuvent se rapprocher, selon moi, d’un sentiment social-démocrate. Je peux donner un bref exemple, lorsque vous dites qu’il faut éviter que la force réelle d’expression des peuples soit éliminée face aux pouvoirs multinationaux. Peut-on dire que vous êtes un Pape social-démocrate ?
Mon cher, cela est très réducteur ! Je ne me sens pas faire partie d’une collection d’insectes : « Voilà un insecte social-démocrate... ». Non, je dirais que non : je ne sais pas si je suis un Pape social-démocrate ou pas. Je n’ose pas me placer de tel ou tel côté. J’ose dire que cela vient de l’Évangile : c’est le message de l’Évangile, assumé par la doctrine sociale de l’Église. Dans cela, concrètement et dans d’autres choses — sociales ou politiques — que j’ai dites, je ne me suis pas détaché de la doctrine sociale de l’Église. La doctrine sociale de l’Église vient de l’Évangile et de la tradition chrétienne. Ce que j’ai dit — l’identité des peuples — est une valeur évangélique, non ? Je l’ai dit dans ce sens. Mais tu m’as fait rire, merci !
Père Lombardi : Merci à vous, Sainteté. Et maintenant, donnons la parole à Jean-Marie Guénois, du « Figaro », lui aussi au nom des Français :
Jean-Marie Guénois : Sainteté, il n’y avait presque personne ce matin dans les rues de Strasbourg. Les gens se disaient déçus. Regrettez-vous de ne pas être allé à la cathédrale de Strasbourg, qui fêtait son millénaire cette année ? Et quand ferez-vous votre premier voyage en France et où ? Peut-être à Lisieux ?
Non, il n’est pas encore en programme, mais il faut certainement aller à Paris, non ? Et puis, il y a une proposition pour aller à Lourdes... Moi, j’ai demandé une ville où aucun Pape n’ait jamais été, pour saluer ses habitants. Mais le programme n’est pas établi. Non, pour Strasbourg, on y avait pensé, mais aller à la cathédrale aurait signifié accomplir déjà une visite en France, et c’était le problème.
Père Lombardi : Quoi qu’il en soit, l’évêque de Strasbourg a dit qu’il avait offert au Pape deux très beaux ouvrages sur la cathédrale, que vous pourrez ainsi étudier et regarder personnellement. Alors maintenant, donnons la parole à Giacomo Galeazzi de « La Stampa », qui représente un peu les journalistes italiens présents sur le vol...
Giacomo Galeazzi : Sainteté, bonsoir. J’ai été frappé dans le discours au Conseil de l’Europe par le concept de transversalité, que vous avez évoqué et, en particulier, vous avez fait référence aux rencontres que vous avez eues avec de jeunes personnalités politiques de divers pays, et vous avez parlé précisément également de la nécessité d’une sorte de pacte entre les générations, d’un accord intergénérationnel, en marge de cette transversalité. Puis, si vous me permettez une curiosité personnelle : est-il vrai que vous avez une dévotion particulière pour saint Joseph ?
Mais oui !
Giacomo Galeazzi : ...Et que vous avez sa statue dans votre chambre ?
Oui ! Chaque fois que j’ai demandé quelque chose à saint Joseph, il me l’a donnée.
Le fait de la « transversalité » est important. j’ai vu dans les dialogues avec les jeunes personnalités politiques, au Vatican, surtout de divers partis et pays, qu’ils parlent avec une musique différente qui tend vers la transversalité : c’est une valeur ! Ils n’ont pas peur de sortir de leur appartenance, sans la nier, mais de sortir pour dialoguer. Et ils sont courageux ! Je crois que nous devons imiter cela ; et également le dialogue entre générations. Sortir pour aller rencontrer des personnes d’autres appartenances et dialoguer : l’Europe a besoin de cela, aujourd’hui.
Père Lombardi : A présent, donnons la parole à Alonso Martínez Javier Maria, qui, si je ne me trompe pas, effectue son premier voyage international. Il représente les Espagnols et nous lui faisons cet honneur de poser une question au Pape.
Javier María Alonso Martínez : Bonsoir Sainteté. C’est une question de la part des journalistes espagnols, qui sont intéressés. Dans votre deuxième discours, celui au Conseil de l’Europe, vous avez parlé des péchés des fils de l’Église. Je voudrais savoir comment vous avez reçu la nouvelle sur cette affaire à Grenade, que vous avez d’une certaine manière portée à la lumière.
Je l’ai reçue, elle m’a été envoyée, je l’ai lue, j’ai appelé la personne et j’ai dit : « Demain, tu vas voir l’évêque » ; et j’ai écrit à l’évêque de se mettre au travail, de mener l’enquête et d’aller de l’avant. Comment l’ai-je reçue ? Avec une grande douleur, avec une très grande douleur. Mais la vérité est la vérité, et nous ne devons pas la cacher.
Père Lombardi : Alors, une dernière question posée par Andreas Englisch, au nom des journalistes des autres groupes linguistiques.
Andreas Englisch : Sainteté, j’ai l’honneur de poser une question au nom du groupe des journalistes internationaux. Vous avez parlé souvent, et à présent dans les discours à Strasbourg, de la menace terroriste et de la menace de l’esclavage : ce sont des comportements typiques également de l’État islamique, qui menace une grande partie de la Méditerranée, qui menacent également Rome et vous aussi, votre personne. Croyez-vous qu’avec ces extrémistes aussi, un dialogue est possible, ou pensez-vous que ce soit une cause perdue ?
Je ne pense jamais que quelque chose est une cause perdue, jamais. Peut-être ne peut-on pas avoir un dialogue, mais il ne faut jamais fermer une porte. C’est difficile, on peut dire « presque impossible », mais la porte est toujours ouverte. Vous avez utilisé deux fois le mot « menace » : c’est vrai, le terrorisme est une réalité qui menace... Mais l’esclavage est une réalité inscrite dans le tissu social d’aujourd’hui, mais depuis longtemps ! Le travail d’esclave, la traite des personnes, le commerce des enfants... C’est un drame ! Ne fermons pas les yeux devant cela ! L’esclavage, aujourd’hui, est une réalité, l’exploitation des personnes... Et puis, il y a la menace de ces terroristes. Mais également une autre menace, et c’est le terrorisme d’État. Lorsque la tension monte, monte, monte et que chaque Etat, seul, sent qu’il a le droit de massacrer les terroristes, et avec les terroristes meurent aussi tant de personnes innocentes. Et c’est une anarchie de haut niveau qui est très dangereuse. Il faut lutter contre le terrorisme, mais je répète ce que j’ai dit lors du voyage précédent: lorsque l’on doit arrêter l’agresseur injuste, il faut le faire avec le consensus international.
Père Lombardi : Alors, il y a une question, la dernière.
Caroline Pigozzi : Sainteté, bonjour. Je voulais savoir lorsque vous voyagez à Strasbourg, vous voyagez, dans votre cœur, comme Successeur de Pierre, comme Évêque de Rome, ou comme archevêque de Buenos Aires...
Caroline est très fine... Je ne sais pas, vraiment, je ne sais pas. Je pense que je voyage avec les trois réalités, parce que je ne me suis jamais posé la question. Vous m’obligez à penser un peu !
Caroline Pigozzi : C’est une question de femme...
Non, mais vraiment... La mémoire est celle de l’archevêque de Buenos Aires, mais il n’existe plus. À présent, je suis Évêque de Rome et Successeur de Pierre, et je crois que je voyage avec cette mémoire, mais avec cette réalité : je voyage avec ces choses. Pour moi, l’Europe, en ce moment, me préoccupe ; il est bon pour aider que j’aille de l’avant, comme Évêque de Rome et comme Successeur de Pierre : là je suis romain.
Merci beaucoup pour votre travail ! Cela a été véritablement une journée intense. Merci, merci beaucoup. N’oubliez pas de prier pour moi. Merci.
Père Lombardi : Merci à vous, Sainteté, d’avoir trouvé le temps d’être avec nous après cette matinée si chargée.
Merci à vous. Bon déjeuner.
Source :
http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2014/november/documents/papa-francesco_20141125_strasburgo-conferenza-stampa.html