En donnant gratuitement, nous imitons Jésus

Dans un message de ce mardi 5 mars 2024,  adressé aux participants d’une rencontre avec les institutions et les organismes d’aide à l’Église d’Amérique latine, organisée à Bogota, en Colombie, par la Commission pontificale pour l’Amérique latine, le Pape François a développé une réflexion sur la gratuité. Il s’agit d’imiter, selon le Saint-Père, la manière dont Jésus se donne pour nous.


Cher Cardinal Robert Prevost,
Président de la Commission Pontificale pour l'Amérique Latine (CAL),
Chers responsables d'institutions et d'organismes d'aide à l'Église en Amérique Latine,

Je suis heureux de m'adresser à vous lors de cette rencontre avec les institutions et les organismes d'aide organisée par cette Commission pontificale. Je voudrais partager ma réflexion sur le thème de la gratuité, que je vois transparaître entre les lignes du programme que Son Éminence a eu la gentillesse de me faire parvenir.

Lorsque nous fournissons des efforts, comme dans le cas de l'aide destinée à l'Église en Amérique latine, il est naturel que nous attendions un résultat. Ne pas l'obtenir pourrait être considéré comme un échec ou du moins nous laisser la sensation d'avoir travaillé en vain. Mais une telle perception semblerait contraire à la gratuité, qui est évangéliquement définie comme donner sans rien attendre en retour (cf. Lc 6,35). Comment concilier ces deux dynamiques ?

Pour approfondir la question, il pourrait être utile de faire un pas en arrière en nous concentrant sur ce que Jésus nous demande et ce que l'Évangile nous dit, en nous demandant, comme le ferait un journaliste : Qui donne ? Que donne-t-il ? Où donne-t-il ? Comment donne-t-il ? Quand donne-t-il ? Pourquoi donne-t-il ? Dans quel but donne-t-il ?

En réponse à la première question - qui donne ? - L'Écriture nous explique que ce que nous donnons n'est rien d'autre que ce que nous avons reçu gratuitement (cf. Mt 10,8 ). Dieu est Celui qui donne et nous ne sommes que les administrateurs des biens reçus, nous ne devons donc pas nous glorifier (cf. 1 Co 7,4), ni exiger une compensation supérieure à notre salaire (cf. 1 Tm 5,18), assumant avec humilité la responsabilité que ce don nous demande (cf. Mt 25,14-30).

Pour la deuxième question - Que nous donne le Seigneur ? - la réponse est simple : Il nous a tout donné. Il nous a donné la vie, la création, l'intelligence et la volonté pour être maîtres de notre destinée, la capacité de nous relier à Lui et à nos frères. De plus, Il s'est donné à nous d'innombrables fois : en nous faisant à son image, capables d'aimer, en nous donnant des preuves de son amour tout au long de l'Histoire du Salut, dans le don du Christ sur la croix, dans sa présence dans le sacrement de l'Eucharistie, dans le don de l'Esprit Saint. Par conséquent, tout ce que nous avons est de Dieu ou est preuve et gage de son amour. Si nous perdons cette conscience en donnant et en recevant, nous dénaturons son essence et la nôtre. D'administrateurs diligents de Dieu (cf. Lc 12,42), nous devenons esclaves de l'argent (cf. Mt 6,24) et, soumis à la peur de manquer (v. 25), nous donnons notre cœur au trésor de la fausse sécurité économique, de l'efficacité administrative, du contrôle, d'une vie sans soubresauts (v. 20).

Un tournant dans notre réflexion est de voir où le Seigneur se donne, car cela nous ouvre la porte à un cheminement concret. Depuis la création, le Seigneur s'est toujours donné à nous, prenant notre boue dans ses mains, notre péché, notre inconstance, restant fidèle malgré les infidélités répétées d'Israël, des disciples, des apôtres, avec son incarnation, sa croix, ses sacrements. Dieu se donne, en un mot, au milieu de son Peuple. Notre don ne peut ignorer cette vérité inéluctable, que nous savons être certaine aussi dans notre histoire personnelle et communautaire. N'évitons donc pas celui qui est aveugle, qui reste à terre sur le bas-côté, qui est couvert de lèpre ou de misère, mais demandons plutôt au Seigneur d'être capables de voir ce qui les empêche d'affronter leurs difficultés (cf. Lc 7,5).

Nous en arrivons donc aux questions : comment et quand le Seigneur se donne-t-il à son Peuple ? C'est très simple : toujours et totalement. Dieu ne pose pas de limites, mille fois nous péchons, mille fois Il nous pardonne. Il attend dans la solitude silencieuse du Tabernacle que nous revenions à Lui, mendiant de notre amour. Dans la sainte Communion, nous ne recevons pas un petit morceau de Jésus, mais Jésus tout entier, corps et sang, âme et divinité. Voilà ce que fait Dieu, allant jusqu'à se faire pauvre pour nous, pour nous enrichir par sa pauvreté (cf. 2 Co 8,9).

Par conséquent, nous pouvons conclure que la gratuité consiste à imiter la manière dont Jésus se donne pour nous, son Peuple, toujours et totalement, malgré notre pauvreté. Et pourquoi ? Par amour. Car, comme le dirait Pascal, l'amour a ses raisons que la raison ne connaît pas, « il prend patience, il supporte tout... ; il n'est pas envieux, il ne fanfaronne pas, il ne se gonfle pas d'orgueil ; il ne fait rien de malséant, il ne cherche pas son propre intérêt, il ne s'emporte pas, il n'entretient pas de rancune. Il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il met sa joie dans la vérité. Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout » (cf. 1 Co 13,4-7). L'amour n'a pas d'agenda, ne colonise pas, mais s'incarne, devient l'un des nôtres, métis, pour faire toutes choses nouvelles (cf. Ap 21,5).

Ainsi, l'effort n'est pas vain, car il y a un but. En nous donnant de cette manière, nous imitons Jésus qui s'est donné pour nous sauver tous. Embrasser la croix n'est pas un signe d'échec, ce n'est pas un travail vain, c'est nous unir à la mission de Jésus d'apporter « la Bonne Nouvelle aux pauvres, d'annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le recouvrement de la vue, de renvoyer libres les opprimés » (Lc 4,18). C'est toucher concrètement la blessure de ce frère, de cette communauté, qui a un nom, qui a une valeur infinie pour Dieu, pour lui donner la lumière, raffermir ses jambes, purifier sa misère, en lui offrant l'opportunité de répondre au projet d'amour que le Seigneur a pour lui, en demandant à genoux que, lorsqu'Il y arrivera, Jésus trouve la foi dans cette terre (cf. Lc 18,8 ).

Chers frères et sœurs, je confie vos travaux à la Très Sainte Vierge, qu'Elle vous guide comme Elle le fit avec les serviteurs aux noces de Cana, afin que le vin nouveau que le Seigneur nous promet parvienne à tous. Que Jésus vous bénisse. Et s'il vous plaît, n'oubliez pas de prier pour moi.

Rome, Saint-Jean-de-Latran, le 26 février 2024

FRANÇOIS

L'Osservatore Romano, Année CLXIV n°54, mardi 5 mars 2024, p. 8.

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