Ce samedi 4 février 2023, au terme de la deuxième journée de son pèlerinage de paix au Soudan du Sud, le Pape François a participé à un temps de prière œcuménique dans la capitale de ce pays majoritairement chrétien. Dans son discours, le Souverain pontife a appelé les fidèles à «prier, agir et marcher», pour que vienne la paix de Dieu, une paix qui «promeut l’unité dans la diversité».
Message du Saint-Père :
Monsieur le Président de la République,
Autorités religieuses et civiles distinctes,
Chers frères et soeurs !
De cette terre aimée et meurtrie, de nombreuses prières viennent de s'élever au Ciel : des voix différentes se sont unies, formant une seule voix. Ensemble, en tant que Saint Peuple de Dieu, nous avons prié pour ce peuple blessé. En tant que chrétiens, prier est la première et la plus importante chose que nous sommes appelés à faire pour pouvoir bien agir et avoir la force de marcher. Prier, opérer et marcher : réfléchissons à ces trois verbes.
Prier d'abord. Le grand engagement des communautés chrétiennes dans la promotion humaine, la solidarité et la paix serait vain sans la prière. En effet, nous ne pouvons promouvoir la paix sans avoir d'abord invoqué Jésus, "Prince de la paix" (Is 9,5). Ce que nous faisons pour les autres et partageons avec les autres est avant tout don gratuit que nous recevons les mains vides de Lui : c'est grâce, pure grâce. Nous sommes chrétiens parce que gratuitement aimés par le Christ.
Ce matin, je me suis inspiré de la figure de Moïse et maintenant, précisément en relation avec la prière, je voudrais évoquer un épisode décisif pour lui et pour son peuple, survenu alors qu'il venait de commencer à l'accompagner sur le chemin vers la liberté. Arrivés près des rives de la mer Rouge, une scène dramatique se présente à ses yeux et à ceux de tous les Israélites : devant s'élève la barrière infranchissable des eaux ; derrière arrive l'armée ennemie, avec des chars et des chevaux. Cela ne rappelle-t-il pas les premiers pas de ce pays, assailli soit par des eaux de mort, comme celles des désastreuses inondations qui l'ont frappé, soit par une violence guerrière effroyable ? Dans cette situation désespérée, Moïse dit au peuple : "N'ayez pas peur ! Soyez forts et vous verrez le salut du Seigneur" (Ex 14,13). Je me demande maintenant : d'où venait cette certitude à Moïse, alors que son peuple continuait à se plaindre effrayé ? Cette force lui venait de l'écoute du Seigneur (cf. 2-4), qui lui avait promis de manifester sa gloire. L'union avec Lui, la confiance en Lui cultivée dans la prière, était le secret avec lequel Moïse a pu accompagner le peuple de l'oppression à la liberté.
C'est ainsi aussi pour nous : prier donne la force d'aller de l'avant, de dépasser les craintes, d'apercevoir, même dans les ténèbres, le salut que Dieu prépare. De plus, la prière attire le salut de Dieu sur le peuple. La prière d'intercession, qui caractérisa la vie de Moïse (cf. Es 32, 11-14), est celle à laquelle nous sommes surtout tenus, Pasteurs du Peuple saint de Dieu. Pour que le Seigneur de la paix intervienne là où les hommes ne parviennent pas à la construire, il faut la prière : une prière tenace, constante d'intercession. Frères, soeurs, soutenons-nous en cela : dans nos différentes Confessions, nous nous sentons unis entre nous, comme une seule famille ; et sentons-nous chargés de prier pour tous. Dans nos paroisses, églises, assemblées de culte et de louange, prions assidus et concordants (cf. Ac 1, 14) pour que le Sud-Soudan, comme le peuple de Dieu dans l'Écriture, "atteigne la terre promise" : dispose sereinement et équitablement de la terre fertile et riche qu'il possède et soit comblé de cette paix promise mais malheureusement encore pas arrivée.
C'est précisément pour la cause de la paix que nous sommes appelés, en deuxième lieu, à intervenir. Parce que Jésus nous veut "opérateurs de paix" (Mt 5, 9), il veut que son Eglise ne soit pas seulement un signe et un instrument de l'union intime avec Dieu, mais aussi de l'unité de tout le genre humain (cf. Lumen gentium, 1). Le Christ, en effet, comme le rappelle l'Apôtre Paul, "est notre paix" précisément dans le sens du rétablissement de l'unité : Il est celui qui "fait de deux une seule chose, en abaissant les murs de séparation, l'inimitié" (cf. Ep 2, 14). Voici la paix de Dieu : non seulement une trêve entre les conflits, mais une communion fraternelle, qui vient de la conjonction, non de l'absorption ; du pardon, non du sursaut ; de la réconciliation, non de l'imposition. Tellement grand est le désir de paix du Ciel, qui a été annoncé dès la naissance du Christ : "sur la terre, paix aux hommes, qu'il aime" (Lc 2, 14). Et tant fut l'angoisse de Jésus pour le refus de ce don qu'il venait apporter, qu'Il pleura sur Jérusalem, en disant : "Si tu avais compris aussi, en ce jour, ce qui conduit à la paix !" (Lc 19, 42).
Nous, chers frères et soeurs, oeuvrons sans nous lasser pour cette paix, que l'Esprit de Jésus et du Père nous invite à construire : une paix qui intègre les diversités, qui promeut l'unité dans la pluralité. C'est la paix de l'Esprit Saint, qui harmonise les différences, tandis que l'esprit ennemi de Dieu et de l'homme fait levier sur la diversité pour diviser. À ce propos, l'Écriture dit : "En cela, on distingue les fils de Dieu des fils du diable : celui qui ne pratique pas la justice n'est pas de Dieu, et celui qui n'aime pas son frère non plus" (1 Jn 3, 10). Chers amis, ceux qui se disent chrétiens doivent choisir leur camp. Celui qui suit le Christ choisit la paix, toujours ; celui qui déclenche la guerre et la violence trahit le Seigneur et renie son Evangile. Le style que Jésus nous enseigne est clair : aimer tout le monde, car tous sont aimés comme enfants par le Père commun qui est aux cieux. L'amour du chrétien n'est pas seulement pour les voisins, mais pour chacun, parce que chacun en Jésus est notre prochain, frère et soeur, même l'ennemi (cf. Mt 5, 38-48) ; à plus forte raison, ceux qui appartiennent à notre propre peuple, même s'ils sont d'ethnie différente. "Que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés" (Jn 15, 12) : tel est le commandement de Jésus, qui contredit toute vision tribale de la religion. Que "tous soient une seule chose" (Jn 17, 21) : telle est la prière de Jésus au Père pour tous nous croyants.
Travaillons, frères et soeurs, pour cette unité fraternelle entre nous chrétiens et aidons-nous à faire passer le message de la paix dans la société, à répandre le style de non-violence de Jésus, pour que chez ceux qui se proclament croyants il n'y ait plus de place pour une culture basée sur l'esprit de vengeance ; pour que l'Evangile ne soit pas seulement un beau discours religieux, mais une prophétie qui devient réalité dans l'histoire. Nous travaillons pour cela : nous travaillons pour la paix en tissant et en recousu, jamais en coupant ou en déchirant. Nous suivons Jésus et, derrière Lui, nous faisons des pas communs sur la voie de la paix (cf. Lc 1,79).
Voici donc le troisième verbe : après prier et opérer, marcher. Ici, au cours des décennies, les communautés chrétiennes se sont fortement engagées à promouvoir des chemins de réconciliation. Je voudrais vous remercier pour ce témoignage lumineux de foi, né de reconnaître non seulement par des paroles, mais dans les faits, qu'avant les divisions historiques, il y a une réalité immuable : nous sommes chrétiens, nous sommes du Christ. Il est beau qu'au milieu de tant de conflictualité, l'appartenance chrétienne n'ait jamais désagrégé la population, mais elle a été, et est encore, facteur d'unité. L'héritage oecuménique du Sud-Soudan est un trésor précieux, une louange au nom de Jésus, un acte d'amour à son épouse, un exemple universel pour le chemin de l'unité des chrétiens. C'est un héritage qui doit être conservé dans le même esprit : les divisions ecclésiales des siècles passés ne se répercutent pas sur ceux qui sont évangélisés, mais la semis de l'Evangile contribue à répandre une plus grande unité. Le tribalisme et la partialité qui alimentent les violences dans le pays n'affectent pas les relations interconfessionnelles ; au contraire, le témoignage d'unité des croyants se déverse sur le peuple.
En ce sens, pour terminer, je voudrais suggérer deux mots-clés pour la suite de notre parcours : mémoire et engagement. Mémoire : les pas que vous faites suivent les pas de vos prédécesseurs. N'ayez pas peur de ne pas en être à la hauteur, sentez-vous au contraire poussés par ceux qui vous ont préparé la route : comme dans un relais, recueillez-en le témoin pour hâter la réalisation de l'objectif d'une communion pleine et visible. Et puis engagement : on marche vers l'unité quand l'amour est concret, quand ensemble on secoue ceux qui sont aux marges, ceux qui sont blessés et écartés. Vous le faites déjà dans de nombreux domaines, je pense en particulier à ceux de la santé, de l’éducation, de la charité : combien d’aides urgentes et indispensables apportez-vous à la population ! Merci pour ça. Continuez ainsi : jamais concurrents, mais familiers ; frères et soeurs qui, à travers la compassion pour les souffrants, les favoris de Jésus, donnent gloire à Dieu et témoignent de la communion qu'Il aime.
Très chers frères, mes frères et moi sommes arrivés en pèlerins parmi vous, Peuple saint de Dieu en chemin. Même si elles sont distantes physiquement, nous serons toujours proches de vous. Nous repartons chaque jour de prier les uns pour les autres et avec les autres, d'oeuvrer ensemble comme témoins et médiateurs de la paix de Jésus, de marcher sur la même route, en agissant par des pas concrets de charité et d'unité. En tout, aimons-nous intensément et de coeur véritable (cf. 1 Pt 1,22).