Temps fort de son déplacement au Soudan du Sud, le Pape François a rencontré ce samedi après-midi, 4 février 2023, à Juba, des déplacés internes. Il a lancé un appel à reprendre sans attendre le processus de paix, et à construire dans la fraternité un avenir meilleur. Les femmes et les jeunes ont un rôle essentiel à jouer pour transformer cette jeune nation multiethnique, a-t-il souligné.
Rencontre avec les personnes déplacées :
Chers frères et soeurs, bon après-midi !
Je vous remercie pour vos prières, pour vos témoignages et pour votre chant ! J'ai longtemps pensé à vous, portant dans mon coeur le désir de vous rencontrer, de vous regarder dans les yeux, de vous serrer les mains et de vous embrasser : enfin je suis ici, avec les frères avec lesquels je partage ce pèlerinage de paix, pour vous dire toute ma proximité, toute mon affection. Je suis avec vous, je souffre pour vous et avec vous.
Joseph, tu as posé une question décisive : "Pourquoi souffrons-nous dans le camp de personnes déplacées ?" Pourquoi... Pourquoi tant d'enfants et de jeunes comme vous sont là, au lieu de l'école pour étudier ou dans un bel endroit à l'extérieur pour jouer ? Tu nous as donné la réponse, en disant que c'est "à cause des conflits en cours dans le pays". C'est précisément à cause des ravages causés par la violence humaine, mais aussi à cause des inondations, que des millions de nos frères et soeurs comme vous, y compris de très nombreuses mères avec des enfants, ont dû quitter leurs terres et abandonner leurs villages et leurs maisons. Malheureusement, dans ce pays meurtri, le fait d’être déplacé ou réfugié est devenu une expérience courante et collective.
C'est pourquoi je réitère de toutes mes forces l'appel le plus ferme à mettre un terme à tout conflit, à reprendre sérieusement le processus de paix pour que cessent les violences et que les gens puissent revivre dignement. Seule la paix, la stabilité et la justice permettront le développement et la réintégration sociale. Mais on ne peut plus attendre ! Un nombre énorme d'enfants nés ces dernières années n'ont connu que la réalité des camps de personnes déplacées, oubliant l'air de leur maison, perdant le lien avec leur terre d'origine, leurs racines, leurs traditions.
L'avenir ne peut pas être dans les camps de personnes déplacées. Il faut, tout comme vous le demandiez, Johnson, que tous les enfants comme vous aient la possibilité d'aller à l'école et aussi l'espace pour jouer au football ! Il faut grandir en tant que société ouverte, en se mélangeant, en formant un seul peuple à travers les défis de l'intégration, même en apprenant les langues parlées dans tout le pays et pas seulement dans sa propre ethnie. Il faut embrasser le risque merveilleux de connaître et d'accueillir ceux qui sont différents, pour retrouver la beauté d'une fraternité réconciliée et expérimenter l'aventure inestimable de construire librement son avenir avec celui de toute la communauté. Et il faut absolument éviter la marginalisation des groupes et la ghettoïsation des êtres humains. Mais pour tous ces besoins, il faut la paix. Et nous avons besoin de l'aide de beaucoup, de l'aide de tous.
C’est pourquoi je voudrais remercier la vice-représentante spéciale Sara Beysolow Nyanti de nous avoir dit qu’aujourd’hui est l’occasion pour tout le monde de voir ce qui se passe depuis des années dans ce pays. En effet, la plus grande crise de réfugiés du continent perdure dans cette région, avec au moins quatre millions d’enfants de cette terre déplacés, avec l’insécurité alimentaire et la malnutrition qui touchent les deux tiers de la population et avec les prévisions qui parlent d’une tragédie humanitaire qui peut encore s’aggraver au cours de l’année. Mais je voudrais surtout vous remercier parce que vous et beaucoup d'autres n'êtes pas restés les bras croisés pour étudier la situation, mais vous avez travaillé dur. Madame, vous avez parcouru le pays, vous avez regardé dans les yeux les mères et vu la douleur qu'elles éprouvent face à la situation de leurs enfants. Vous m'avez frappé quand vous avez dit que, malgré tout ce qu'elles souffrent, elles ne se sont jamais éteintes sur leurs visages le sourire et l'espoir.
Et je suis d'accord avec ce qu'il a dit à leur sujet : les mères, les femmes, sont la clé pour transformer le pays : si elles ont les bonnes opportunités, grâce à leur laboriosité et à leur aptitude à garder la vie, elles auront la capacité de changer le visage du Sud-Soudan, de lui donner un développement serein et cohérent ! Mais, je vous en prie, je prie tous les habitants de ces terres : que la femme soit protégée, respectée, valorisée et honorée. Protéger, respecter, valoriser et honorer chaque femme, enfant, fille, jeune, adulte, mère, grand-mère. Sans cela, il n'y aura pas d'avenir.
Et maintenant, frères et soeurs, je regarde encore à vous, à vos yeux fatigués mais lumineux qui n'ont pas perdu l'espérance, à vos lèvres qui n'ont pas perdu la force de prier et de chanter ; je regarde à vous qui avez les mains vides mais le coeur plein de foi, à vous qui portez en vous un passé marqué par la douleur mais ne cessez pas de rêver d'un avenir meilleur. Aujourd'hui, en vous rencontrant, nous voudrions donner des ailes à votre espérance. Nous y croyons, nous croyons que maintenant, même dans les camps pour personnes déplacées, où la situation du pays vous oblige malheureusement à rester, peut naître, comme de la terre dépouillée, une nouvelle graine qui portera du fruit.
Je voudrais vous dire ceci : vous êtes la graine d'un nouveau Sud-Soudan, la graine d'une croissance fertile et luxuriante du pays. C'est vous, de toutes les ethnies, qui avez souffert et souffrez, mais qui ne voulez pas répondre au mal par un autre mal. Vous, qui dès maintenant choisissez la fraternité et le pardon, cultivez un avenir meilleur. Un lendemain qui naît aujourd'hui, là où vous êtes, de la capacité de collaborer, de tisser des trames de communion et des parcours de réconciliation avec ceux qui, différents de vous par leur ethnie et leur origine, vous vivent à côté. Frères et soeurs, soyez des graines d'espérance, dans lesquelles s'aperçoit déjà l'arbre qui un jour, nous l'espérons près, portera fruit. Oui, vous serez les arbres qui absorberont la pollution d'années de violence et rendront l'oxygène de la fraternité. C'est vrai, vous êtes maintenant "plantés" où vous ne voulez pas, mais précisément dans cette situation de malaise et de précarité vous pouvez tendre la main à ceux qui vous sont proches et expérimenter que vous êtes enracinés dans la même humanité : de là il faut repartir pour redécouvrir frères et soeurs, fils en terre du Dieu du ciel, Père de tous.
Chers amis, pour nous rappeler qu'une plante naît d'une graine ce sont les racines. C'est bien que les gens ici s'intéressent beaucoup aux racines. J'ai lu que dans ces terres "les racines ne doivent jamais être oubliées", parce que "les ancêtres nous rappellent qui nous sommes et quel doit être notre chemin... Sans eux, nous sommes perdus, effrayés et sans boussole. Il n'y a pas d'avenir, sans passé" (C. Carlassare, La cabane du Père Carlo. Combonien chez les Nuer, 2020, 65). Au Sud-Soudan, les jeunes grandissent en s'appuyant sur les récits des personnes âgées et, si la narration de ces années a été caractérisée par la violence, il est possible, il est même nécessaire d'en inaugurer, à partir de vous, une nouvelle : une nouvelle narration de la rencontre, où ce qui a souffert ne soit pas oublié, mais soit habité par la lumière de la fraternité ; une narration qui mette au centre non seulement la tragédie de la chronique, mais le désir ardent de la paix. Soyez, jeunes de différentes ethnies, les premières pages de ce récit ! Si les conflits, les violences et les haines ont arraché des bons souvenirs les premières pages de la vie de cette République, c'est vous qui en réécrivez l'histoire de paix ! Je vous remercie pour votre force d'âme et pour tous vos gestes de bien, qui sont tellement agréables à Dieu et rendent précieux chaque jour que vous vivez.
Je tiens également à remercier tous ceux qui vous aident, souvent dans des conditions non seulement difficiles, mais urgentes. Merci aux communautés ecclésiales pour leurs oeuvres, qui méritent d'être soutenues ; merci aux missionnaires, aux organisations humanitaires et internationales, en particulier aux Nations unies pour le grand travail qu'elles accomplissent. Certes, un pays ne peut survivre par des soutiens extérieurs, le plus souvent avec un territoire aussi riche en ressources ! Mais maintenant, ils sont extrêmement nécessaires. Je voudrais également rendre hommage aux nombreux travailleurs humanitaires qui ont perdu la vie et appeler au respect pour ceux qui aident et pour les structures de soutien à la population, qui ne peuvent devenir des cibles d'attaques et de vandalisme. Outre les secours d’urgence, je pense qu’il est très important, dans la perspective de l’avenir, d’accompagner la population sur la voie du développement, par exemple en l’aidant à apprendre des techniques d’agriculture et d’élevage modernes, afin de faciliter une croissance plus autonome. Je vous demande à tous, du fond du coeur, de venir en aide au Sud-Soudan et de ne pas laisser sa population, qui a tant souffert et souffert!
Enfin, je voudrais évoquer les nombreux réfugiés sud-soudanais qui se trouvent en dehors du pays et ceux qui ne peuvent pas rentrer parce que leur territoire est occupé. Je suis leur voisin et j'espère qu'ils pourront redevenir des acteurs de l'avenir de leur terre, contribuant à son développement de manière constructive et pacifique. Nyakuor Rebecca, tu m'as demandé une bénédiction spéciale pour les enfants du Sud-Soudan, juste pour que vous puissiez tous grandir ensemble dans la paix. Nous trois, en tant que frères, nous donnerons la bénédiction : avec mon frère Justin et mon frère Iain, ensemble, nous vous donnerons la bénédiction. Avec elle, que vous parvienne la bénédiction de tant de frères et soeurs chrétiens dans le monde, qui vous embrassent et vous encouragent, sachant qu'en vous, dans votre foi, dans votre force intérieure, dans vos rêves de paix, resplendit toute la beauté de l'être humain.