Point culminant des journées de deuil et de prière qui ont suivi la mort de Benoît XVI le 31 décembre 2022 dernier, les funérailles du Pape émérite ont été célébrées ce jeudi 5 janvier 2023, en étant présidées par François. Devant des dizaines de milliers de fidèles rassemblés Place Saint-Pierre, le Saint-Père a prononcé une homélie centrée sur la personne du Christ et la figure du pasteur, faisant de manière implicite le portrait de son prédécesseur.
Homélie du Pape François :
« Père, entre tes mains je remets mon esprit » ( Lc 23, 46). Ce sont les dernières paroles que le Seigneur a prononcées sur la croix ; son dernier soupir - pourrait-on dire -, qui confirme ce qui a caractérisé toute sa vie : une permanente remise de soi entre les mains de son Père. Des mains de pardon et de compassion, de guérison et de miséricorde, des mains d’onction et de bénédiction qui le poussèrent à se livrer aussi aux mains de ses frères. Le Seigneur, ouvert aux histoires qu’il rencontrait sur son chemin, s’est laissé ciseler par la volonté de Dieu en prenant sur ses épaules toutes les conséquences et les difficultés de l’Évangile, jusqu’à voir ses mains meurtries par amour : « Vois mes mains », dit-il à Thomas ( Jn 20, 27), et il le dit à chacun de nous, « Vois mes mains ». Des mains meurtries qui vont à la rencontre et ne cessent de s’offrir, afin que nous connaissions l’amour que Dieu a pour nous et que nous croyions en lui (cf. 1 Jn 4, 16) [1].
« Père, entre tes mains je remets mon esprit » est l’invitation et le programme de vie qui inspire et veut modeler comme un potier (cf. Is 29, 16) le cœur du pasteur, jusqu’à ce que palpitent en lui les mêmes sentiments que ceux du Christ Jésus (cf. Ph 2, 5). Dévouement reconnaissant de service au Seigneur et à son Peuple qui naît du fait d’avoir accueilli un don totalement gratuit : : “Tu m’appartiens... Tu leur appartiens”, susurre le Seigneur ; “Tu es sous la protection de mes mains, sous la protection de mon coeur. Reste dans le creux de mes mains et donne-moi les tiennes” [2]. C'est la condescendance de Dieu et sa proximité capable de se placer dans les mains fragiles de ses disciples pour nourrir son peuple et dire avec lui : prenez et mangez, prenez et buvez, ceci est mon corps, mon corps qui s’offre pour vous (cf. Lc 22, 19). La synkatabasis totale de Dieu .
Un dévouement priant, qui se façonne et s’affine silencieusement entre les carrefours et les contradictions que le pasteur doit affronter (cf. 1 P 1, 6-7) et l’invitation confiante à paître le troupeau (cf. Jn 21, 17). Comme le Maître, il porte sur ses épaules la fatigue de l’intercession et l’usure de l’onction pour son peuple, surtout là où la bonté doit lutter et où les frères voient leur dignité menacée (cf. He 5, 7-9). Dans cette rencontre d’intercession, le Seigneur continue à générer la douceur capable de comprendre, d’accueillir, d’espérer et de parier au-delà des incompréhensions que cela peut susciter. Une fécondité invisible et insaisissable, qui naît du fait de savoir dans quelles la confiance a été placée (cf. 2 Tm 1, 12). Une confiance priante et adoratrice, capable d’interpréter les actions du pasteur et d’adapter son cœur et ses décisions aux temps de Dieu (cf. Jn 21, 18) : « Être le pasteur veut dire aimer, et aimer veut dire aussi être prêt à souffrir. Aimer signifie: donner aux brebis le vrai bien, la nourriture de la vérité de Dieu, de la parole de Dieu, la nourriture de sa présence » [3].
Et aussi un dévouement soutenu par la consolation de l’Esprit, qui le précède toujours dans la mission : dans la quête passionnée de communiquer la beauté et la joie de l’Évangile (cf. Exhort. Ap. Gaudete et exsultate, n. 57), dans le témoignage fécond de ceux qui, comme Marie, restent de bien des manières au pied de la croix, dans cette paix douloureuse mais solide qui n’agresse ni ne soumet ; et dans l’espérance obstinée mais patiente que le Seigneur accomplira sa promesse, comme il l’avait promis à nos pères et à sa descendance à jamais (cf. Lc 1, 54-55).
Nous aussi, fermement attachés aux dernières paroles du Seigneur et au témoignage qui a marqué sa vie, nous voulons, en tant que communauté ecclésiale, suivre ses traces et confier notre frère aux mains du Père : que ces mains de miséricorde trouvent sa lampe allumée avec l’huile de l’Évangile qu’il a répandue et dont il a témoigné durant sa vie (cf. Mt 25, 6-7).
Saint Grégoire le Grand, à la fin de la Règle pastorale, invite et exhorte un ami à lui offrir cette compagnie spirituelle : « Au milieu des tempêtes de ma vie, je me console par la confiance que tu me tiendras à flot sur la table de tes prières, et que, si le poids de mes fautes m’abat et m’humilie, tu me prêteras le secours de tes mérites pour me relever ». C’est la conscience du pasteur qu’il ne peut pas porter tout seul ce que, en réalité, il ne pourrait jamais supporter tout seul et, par conséquent, il sait s’abandonner à la prière et au soin du peuple qui lui est confié [4]. C’est le peuple fidèle de Dieu qui, rassemblé, accompagne et confie la vie de celui qui a été son pasteur. Comme les femmes de l’Évangile au sépulcre, nous sommes ici avec le parfum de la gratitude et l’onguent de l’espérance pour lui démontrer, encore une fois, l’amour qui ne se perd pas. Nous voulons le faire avec la même onction, sagesse, délicatesse et dévouement qu’il a su prodiguer au cours des années. Nous voulons dire ensemble: “Père, entre tes mains nous remettons son esprit”.
Benoît, fidèle ami de l’Époux, que ta joie soit parfaite en entendant sa voix, définitivement et pour toujours !
[1] Cf. Benoît XVI, Enc. Deus caritas est, n. 1.
[2] C. ID., Homélie de la Messe Chrismale, 13 avril 2006.
[3] ID., Homélie de la Messe inaugurale du pontificat, 24 avril 2005.
[4] Ibid.
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Source : www.vatican.va-----------------------------------------------------------------
Testament spirituel du Pape Benoît XVI (29 aout 2006) :Si, à cette heure tardive de ma vie, je jette un regard sur les décennies que j'ai parcourues, je vois d'abord combien de raisons j'ai de rendre grâce. Tout d'abord, je remercie Dieu lui-même, le donateur de tout bon cadeau, qui m'a donné la vie et m'a guidé à travers divers moments de confusion, me relevant toujours quand je commençais à glisser et me redonnant toujours la lumière de son visage. Avec le recul, je vois et je comprends que même les parties sombres et fatigantes de ce voyage étaient pour mon salut et que c'est en elles qu'Il m'a bien guidé.
Je remercie mes parents, qui m'ont donné la vie dans une période difficile et qui, au prix de grands sacrifices, m'ont préparé avec leur amour un magnifique foyer qui, comme une lumière vive, illumine tous mes jours jusqu'à aujourd’hui. La foi lucide de mon père nous a appris à croire, nous ses enfants, et elle a toujours tenu bon au milieu de toutes mes réalisations scientifiques ; la profonde dévotion et la grande bonté de ma mère sont un héritage pour lequel je ne saurais la remercier suffisamment. Ma sœur m'a assisté pendant des décennies de manière désintéressée et avec une attention affectueuse ; mon frère, avec la lucidité de ses jugements, sa résolution vigoureuse et la sérénité de son cœur, m'a toujours ouvert la voie ; sans sa constance qui me précède et m'accompagne, je n'aurais pas pu trouver le bon chemin.
Du fond du cœur, je remercie Dieu pour les nombreux amis, hommes et femmes, qu'il a toujours placés à mes côtés ; pour les collaborateurs à toutes les étapes de mon parcours ; pour les enseignants et les étudiants qu'il m'a donnés. Je les confie avec gratitude à sa bonté. Et je veux remercier le Seigneur pour ma belle patrie dans les Préalpes bavaroises, dans laquelle j'ai toujours vu briller la splendeur du Créateur lui-même. Je remercie les gens de ma patrie, car c'est en eux que j'ai expérimenté, encore et encore, la beauté de la foi. Je prie pour que notre terre reste une terre de foi et je vous en prie, chers compatriotes : ne vous laissez pas détourner de la foi. Et enfin, je remercie Dieu pour toute la beauté que j'ai pu expérimenter à chaque étape de mon chemin, mais surtout à Rome et en Italie, qui est devenue ma deuxième maison.
À tous ceux que j'ai lésés d'une manière ou d'une autre, je demande pardon de tout mon cœur.
Ce que j'ai dit auparavant à mes compatriotes, je le dis maintenant à tous ceux qui, dans l'Église, ont été affectés à mon service : restez fermes dans la foi! Ne vous laissez pas troubler ! Il semble souvent que la science - les sciences naturelles d'une part et la recherche historique (en particulier l'exégèse des Saintes Écritures) d'autre part - soient capables d'offrir des résultats irréfutables en contraste avec la foi catholique. J'ai vécu les transformations des sciences naturelles depuis longtemps et j'ai pu voir comment, au contraire, des certitudes apparentes contre la foi se sont évanouies, se révélant être non pas des sciences, mais des interprétations philosophiques ne relevant qu'en apparence de la science ; tout comme, d'autre part, c'est dans le dialogue avec les sciences naturelles que la foi aussi a appris à mieux comprendre la limite de la portée de ses revendications, et donc sa spécificité. Depuis soixante ans, j'accompagne le chemin de la théologie, en particulier des sciences bibliques, et avec la succession des différentes générations, j'ai vu s'effondrer des thèses qui semblaient inébranlables, se révélant de simples hypothèses : la génération libérale (Harnack, Jülicher etc.), la génération existentialiste (Bultmann etc.), la génération marxiste. J'ai vu et je vois comment, à partir de l'enchevêtrement des hypothèses, le caractère raisonnable de la foi a émergé et émerge encore. Jésus-Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie - et l'Église, avec toutes ses insuffisances, est vraiment son corps.
Enfin, je demande humblement : priez pour moi, afin que le Seigneur, malgré tous mes péchés et mes insuffisances, me reçoive dans les demeures éternelles. De tout cœur, ma prière va à tous ceux qui, jour après jour, me sont confiés.
Benedictus PP XVI