Dans l’homélie prononcée à l’occasion de la célébration des vêpres et du Te Deum, ce samedi 31 décembre 2022, le Pape François a rendu hommage à son prédécesseur, mort dans la matinée à l’âge de 95 ans. Le Souverain Pontife s’est souvenu avec «gratitude» de sa «personne si noble, si gentille».
Sainte Marie Mère de Dieu –
Premières vêpres et Te Deum d'action de grâce pour l'année écoulée :
Homélie du Saint-Père :
"Né d'une femme" (Ga 4,4).
Quand, dans la plénitude du temps, Dieu s'est fait homme, il n'est pas venu dans le monde en tombant du haut des cieux ; il est né de Marie. Il n'est pas né dans une femme mais d'une femme. C'est fondamentalement différent : cela signifie que Dieu a voulu prendre la chair d'elle. Il ne l’a pas utilisée, mais il a demandé son "oui", son consentement. Et avec elle a commencé le lent chemin de la gestation d'une humanité libre du péché et pleine de grâce et de vérité, pleine d'amour et de fidélité. Une humanité belle, bonne et vraie, à l'image et à la ressemblance de Dieu, et pourtant tissée avec notre chair offerte par Marie ; jamais sans elle ; toujours avec son consentement ; dans la liberté, dans la gratuité, dans le respect, dans l'amour.
Et c'est le chemin que Dieu a choisi pour entrer dans le monde, pour entrer dans l'histoire, c'est le chemin. Et cette façon est aussi essentielle, essentielle que le fait même d'être venu. La maternité divine de Marie - maternité virginale, virginité féconde - est la voie qui révèle l'extrême respect de Dieu pour notre liberté. Lui qui nous a créés sans nous ne veut pas nous sauver sans nous (cf. Saint Augustin, Sermo CLXIX, 13).
Sa façon de venir nous sauver est la voie sur laquelle il nous invite aussi à le suivre, pour continuer avec Lui à tisser l'humanité nouvelle, libre, réconciliée. C'est le mot : humanité réconciliée. C'est un style, une façon de se relier à nous, d'où proviennent les multiples vertus humaines d'une cohabitation bonne et digne. L'une de ces vertus est la gentillesse, comme mode de vie qui favorise la fraternité et l'amitié sociale (cf. Enc. Frères tous, 222-224).
Et en parlant de gentillesse, en ce moment, la pensée va spontanément au très cher Pape Benoît XVI, qui nous a quittés ce matin. Avec émotion, nous nous souvenons de sa personne si noble, si gentille. Et nous ressentons dans notre coeur tant de gratitude : gratitude à Dieu pour l'avoir donné à l'Eglise et au monde ; gratitude à lui, pour tout le bien qu'il a accompli, et surtout pour son témoignage de foi et de prière, spécialement en ces dernières années de vie retirée. Seul Dieu connaît la valeur et la force de son intercession, de ses sacrifices offerts pour le bien de l'Église.
Ce soir, je voudrais reproposer la gentillesse aussi comme vertu civique, en pensant en particulier à notre diocèse de Rome.
La gentillesse est un facteur important de la culture du dialogue, et le dialogue est indispensable pour vivre en paix, pour vivre en frères, qui ne s'entendent pas toujours - c'est normal - mais qui se parlent, s'écoutent et cherchent à se comprendre et à se rencontrer. Nous pensons seulement à "ce que serait le monde sans le dialogue patient de tant de personnes généreuses qui ont maintenu unies les familles et les communautés. Le dialogue persévérant et courageux ne fait pas les gros titres des affrontements et des conflits, mais il aide discrètement le monde à mieux vivre" (ibid., 1988). Eh bien, la gentillesse fait partie du dialogue. Ce n'est pas seulement une question d'esprit ; ce n'est pas une question d'"étiquette", de forme galante — non, ce n'est pas ce que nous entendons par gentillesse ici. Il s'agit au contraire d'une vertu à récupérer et à exercer chaque jour, pour aller à contre-courant et humaniser nos sociétés.
Les dommages de l’individualisme consumériste sont évidents pour tous. Et le plus grand dommage est que les autres, les gens qui nous entourent, sont perçus comme des obstacles à notre tranquillité, à notre confort. Les autres nous "dérangent", nous dérangent, nous privent de temps et de ressources pour faire ce que nous aimons. La société individualiste et consumériste tend à être agressive, car les autres sont des concurrents avec lesquels rivaliser (voir ibid., 222). Pourtant, dans nos sociétés, et même dans les situations les plus difficiles, il y a des gens qui montrent qu'il est "encore possible de choisir la gentillesse" et ainsi, avec leur mode de vie, "ils deviennent des étoiles au milieu de l'obscurité" (ibid.).
Saint Paul, dans la même Lettre aux Galates dont est tirée la Lecture de cette liturgie, parle des fruits de l'Esprit Saint, et parmi eux il en mentionne un avec le mot grec chrestotes (cf. 5, 22). C'est ce que nous pouvons entendre par "gentillesse" : une attitude bienveillante, qui soutient et réconforte les autres en évitant toute dureté et dureté. Une manière de traiter le prochain en prenant soin de ne pas blesser par les paroles ou par les gestes ; en essayant d'alléger les poids d'autrui, d'encourager, de réconforter, de consoler ; sans jamais humilier, mortifier ou mépriser (cf. Frères tous, 223).
La gentillesse est un antidote contre certaines pathologies de nos sociétés : un antidote contre la cruauté, qui peut malheureusement s'insinuer comme un poison dans le coeur et intoxiquer les relations ; un antidote contre l'anxiété et la frénésie distraite qui nous font nous concentrer sur nous-mêmes et nous ferment aux autres (cf. ibid., 224). Ces "maladies" de notre vie quotidienne nous rendent agressifs, elles nous rendent incapables de demander "permission" ou "pardon", ou simplement de dire "merci". Les trois mots si humains de la cohabitation : permission, excuse, merci. Avec ces trois mots, on progresse dans la paix, dans l'amitié humaine. Ce sont les mots de la gentillesse : pardon, pardon, merci. Cela nous fera réfléchir si nous les utilisons souvent dans notre vie : pardon, pardon, merci. Et donc, quand dans la rue, ou dans un magasin, ou dans un bureau, nous rencontrons une personne gentille, nous sommes surpris, cela nous semble un petit miracle, parce que malheureusement la gentillesse n'est plus très courante. Mais, grâce à Dieu, il y a encore des gens gentils, qui savent mettre de côté leurs préoccupations pour prêter attention aux autres, pour donner un sourire, une parole d'encouragement, pour écouter quelqu'un qui a besoin de se confier et de se défouler (cf ibid.).
Chers frères et soeurs, je pense que retrouver la gentillesse en tant que vertu personnelle et civique peut aider beaucoup à améliorer la vie dans les familles, les communautés, les villes. C'est pourquoi, en regardant la nouvelle année de la ville de Rome, je voudrais souhaiter à tous ceux d'entre nous qui la vivent de croître dans cette vertu : la gentillesse. L'expérience enseigne que si elle devient un mode de vie, elle peut créer une cohabitation saine, elle peut humaniser les rapports sociaux en dissolvant l'agressivité et l'indifférence (cf ibid.).
Regardons l'icône de la Vierge Marie. Aujourd’hui et demain, ici dans la Basilique de Saint-Pierre, nous pouvons aussi la vénérer à l'effigie de Notre-Dame du Carmel d'Avigliano, près de Potenza. Ne tenons pas pour acquis le mystère de la maternité divine ! Laissons-nous surprendre par le choix de Dieu, qui aurait pu apparaître dans le monde de mille façons en montrant sa puissance, et au lieu de cela il a voulu être conçu en toute liberté dans le sein de Marie, il a voulu se former pendant neuf mois comme chaque enfant, et enfin naître d'elle, naître de femme. Ne passons pas plus vite, arrêtons-nous à contempler et à méditer, parce qu'il y a ici un trait essentiel du mystère du salut. Et nous essayons d'apprendre la "méthode" de Dieu, son respect infini, pour ainsi dire sa "gentillesse", parce que dans la maternité divine de la Vierge il y a le chemin pour un monde plus humain.