Pour son troisième discours au Bahreïn, le Pape s’est exprimé devant les membres du Conseil des sages musulmans, ce vendredi 4 novembre 2022, à la mosquée du palais Sakhir d’Awali. Devant ce parterre de dignitaires sunnites, le Successeur de Pierre a réitéré «le devoir» des responsables religieux en matière de fraternité, «dans une humanité de plus en plus blessée».
Rencontre avec les membres du « Muslim Council of Elders » :
Cher frère, Dr Ahmad Al-Tayyeb, grand imam d'Al-Azhar,
chers membres du Muslim Council of Elders,
chers amis,
As-salamu alaikum !
Je vous salue cordialement, en vous souhaitant que la paix du Très-Haut descende sur chacun d'entre vous : sur vous, qui entendez promouvoir la réconciliation pour éviter les divisions et les conflits dans les communautés musulmanes ; sur vous, qui voyez dans l'extrémisme un danger qui ronge la vraie religion ; sur vous, qui vous engagez à dissiper des interprétations erronées qui, par la violence, mal entendent, instrumentalisent et endommagent une croyance religieuse. Que la paix descende et reste sur vous, qui désirez la répandre en instillant dans vos coeurs les valeurs de respect, de tolérance et de modération ; sur vous, qui proposez d'encourager des relations amicales, un respect mutuel et une confiance mutuelle avec ceux qui, comme moi, adhèrent à une foi religieuse différente ; sur vous, frères et soeurs, qui voulez favoriser chez les jeunes une éducation morale et intellectuelle qui contrecarre toute forme de haine et d'intolérance. As-salamu alaikum !
Dieu est une source de paix. Que nous soyons, partout, les canaux de sa paix ! Je voudrais répéter devant vous que le Dieu de la paix ne mène jamais à la guerre, n'incite jamais à la haine, ne cautionne jamais la violence. Et nous, qui croyons en Lui, sommes appelés à promouvoir la paix à travers des instruments de paix, comme la rencontre, les négociations patientes et le dialogue, qui est l'oxygène de la coexistence commune. Parmi les objectifs que vous vous proposez, il y a celui de diffuser une culture de la paix basée sur la justice. Je voudrais vous dire que c'est la voie, et même la seule, car la paix "est l'oeuvre de la justice (Gaudium et spes, n. 78). Il jaillit de la fraternité, grandit à travers la lutte contre l'injustice et les inégalités, se construit en tendant la main aux autres" (Discours à l'occasion de la Lecture de la Déclaration finale et Conclusion du VIIe "Congress of Leaders of World and Traditional Religions", 15 septembre 2022). La paix ne peut être simplement proclamée, elle doit être enracinée. Et cela est possible en éliminant les inégalités et les discriminations, qui engendrent instabilité et hostilité.
Je vous remercie pour votre engagement, ainsi que pour l’accueil que vous m’avez réservé et pour les paroles que vous avez prononcées. Je viens à vous comme croyant en Dieu, comme frère et pèlerin de paix. Je viens à vous pour marcher ensemble, dans l'esprit de François d'Assise, qui avait coutume de dire : "La paix que vous annoncez par la bouche, ayez-la encore plus copieuse dans vos coeurs" (Légende des trois compagnons, XIV, 5 : FF 1469). J'ai été frappé de voir comment, dans ces terres, il est d'usage, d'accueillir un hôte, non seulement de lui serrer la main, mais aussi de porter la main au coeur en signe d'affection. Comment dire : ta personne ne reste pas à moi distant, entre dans mon coeur, dans ma vie. Je porte aussi la main au coeur avec une affection respectueuse, en regardant chacun de vous et en bénissant le Très-Haut pour la possibilité de nous rencontrer.
Je crois que nous avons de plus en plus besoin de nous rencontrer, de nous connaître et de nous prendre à coeur, de mettre la réalité devant les idées et les personnes avant les opinions, l'ouverture au Ciel avant les distances en Terre : un avenir de fraternité devant un passé d'hostilité, en surmontant les préjugés et les incompréhensions de l'histoire au nom de Celui qui est Source de Paix. D'autre part, comment les fidèles de religions et de cultures différentes pourront-ils cohabiter, s'accueillir et s'estimer mutuellement si nous restons étrangers les uns aux autres ? Laissons-nous guider par le dicton de l'Imam Ali : "Les gens sont de deux types : ou tes frères dans la foi ou tes semblables dans l'humanité", et nous nous sentons appelés à prendre soin de tous ceux que le dessein divin nous a placés à côté dans le monde. Exhortons-nous "à oublier le passé et à exercer sincèrement la compréhension mutuelle, ainsi qu'à défendre et promouvoir ensemble pour tous les hommes la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté" (Nostra aetate, n. 3). Ce sont des tâches qui nous incombent, guides religieux : face à une humanité de plus en plus blessée et déchirée qui, sous le vêtement de la mondialisation, respire avec peine et peur, les grandes croyances sont tenues d'être le coeur qui unit les membres du corps, l'âme qui donne espérance et vie aux aspirations les plus élevées.
Ces jours-ci, j'ai parlé de la force de la vie, qui résiste dans les déserts les plus arides en puisant dans l'eau de la rencontre et de la cohabitation pacifique. Hier, je l'ai fait en me basant sur l'étonnant "arbre de la vie" qui se trouve ici à Bahreïn. Le récit biblique, que nous avons écouté, place l'arbre de la vie au centre du jardin des origines, au coeur du merveilleux projet de Dieu pour l'homme, un dessin harmonieux capable d'embrasser toute la création. L'être humain, cependant, a pris ses distances avec le Créateur et l'ordre qu'Il a établi. D'où sont nés des problèmes et des déséquilibres qui, dans la narration biblique, se succèdent l'un à l'autre : querelles et homicides entre frères (cf. Gen 4), troubles et dévastations environnementales (cf. Gen 6-9), orgueil et contrastes dans la société humaine (cf. Gen 11)... Une inondation de mal et de mort est en somme née du coeur de l'homme, de l'étincelle maléfique déclenchée par ce mal qui est acculé à la porte de son coeur (cf. Gen 4,7), pour incendier le jardin harmonique du monde. Mais tout ce mal s'enracine dans le refus de Dieu et de son frère : dans la perte de vue de l'Auteur de la vie et dans le fait de ne plus se reconnaître comme gardiens des frères. C'est pourquoi les deux questions que nous avons entendues restent toujours valables et, au-delà du credo professé, interpellent chaque existence et chaque époque : "Où es-tu ?" (Gen 3,9) ; "Où est ton frère ?" (Gen 4,9).
Chers amis, frères d'Abraham, croyants au Dieu unique, les maux sociaux et internationaux, les maux économiques et personnels, ainsi que la dramatique crise environnementale qui caractérise ces temps et sur laquelle on a réfléchi ici aujourd’hui, proviennent en dernière analyse de l'éloignement de Dieu et du prochain. Nous avons donc une tâche unique, incontournable, d'aider à retrouver ces sources de vie oubliées, de ramener l'humanité à s'abreuver à cette sagesse ancienne, de rapprocher les fidèles de l'adoration du Dieu du ciel et des hommes pour lesquels Il a fait la terre.
Et comment cela ? Nos moyens sont essentiellement deux : la prière et la fraternité. Ce sont nos armes, humbles et efficaces. Nous ne devons pas nous laisser tenter par d'autres instruments, par des raccourcis indignes du Très-Haut, dont le nom de Paix est insulté par ceux qui croient aux raisons de la force, alimentent la violence, la guerre et le marché des armes, "le commerce de la mort" qui, à travers des sommes d'argent de plus en plus importantes, transforme notre maison commune en un grand arsenal. Tant d'intrigues sombres et de contradictions douloureuses derrière tout cela ! Pensons, par exemple, au nombre de personnes qui se voient contraintes de migrer de leur propre terre en raison de conflits nourris par l’achat à bas prix d’armes dépassées, pour être ensuite repérées et rejetées à d’autres frontières par des équipements militaires de plus en plus sophistiqués. Et l'espoir est tué deux fois ! Eh bien, devant ces scénarios tragiques, alors que le monde poursuit les chimères de la force, du pouvoir et de l'argent, nous sommes appelés à rappeler, avec la sagesse des personnes âgées et des pères, que Dieu et le prochain viennent avant toute autre chose, que seule la transcendance et la fraternité nous sauvent. C'est à nous de déterrer ces sources de vie, sinon le désert de l'humanité sera de plus en plus aride et mortifère. Il nous appartient surtout de témoigner, plus par des actes que par des paroles, que nous croyons en cela, en ces deux vérités. Nous avons une grande responsabilité devant Dieu et devant les hommes et nous devons être des modèles exemplaires de ce que nous prêchons, non seulement auprès de nos communautés et chez nous - cela ne suffit plus - mais dans le monde unifié et mondialisé. Nous qui descendons d'Abraham, père dans la foi des peuples, nous ne pouvons avoir à coeur seulement "nos" mais, de plus en plus unis, nous devons nous tourner vers toute la communauté humaine qui habite la Terre.
Parce que tous se posent, au moins dans le secret du coeur, les mêmes grandes questions : qui est l'homme, pourquoi la douleur, le mal, la mort, l'injustice, qu'y a-t-il après cette vie ? Nombreux sont ceux qui, anesthésiés par un matérialisme pratique et un consumérisme paralysant, se posent les mêmes questions, tandis que d'autres sont réduits au silence par les fléaux inhumains de la faim et de la pauvreté. Regardons la faim et la pauvreté d'aujourd'hui. Parmi les raisons de l'oubli de ce qui compte, ne comptent cependant pas notre incurie, le scandale de nous engager dans autre chose et non dans l'annonce du Dieu qui donne la paix à la vie et la paix qui donne vie aux hommes. Frères et soeurs, soutenons-nous en cela, donnons suite à notre rencontre d'aujourd'hui, marchons ensemble ! Nous serons bénis par le Très-Haut et par les créatures les plus petites et les plus faibles qu'Il préfère : par les pauvres, les enfants et les jeunes, qui, après tant de nuits obscures, attendent l'apparition d'une aube de lumière et de paix. Merci.