Ce Mardi 21 Juin 2022, le Souverain pontife a fait parvenir un message à la première réunion à Vienne des États membres du Traité sur l'interdiction des armes nucléaires.
Message du Saint-Père :
A Son Excellence l'Ambassadeur
Alexandre Kmentt
Président de la première Assemblée des États parties
au Traité sur l'interdiction des armes nucléaires
Je suis heureux de vous saluer ainsi que les autres participants distingués à cette première Assemblée des États parties au Traité sur l'interdiction des armes nucléaires.
Dans mon message à la conférence diplomatique qui s'est réunie il y a cinq ans pour négocier ce traité, j'ai demandé : "Pourquoi vous fixer cet objectif ambitieux et clairvoyant dans le contexte international actuel caractérisé par un climat de conflit instable, qui est à la fois une cause et une une indication des difficultés rencontrées dans la promotion et le renforcement du processus de désarmement et de non-prolifération nucléaires ? » (Message à la Conférence des Nations Unies visant à négocier un instrument juridiquement contraignant sur l'interdiction des armes nucléaires, conduisant à leur élimination totale, 23 mars 2017).
En ce moment particulier de l'histoire où le monde semble se trouver à la croisée des chemins, la vision courageuse de cet instrument juridique, fortement inspiré par des arguments éthiques et moraux, apparaît encore plus appropriée. En effet, cette rencontre intervient à un moment qui nécessite inévitablement une plus grande réflexion sur la sécurité et la paix. Dans le contexte actuel, parler de désarmement ou le soutenir peut sembler paradoxal pour beaucoup. Néanmoins, nous devons rester conscients des dangers des approches à courte vue de la sécurité nationale et internationale et des risques de prolifération. Comme nous le savons tous, si nous ne le faisons pas, le prix est inévitablement payé par un certain nombre de vies innocentes prises et mesurées en termes de carnage et de destruction. En conséquence, je renouvelle avec insistance mon appel à faire taire toutes les armes et à éliminer les causes des conflits par le recours acharné aux négociations : "Ceux qui font la guerre oublient l'humanité" (Après l'Angélus, 27 février 2022).
La paix est indivisible, et pour être vraiment équitable et durable, elle doit être universelle. C'est une façon de penser trompeuse et contre-productive de penser que la sécurité et la paix des uns sont dissociées de la sécurité et de la paix collective des autres. C'est aussi l'une des leçons que la pandémie de Covid-19 a tragiquement démontrées. « La sécurité de notre propre avenir dépend de la garantie de la sécurité pacifique des autres, car si la paix, la sécurité et la stabilité ne sont pas fondées à l'échelle mondiale, elles ne seront pas du tout appréciées. Nous sommes individuellement et collectivement responsables du bien-être présent et futur de nos frères et sœurs » (Message à l'occasion de la conférence sur l'impact humanitaire des armes nucléaires, 7 décembre 2014).
Le Saint-Siège est convaincu qu'un monde exempt d'armes nucléaires est à la fois nécessaire et possible. Dans un système de sécurité collective, il n'y a pas de place pour les armes nucléaires et autres armes de destruction massive. En effet, « Si l'on prend en considération les principales menaces à la paix et à la sécurité avec leurs multiples dimensions dans ce monde multipolaire du 21ème siècle, comme, par exemple, le terrorisme, les conflits asymétriques, la cybersécurité, les questions environnementales, la pauvreté, de nombreux doutes émergent sur l'insuffisance de la dissuasion nucléaire pour répondre efficacement à ces défis. De telles préoccupations prennent encore plus de substance lorsque l'on considère les conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques découlant de toute utilisation d'engins nucléaires aux effets dévastateurs, aveugles et incontrôlables dans le temps et dans l'espace » (Message à la Conférence des Nations Unies visant à négocier un instrument juridiquement contraignant sur l'interdiction des armes nucléaires, conduisant à leur élimination totale, 23 mars 2017). Nous ne pouvons pas non plus ignorer la précarité découlant du simple entretien de ces armes : le risque d'accidents, involontaires ou non, qui pourraient conduire à des scénarios vraiment inquiétants.
Les armes nucléaires sont une responsabilité lourde et dangereuse. Ils représentent un "multiplicateur de risque" qui ne donne que l'illusion d'une "sorte de paix". Je voudrais réaffirmer ici que l'utilisation d'armes nucléaires, ainsi que leur simple possession, est immorale. Essayer de défendre et d'assurer la stabilité et la paix à travers un faux sentiment de sécurité et un "équilibre de la terreur", soutenu par une mentalité de peur et de méfiance, conduit inévitablement à empoisonner les relations entre les peuples et entrave toute forme possible de véritable dialogue. Leur possession conduit facilement à des menaces d'utilisation, devenant une sorte de « chantage » qui devrait être aberrant pour la conscience de l'humanité.
À cet égard, << à moins que le processus de désarmement ne soit précis et complet, et n'atteigne l'âme même des hommes, il est impossible d'arrêter la course aux armements ou de réduire les armements ou - et c'est l'essentiel - finalement, de les abolir complètement. Chacun doit coopérer sincèrement à l'effort de bannir la peur et l'attente anxieuse de la guerre de l'esprit des hommes » (Pape Jean XXIII, Pacem in terris).
Pour ces raisons, il est important de reconnaître le besoin global et pressant de responsabilité à différents niveaux. Cette responsabilité est partagée par tous et comprend deux niveaux : d'abord, un niveau public, en tant qu'États membres d'une même famille de nations. Deuxièmement, sur le plan personnel, en tant qu'individus et membres d'une même famille humaine, et en tant que personnes de bonne volonté. Quel que soit notre rôle ou notre statut, chacun de nous a différents niveaux de responsabilité : comment peut-on imaginer appuyer sur le bouton pour larguer une bombe nucléaire ? Comment pouvons-nous, en toute bonne conscience, nous engager à moderniser les arsenaux nucléaires ? Ce traité devrait également reconnaître que l'éducation à la paix peut jouer un rôle important en aidant les jeunes à prendre conscience des risques et des conséquences des armes nucléaires pour les générations présentes et futures.
Les traités de désarmement existants sont bien plus que de simples obligations juridiques. Ce sont aussi des engagements moraux fondés sur la confiance entre les États et leurs représentants, ancrés dans la confiance que les citoyens accordent à leurs gouvernements, avec des conséquences éthiques pour les générations actuelles et futures de l'humanité. L'adhésion et le respect des accords internationaux de désarmement et du droit international ne sont pas une forme de faiblesse. Au contraire, c'est une source de force et de responsabilité car elle augmente la confiance et la stabilité. De plus, comme dans le cas de ce traité, il prévoit une coopération internationale et une assistance aux victimes ainsi qu'à l'environnement : ici mes pensées vont aux Hibakusha, les survivants des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, et à toutes les victimes des essais d'armes.
En conclusion, alors que vous jetez les bases de la mise en œuvre de ce Traité, je souhaite vous encourager, représentants des États, des organisations internationales et de la société civile, à poursuivre dans la voie que vous avez choisie pour promouvoir une culture de la vie et de la paix fondée sur la dignité de la personne humaine et sur la conscience que nous sommes tous frères et sœurs. Pour sa part, l'Église catholique reste irrévocablement engagée à promouvoir la paix entre les peuples et les nations et à promouvoir l'éducation à la paix à travers ses institutions. C'est un devoir auquel l'Église se sent liée devant Dieu et devant chaque homme et chaque femme de notre monde. Que le Seigneur bénisse chacun de vous et vos efforts au service de la justice et de la paix.
François,
Vatican, le 21 Juin 2022