« S’il vous plaît, ne vous laissez pas paralyser par vos peurs, rêvez en grand ! », demande le pape aux jeunes qu’il a rencontrés à Athènes, au lycée des religieuses Ursulines, ce lundi matin, 6 décembre, avant de repartir en avion pour Rome.
Dialogue du pape François avec les jeunes :
Chers frères et sœurs, kaliméra sas ! [Bonjour !]
Je vous remercie d’être ici, beaucoup d’entre vous viennent de loin : efcharistó ! (Merci !) Je suis heureux de vous rencontrer au cœur de ma visite en Grèce. Et je profite de l’occasion pour vous remercier encore de votre accueil et de tout le travail accompli pour l’organiser : efcharistó !
J’ai été touché par vos beaux témoignages. Je les avais déjà lus et je vais maintenant reprendre certains passages avec vous.
Katerina, tu nous as parlé de tes doutes récurrents dans la foi. Je voudrais dire, à toi et à vous tous : n’ayez pas peur des doutes, car ils ne sont pas des manques de foi. N’ayez pas peur des doutes. Au contraire, les doutes sont des “vitamines de la foi” : ils contribuent à l’affermir, à la rendre plus forte, c’est-à-dire plus consciente, ils la font grandir, la rendent plus libre, plus mature. Ils la rendent mieux disposée à se mettre en marche, à avancer avec humilité, jour après jour. C’est précisément cela, la foi : un cheminement quotidien avec Jésus qui nous tient par la main, nous accompagne, nous encourage et, quand nous tombons, nous relève. Il ne s’effraie jamais. C’est comme une histoire d’amour où l’on avance toujours ensemble, jour après jour. Et comme dans une histoire d’amour, il y a des moments où l’on doit s’interroger, se poser des questions. Et c’est profitable, ça élève le niveau de la relation ! Et c’est très important pour vous, car vous ne pouvez pas avancer sur le chemin de la foi aveugles, non, mais vous devez dialoguer avec Dieu, avec votre propre conscience et avec les autres.
Dans l’expérience de Katerina, je voudrais souligner un point important. Parfois, face aux malentendus ou aux difficultés de la vie, dans les moments de solitude ou de déception, un doute peut frapper à la porte du cœur : “C’est peut-être moi qui ne vais pas bien… peut-être que je suis mauvais…”. Mes amis, c’est une tentation à rejeter ! Le diable met ce doute dans nos cœurs pour nous plonger dans la tristesse. Que faut-il faire, alors ? Que faire lorsqu’un doute de ce genre devient étouffant et ne laisse pas en paix, lorsque l’on perd confiance et que l’on ne sait plus par où commencer ? Nous devons retrouver le point de départ. Et quel est-il ? Pour le comprendre, mettons-nous à l’écoute de votre grande culture classique. Savez-vous quel a été le point de départ de la philosophie, mais aussi de l’art, de la culture ou de la science ? Vous savez lequel ? Tout a commencé par une étincelle, une découverte formulée par un mot magnifique : thaumàzein. C’est l’émerveillement, l’étonnement. C’est ainsi que la philosophie est née : de l’émerveillement devant les choses qui sont : notre existence, l’harmonie de la création, le mystère de la vie.
Mais l’étonnement n’est pas seulement le début de la philosophie, il est aussi le début de notre foi. Plusieurs fois l’Evangile nous dit que lorsque quelqu’un va à la rencontre de Jésus, il s’étonne, il ressent de l’étonnement. Dans la rencontre avec Dieu, il y a toujours de l’étonnement : c’est le début du dialogue avec Dieu. Et il en est ainsi parce que notre foi ne consiste pas d’abord en un ensemble de choses à croire et de préceptes à respecter. Le cœur de la foi n’est pas une idée, elle n’est pas une morale, le cœur de la foi est une réalité, une très belle réalité qui ne dépend pas de nous et qui nous laisse sans voix : nous sommes les enfants bien-aimés de Dieu ! Voilà le cœur de la foi : nous sommes les enfants bien-aimés de Dieu ! Enfants bien-aimés : nous avons un Père qui veille sur nous sans jamais cesser de nous aimer. Réfléchissons à ceci : quoi que tu penses ou que tu fasses, même les pires choses, Dieu continue de t’aimer. Je voudrais que vous compreniez bien cela : Dieu ne se fatigue jamais d’aimer. Quelqu’un pourrait me dire : “mais si je tombe dans les choses les plus laides, Dieu m’aime ?” Dieu t’aime. “Et si je suis un traitre, un terrible pécheur, et si je finis mal, dans la drogue… Dieu m’aime ?” Dieu t’aime. Dieu aime toujours. Il ne peut cesser d’aimer. Il aime toujours et quoi qu’il arrive. Il regarde ta vie et la considère comme très bonne (cf. Gn 1, 31). Il ne regrette jamais de nous avoir créés. Si nous nous mettons devant un miroir, peut-être que nous ne nous verrons pas comme nous le voudrions, car nous risquons de nous fixer sur ce que nous n’aimons pas.
Mais si nous nous plaçons devant Dieu, la perspective change. Nous ne pouvons que nous émerveiller d’être pour lui, malgré toutes nos faiblesses et tous nos péchés, des enfants aimés, depuis toujours et pour toujours. Alors, au lieu de commencer la journée devant un miroir, pourquoi n’ouvres-tu pas la fenêtre de la chambre pour t’arrêter devant la beauté qu’il y a, devant la beauté que tu voies ? Sors de toi-même. Chers jeunes, pensez-y : si à nos yeux la création est belle, chacun de vous est infiniment plus beau aux yeux de Dieu! Il a fait de nous, dit l’Écriture, “des merveilles, des choses merveilleuses” (cf. Ps 139, 14). Nous sommes pour Dieu des choses merveilleuses. Laisse-toi envahir par cet émerveillement. Laisse-toi aimer par celui qui croit toujours en toi, par celui qui t’aime plus que tu ne peux t’aimer toi-même. Il n’est pas facile de comprendre cette largeur, cette profondeur de l’amour, il n’est pas facile de la comprendre, mais c’est ainsi : Il suffit de se laisser regarder par le regard de Dieu.
Et lorsque vous êtes déçus à cause de ce que vous avez fait, il y a un autre émerveillement à ne pas manquer : l’émerveillement du pardon. Je veux être clair là-dessus. Dieu pardonne toujours. C’est nous qui nous fatiguons de demander pardon, mais lui, il pardonne toujours. C’est là, dans le pardon, que l’on retrouve le visage du Père et la paix du cœur. C’est là qu’il nous restaure, qu’il déverse son amour dans une étreinte qui nous relève, qui désagrège le mal que nous avons fait, et fait à nouveau resplendir la beauté indestructible qui est en nous, parce que nous sommes ses enfants bien-aimés. Ne laissons pas la paresse, la peur ou la honte nous voler le trésor du pardon. Laissons-nous nous étonner par l’amour de Dieu ! Nous nous redécouvrirons nous-mêmes ; non pas ce que l’on dit de nous ou ce que les impulsions du moment suscitent en nous ; non pas ce que les slogans publicitaires nous imposent, mais notre vérité la plus profonde, celle que Dieu voit, celle en laquelle il croit : la beauté unique que nous sommes.
Vous souvenez-vous des célèbres mots gravés sur le fronton du temple de Delphes ? γνωθι σeατόνυ “Connais-toi toi-même”. Aujourd’hui, le risque existe d’oublier qui nous sommes, dans notre obsession de l’apparence, dans ces messages martelés qui font dépendre la vie de la façon dont nous nous habillons, de la voiture que nous conduisons, du regard des autres… Mais cette antique invitation, “Connais-toi toi-même”, est toujours valable aujourd’hui : reconnais que tu as de la valeur pour ce que tu es, et non pour ce que tu as. Ta valeur ne dépend pas de la marque du vêtement ni des chaussures que tu portes, mais du fait que tu es unique. Je pense à une autre image antique, celle des sirènes. Comme Ulysse sur le chemin du retour, vous aussi dans votre vie, qui est un voyage aventureux vers la Maison du Père, vous rencontrerez des sirènes. Dans le mythe, elles attiraient les marins avec leurs chants pour qu’ils fassent naufrage sur les rochers. En réalité, les sirènes d’aujourd’hui veulent vous attirer avec des messages insistants et séduisants, axés sur l’argent facile, les faux besoins du consumérisme, le culte du bien-être physique, l’amusement à tout prix… Ce sont des feux d’artifice qui brillent un instant et ensuite ne laissent que de la fumée dans l’air. Je vous comprends, ce n’est pas facile de résister.
Vous rappelez-vous comment Ulysse a réussi à le faire lorsqu’il était poursuivi par les sirènes ? Il s’est fait attacher au mât du bateau. Mais un autre personnage, Orphée, nous enseigne une meilleure voie : il entonne une mélodie plus belle que celle des sirènes et ainsi les fait taire. C’est pourquoi il est important de nourrir l’émerveillement, la beauté de la foi ! Nous ne sommes pas chrétiens parce que nous devons l’être, mais parce que c’est beau. Et c’est précisément pour préserver cette beauté que nous disons non à ceux qui veulent l’obscurcir. La joie de l’Évangile, l’émerveillement de Jésus, font passer au second plan les renoncements et les fatigues. Alors, d’accord ? Rappelez-vous bien de cela : être chrétien, fondamentalement ce n’est pas faire ceci ou cela… faire des choses. Il faut faire des choses, mais fondamentalement ce n’est pas cela. Fondamentalement, être chrétien s’est se laisser aimer par Dieu, et reconnaître que tu es unique devant l’amour de Dieu.
Passons à un autre chapitre. Les visages des autres. Ioanna, j’ai aimé le fait que, pour nous parler de ta vie, tu aies parlé des autres. Et avant tout, des deux femmes les plus importantes de ta vie, ta maman et ta grand-mère qui t’ont « appris à prier, à remercier Dieu chaque jour ». C’est ainsi que tu as assimilé la foi de manière naturelle et authentique. Et tu nous as fait une suggestion qui nous fait du bien : se tourner vers le Seigneur pour toute chose, « lui parler, confier ses soucis ». Ainsi, Jésus t’est devenu familier. Comme il est heureux lorsque nous nous ouvrons à Lui ! C’est ainsi que l’on connaît Dieu. Parce qu’il ne suffit pas d’avoir des idées claires sur lui pour le connaître – cela c’est une petite partie, cela ne suffit pas -, il faut aller à lui avec sa vie. C’est peut-être la raison pour laquelle tant de personnes l’ignorent : parce qu’elles n’entendent que des sermons et des discours. Au contraire, Jésus se transmet par des visages et des personnes concrètes. Lisez les Actes des Apôtres et vous verrez combien il y a de personnes, de visages, de rencontres : c’est ainsi que nos pères dans la foi ont connu Jésus. Dieu ne nous met pas entre les mains un catéchisme, mais il se rend présent à travers les histoires des personnes. Il passe à travers nous. Dieu ne nous donne pas un livre pour apprendre des choses par cœur, Dieu se fait comprendre par la proximité, en nous accompagnant sur les routes de la vie. Connaître Jésus est le noyau de notre foi.
À cet égard, Ioanna, tu nous as parlé d’une troisième personne qui a été décisive pour toi, une religieuse qui t’a montré la joie de « voir la vie comme un service ». C’est vrai, servir les autres est le moyen d’atteindre la joie ! Se consacrer aux autres, ce n’est pas pour les perdants, c’est pour les gagnants ; c’est le moyen de faire quelque chose de vraiment nouveau dans l’histoire. J’ai appris qu’en grec, “jeune” se dit “nouveau” et nouveau signifie “jeune”. Le service c’est la nouveauté de Jésus ; le service, le fait de se consacrer aux autres, c’est la nouveauté qui rend la vie toujours jeune. Veux-tu faire quelque chose de nouveau dans la vie ? Veux-tu rajeunir ? Ne te contente pas de quelques posts ou tweets. Ne te contente pas de rencontres virtuelles, recherche les rencontres réelles, surtout avec ceux qui ont besoin de toi : ne cherche pas la visibilité, mais ce qui est invisible. C’est original, révolutionnaire. Sortir de soi pour rencontrer l’autre. Mais si tu vis prisonnier en toi-même, tu ne rencontreras jamais l’autre, tu ne sauras jamais ce qu’est servir. Servir est le geste le plus beau, le plus grand d’une personne : servir les autres. Aujourd’hui, beaucoup sont très réseaux sociaux mais pas très sociables : repliés sur eux-mêmes, prisonniers du téléphone portable qu’ils ont à la main. Mais, sur l’écran, il manque l’autre personne, ses yeux, son souffle, ses mains. L’écran devient facilement un miroir devant lequel tu crois être face au monde, alors qu’en réalité tu es seul dans un monde virtuel plein d’apparences, de photos truquées pour paraître toujours beau et en forme. Au contraire, comme il est beau d’être avec les autres, de découvrir la nouveauté de l’autre ! Dialoguer avec l’autre, cultiver la “mystique” de la convivialité, la joie de partager, l’ardeur de servir !
À ce propos, lors d’une réunion avec les jeunes en Slovaquie en septembre dernier, certains portaient une banderole intéressante. Elle ne comportait que deux mots : “tous frères”. J’ai aimé cela : souvent dans les stades, dans les manifestations, dans les rues, les gens mettent des banderoles pour soutenir leur camp, leurs idées, leur équipe, leurs droits. Mais la banderole de ces jeunes disait quelque chose de nouveau : qu’il est beau de se sentir frères et sœurs de tout le monde, de sentir que les autres font partie de nous, et qu’ils ne sont pas des personnes dont il faudrait se tenir à distance. Je suis heureux de vous voir tous ensemble, unis, même si vous venez de pays et d’histoires si différents ! Rêvez la fraternité !
En grec, il existe un dicton éclairant : o filos ine állos eaftós, “L’ami est un autre moi”. Oui, l’autre est le chemin pour se trouver soi-même. Pas le miroir, l’autre. Bien sûr, il est difficile de sortir de sa zone de confort, il est plus facile de s’asseoir sur le canapé devant la télévision. Mais c’est un vieux truc, ce n’est pas pour les jeunes. Ecoute : un jeune sur le divan, c’est pour les vieux. Les jeunes doivent réagir : lorsque l’on se sentent seul, s’ouvrir ; lorsque la tentation de se refermer sur eux-mêmes vient, chercher les autres, s’entraîner à cette “gymnastique de l’âme”. C’est ici que sont nés les plus grands événements sportifs, les Jeux olympiques, le marathon… En plus de l’esprit de compétition qui est bon pour le corps, il y a aussi ce qui est bon pour l’âme : s’entraîner à l’ouverture, parcourir de longues distances seul afin de raccourcir les distances avec les autres ; jeter son cœur par-dessus les obstacles ; soulever les fardeaux des autres… Vous entraîner dans ce domaine vous rendra heureux, vous conservera jeunes et vous fera ressentir combien la vie est une aventure !
En parlant d’aventure, Aboud, ton témoignage nous a touchés : ta fuite, avec tes proches, de cette chère Syrie martyrisée, après avoir risqué plusieurs fois d’être tués par la guerre. Et puis, après beaucoup de refus et mille difficultés, vous avez débarqué dans ce pays de la seule manière possible, en bateau, restant « sur un rocher, sans eau et sans nourriture, attendant l’aube et un navire des garde-côtes ». Une véritable odyssée des temps modernes.
Et il m’est venu à l’esprit que, dans l’Odyssée d’Homère, le premier héros qui apparaît n’est pas Ulysse, mais un jeune homme : Télémaque, son fils, qui vit une grande aventure. Il n’a jamais connu son père et il est angoissé, découragé car il ne sait pas où celui-ci se trouve, ni même s’il est encore vivant. Il se sent sans racines, à la croisée des chemins : ou bien il reste là, à attendre, ou bien il fait une folie et part à sa recherche. Plusieurs voix s’élèvent dont celle de la divinité qui l’exhorte à avoir du courage et à partir. Et c’est ce qu’il fait : il se lève, répare secrètement le bateau et en vitesse, au lever du soleil, il part à l’aventure. Le sens de la vie ne consiste pas à s’asseoir sur la plage en attendant que le vent apporte quelque chose de nouveau. Le salut est au large, dans l’élan, dans la recherche, dans la poursuite des rêves, les vrais, ceux qui se font les yeux ouverts, qui impliquent fatigue, lutte, vents contraires, tempêtes inattendues. S’il vous plaît, ne vous laissez pas paralyser par vos peurs, rêvez en grand ! Et rêvez ensemble ! Comme pour Télémaque, il y aura ceux qui essaieront de vous arrêter. Il y aura toujours ceux qui vous diront : “laisse tomber, ne prends pas de risque, c’est inutile”. Ce sont les assassins de rêves, les tueurs d’espérance, les nostalgiques incurables du passé.
Vous, par contre, s’il vous plait, nourrissez le courage de l’espérance, le courage que tu as eu, Aboud. Comment faire ? Par vos choix. Choisir est un défi. C’est affronter la peur de l’inconnu, c’est sortir du marécage de la standardisation, c’est décider de prendre sa vie en main. Pour faire de bons choix, vous pouvez vous rappeler une chose : les bonnes décisions concernent toujours les autres, et pas seulement soi-même. Voilà les choix qui valent la peine d’être risqués, les rêves qui valent la peine d’être réalisés : ceux qui demandent du courage et impliquent les autres.
Et, en vous quittant, je vous souhaite ceci : le courage d’avancer, le courage de risquer, le courage de ne pas rester dans un fauteuil. Le courage de risquer, d’aller vers les autres, jamais seules, toujours avec les autres. Et avec ce courage, chacun de vous se trouvera soi-même, il trouvera l’autre et il trouvera le sens de la vie. Je vous souhaite cela, avec l’aide de Dieu qui vous aime tous. Dieu vous aime, ayez courage, allez de l’avant. Brostà, óli masí ! [En avant, tous ensemble !]