« Il n’y a pas de pauvreté plus grande que de ne pas avoir Dieu, c’est-à-dire de vivre sans la foi qui donne un sens à la vie, sans l’espoir qui donne la force de travailler, sans nous sentir aimés par quelqu’un qui ne déçoit pas. Voici le lieu et le peuple où l’Action catholique doit accomplir sa mission », a affirmé le pape François dans une lettre adressée au Forum international de l’Action Catholique, ce 26 novembre 2021.
Lettre du pape François :
Chers frères,
Cette célébration, tournée vers un moment fondateur, nous fait inévitablement regarder en arrière dans une contemplation reconnaissante. En regardant en arrière, nous rencontrons des rêveurs qui ont osé regarder devant eux avec espérance. C’est la raison pour laquelle vous êtes ici.
Dans ce regard, nous ne pouvons pas oublier un profond rêveur qui a lancé la création de ce forum et lui a donné un élan, et qui se réjouit aujourd’hui de vous voir célébrer ces 30 ans : c’est le cardinal Eduardo Pironio, qui a dit avec un très grand amour pour l’Action catholique et une totale confiance dans sa mission : « Sur le chemin de l’Action catholique, il y a eu des lumières et des ombres, des moments de désarroi et de lassitude, des craintes d’avoir peut-être été dépassé par les temps nouveaux et par les exigences de l’Eglise. Je crois que le moment providentiel de l’Esprit est arrivé pour un renouvellement plus profond de son engagement spirituel, doctrinal, apostolique et missionnaire. La célébration de ce forum visant à ouvrir à d’autres pays la fécondité d’une expérience associative riche en fruits et pleine d’espoirs, y contribuera certainement ».
Pironio était un homme qui avait des racines profondes, une mémoire ancrée dans le dynamisme de l’histoire comme un kairos, un temps fort de salut, un temps de travail, d’épreuve, de purification et d’espérance. Il a aimé l’Action catholique et a cru dans sa vocation laïque missionnaire. L’Eglise peut témoigner que l’Action catholique a ouvert de nouvelles perspectives dans le domaine de la responsabilité des laïcs dans l’évangélisation. De nombreuses personnes évangélisées et formées par l’Action catholique ont apporté la vérité, la profondeur et l’Evangile dans les sphères civiles, souvent fermées à la foi. Les saints et les bienheureux laïcs de l’Action catholique sont une richesse pour l’Eglise. Ce sont eux « les saints de la porte d’à côté » de nombreuses communautés.
Mais l’histoire n’est pas linéaire : dans le chemin de l’Action catholique, comme dans celui de l’Eglise elle-même, il y a eu, il y a et il y aura des lumières et des ombres, des moments de profond désarroi, de lassitude, d’indifférence, de crainte d’avoir été dépassé par les exigences des temps nouveaux. La grande tentation dans les moments de crise ou de difficulté est de se replier sur soi pour prendre soin du peu que l’on a, en attendant, cachés et en chérissant ses souvenirs, l’arrivée de temps meilleurs. La parabole des talents est un reflet fidèle de ce qui se produit lorsque cette tentation s’installe et se transforme en une manière d’être, d’être dans le monde en vivant la réalité d’une irréalité.
Pour ne pas succomber à la tentation, pour ne pas oublier qui nous sommes et vers où nous allons : il devient pour nous essentiel de nous rappeler sans cesse – comme le faisait le peuple de Dieu dans le désert avec la promesse que le Seigneur lui-même lui avait faite – d’où nous venons, quelle est notre origine, de connaître le cœur de la mère qui nous a un jour mis au monde.
Et l’Action catholique trouve son origine au sein même de l’Eglise catholique. Elle n’a ni fondateur ni charisme très particulier. Sa finalité est celle de l’Eglise : l’évangélisation. Elle ne s’approprie pas tel ou tel domaine d’apostolat particulier, mais la finalité de l’Eglise : l’annonce de l’Evangile à tous les hommes et dans tous les milieux. C’est pourquoi son « charisme propre » est de n’avoir rien en propre mais d’offrir sa disponibilité à tous les besoins de l’Eglise en tout lieu. En tant qu’Eglise, nous faisons l’expérience qu’avec la force de l’Esprit, nous devons donner une réponse ici et maintenant aux cris du monde. Pour les entendre, nous devons sortir, être une Eglise en sortie qui s’approche comme le Samaritain de tous les hommes et de toutes les femmes souffrant dans leur chair ou dans leur esprit des douleurs de notre temps.
Nous traversons encore la première pandémie mondiale dans l’histoire de l’humanité, qui a frappé indistinctement tous les pays de notre monde. Avec la pandémie, l’état de vulnérabilité dont souffrent des centaines de millions d’hommes et de femmes sur notre planète, qui n’ont pas la moindre possibilité, est devenu une évidence. La vulnérabilité nous a mis devant le risque de mourir sans aucune forme de prévision et indépendamment du lieu où nous vivons, de notre condition morale, de notre croyance religieuse ou de notre position socio-économique. Toute l’humanité est frappée de la même façon. La vulnérabilité a réussi à dépasser tout ce qui nous divisait et nous rendait inégaux. Nous nous découvrons égaux dans le besoin, même si nous sommes différents quant à nos possibilités.
Comme je l’ai dit au début de la pandémie, la tempête « démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. Elle nous démontre comment nous avons laissé endormi et abandonné ce qui alimente, soutient et donne force à notre vie ainsi qu’à notre communauté. La tempête révèle toutes les intentions d’“emballer“ et d’oublier ce qui a nourri l’âme de nos peuples, toutes ces tentatives d’anesthésier avec des habitudes apparemment “salvatrices“, incapables de faire appel à nos racines et d’évoquer la mémoire de nos anciens, en nous privant ainsi de l’immunité nécessaire pour affronter l’adversité ». Nous avons tous, y compris moi, fait cette expérience d’être impuissant.
Nous venons d’une époque fortement marquée par la mondialisation : mondialisation économique, culturelle, etc., avec ses succès mais également avec les structures de péché qui en sont issues. Tout est mondial ; même le virus est devenu mondial !
En tant que Forum, vous avez une mission mondiale et alors que vous fêtez vos trente premières années, cette célébration est un défi et une invitation. Le défi de découvrir toujours plus et de manière toujours plus forte par où passe la vie et l’histoire de nos peuples, sans préjugés, sans peurs, sans classifications et sans se croire les régulateurs de la foi de quiconque. Je vous invite à être là où vont vos intérêts, vos préoccupations, vos blessures les plus profondes et vos angoisses les plus grandes. Nous savons qu’il n’y a pas de pauvreté plus grande que de ne pas avoir Dieu, c’est-à-dire de vivre sans la foi qui donne un sens à la vie, sans l’espoir qui donne la force de travailler, sans nous sentir aimés par quelqu’un qui ne déçoit pas. Voici le lieu et le peuple où l’Action catholique doit accomplir sa mission.
Face à la mondialisation de l’indifférence, sentez que le travail qui consiste à construire des ponts et à créer la communion est l’appel profond que Dieu vous lance. L’Eglise est communion par la mission. La communion n’est pas une idée, c’est une réalisation et la mission n’est pas une activité parmi d’autres, c’est l’essence de la vie ecclésiale. Cela suppose pour l’Action catholique la communion avec la pastorale diocésaine et ses pasteurs, une formation qui s’expérimente en termes missionnaires. L’Action catholique ne doit pas former pour le futur chrétien, mais elle doit et elle a besoin d’accompagner le processus de foi du chrétien actuel, conformément aux caractéristiques propres de la phase de la vie dans laquelle il se trouve.
La communion n’est pas un arrangement mais la certitude de la présence du Seigneur pour la mission. Evangéliser doit être la passion de tous les baptisés, de tous les membres de l’Action catholique, vivre en sortie permanente pour pouvoir rester fidèles à notre identité. « L’action catholique doit redécouvrir la passion pour l’annonce de l’Evangile, unique salut dans un monde qui serait sinon désespéré » (Paul VI). L’Action catholique a besoin de créer des espaces de présence, de témoignage, d’évangélisation missionnaire. Ce faisant, elle vit la mission de l’Eglise qui est d’être servante de l’humanité insérée dans l’Eglise du Christ, qui se réalise dans notre diocèse et dans notre paroisse, en communion parfaite avec l’Eglise universelle.
Je rends grâce à Dieu pour tout le travail que vous avez effectué au cours de ces trente années et qui a sans doute comporté beaucoup d’efforts. Surtout dans les premiers temps, lorsque la technologie ne vous permettait pas de rejoindre très facilement les différents lieux du monde et il fallait tout « faire avec un esprit de sacrifice ». Je vous remercie pour toutes les initiatives de solidarité et d’accompagnement des diocèses plus périphériques, en particulier ceux du tiers-monde où je sais que la présence de l’Action catholique est très missionnaire et soutient le travail des Eglises locales.
Avant de conclure, je voudrais vous demander trois choses :
– que ce Forum ressente profondément l’urgence de travailler en faveur de la fraternité et de l’amitié sociale comme des moyens de reconstruction d’un monde blessé ;
– que vous semiez dans tous les cœurs l’idée que l’authentique spiritualité chrétienne est celle qui s’enracine dans le désir de la sainteté et ceci est un chemin qui part des béatitudes et qui se réalise en Matthieu 25 : en aimant nos frères les plus éprouvés et en travaillant pour eux ;
– que l’esprit qui anime tous vos projets et vos travaux soit d’être une Eglise en sortie qui vive la joie douce et réconfortante d’évangéliser ; et que cela se voit.
Merci pour tout ce que vous faites et pour tout ce que vous ferez. N’oubliez pas de prier pour moi. Que Jésus vous bénisse et que la Sainte Vierge prenne soin de vous.