Paradoxalement, les adolescents d’aujourd’hui sont sensibles à la poésie de Dante Alighieri, fait observer le pape François qui a reçu au Vatican, ce samedi 10 octobre 2020, une délégation du diocèse de Ravenne-Cervia, à l’occasion de l’Année Dante (1265-1321) qui marque le 7e centenaire de la mort du grand poète auteur de la « Divine comédie ». Le pape annonce qu’il envisage de reparler de Dante l’an prochain.
Discours du pape François :
Chers frères et sœurs!
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’être venus partager avec moi la joie et l’engagement d’ouvrir les célébrations du 7e centenaire de la mort de Dante Alighieri. Je remercie particulièrement l’archevêque, Mgr Ghizzoni pour ses mots d’introduction.
Ravenne, pour Dante, est la ville du « dernier refuge » [1] – le premier c’était Vérone -; en fait, dans votre ville, le poète a passé ses dernières années et il a achevé son œuvre: selon la tradition, les derniers chants du Paradis y ont été composées.
Par conséquent, à Ravenne, il a conclu sa route terrestre; et a conclu cet exil qui a tellement marqué son existence et a aussi inspiré son écriture. Le poète Mario Luzi a souligné la valeur du bouleversement et de la découverte supérieure que l’expérience de l’exil a réservée à Dante. Cela nous fait immédiatement penser à la Bible, à l’Exil du peuple d’Israël à Babylone, qui constitue, pour ainsi dire, l’une des «matrices» de la révélation biblique. De la même manière pour Dante, l’exil était si important qu’il devint une clé pour interpréter non seulement sa vie, mais le «voyage» de tout homme et de toute femme dans l’histoire et au-delà de l’histoire.
La mort de Dante à Ravenne a eu lieu – comme l’écrit Boccace – « le jour où l’Exaltation de la Sainte Croix est célébrée par l’Église ». [2] Mes pensées se tournent vers cette croix d’or que le poète a certainement vue dans la petite coupole bleu nuit, parsemée de neuf cents étoiles, du mausolée de Galla Placidia; ou celle du Christ ornée de gemmes et «scintillante» – pour reprendre l’image du Paradis – (cf. XIV, 104), de l’abside de Sant’Apollinare in Classe.
En 1965, à l’occasion du septième centenaire de sa naissance [de Dante], Saint Paul VI offrit à Ravenne une croix en or pour sa tombe, restée jusque-là – comme il le disait – « dépourvue d’un tel signe de religion et d’espérance »(Discours au Sacré Collège et à la Prélature romaine, 23 décembre 1965). Cette même croix, à l’occasion de ce centenaire, brillera à nouveau dans le lieu qui conserve la dépouille mortelle du poète. Puisse-t-elle être une invitation à l’espérance, cette espérance dont Dante est le prophète (cf. Message à l’occasion du 750e anniversaire de la naissance de Dante Alighieri, 4 mai 2015).
Je souhaite donc que les célébrations du septième centenaire de la mort de l’immense poète nous incitent à revisiter sa Comédie pour que, conscients de notre condition d’exilés, nous nous laissions provoquer à ce chemin de conversion « du désordre à la sagesse, du péché à la sainteté, de la misère au bonheur, de la contemplation terrifiante de l’enfer à la contemplation béatifiante du ciel »(Saint Paul VI, Lettre apostolique m.p. Altissimi cantus, 7 décembre 1965). Dante, en effet, nous invite une fois de plus à redécouvrir le sens perdu ou obscurci de notre parcours humain.
Il pourrait sembler, parfois, que ces sept siècles ont creusé une distance infranchissable entre nous, hommes et femmes de l’époque postmoderne et sécularisée, et lui, extraordinaire représentant d’une époque dorée de la civilisation européenne. Pourtant, quelque chose nous dit que ce n’est pas le cas. Les adolescents, par exemple – même ceux d’aujourd’hui -, s’ils ont l’opportunité d’aborder la poésie de Dante d’une manière qui leur soit accessible, trouvent inévitablement, d’une part, tout l’éloignement de l’auteur et de son monde; et pourtant, d’un autre côté, ils ressentent une résonance surprenante. Cela se produit surtout là où l’allégorie laisse place au symbole, où l’humain est plus évident et nu, où la passion civile vibre plus intense, là où la fascination du vrai, du beau et du bien, finalement la fascination de Dieu fait ressentir sa puissante attraction.
Alors, profitant de cette résonance qui dépasse les siècles, nous aussi – comme Saint Paul VI nous a invités à le faire – nous pourrons nous enrichir de l’expérience de Dante pour traverser les nombreuses sombres forêts de notre terre et faire avec bonheur notre pèlerinage à travers l’histoire, pour atteindre le but rêvé et désiré par tout homme: «l’amour qui anime le soleil et les autres étoiles» (Par. XXXIII, 145) (cf. Message sur le 750e anniversaire de la naissance de Dante Alighieri, 4 mai 2015).
Merci encore de cette visite et mes meilleurs voeux pour les célébrations du centenaire. Avec l’aide de Dieu, j’ai l’intention de proposer l’année prochaine une réflexion plus large à cet égard. Je bénis de tout coeur chacun de vous, vos collaborateurs et toute la communauté de Ravenne. Et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi.
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[1] Voir C. Ricci, Dernier refuge de Dante Alighieri, Hoepli, Milan 1891
[2] Trattatello in laude par Dante, Garzanti 1995, p. XIV.
(c) Traduction de Zenit, Anita Bourdin