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 Le Pape est un prêtre qui ne s'isole pas mais vit en communion avec son peuple

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Le Pape est un prêtre qui ne s'isole pas mais vit en communion avec son peuple Empty
MessageSujet: Le Pape est un prêtre qui ne s'isole pas mais vit en communion avec son peuple   Le Pape est un prêtre qui ne s'isole pas mais vit en communion avec son peuple Icon_minitimeJeu 27 Fév 2020 - 17:54

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Les prêtres, dont la vocation reste celle d'être des hommes de réconciliation, peuvent éprouver diverses amertumes. C'est l'une des pensées du Pape contenues dans le discours lu ce matin par le Cardinal Vicaire, Angelo De Donatis, lors de la Liturgie Pénitentielle avec le clergé romain dans la Basilique Saint-Jean de Latran.

Être des personnes d'espérance, réconciliées, qui ont pris conscience de leur amertume et ont été transformées. C'est l'exhortation adressée par le Pape au clergé du diocèse de Rome, dans le discours lu ce jeudi matin par le Cardinal Vicaire Angelo De Donatis, lors de la traditionnelle liturgie pénitentielle du début du Carême. François n’y a pas participé en raison d’une «légère indisposition», comme l'a annoncé le Bureau de presse du Saint-Siège.

Pas tout-puissants, mais pécheurs pardonnés

Dans son texte, le Saint-Père souligne d’abord que sa réflexion vient de l'écoute de quelques séminaristes et prêtres italiens, notant que la plupart des prêtres sont généralement heureux de leur vie et considèrent les amertumes qu’ils rencontrent comme normales. Les regarder en face nous permet donc d'entrer en contact avec notre humanité et ainsi, affirme François, «nous rappeler qu'en tant que prêtres nous ne sommes pas appelés à être tout-puissants mais des hommes pécheurs pardonnés».

La spiritualité de la protestation

À la racine de l'amertume dans la foi se trouve un espoir déçu. Un espoir qui se confond probablement avec une attente. L'espérance chrétienne, en effet, ne déçoit pas, rappelle le Pape, car «espérer, ce n'est pas être convaincu que les choses vont s'améliorer, mais plutôt que tout ce qui arrive a un sens à la lumière de Pâques». Pour la nourrir, il faut cependant une vie de prière intense, en se plaçant sous «la lumière de la Parole de Dieu».

Or la relation avec Dieu - plus que les déceptions pastorales - peut être une cause profonde d'amertume. Parfois, il semble presque qu'Il ne réponde pas aux attentes d'une vie pleine et abondante que nous avions le jour de notre ordination, explique le Pape aux prêtres. Parfois, une adolescence inachevée ne nous aide pas à passer des rêves à l’espérance. Peut-être qu'en tant que prêtres, nous sommes trop «respectables» dans notre relation avec Dieu et nous n’osons pas protester dans la prière, comme le fait souvent le psalmiste - non seulement pour nous, mais aussi pour tout son peuple. Le pasteur porte lui aussi l'amertume de son peuple. La véritable protestation, précise François, n'est pas «contre Dieu mais devant Lui», elle naît de la confiance.

La spécificité de l’espérance chrétienne

Pour saisir profondément le sens de l’espérance, il est utile de comprendre la différence avec l'attente. Elle surgit lorsque «nous nous mettons en colère», note le Pape, à la recherche de la sécurité, avec pour point de référence nous-même. L'espérance naît au contraire lorsque nous décidons de ne plus nous défendre. Elle repose sur une alliance: la vie pleine promise par Dieu au jour de l'ordination s'accomplit «si je “fais” Pâques, et non si les choses se passent comme je le dis».

L'amertume doit donc être acceptée, car il existe une tristesse qui peut parfois être bonne et nous conduire à Dieu; ainsi l'amertume peut se transformer en douceur et la douceur du monde en amertume. Saint François d'Assise l'a également vécu, comme il le rappelle dans son Testament.

Les problèmes avec l'évêque

Le Pape écrit aussi que «beaucoup d'amertume dans la vie du prêtre est due aux omissions des Pasteurs». Il ne s'agit pas de mésententes inévitables concernant les problèmes de gestion ou les styles pastoraux, mais d’aspects «déstabilisants» pour les prêtres. Par exemple, ce que François appelle «une certaine dérive autoritaire douce», lorsque l'adhésion aux initiatives risque de devenir «l'étalon de la communion», ou que le «culte des initiatives» remplace l'essentiel.

La compétence supplantée par la loyauté présumée

Pour tracer la bonne direction, le pape François fait appel à saint Benoît. Celui-ci recommande dans sa Règle que l'abbé consulte toute la communauté lorsqu'il est confronté à une question importante, mais aussi que la décision finale lui revienne, avec prudence et équité.

La grande tentation du pasteur est de s'entourer des «siens», de «proches». Alors la compétence réelle est supplantée par une certaine loyauté présumée, ne faisant plus la distinction entre ceux qui agissent par complaisance et ceux qui conseillent de manière désintéressée. Cela fait beaucoup souffrir le troupeau, qui souvent consent sans rien montrer.

L'amertume entre les prêtres

Une autre cause d'amertume chez les prêtres peut provenir de l’entre soi. Ces derniers temps, le prêtre a subi «les coups des scandales, financiers et sexuels» et la suspicion rend les relations plus froides et plus formelles.

Face aux scandales, le Malin nous tente avec une vision “donatiste” de l'Église : à l'intérieur ceux qui sont impeccables, et ceux qui se trompent, dehors! Nous avons de fausses conceptions de l'Église militante, dans une sorte de puritanisme ecclésiologique, remarque le Saint-Père. Or l'Épouse du Christ est et reste le champ où le bon grain et l’ivraie pousseront ensemble jusqu’à la Parousie. Ceux qui n'ont pas cette vision évangélique de la réalité s'exposent à une amertume indicible et inutile.

Le drame de l’isolement

Par ailleurs, il semble y avoir «plus de communautés, mais moins de communion». Le Pape précise cependant qu'il ne s'agit pas de solitude au sens chrétien du terme, celle dans laquelle on prie. Au contraire, le vrai problème réside dans le peu de temps dont on dispose pour être seul. Sans solitude, il n'y a pas d'amour gratuit et les autres risquent de devenir «un substitut du vide». Le drame est plutôt l'isolement, celui de l'âme, au milieu des gens. Le «monde de la grâce» devient peu à peu un étranger et les saints semblent être des «amis imaginaires» des enfants. Le danger est que l'éloignement de la grâce engendre rationalisme ou sentimentalité, mais «jamais une chair rachetée».

Ne pas faire table rase du passé

François signale aussi aux prêtres romains le risque de s'isoler de l'Histoire, quand tout semble se consommer dans «l'ici et maintenant» sans espérance dans les biens promis. Plus on se sent puissant, plus on ferme son cœur au sens continu de l'Histoire du peuple de Dieu, avertit le Souverain Pontife.

C'est pourquoi il nous est si difficile de préserver ce que notre prédécesseur a si bien commencé: nous arrivons souvent à la paroisse et nous nous sentons obligés de faire table rase, afin de nous distinguer et de marquer la différence. Nous ne sommes pas capables de continuer à vivre le bien auquel nous n'avons pas donné naissance! Nous partons de zéro parce que nous ne ressentons pas le goût d'appartenir à un chemin communautaire de salut.

L'isolement des autres est aussi un danger, lorsque ses propres problèmes semblent uniques et insurmontables, lorsque l'on pense que personne ne peut nous comprendre. Le Pape se réfère à ce que Bernanos a écrit à propos du plus substantiel «parmi les élixirs du diable» : une pensée qui nous enferme en nous-mêmes en nous mettant, en réalité, dans une position de supériorité.

«Le diable ne veut pas que vous parliez, que vous racontiez, que vous partagiez. Ne vous isolez jamais, jamais ! Le sentiment profond de communion ne vient que lorsque, personnellement, je prends conscience du "nous" que je suis, que j'ai été et que je serai. Sinon, les autres problèmes affluent : de l'isolement, d'une communauté sans communion, naît la compétition et certainement pas la coopération ; le désir de reconnaissance et non la joie de la sainteté partagée se fait jour ; on entre en relation soit pour se comparer, soit pour se soutenir.»

Le peuple de Dieu attend des gens qui se réconcilient

Et, en conclusion, Francis souligne que le peuple de Dieu "nous connaît mieux que quiconque" :

«Ils sont très respectueux et peuvent accompagner et prendre soin de leurs pasteurs. Ils connaissent notre amertume et prient aussi le Seigneur pour nous. Nous ajoutons à leurs prières les nôtres, et nous demandons au Seigneur de transformer notre amertume en eau fraîche pour son peuple. Demandons au Seigneur de nous donner la capacité de reconnaître ce qui nous aigrit et soyons ainsi des gens réconciliés qui réconcilient, des pacificateurs qui pacifient, pleins d'espoir qui insufflent de l'espoir. Le peuple de Dieu attend de nous des maîtres d'esprit capables de lui indiquer les puits d'eau douce au milieu du désert.»

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Source : www.vaticannews.va/fr/

Discours en Intégralité du Pape François :

Les amertumes dans la vie du prêtre. Une réflexion ad intra.

Je ne désire pas tant réfléchir sur les tribulations qui découlent de la mission du prêtre : ce sont des choses bien connues et déjà largement diagnostiquées. Je désire parler avec vous, en cette occasion, d’un ennemi subtil qui trouve bien des façons de se camoufler et de se cacher et, comme un parasite, nous vole lentement la joie de la vocation à laquelle nous avons un jour été appelés. Je veux vous parler de cette amertume focalisée autour du rapport à la foi, à l’évêque et aux confrères. Nous savons qu’il peut exister d’autres racines et situations. Mais celles-ci synthétisent beaucoup des rencontres que j’ai eues avec certains d’entre vous.

Je fais tout de suite observer deux choses : la première, que ces lignes sont le fruit de l’écoute de certains séminaristes et prêtres de différents diocèses italiens et ne peuvent ni ne doivent se référer à aucune situation spécifique. La seconde : que la majeure partie des prêtres que je connais sont contents de leur vie et considèrent que ces amertumes font partie de la vie normale, sans drames. J’ai préféré laisser résonner ce que j’ai entendu plutôt que d’exprimer mon opinion sur ce sujet.

Regarder en face nos amertumes et nous confronter à elles nous permet de prendre contact avec notre humanité, avec notre humanité bénie. Et ainsi, nous souvenir qu’en tant que prêtres, nous ne sommes pas appelés à être tout-puissants mais des hommes pécheurs pardonnés et envoyés. Comme le disait saint Irénée de Lyon : « ce qui n’est pas assumé n’est pas racheté ». Laissons ces « amertumes » nous indiquer elles aussi la voie vers une plus grande adoration du Père et nous aider à expérimenter à nouveau la force de son onction miséricordieuse (cf. Lc 15, 11-32). Comme le dit le psalmiste : « Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie. Que mon coeur ne se taise pas, qu’il soit en fête pour toi » (Ps. 29,12-13).

Première cause d’amertume : les problèmes avec la foi

« Nous, nous espérions que c’était lui », se confient l’un à l’autre les disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24,21). Une espérance déçue est à la racine de leur amertume. Mais il faut réfléchir : est-ce le Seigneur qui nous a déçus ou bien est-ce nous qui avons confondu l’espérance avec nos attentes ? L’espérance chrétienne, en réalité, ne déçoit pas et n’échoue pas. Espérer n’est pas se convaincre que les choses iront mieux, mais que tout ce qui arrive a un sens à la lumière de Pâques. Mais pour espérer chrétiennement, il faut – comme l’enseignait saint Augustin à Proba – vivre une vie de prière nourrissante. C’est là que l’on apprend à faire la distinction entre attentes et espérance.

Maintenant, la relation à Dieu – plus que les déceptions pastorales – peut être une cause profonde d’amertume. Parfois il semble presque qu’il ne respecte pas les attentes d’une vie pleine et abondante, que nous avions le jour de notre ordination. Parfois, une adolescence jamais terminée n’aide pas à passer des rêves à l’espérance. En tant que prêtres, peut-être sommes-nous trop « bien comme il faut » dans notre relation à Dieu et ne nous hasardons-nous pas à protester dans la prière, comme le psalmiste, lui, le fait très souvent – non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour notre peuple ; parce que le pasteur porte aussi les amertumes de son peuple – ; mais aussi les psaumes ont été « censurés » et nous avons du mal à faire nôtre une spiritualité de la protestation. Nous tombons ainsi dans le cynisme : mécontents et un peu frustrés. La véritable protestation – de l’adulte – n’est pas contre Dieu mais devant lui, parce qu’elle naît justement de notre confiance en lui : celui qui prie rappelle à Dieu qui il est et ce qui est digne de son nom. Nous devons sanctifier son nom, mais parfois c’est aux disciples de réveiller le Seigneur et de lui dire : « Nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? ». Ainsi, le Seigneur veut nous impliquer directement dans son royaume. Non comme des spectateurs, mais en participant activement.

Quelle différence y a-t-il entre attente et espérance ? L’attente naît quand nous passons notre vie à sauver notre vie : nous nous donnons du mal à chercher des sécurités, des récompenses, des promotions… Quand nous recevons ce que nous voulons, nous avons presque l’impression que nous ne mourrons jamais, que ce sera toujours ainsi ! Parce que c’est nous qui sommes le point de référence. L’espérance, elle, est quelque chose qui naît dans le coeur quand il se décide à ne plus se défendre. Quand je reconnais mes limites, et que tout ne commence pas et ne finit pas avec moi, alors je reconnais combien il est important d’avoir confiance. Le théatin Lorenzo Scupoli l’enseignait déjà dans son Combat spirituel : la clé de tout est dans un double mouvement simultané : se méfier de soi, faire confiance à Dieu. J’espère non pas lorsqu’il n’y a plus rien à faire, mais quand je cesse de me donner du mal uniquement pour moi. L’espérance s’appuie sur une alliance : Dieu m’a parlé et m’a promis, le jour de mon ordination, que ma vie serait pleine, de la plénitude et avec le goût des Béatitudes ; certes avec des tribulations – comme celle de tous les hommes – mais belle. Ma vie a de la saveur si je vis Pâques, pas si les choses vont comme je le dis.

Et ici, on comprend autre chose : il ne suffit pas d’écouter simplement l’histoire pour comprendre ces processus. Il faut écouter l’histoire et notre vie à la lumière de la Parole de Dieu. Les disciples d’Emmaüs surmontèrent leur déception quand le Ressuscité leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures. Voilà : les choses iront mieux non seulement parce que nous changerons de supérieurs, ou de mission, ou de stratégies, mais parce que nous serons consolés par la Parole. Le prophète Jérémie confessait : « tes paroles (…) faisaient ma joie, les délices de mon cœur » (15,16).

L’amertume – qui n’est pas une faute – doit être accueillie. Elle peut être une grande occasion. Peut-être est-elle même salutaire, parce qu’elle fait sonner le signal d’alarme intérieur : attention, tu as pris tes sécurités pour l’alliance, tu es en train de devenir « un esprit sans intelligence et ton coeur lent à croire ». Il y a une tristesse qui peut nous conduire à Dieu. Accueillons-la, ne nous mettons pas en colère contre nous-mêmes. Cette fois-là peut être la bonne. Même saint François d’Assise en a fait l’expérience, il nous le rappelle dans son Testament (cf. Sources franciscaines, 110). L’amertume se changera en une grande douceur, et les douceurs faciles, mondaines, se transformeront en amertume.

Seconde cause d’amertume : les problèmes avec l’évêque

Je ne veux pas tomber dans la rhétorique ni chercher le bouc émissaire, ni même me défendre ou défendre ceux qui dépendent de moi. Le lieu commun, qui trouve les supérieurs fautifs en tout, ne tient plus. Nous avons tous des failles, petites et grandes. Au jour d’aujourd’hui, on a l’impression de respirer une atmosphère générale (pas seulement entre nous) de médiocrité diffuse, qui ne nous permet pas de nous accrocher à des jugements faciles. Mais le fait est que beaucoup d’amertume dans la vie du prêtre vient des omissions des pasteurs.

Nous faisons tous l’expérience de nos limites et de nos manques. Nous sommes confrontés à des situations dans lesquelles nous nous rendons compte que nous ne sommes pas préparés de manière adéquate… Mais au fur et à mesure que l’on monte dans les services et les ministères avec une plus grande visibilité, les carences deviennent plus évidentes et font plus de bruit ; et c’est aussi une conséquence logique qui montre que, dans cette relation, il se joue beaucoup, en bien et en mal. Quelles omissions ? Il ne s’agit pas ici des divergences souvent inévitables sur les problèmes de gestion ou les styles pastoraux. Ceci est tolérable et fait partie de la vie sur cette terre. Tant que le Christ ne sera pas tout en tous, tout le monde cherchera à s’imposer à tout le monde ! C’est l’Adam déchu qui est en nous qui nous joue ces tours.

Le véritable problème qui rend amer, ce ne sont pas les divergences (et peut-être pas non plus les erreurs : un évêque a aussi le droit de se tromper, comme toutes les créatures !), mais plutôt deux motifs très sérieux et déstabilisants pour les prêtres.

Avant tout, une certaine dérive autoritaire soft : on n’accepte pas ceux qui parmi nous pensent différemment. Pour un mot, on est transféré dans la catégorie de ceux qui rament à contre-courant, pour un « distinguo » on est inscrit parmi les mécontents. La parrhésie est enterrée par la frénésie d’imposer des projets. Le culte des initiatives se substitue à l’essentiel : une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous. L’adhésion aux initiatives risque de devenir le critère de la communion. Mais elle ne coïncide pas toujours avec l’unanimité des opinions. Et on ne peut pas non plus prétendre que la communion soit exclusivement unidirectionnelle : les prêtres doivent être en communion avec leur évêque… et les évêques en communion avec leurs prêtres : ce n’est pas un problème de démocratie, mais de paternité.

Dans sa Règle – au célèbre chapitre III – saint Benoît recommande que l’abbé, lorsqu’il doit affronter une question importante, consulte la communauté tout entière, y compris les plus jeunes. Puis il poursuit en redisant que la décision ultime revient uniquement à l’abbé, qui doit tout disposer avec prudence et équité. Pour Benoît, l’autorité n’est pas remise en question, bien au contraire, c’est l’abbé qui répond devant Dieu de la conduite du monastère ; mais il est dit que, pour décider, il doit être « prudent et équitable ». Le premier terme, nous le connaissons bien : prudence et discernement font partie du vocabulaire commun.

L’ « équité » est moins habituelle : équité veut dire tenir compte de l’opinion de tous et sauvegarder la représentativité du troupeau, sans faire de préférences. La grande tentation du pasteur est de s’entourer des « siens », des « proches » ; et ainsi, malheureusement, la réelle compétence est supplantée par une certaine loyauté présumée, sans plus distinguer entre celui qui fait plaisir et celui qui conseille de manière désintéressée. Cela fait beaucoup souffrir le troupeau qui, souvent, accepte sans rien extérioriser. Le Code de Droit canonique rappelle que les fidèles « ont le droit, et même parfois aussi le devoir, de manifester aux pasteurs leur pensée sur ce qui concerne le bien de l’Église (can. 212 par 3). Certes, en ce temps de précarité et de fragilité diffuse, la solution semble être l’autoritarisme (dans le domaine politique, c’est évident). Mais la véritable sollicitude – comme le conseille saint Benoît – repose dans l’équité, et non dans l’uniformité. [1]


Troisième cause d’amertume : les problèmes entre nous

Ces dernières années, le prêtre a subi les coups des scandales, financiers et sexuels. Le soupçon a considérablement rendu les relations plus froides et formelles ; on n’apprécie plus les dons des autres, au contraire, il semble que ce soit une mission de détruire, minimiser, faire soupçonner. Devant les scandales, le malin nous tente en nous poussant vers une vision « donatiste » de l’Église : dedans les irréprochables, dehors ceux qui se trompent ! Nous avons de fausses conceptions de l’Église militante, dans une sorte de puritanisme ecclésiologique. L’Épouse du Christ est et demeure le champ dans lequel croissent jusqu’à la parousie le bon grain et l’ivraie. Qui n’a pas fait sienne cette vision évangélique de la réalité s’expose à une indicible et inutile amertume.

Quoi qu’il en soit, les péchés publics et publicisés des clercs ont rendu tout le monde plus circonspect et moins disposé à créer des liens significatifs, surtout en ce qui concerne le partage de la foi. Les rendez-vous communs se multiplient – formation permanente et autre – mais on participe avec un coeur moins disposé. Il y a plus de « communauté » mais moins de communion ! La question que nous nous posons, lorsque nous rencontrons un nouveau confrère, émerge silencieusement : « qui ai-je vraiment devant moi ? Puis-je faire confiance ? ».

Il ne s’agit pas de la solitude : elle n’est pas un problème, mais un aspect du mystère de la communion. La solitude chrétienne – celle de celui qui rentre dans sa chambre et prie son Père dans le secret – est une bénédiction, la véritable source de l’accueil aimant de l’autre. Le vrai problème ne réside pas dans le fait qu’on ne trouve plus le temps pour rester seul. Sans solitude, il n’y a pas d’amour gratuit et les autres deviennent un succédané des vides. En ce sens, en tant que prêtres, il faut toujours que nous réapprenions à rester seuls « évangéliquement », comme Jésus la nuit avec son Père.[2]

Ici, le drame, c’est l’isolement, qui est autre chose que la solitude. Un isolement, pas seulement et pas tant extérieur – nous sommes toujours au milieu des gens – qu’inhérent à l’âme du prêtre. Début de l’isolement plus profond, pour ensuite en toucher une forme davantage visible.

Isolés par rapport à la grâce : atteints par le sécularisme, nous ne croyons plus ni ne sentons que nous sommes entourés d’amis célestes – le « grand nombre de témoins » (cf. Hé 12,1) – ; il nous semble que nous faisons l’expérience que notre histoire, les afflictions, ne touchent personne. Le monde de la grâce nous est devenu peu à peu étranger, les saints nous semblent n’être que les « amis imaginaires » des enfants. L’Esprit qui habite le coeur – en substance et non en apparence – est quelque chose que nous n’avons peut-être jamais expérimenté, par dissipation ou par négligence. Nous connaissons, mais nous ne « touchons » pas. L’éloignement de la force de la grâce produit rationalismes et sentimentalismes. Jamais une chair rachetée.

S’isoler par rapport à l’histoire : Tout semble se consumer ici et maintenant, sans espérance dans les biens promis et dans la récompense future. Tout s’ouvre et se ferme avec nous. Ma mort n’est pas le passage du témoin, mais une interruption injuste. Plus on se sent spécial, puissant, riche de dons, plus le coeur se ferme au sens continu de l’histoire du peuple de Dieu auquel on appartient. Notre conscience individualisée nous fait croire que rien n’a existé avant nous et que rien n’existera après. C’est pour cette raison que nous avons tant de mal à prendre soin de ce que notre prédécesseur a commencé de bon, et à le protéger : nous arrivons souvent à la paroisse et nous nous sentons le devoir de faire table rase, pourvu que nous nous distinguions et que nous nous différencions. Nous ne sommes pas capables de continuer à faire vivre le bien dont nous n’avons pas nous-mêmes accouché ! Nous recommençons à zéro parce que nous ne ressentons pas le goût d’appartenir à un chemin communautaire de salut.

Isolés par rapport aux autres : l’isolement par rapport à la grâce et à l’histoire est une des causes de l’incapacité parmi nous d’instaurer des relations significatives de confiance et de partage évangéliques. Si je suis isolé, mes problèmes paraissent uniques et insurmontables : personne ne peut me comprendre. C’est l’une des pensées préférées du père du mensonge. Souvenons-nous des paroles de Bernanos : « Il faut beaucoup de temps pour le reconnaître, et la tristesse qui l’annonce, le précède, est si douce ! C’est le plus riche des élixirs du démon, son ambroisie ! ».[3] Une pensée qui peu à peu prend corps et nous renferme en nous-mêmes, nous éloigne des autres et nous met en position de supériorité. Parce que personne ne serait à la hauteur des exigences. Une pensée qui, à force de se répéter, finit par se nicher en nous. « Qui cache ses fautes ne réussira pas ; qui les avoue et s’en détourne obtiendra miséricorde » (Pr 28,13).

Le démon ne veut pas que tu parles, que tu racontes, que tu partages. Alors toi, cherche un bon père spirituel, âgé, « malin » qui puisse t’accompagner. Ne jamais s’isoler, jamais ! Le sentiment profond de la communion, on ne l’a que lorsque, personnellement, je prends conscience du « nous » que je suis, que j’ai été et que je serai. Sinon, les autres problèmes arrivent en cascade : de l’isolement, d’une communauté sans communion, naît la compétition et sûrement pas la coopération, émerge le désir de reconnaissance et non la joie d’une sainteté partagée ; on entre en relation, soit pour se comparer, soit pour s’épauler.

Souvenons-nous du peuple d’Israël lorsque, marchant dans le désert pendant trois jours, il arriva à Mara, mais ne put boire l’eau parce qu’elle était amère. Devant la protestation du peuple, Moïse invoqua le Seigneur et l’eau devint douce (cf. Ex 15,22-25). Le saint peuple fidèle de Dieu nous connaît mieux que personne. Ils sont très respectueux et savent accompagner leurs pasteurs et prendre soin d’eux. Ils connaissent nos amertumes et prient aussi le Seigneur pour nous. Ajoutons à leurs prières les nôtres et demandons au Seigneur de transformer nos amertumes en eau douce pour son peuple. Demandons au Seigneur de nous donner la capacité de reconnaître ce qui nous rend amers pour nous laisser transformer et être des personnes réconciliées qui réconcilient, pacifiées qui pacifient, pleines d’espérance qui donnent l’espérance. Le peuple de Dieu attend de nous des maîtres en esprit, capables d’indiquer les puits d’eau douce au milieu du désert.

_______

[1] Un second motif d’amertume provient d’une « perte » dans le ministère des pasteurs : étouffés par des problèmes de gestion et par des urgences de personnel, nous risquons de négliger le ‘munus docendi’. L’évêque est le maître de la foi, de l’orthodoxie et de l’ « ortopathie », de la manière droite de croire et de sentir dans l’Esprit Saint. Dans l’ordination épiscopale, l’épiclèse est priée avec l’Évangéliaire ouvert sur la tête du candidat et l’imposition de la mitre redit extérieurement le ‘munus’ de transmettre non les croyances personnelles mais la sagesse évangélique. Qui est le catéchiste de ce disciple permanent qu’est le prêtre ? L’évêque, naturellement ! Mais qui s’en souvient ? On pourrait objecter que les prêtres, en général, ne veulent pas être instruits par les évêques. Et c’est vrai. Mais ceci, si c’était le cas, n’est pas un bon motif pour renoncer au ‘munus’. Le saint peuple de Dieu a droit à avoir des prêtres qui enseignent à croire ; et les diacres et les prêtres ont le droit d’avoir un évêque qui, à son tour, enseigne à croire et à espérer dans l’Unique Maître, Voie, Vérité et Vie, qui enflamme leur foi. En tant que prêtre, je ne veux pas que l’évêque m’arrange, mais qu’il m’aide à croire. Je voudrais pouvoir fonder en lui mon espérance théologale ! Parfois, on se limite à suivre uniquement les confrères en crise (et c’est bien) mais les « ânes en bonne santé » auraient aussi besoin d’une écoute plus ciblée, sereine et en dehors des urgences. Voici donc une seconde omission qui peut provoquer de l’amertume : le renoncement au ‘munus docendi’ à l’égard des prêtres (et des autres). Des pasteurs autoritaires qui ont perdu l’autorité d’enseigner ?

[2] C’est une solitude à moitié – disons-le sincèrement –, parce que c’est la solitude du pasteur qui est remplie de noms, de visages, de situations, du pasteur qui vient le soir, fatigué, parler avec son Seigneur de toutes ces personnes. La solitude du pasteur est une solitude habitée des rires et des pleurs des personnes et de la communauté ; c’est une solitude avec des visages à offrir au Seigneur.

[3] Journal d’un curé de campagne.
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Source : https://fr.zenit.org/
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http://www.papefrancois.fr
 
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