Le pape François a reçu en audience les délégations des Instituts missionnaires de fondation italienne, ce lundi 30 septembre, dans la Salle Clémentine du Palais apostolique du Vatican. Il a salué leurs fondateurs qui, « à une époque historique troublée », ont été « les protagonistes d’un nouvel élan vers l’autre et vers celui qui est loin ».
Discours du pape François :
Chers frères et sœurs,
Je suis content de vous rencontrer et je vous suis reconnaissant d’avoir demandé cette audience ensemble, en tant qu’Instituts religieux spécifiquement missionnaires, nés en Italie. Je remercie pour les salutations et la présentation. Je considère providentiel le fait de nous rencontrer à la veille du Mois missionnaire extraordinaire, parce que cela nous permet de réfléchir ensemble sur la mission et surtout d’invoquer sur elle la grâce de Dieu.
Je ressens avant tout le besoin d’exprimer ma reconnaissance à vos fondateurs. À une époque historique troublée – de la moitié du dix-neuvième à la moitié du vingtième siècle – la fondation de vos familles religieuses, avec leur généreuse ouverture au monde, a été un signe de courage et de confiance dans le Seigneur. Quand tout semblait pousser à conserver l’existant, vos fondateurs – mais on pourrait ajouter d’autres figures, comme par exemple sainte Cabrini – ont été au contraire les protagonistes d’un nouvel élan vers l’autre et vers celui qui est loin. De la conservation à l’élan.
Le missionnaire vit le courage de l’Évangile sans trop de calculs, en allant même parfois au-delà du bon sens commun parce que poussé par la confiance qu’il met exclusivement en Jésus. Il y a une mystique de la mission, une soif de communion avec le Christ à travers le témoignage, que vos fondateurs et vos fondatrices ont vécues et qui les ont poussés à se donner totalement. Il est nécessaire de redécouvrir cette mystique dans toute sa fascinante beauté, parce qu’elle conserve sa force extraordinaire pour tous les temps. Comme le dit saint Paul : « En effet, l’amour du Christ nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous » (2 Cor 5,14).
La Vierge Marie est pour nous maîtresse en cela aussi : elle qui, aussitôt après avoir conçu Jésus, est partie en hâte pour aller aider sa cousine ; et elle a ainsi apporté Jésus dans cette maison, dans cette famille et, en même temps, elle l’a apporté au peuple d’Israël et l’a apporté au monde. Marie part parce qu’elle est habitée par le Christ et par son Esprit. C’est pour cette raison que vous partez, vous aussi, parce que vous êtes habités par le Christ et par son Esprit. Il n’existe pas d’autre raison que le Christ ressuscité pour décider de partir, de quitter ses proches les plus chers, son pays, ses amis, sa culture. Il est beau d’entendre dans vos paroles cette passion pour le Christ et pour son Royaume ; comme dans le mémorable discours de Paul VI à Manille, que vous citez dans votre document.
Ainsi, la confirmation de votre dévouement à la mission ad gentes est bien fondée sur cette base. Je vous remercie pour le témoignage clair que vous donnez de votre vocation, qui est inséparablement ecclésiale et charismatique. Ecclésiale dans le fond, enracinée dans le baptême et, en même temps, liée au charisme vers lequel le Seigneur vous a attirés et dans lequel votre vie a pris forme.
J’ai été frappé de vous entendre répéter sans hésitations : « Nous sommes des missionnaires ad gentes… ad extra… ad vitam ». Et vous ne le dites pas comme un slogan – ce serait dangereux ! – mais avec les nécessaires motivations et précisions. Vous le dites sans triomphalisme ni esprit de défi, au contraire, en étant conscients de la crise actuelle, accueillie comme une opportunité de discernement, de conversion et de renouvellement.
Avec votre consécration à la mission ad gentes, vous apportez votre contribution spécifique à l’engagement d’évangélisation de toute l’Église. Avec la richesse des charismes de vos Instituts – qui veut dire des cœurs, des visages, des histoires et aussi le sang de missionnaires – vous interprétez le message d’Evangelii nuntiandi de saint Paul VI, celui de Redemptoris missio de saint Jean-Paul II et celui d’Evangelii gaudium. Et avec cette herméneutique incarnée dans votre vie et dans celle de vos communautés, vous enrichissez la façon de sentir et de cheminer de l’Église.
Vous aidez à garder vivante dans le peuple de Dieu la conscience d’être constitutivement « en sortie », envoyé porter à tous les peuples la bénédiction de Dieu qu’est Jésus-Christ. En outre, vous l’aidez à se rappeler que la mission n’est pas une oeuvre individuelle, de « champions solitaires », mais qu’elle est communautaire, fraternelle, partagée. En ce sens, la collaboration entre vos Instituts est une valeur ajoutée : avancez comme cela !
Un autre apport typique que vous offrez à l’Église est celui de faire voir que la mission n’est pas « à sens unique » – de l’Europe vers le reste du monde : ce sont des traces du vieux colonialisme – mais qu’elle vit d’un échange qui est désormais évident mais qui doit être perçu comme une valeur, un signe des temps. Aujourd’hui, la majeure partie des vocations sacerdotales et religieuses naissent sur des territoires qui auparavant, recevaient seulement des missionnaires. Ce fait, d’une part augmente en nous le sentiment de gratitude envers les saints évangélisateurs qui ont semé au prix de grands sacrifices sur ces terres ; et d’autre part cela constitue un défi pour les Églises et pour les Instituts : un défi pour la communion et pour la formation. Mais un défi à accueillir sans peur, avec confiance dans l’Esprit-Saint qui est Maître dans l’harmonisation des diversités. Je rappelle que lors de notre 32ème Congrégation générale – je parle de 1974 – je rappelle que l’on parlait de la Compagnie de Jésus dans pas mal d’endroits et l’on disait : « Peut-être aurons-nous un supérieur général indien, ou africain… ». À cette époque, c’était étrange. Tous [les supérieurs] devaient être européens. Et aujourd’hui, combien de Congrégations religieuses ont des supérieurs généraux, hommes ou femmes, qui viennent de ces terres ! Nous aussi, aujourd’hui, nous avons un latino-américain comme supérieur général. Les choses se sont inversées : ce qui était une utopie en 74 est aujourd’hui devenu réalité.
Chers frères et sœurs, partir de votre pays bien-aimé est un signe qui redonne force et courage à vos communautés d’origine. Par votre départ, vous continuez de dire : avec le Christ, il n’existe ni ennui, ni fatigue, ni tristesse parce qu’il est la nouveauté continuelle de notre vie. Le missionnaire a besoin de la joie de l’Évangile : sans elle, on ne fait pas de mission, on annonce un Évangile qui n’attire pas. Et le noyau de la mission est cet attrait du Christ : il est le seul qui attire. Les hommes et les femmes d’aujourd’hui, en Italie et dans le monde, ont besoin de voir des personnes qui ont dans le cœur la joie du Ressuscité, qui ont été attirées par le Seigneur. Ce témoignage, visible dans le dialogue, dans la charité mutuelle, dans l’accueil et le partage réciproques, dit la beauté de l’Évangile, attire à la joie de croire en Jésus et de s’ancrer à lui. C’est Jésus lui-même qui nous attire. C’est lui ! Que cette joie, cette beauté de l’Évangile trouvent toujours place dans votre cœur, dans vos gestes, dans vos paroles, dans la manière dont vous vivez les relations.
Que l’annonce de la beauté, de la joie et de la nouveauté de l’Évangile soit explicite et implicite, qu’elle touche toutes les situations de l’aventure humaine. N’ayez pas peur de témoigner de Jésus, y compris là où c’est inconfortable ou peu propice. Témoigner de lui par toute sa vie, non pas avec des méthodologies commerciales qui répondent davantage à un esprit de prosélytisme qu’à une véritable évangélisation. N’oubliez pas que le protagoniste de l’évangélisation est l’Esprit Saint. Lui, le Seigneur, saura trouver les manières de faire prendre racine à cette petite graine qu’est son nom prononcé dans l’amour d’un ou d’une missionnaire et le transformer petit à petit en une plante de foi solide, à l’ombre de laquelle beaucoup pourront se reposer. La graine souterraine… Il me vient à l’esprit quelque chose que m’a dit le cardinal Hummes : il est « à la retraite » mais il est chargé par l’épiscopat brésilien de toute la région de l’Amazonie et quand il va dans un village, dans une petite ville, l’une des premières choses qu’il fait est de se rendre au cimetière, pour voir les tombes des missionnaires. Il m’a raconté cela et a ajouté : « Ils méritent tous d’être canonisés, pour la graine qu’ils ont jetée là-bas ». C’est une belle pensée.
L’Église italienne aussi a besoin de vous, de votre témoignage, de votre enthousiasme et de votre courage à parcourir des voies nouvelles pour annoncer l’Évangile. Elle a besoin de se rendre compte que les ‘gentes’ (peuples) lointains sont maintenant venus habiter dans nos pays, ce sont les inconnus de la porte d’à côté. Y compris les Italiens de la porte d’à côté, nos concitoyens. Il est nécessaire de redécouvrir l’aventure fascinante qui consiste à se faire proches, à devenir amis, à s’accueillir et s’entraider. Cette attitude concerne tout le monde : prêtres, personnes consacrées et fidèles laïcs. Le thème du mois d’octobre missionnaire extraordinaire 2019 est « Baptisés et envoyés », choisi précisément pour rappeler que la nature intrinsèque de l’Église est missionnaire. L’Église existe en chemin ; sur le canapé, il n’y a pas d’Église.
Puissent vos Instituts collaborer toujours plus avec les Églises particulières « afin de réveiller davantage la conscience de la missio ad gentes (Lettre d’indiction du mois missionnaire extraordinaire 2019). Je vous accompagne de ma prière et je vous bénis de tout cœur. Et vous, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci.