Pour don Luigi Sturzo (1871-1959), prêtre et homme politique italien, « la moralisation de la vie publique est liée à une conception religieuse de la vie, dont dérive le sens de la responsabilité morale et de la solidarité sociale. Pour lui l’amour est le vrai lien social, le motif inspirateur de toute son activité ».
C’est ce que le pape François a écrit dans un message aux participants du congrès international organisé à l’occasion du centenaire de l’appel du prêtre intitulé « À tous les hommes libres et forts », qui s’est tenu le 14 et 16 juin 2019, à Caltagirone, ville natale de don Luigi Sturzo.
Message du pape François :
Chers frères et sœurs,
Je salue cordialement tous les participants à la Convention internationale qui se tiendra à Caltagirone, ville natale du serviteur de Dieu don Luigi Sturzo, à l’occasion du centenaire de l’appel « À tous les hommes libres et forts ». Je remercie le Comité de promotion scientifique et le Comité organisateur d’avoir donné vie à cette estimable initiative, en union avec toutes les organisations, mouvements, associations, institutions académiques et culturelles qui sont présentes dans un esprit de collaboration.
C’est une heureuse intuition d’honorer « unis et ensemble » un anniversaire si important pour l’histoire de l’Italie et de l’Europe, en relisant avec une contribution large et qualifiée d’idées, d’expériences et de bonnes pratiques, les douze points qui constituaient le programme de l’appel, afin d’en ressentir la valeur et l’actualité et de réaffirmer sa faisabilité, à travers un nouveau dialogue culturel et social qui soit inspiré, hier comme aujourd’hui, « des solides principes du christianisme ».
A l’occasion de la Ve Convention nationale de l’Église italienne, j’ai souligné l’importance de cette méthode, qui est à la base du grand engagement prodigué par don Luigi Sturzo et par les laïcs chrétiens de l’époque, avant la formulation de « l’appel ». « La société italienne se construit quand ses différentes richesses culturelles peuvent dialoguer d’une manière constructive : la richesse populaire, académique, des jeunes, de la technologie, de l’économie, de la politique, celle des médias [….]. En outre, rappelez-vous que le meilleur moyen pour dialoguer ce n’est pas de parler et discuter, mais de faire quelque chose ensemble, de construire ensemble, de faire des projets : pas seuls, entre catholiques, mais ensemble avec toutes les bonnes volontés » (Florence, 10 novembre 2015). Il me semble qu’il est possible de voir dans votre initiative une réponse à ces paroles et, par conséquent, je vous encourage à poursuivre sur cette route au nom de la culture de la rencontre et du dialogue qui me tient tant à cœur.
Ce centenaire nous donne l’occasion de réfléchir sur la conception chrétienne de la vie sociale et sur la charité dans la vie publique selon la pensée, la vie et les œuvres du serviteur de Dieu don Luigi Sturzo. Pour le prêtre de Caltagirone, l’objectif d’informer chrétiennement la vie sociale et politique appartient surtout aux laïcs chrétiens qui, à travers leur engagement et dans la liberté de leur compétences dans un certain environnement, actualisent les enseignements sociaux de l’Église, en élaborant une synthèse créative entre la foi et l’histoire qui trouve son point d’appui dans l’amour naturel vivifié par la grâce divine.
En opposition avec ceux qui soutenaient un dualisme entre éthique et politique, entre Évangile et société humaine et qui limitaient la loi de l’amour à la vie privée, don Sturzo affirmait : « la loi de l’amour n’est pas une loi politique ; elle réside bien dans l’Église, elle réside bien en famille, elle réside bien dans les relations privées. C’est vrai qu’aujourd’hui beaucoup, même les chrétiens mitigés, se posent en impétueux censeurs de ceux qui s’occupent de vie publique ; et ils définissent la politique comme une source du mal, un élément de corruption, un déchaînement de passions. Et on doit donc s’en éloigner. Ceux-là confondent les mauvaises méthodes avec celles qui, au contraire, sont dédiées à la participation des citoyens à la vie de leur pays. Le fait de faire une bonne ou une mauvaise politique, du point de vue suggestif de celui qui la fait, dépend de la rectitude de l’intention, de la validité des fins à atteindre et des moyens honnêtes qui sont utilisés en l’occurrence. C’est ainsi que raisonnent les chrétiens de tous les temps et de tous pays. Avec cet esprit, l’amour du prochain en politique doit être celui de la maison et ne doit pas être exclu comme un étranger : ni expédié en le jetant par la fenêtre, comme un intrus. L’amour du prochain ne consiste pas en des paroles, ni à faire les yeux doux, mais dans les œuvres et dans la vérité » (Cf. « Il cittadino di Brescia », 30 août 1925 : La Vera vita. Sociologia del sopranaturale, Bologne 1943).
Pour don Sturzo, la moralisation de la vie publique est liée à une conception religieuse de la vie, dont dérive le sens de la responsabilité morale et de la solidarité sociale. Pour lui l’amour est le vrai lien social, le motif inspirateur de toute son activité. D’une manière assez originale, il cherche à réaliser une pratique chrétienne de la politique, basée sur un rapport correct entre éthique et vie théologale, entre dimension spirituelle et dimension sociale.
Dans cette perspective on comprend que saint Jean-Paul II ait parlé de don Luigi Sturzo comme un « infatigable promoteur du message social chrétien et défenseur passionné de la liberté civile » (Discours à l’Université de Palerme, 20 novembre 1982 : Enseignements V, 3 [1982], 1355). Mon vénérable prédécesseur l’indiqua comme modèle aux séminaristes et aux prêtres : « Que la vie, l’enseignement et l’exemple de Don Luigi Sturzo – lequel dans la pleine fidélité à son charisme sacerdotal sut ancrer pas seulement chez les siciliens mais aussi chez les catholiques italiens le sens du droit et du devoir de la participation à la vie politique et sociale, à la lumière de l’enseignement de l’Église – soient présents et inspirent leur apostolat d’évangélisation et de promotion humaine » (Discours aux évêques de Sicile en visite « ad Limina Apostolum », 11 décembre 1981 : Enseignements IV, 2 [1981], 907).
Luigi Sturzo, avant d’être politicien, sociologue et littérateur prolixe, était un prêtre obéissant à l’Église, un homme de Dieu qui a lutté courageusement pour défendre et incarner les enseignements évangéliques dans sa terre de Sicile, pendant ses longues années d’exil en Angleterre et aux États-Unis et dans les dernières années de sa vie à Rome.
Dans son testament spirituel, rédigé le 7 octobre 1958, il écrivait : « À ceux qui m’ont critiqué pour mon activité politique, pour mon amour de la liberté, mon attachement à la démocratie, je dois ajouter, que cette vie de bataille et de tribulations n’est pas venue de ma volonté, ni d’un désir d’objectif terrestre ni de satisfaction humaine : ils ont été portés par les événements ». Et il ajoutait : « Je reconnais la difficulté de maintenir la vie sacerdotale intacte de passions humaines et Dieu sait combien les expériences pratiques de 60 années d’une telle vie m’ont été amères ; mais j’ai offert à Dieu et tout adressé à sa gloire et j’ai cherché en tout à m’en tenir au service de la vérité ».
Son enseignement et son témoignage de foi ne doivent pas être oubliés, surtout en un temps où il est demandé à la politique d’être éclairée pour affronter la grave crise anthropologique. Les points cardinaux de l’anthropologie sociale strurzienne sont donc rappelés : le primat de la personne sur la société, de la société sur l’État et de la morale sur la politique ; la centralité de la famille ; la défense de la propriété avec sa fonction sociale en tant qu’exigence de liberté ; l’importance du travail comme droit et devoir de chaque homme ; la construction d’une paix juste à travers la création d’une vraie communauté internationale. Ces valeurs se basent sur le présupposé que le christianisme est un message de salut qui s’incarne dans l’histoire, qui s’adresse à tout l’homme et doit influencer positivement la vie morale aussi bien privée que publique.
À distance de cent années de l’appel « À tous les hommes libres et forts », la Convention qui s’ouvre à Caltagirone renvoie à un engagement créatif et responsable des chrétiens, appelés à interpréter les signes des temps à la lumière de l’Évangile, afin de réaliser une pratique sociale et politique animée par la foi et vécue comme une exigence intrinsèque de la charité. Je pense surtout aux jeunes, pour qu’ils soient engagés de manière adéquate, afin qu’ils puissent porter une nouvelle passion, une nouvelle compétence, un nouvel élan pour l’engagement social et politique. Avec cette espérance, je souhaite que vos journées de travail et de réflexion soient profitables et portent des fruits abondants et durables. A tous j’adresse de tout cœur ma bénédiction, en vous demandant de continuer à prier.