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C’était une étape très attendue de la visite pastorale du Pape François en Emilie-Romagne : la rencontre avec le monde universitaire et académique, à l’Université de Bologne, la plus ancienne d’Europe, laboratoire de l’humanisme et foyer des études juridiques et du Droit, fondée il y a près de 1000 ans. C’est dans ce cadre prestigieux que le Pape s’est adressé aux étudiants et au corps professoral, dans un plaidoyer en faveur d’un nouvel humanisme européen.
Dans ce discours dense, le Pape a voulu proposer trois droits aux étudiants ; des droits à protéger, au travers de leur parcours universitaire et de leurs études, pour travailler, justement, au déploiement de ce nouvel humanisme européen. Le premier de ces droits : le droit à la culture. Protéger la sagesse en tant que savoir humain et humanisant. «Trop souvent, affirme le Pape, nous sommes conditionnés par des modèles de vie banals et éphémères, qui nous poussent à poursuivre un succès à bas coût, et nous font croire que les études ne servent à rien». Au contraire, «les études servent à se poser des questions, à ne pas se faire anesthésier par la banalité». Voilà votre devoir a lancé le Pape aux étudiants : «répondre aux refrains paralysants du consumérisme culturel avec des choix dynamiques et forts, avec la connaissance et le partage». Plus que jamais, nous avons besoin de promoteurs de la «vraie culture, celle qui fait grandir l’homme, (...) face à une pseudo culture qui réduit l’homme à un déchet, ou à une technique qui se plie à des objectifs mercantiles.»
Deuxième droit que propose le Pape : le droit à l’espérance. Le droit à ne pas se laisser «envahir par la rhétorique de peur et de haine, à ne pas se laisser submerger par les phrases des populismes» ou les fausses nouvelles. «Les jeunes ont le droit de grandir sans peur de l’avenir, de savoir qu’il existe des réalités belles et durables, pour lesquelles il vaut la peine de risquer, de croire que l’amour vrai n’est pas celui ‘qui s’utilise et se jette’, que le travail n’est pas un mirage, mais une promesse pour chacun ». «Comme il serait bon que les salles de cours soient des chantiers d’espérance, où l’on travaille à un futur meilleur, où l’on apprenne à devenir responsable de soi et du monde !» s’est exclamé le Pape, pour qui la crise que nous vivons constitue une grande opportunité, un défi à accueillir pour devenir artisans de paix.
Dernier droit proposé par le Pape, le Ius pacis, le droit à la paix, qui est aussi un devoir, inscrit dans le cœur de l’humanité. Et à Bologne, où l’humanisme européen plonge ses racines, le Pape a rappelé le 60e anniversaire du Traité de Rome, acte de naissance à l’Union européenne, fondée pour protéger le droit à la paix. Mais aujourd’hui, «de nombreux intérêts et conflits semblent faire s’évanouir ces grandes visions de paix». Et le Pape de rappeler, il y a 100 ans, le cri de son prédécesseur, Benoît XV, qui dénonça «l’inutile massacre» de la Grande Guerre. «Mais l’Histoire nous apprend que toute guerre est inutile», observe le Pape, et qu’il est besoin d’entreprendre des chemins de non-violence et de justice. «Face à la paix, il ne s’agit pas de rester neutres ou indifférents», a martelé le Saint-Père
«L’Université est née ici pour l’étude du droit, pour la recherche de ce qui défend les personnes, règle la vie commune et protège des logiques du plus fort, de la violence et de l’arbitraire (...). Ne croyez pas celui qui vous dit que lutter pour cela est inutile et que rien ne changera ! Ne vous contentez pas de petits rêves, mais rêvez en grand… Les vrais rêves sont ceux que l’on fait les yeux ouverts. », a-t-il exhorté sous les applaudissements aux étudiants, venus nombreux pour l’écouter.
«Avec vous, je renouvelle le rêve d’un nouvel humanisme européen, d’une Europe mère, qui respecte la vie (…), où les jeunes respirent l’air pur de l’honnêteté, aiment la beauté de la culture et d’une vie simple, non polluée par les besoins infinis du consumérisme ; où se marier et avoir des enfants sont une responsabilité et une grande joie, non un problème du fait du manque d’un travail suffisamment stable», a lancé le Pape, reprenant le discours qu’il avait tenu lors de la remise du prix Charlemagne, au Vatican (6 mai 2016).
«Je rêve d’une Europe universitaire et mère qui, se souvenant de sa culture, qui donne espérance à ses fils et soit instrument de paix pour le monde», a –t-il enfin conclu.
Discours intégral du pape François à l’université :
Chers amis,
Je suis content de partager ce moment avec vous et je remercie cordialement le recteur et l’étudiant pour leurs interventions. Je ne pouvais pas venir à Bologne sans rencontrer le monde universitaire. L’université de Bologne est depuis presque 1000 ans un laboratoire d’humanisme: ici le dialogue avec les sciences a ouvert une époque et a façonné la ville. C’est pourquoi on appelle Bologne « la docte »: docte mais pas pédante, grâce justement à l’université qui l’a toujours rendue ouverte, éduquant les citoyens du monde et rappelant que l’identité à laquelle on appartient est celle de la maison commune, de l’universitas.
Le mot « universitas » renferme l’idée du tout et celle de la communauté. Il nous aide à faire mémoire des origines – c’est tellement précieux de cultiver la mémoire ! –, de ces groupes d’étudiants qui commencèrent à se rassembler autour des maîtres. Deux idéaux les poussèrent, un idéal « vertical » : on ne peut vivre vraiment sans élever l’esprit à la connaissance, sans le désir de viser vers le haut ; et un idéal « horizontal » : la recherche doit se faire ensemble, en stimulant et partageant de bons intérêts communs.
Voilà le caractère universel qui n’a jamais peur d’inclure. En témoignent les 6 000 emblèmes multicolores, chacun d’eux représentant la famille d’un jeune venu étudier ici, non seulement de tant de villes italiennes, mais de tant de pays européens, voire même d’Amérique du sud ! Votre Alma Mater, et toute université, est appelée à rechercher ce qui unit. L’accueil que vous réservez aux étudiants provenant de contextes lointains et difficiles est un beau signe: que Bologne, carrefour séculaire de rencontres, de comparaison et relation, et récemment berceau du projet Erasmus, puisse toujours cultiver cette vocation!
Tout a commencé ici autour des études de droit, prouvant que l’université en Europe a de profondes racines dans l’humanisme, auxquelles les institutions civiles et l’Eglise, dans leurs rôles bien distincts, ont contribué. Saint Dominique lui-même fut admiratif de la vitalité de Bologne et du grand nombre d’étudiants qui accouraient pour y étudier le droit civil et canonique. Bologne, avec son Studium, avait su répondre aux besoins de la nouvelle société, attirant des étudiants désireux de savoir. Saint Dominique les rencontra souvent. On raconte qu’un jeune étudiant, frappé par sa connaissance des Saintes Ecritures, lui demanda sur quels livres il avait étudié. La réponse de Dominique est célèbre: « J’ai étudié dans le livre de la charité, plus que dans le livre des hommes; car ce livre enseigne toute chose ».
La recherche du bien est en effet la clef pour réussir vraiment dans les études ; l’amour est l’ingrédient qui donne de la saveur aux trésors de la connaissance et, en particulier, aux droits de l’homme et des peuples. C’est dans cet esprit que je voudrais vous proposer trois droits, qui me semblent actuels.
Le droit à la culture. Je ne pense pas seulement au droit sacrosaint pour tous à accéder aux études – dans trop de régions du monde tant de jeunes en sont privés –, mais aussi au fait qu’aujourd’hui surtout, le droit à la culture signifie protéger la sagesse, c’est-à-dire un savoir humain et humanisant.
On est trop souvent conditionnés par des modèles de vie banales et éphémères, qui poussent à courir après le succès à bas prix, discréditant le sacrifie, inculquant l’idée que l’étude ne sert à rien si elle ne donne pas tout de suite quelque chose de concret. Non l’étude sert à se poser des questions, à ne pas se faire anesthésier par la banalité, à chercher un sens dans la vie. A réclamer le droit à ne pas faire prévaloir toutes les sirènes qui, aujourd’hui, détournent de cette recherche. Ulysse, pour ne pas céder au chant des sirènes, qui envoutaient les marins et les faisait se fracasser contre les rochers, s’attacha au mât du navire et boucha les oreilles de ses compagnons de voyage. Au contraire Orphée, pour contraster le chant des sirènes, fit autre chose : il entonna une mélodie plus belle, qui enchanta les sirènes. Voilà votre grand devoir : répondre aux refrains paralysants du consumérisme culturel par des choix dynamiques et forts, avec la recherche, la connaissance et le partage.
En harmonisant dans la vie cette beauté vous protègerez la culture, la vraie. Car le savoir qui se met au service du meilleur offrant, qui finit par alimenter les divisions et justifier les abus de pouvoir, n’est pas de la culture. La culture – comme dit le mot – est ce qui cultive, qui fait grandit l’humain.
Et devant tant de plainte et clameur qui nous entoure, aujourd’hui nous n’avons pas besoin de gens qui se défoulent en hurlant mais de gens qui promeuvent une bonne culture. On a besoin de paroles qui touchent les esprits et mettent les cœurs dans de bonnes dispositions, ne hurlent pas contre les estomacs. Ne nous contentons pas de suivre l’audience; ne suivons pas les petits théâtres de l’indignation qui cachent souvent de grands égoïsmes ; consacrons-nous avec passion à l’éducation, c’est-à-dire à « tirer « le mieux de chacun pour le bien de tous. Contre une pseudo-culture qui réduit l’homme à un déchet, la recherche à des intérêts et la science une technique, affirmons ensemble une culture à mesure humaine, une recherche qui reconnaisse les mérites et récompense les sacrifices, une technique qui ne se plie pas à des buts commerciaux, un développement où pas tout ce qui est commode est licite.
Le droit à l’espérance. Beaucoup aujourd’hui vivent l’expérience de la solitude et de l’agitation, sentent l’air pesant de l’abandon. Alors il faut donner de l’espace à ce droit à l’espérance qui est le droit à ne pas être envahi quotidiennement par la rhétorique de la peur et de la haine ; le droit à ne pas être submergés par les phrases toute faites des populismes ou par l’inquiétant et lucratif déferlement de fausses nouvelles ; le droit à voir posée une limite raisonnable au fait divers horrible, pour que le beau fait divers, souvent passé sous silence, ait son mot à dire ; le droit pour vous les jeunes à grandir libérés de la peur de l’avenir, à savoir que dans la vie il existe de belles réalités qui durent, et pour lesquelles il vaut la peine de se mettre en jeu ; le droit à croire que l’amour vrai n’est pas l’amour « jetable » et que le travail n’est pas un mirage à atteindre, mais une promesse pour chacun, qui doit être tenue.
Comme il serait merveilleux que les salles de cours, dans les universités, soient des chantiers d’espérance, des ateliers où l’on travaille à un avenir meilleur, où l’on apprend à être responsables de soi et du monde! Sentir la responsabilité pour l’avenir de notre maison, qui est une maison commune. Parfois prévaut la crainte. Mais aujourd’hui nous vivons une crise qui est aussi une grande opportunité, un défi à l’intelligence et à la liberté de chacun, un défi à saisir pour être des artisans d’espérance. Et chacun de vous peut le devenir, pour les autres.
Le droit à la paix. C’est un droit aussi, et un devoir, inscrit dans le cœur de l’humanité. Parce que «l’unité prévaut sur le conflit » (Evangelii gaudium, 226). Ici, aux racines de l’université européenne, il me plait de rappeler que cette année on a célébré le 60ème anniversaire des Traités de Rome, des débuts de l’Europe unie. Après deux guerres mondiales et des violences atroces de peuples contre peuples, l’Union est née pour protéger le droit à la paix. Mais aujourd’hui les grandes visions de paix semblent s’évanouir devant tant d’intérêts et de conflits. Nous vivons une fragilité incertaine et la fatigue de rêver en grand. Mais n’ayez pas peur de l’unité! Que les logiques particulières et nationales ne rendent pas vains les rêves courageux des fondateurs de l’Europe unie. Et je ne pense pas seulement à ces grands hommes de culture et de foi qui donnèrent leur vie pour le projet européen, mais également aux millions de personnes qui perdirent la vie parce qu’il n’y avait pas d’unité et de paix. Il y a 100 ans s’éleva le cri de Benoît XV, qui avait été évêque de Bologne. Il définit la guerre « un massacre inutile » (Lettre aux chefs des peuples belligérants, 1° août 1917). Se dissocier en tout des soi-disant « raisons de la guerre » était vu par beaucoup comme un affront. Mais l’histoire enseigne que la guerre est toujours et seulement un inutile massacre. Aidons-nous, comme affirme la constitution italienne, à « répudier la guerre » (cf. Art. 11), à prendre les chemins de la non violence et des parcours de justice, qui favorisent la paix. Car devant la paix nous ne saurions être indifférents ou neutres. Le cardinal Lercaro dit: « L’Eglise ne peut être neutre face au mal, d’où qu’il vienne ; sa vie n’est pas la neutralité, mais la prophétie » (Homélie, 1 janvier 1968). Pas neutres, mais des partisans de paix!
C’est pourquoi invoquons lo ius pacis, comme le droit de tous à composer les conflits sans violence. Et répétons: jamais plus la guerre, jamais plus les uns contre les autres, jamais plus les uns sans les autres! Que sortent au grand jour les intérêts et les complots, souvent obscurs, de ceux qui fabriquent la violence, alimentent la course aux armes et bafouent la paix avec les affaires. L’Université est née ici pour l’étude du droit, pour rechercher ce qui défend les personnes, régler la vie commune et protéger contre les logiques du plus fort, contre la violence et l’arbitraire. C’est un défi actuel : affirmer les droits des personnes et des peuples, des plus faibles, des exclus et de la création, notre maison commune.
Ne croyez pas ceux qui vous disent que lutter pour cela est inutile et que rien ne changera! Ne vous contentez pas de petits rêves, mais rêvez en grand. Vous les jeunes, rêvez en grand. Moi aussi je rêve, mais pas seulement quand je dors, car les vrais rêves se font les yeux ouverts et se poursuivent à la lumière du jour. Je renouvelle avec vous le rêve d’un « nouvel humanisme européen, qui a besoin de mémoire, de courage, et d’une saine et humaine utopie »; d’une Europe mère, qui «respecte la vie et offre des espérances de vie »; d’une Europe « où les jeunes respirent l’air propre de l’honnêteté, aiment la beauté de la culture et d’une vie simple, non polluée par les infinis besoins de la surconsommation; où se marier et avoir des enfants sont une responsabilité et une grande joie, pas un problème du à un manque de travail suffisamment stable » (Discours pour la remise du prix Charlemagne, 6 mai 2016). Je rêve dune Europe « universitaire et mère » qui, consciente de sa culture, infuse l’espérance en ses enfants et soit un instrument de paix pour le monde.