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 «Dans la fidélité au charisme, repenser l’économie»

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«Dans la fidélité au charisme, repenser l’économie» Empty
MessageSujet: «Dans la fidélité au charisme, repenser l’économie»   «Dans la fidélité au charisme, repenser l’économie» Icon_minitimeJeu 1 Déc 2016 - 21:22

«Dans la fidélité au charisme, repenser l’économie» Capture-d%E2%80%99e%CC%81cran-2016-02-04-a%CC%80-10.32.44-740x493


« Dans la fidélité au charisme, repenser l’économie » : c’est le thème d’un symposium international  sur l’économie organisé par la Congrégation pour les institutions de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique du 25 au 27 novembre 2016 à Rome, au siège de la faculté de théologie des franciscains, l’Antonianum. Le pape a adressé à environ un millier de religieuses et de religieux chargés des comptes de leur communauté les recommandations suivantes, ce 26 novembre 2016.

Discours du pape François :

Chers frères, chères sœurs

Je vous remercie de votre disponibilité à vous retrouver ensemble pour réfléchir et prier sur une thématique si vitale pour la vie consacrée comme la gestion économique de vos œuvres. Je remercie la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique pour la préparation de ce deuxième symposium ; et, en m’adressant à vous, je me laisse guider par les mots qui forment le titre de votre rencontre : charisme, fidélité, repenser l’économie.

Charisme

Dans l’Église, les charismes ne sont pas quelque chose de statique ni de rigide, ce ne sont pas des « pièces de musée ». Ce sont plutôt des fleuves d’eau vive (cf. Jn 7,37-39) qui jaillissent sur le terrain de l’histoire pour l’irriguer et pour faire germer des semences de Bien. Par moments, avec la complicité d’une certaine nostalgie stérile, nous pouvons être tentés de faire « une archéologie charismatique ». Puissions-nous ne pas céder à cette tentation ! Le charisme est toujours une réalité vivante et c’est justement pour cela qu’elle est appelée à fructifier, comme nous le montre la parabole des pièces d’or que le roi remet à ses serviteurs (cf. Lc 19,11-26), pour se développer dans la fidélité créative, comme l’Église nous le rappelle continuellement (cf. Jean Paul II, Exhort. ap. post synodale, Vita consecrata, 37).

Par nature, la vie consacrée est signe et prophétie du Royaume de Dieu. Cette double caractéristique ne peut donc manquer dans aucune de ses formes, à condition que nous, consacrés, restions vigilants et attentifs pour scruter les horizons de notre vie et du moment présent. Cette attitude fait que les charismes, donnés par le Seigneur à son Église à travers nos fondateurs et nos fondatrices, se maintiennent vivants et peuvent répondre à toutes les situations concrètes des lieux et des temps dans lesquels nous sommes appelés à partager et témoigner de la beauté de la sequela Christi.

Parler de charisme signifie parler de don, de gratuité et de grâce ; cela signifie se déplacer dans un espace plein de sens éclairé par la racine charis. Je sais bien que pour beaucoup de ceux qui travaillent dans le domaine de l’économie ces paroles peuvent sembler hors sujet, à reléguer dans la sphère privée et religieuse. Au contraire, désormais même pour les économistes, il est notoire que la société sans charis ne peut pas bien fonctionner et finit par se déshumaniser. L’économie et sa gestion ne sont jamais neutres éthiquement ni anthropologiquement. Ou bien ils concourent à construire des rapports de justice et de solidarité, ou bien ils génèrent des situations d’exclusion et de refus.

En tant que consacrés nous sommes appelés à devenir « prophétie » à partir de notre vie animée par la charis, par la logique du don, de la gratuité ; nous sommes appelés à créer la fraternité, la communion, la solidarité avec les plus pauvres et les plus nécessiteux. Ainsi que le rappelait le Pape Benoît XVI, si nous voulons être vraiment humains, nous devons « faire de l’espace au principe de la gratuité comme expression de fraternité » (Enc. Caritas in veritate, 34).

Mais la logique évangélique du don demande à être accompagnée d’une attitude intérieure d’ouverture à la réalité et d’écoute de Dieu qui parle en elle. Nous devons nous demander si nous sommes disposés à « nous salir les mains » en travaillant dans l’histoire d’aujourd’hui ; (nous demander) si nos yeux savent scruter les signes du Royaume de Dieu entre les plis des événements certainement complexes et contrastés, mais que Dieu veut bénir et sauver ; (nous demander) si nous sommes vraiment des compagnons de route des hommes et des femmes de notre temps, particulièrement de tous ceux qui marchent blessés le long de nos routes, parce qu’avec eux nous partageons les attentes, les peurs, les espérances et aussi ce que nous avons reçu, et qui appartient à tous ; (nous demander) si nous nous laissons dominer par la logique diabolique du gain (le diable entre souvent par le portefeuille ou par la carte de crédit) ; si nous nous défendons contre ce que nous ne comprenons pas en le fuyant, ou bien si nous savons y demeurer grâce la promesse du Seigneur, avec son regard de bienveillance et ses entrailles de miséricorde, en devenant de bons samaritains pour les pauvres et les exclus.

Lire les questions pour répondre, écouter les pleurs pour consoler, reconnaître les injustices pour partager aussi notre économie, discerner les insécurités pour offrir la paix, regarder les peurs pour rassurer : voilà les différentes facettes du trésor polymorphe de la vie consacrée. En acceptant de ne pas avoir toutes les réponses et, parfois, de rester silencieux, nous serons peut-être incertains, mais jamais, jamais sans espérance.

Fidélité

Être fidèles signifie se demander ce qu’aujourd’hui, dans cette situation, le Seigneur nous demande d’être et de faire. Être fidèles nous engage à un travail assidu de discernement afin que les œuvres, cohérentes avec les charismes, continuent à être des instruments efficaces pour permettre de faire parvenir à beaucoup la tendresse de Dieu.

Les œuvres particulières dont on s’occupe ce symposium, ce ne sont pas seulement des moyens pour assurer la durabilité de chaque institut, mais elles appartiennent à la fécondité du charisme. Cela implique de se demander si nos actions correspondent ou pas au charisme que nous avons professé, si elles correspondent ou pas à la mission qui nous a été confiée par l’Église. Le principal critère d’évaluation des œuvres n’est pas leur rentabilité, mais si elles correspondent au charisme et à la mission que l’institut est appelé à accomplir.

Être fidèles au charisme demande souvent un acte de courage : il ne s’agit pas de vendre tout ou cesser toutes les œuvres, mais de faire  un discernement sérieux, en tenant le regard bien tourné vers le Christ, les oreilles attentives à sa Parole et à la voix des pauvres. De cette manière, nos actions peuvent, à la fois être fécondes pour le chemin de l’institut et exprimer la prédilection de Dieu pour les pauvres.

Repenser l’économie

Tout cela implique de repenser l’économie, à travers une lecture attentive de la Parole de Dieu et de l’histoire. Écouter le chuchotement de Dieu et le cri des pauvres, des pauvres de toujours et des nouveaux pauvres ; comprendre ce que le Seigneur demande aujourd’hui et, après l’avoir compris, agir, avec cette confiance courageuse dans la providence du Père (cf. Mt 6,19ss) qu’ont eue nos fondateurs et fondatrices. Dans certains cas, le discernement pourra suggérer de maintenir en vie un œuvre qui fait des pertes – en étant bien attentifs à ce que celles-ci ne soient pas générées par l’incapacité ou la maladresse – mais redonne la dignité aux personnes faibles et fragiles, victimes du rejet: les enfants à naître, les plus pauvres, les personnes âgées malades, les grands handicapés. C’est vrai qu’il y a des problèmes découlant de l’âge avancé de nombreux consacrés et de la complexité de la gestion de certaines œuvres, mais la disponibilité à Dieu nous fera trouver des solutions.

Peut-être le discernement suggèrera-t-il de repenser une œuvre, qui est peut-être devenue trop grande et trop complexe, mais nous pouvons alors trouver des formes de collaboration avec d’autres instituts ou peut-être transformer l’œuvre elle-même de manière à ce qu’elle continue, quoique selon d’autres modalités, en tant qu’œuvre de l’Église. C’est aussi pour cela que la communication et la collaboration à l’intérieur des instituts, avec les autres instituts et avec  l’Église locale, sont importantes. A l’intérieur des instituts, les différentes provinces ne peuvent pas se concevoir en autoréférence, comme si chacune vivait pour elle-même, les gouvernements généraux ne peuvent pas non plus ignorer les différents particularismes.

La logique de l’individualisme peut aussi entamer nos communautés. La tension entre la réalité locale et la réalité générale, qui existe au niveau de l’inculturation du charisme, existe aussi au niveau économique, mais elle ne doit pas faire peur, elle doit être vécue et affrontée. Il faut faire grandir la communion entre différentes instituts ; il faut également bien connaître les instruments législatifs, juridiques et économiques qui permettent aujourd’hui d’être en réseau, de discerner de nouvelles réponses, de mettre ensemble les forces, le professionnalisme et les capacités des instituts au service du Royaume et de l’humanité. Il est aussi très important de dialoguer avec l’Église locale, pour que, quand c’est possible, les biens ecclésiastiques restent des biens de l’Église.

Repenser l’économie c’est exprimer le discernement qui, dans ce contexte, concerne la direction, les objectifs, la signification et les implications sociales et ecclésiales des choix économiques des instituts de vie consacrée. Un discernement qui part de l’évaluation des possibilités économiques qui découlent des ressources financières et de personnel ; qui s’appuie sur le travail de spécialistes pour l’utilisation d’instruments qui permettent une gestion pointue et un contrôle sur la gestion qui ne soient pas improvisés ; qui travaille dans le respect des lois et se met au service d’une écologie intégrale. Un discernement qui, avant tout, se situe à contre-courant parce qu’il se sert de l’argent mais ne sert pas l’argent pour aucun motif, ni même le plus juste et le plus saint. Si c’était le cas, ce serait, comme le disaient les Pères, le fumier du diable.

Repenser l’économie demande des compétences et des capacités spécifiques, mais c’est une dynamique qui concerne la vie de tous et de chacun. Ce n’est pas une tâche qu’on peut déléguer à quelqu’un, mais qui investit la pleine responsabilité de toute personne. Même là, nous sommes face à un défi éducatif, qui ne peut pas laisser les consacrés dehors. Un défi qui touche certainement en premier lieu les économes et ceux qui sont impliqués  en première personne dans les choix de l’institut. Il leur est demandé la capacité d’être rusés comme des serpents et candides comme des colombes (cf. Mt 10,16). La ruse chrétienne permet de distinguer entre un loup et une brebis, parce que beaucoup de loups sont habillés en brebis, surtout quand de l’argent est en jeu !

Il ne faut pas passer sous silence le fait que instituts de vie consacrée eux-mêmes ne sont pas exempt des risques mentionnés dans l’encyclique Laudato si’ : « Le principe de la maximisation des profits, qui tend à s’abstenir de toute autre considération est une distorsion économique » (n. 195). De nombreux consacrés continuent aujourd’hui encore à penser que les lois de l’économie sont indépendantes de toute autre considération éthique ? Combien de fois l’évaluation de la transformation d’une œuvre ou de la vente d’un bien mobilier est considérée uniquement sur la base d’une analyse des coûts-bénéfices et de la valeur du marché ? Que Dieu nous libère de l’esprit du « fonctionnel » et de tomber dans le piège de l’avarice ! Nous devons en outre nous éduquer vers une austérité responsable. Il ne suffit pas d’avoir fait profession religieuse pour être pauvre. Il ne suffit pas de se retrancher derrière l’affirmation que je ne possède rien parce que je suis religieux, religieuse, si mon institut me permet de gérer et de jouir de tous les biens que je désire, et de contrôler les Fondations civiles érigées pour soutenir des œuvres propres, en évitant ainsi les contrôles de  l’Église. L’hypocrisie des consacrés qui vivent comme de riches blesse les consciences des fidèles et nuit à l’Église.

Il faut commencer par des petits choix quotidiens. Chacun est appelé à faire sa part, et à utiliser les biens pour faire des choix solidaires, et prendre soin de la création, à prendre la mesure de la pauvreté des familles qui certainement vivent à côté de vous. Il s’agit d’acquérir un habitus, un style sous le signe de la justice et du partage, en se donnant du mal – parce que souvent ce serait plus commode de faire le contraire – d’accomplir des choix honnêtes, sachant que c’est simplement ce que nous devons faire (cf. Lc 17,10).

Frères et sœurs, il me revient en mémoire deux textes bibliques que je voudrais laisser à votre réflexion. Jean écrit dans sa première Lettre : « Si quelqu’un a des richesses ce monde et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? Mes enfants n’aimons pas en paroles ni par la langue, mais avec des actes et en vérité » (3,17-18). L’autre texte est bien connu. Je me réfère à Matthieu 23,31-46 : « Tout ce que vous avez fait à un seul de mes frères les plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait. […] Tout ce que vous n’avez pas fait à un seul de ces plus petits, vous ne l’avez pas fait à moi ». Dans la fidélité à votre charisme, repensez votre économie.

Je vous remercie. N’oubliez pas de prier pour moi. Que le Seigneur vous bénisse et que la Sainte Vierge prenne soin de vous.

Du Vatican, 25 novembre 2016,

François
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Source : https://fr.zenit.org
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