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  Lettre du Pape au Cardinal préfet de la congrégation pour les évêques

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 Lettre du Pape au Cardinal préfet de la congrégation pour les évêques Empty
MessageSujet: Lettre du Pape au Cardinal préfet de la congrégation pour les évêques    Lettre du Pape au Cardinal préfet de la congrégation pour les évêques Icon_minitimeMer 4 Mai 2016 - 18:03

 Lettre du Pape au Cardinal préfet de la congrégation pour les évêques Cardinal-Ouellet-740x493

Samedi 19 Mars 2016

Lettre du Pape au Cardinal préfet de la congrégation pour les évêques

Ce jour,19 mars 2016, le pape François a adressé une lettre au cardinal canadien Marc Ouellet, préfet de la congrégation pour les évêques, mais à propos des laïcs en Amérique latine, puisque celui-ci est aussi Président de la commission pontificale pour l’Amérique latine.

Le pape écrit notamment: « C’est bien de nous rappeler que l’Eglise n’est pas une élite de prêtres, de consacrés, d’évêques, mais que nous formons tous le saint peuple de Dieu. »

Mais le pape François évoque aussi comme point fort de l’Eglise en Amérique latine, la religiosité populaire. Il invite à l’inculturation, et à conserver à la fois « la mémoire du Christ » et la « mémoire des ancêtres ».


Lettre du pape François au card. Marc Ouellet :

Président de la commission pontificale pour l’Amérique latine

Eminence,

Au terme de la rencontre de la commission pour l’Amérique latine et les Caraïbes j’ai eu l’occasion de rencontrer tous les participants de l’assemblée, qui ont pu échanger leurs idées et impressions sur la participation publique des laïcs à la vie de nos peuples.

Je voudrais revenir sur des points soulevés pendant la rencontre et poursuivre cette réflexion, afin que l’esprit de discernement et de réflexion « ne reste pas lettre morte » ; qu’il nous aide et nous encourage à toujours mieux servir le saint peuple fidèle de Dieu.

C’est d’ailleurs de cette image que j’aimerais partir pour réfléchir à l’activité publique des laïcs dans un contexte comme celui de l’Amérique latine. Parler du saint peuple de Dieu, c’est parler de l’horizon vers lequel nous sommes appelés à regarder et dont notre réflexion doit partir. En tant que pasteurs, nous sommes invités à regarder, protéger, accompagner, soutenir et servir ce saint peuple de Dieu continuellement. Un père n’est pas un père sans ses enfants. Il peut être excellent au travail, dans sa profession, être un excellent mari, ou un excellent ami, mais ce qui fait de lui un père a un visage : ce sont ses enfants. Et cela vaut aussi pour nous qui sommes des pasteurs. Un pasteur n’est pas un pasteur sans son troupeau, qu’il est appelé à servir. Le pasteur est pasteur d’un peuple, et ce peuple, il doit le servir de l’intérieur. Le plus souvent on avance en ouvrant le chemin, mais d’autres fois il nous faut revenir sur nos pas pour que personne ne reste en arrière, et il n’est pas rare de devoir rester au milieu pour bien entendre le cœur des gens.

Regarder le saint peuple fidèle de Dieu et sentir que nous en faisons intégralement partie, nous positionne dans la vie, et donc dans les thèmes que nous traitons, de manière différente. Cela nous aide à ne pas tomber dans des réflexions qui peuvent, en soi, être très bonnes, mais finissent par uniformiser la vie de nos gens ou par théoriser à un point que la spéculation finit par tuer l’action. Garder les yeux sur le peuple de Dieu nous sauve de certains slogans qui sont de belles phrases mais ne sont pas un soutien pour la vie même de nos communautés. Par exemple, je me souviens de cette fameuse phrase: « c’est l’heure des laïcs », mais on dirait que la montre s’est arrêtée.

Regarder le peuple de Dieu c’est se souvenir que nous entrons tous dans l’Eglise en laïcs. Le premier sacrement, celui qui scelle à jamais notre identité, et dont nous devrions toujours être fiers, est le baptême. A travers lui et par onction de l’Esprit Saint, (les fidèles) « sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint » (Lumen gentium, n. 10). Notre première et fondamentale consécration puise ses racines dans notre baptême. Personne n’a été baptisé prêtre ou évêque. On nous a baptisés en tant que laïcs et ce signe est indélébile. Nul ne pourra jamais l’effacer.

C’est bien de nous rappeler que l’Eglise n’est pas une élite de prêtres, de consacrés, d’évêques, mais que nous formons tous le saint peuple de Dieu. Oublier cela comporte des risques, notamment celui de déformer – dans notre expérience même, aussi bien personnelle que communautaire – le ministère que l’Eglise nous a confié. Comme l’a bien souligné le concile Vatican II, nous sommes le Peuple de Dieu, dont le statut est « la dignité et la liberté des fils de Dieu, dans le cœur de qui, comme dans un temple, habite l’Esprit Saint » (Lumen gentium, n. 9). Le saint peuple fidèle de Dieu est oint par la grâce du Saint Esprit. C’est pourquoi, au moment de réfléchir, de penser, évaluer, discerner, nous devons être très attentifs à cette onction.

Je dois en même temps ajouter un autre élément qui est pour moi le résultat d’une manière incorrecte de vivre l’ecclésiologie proposée par Vatican II. Nous ne pouvons réfléchir au laïcat en ignorant une des plus grandes déformations que l’Amérique latine ait à affronter – et pour laquelle je vous demande de porter une attention particulière –, le cléricalisme. Non seulement cette attitude annule la personnalité du chrétien, mais elle tend à diminuer et à sous-estimer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a mise dans le cœur de nos fidèles. Le cléricalisme porte à une uniformisation du laïcat ; en le traitant comme un simple « mandataire », il limite toutes les initiatives et tous les efforts, et j’oserai dire les audaces nécessaires, pour porter la bonne nouvelle de l’Evangile à tous les domaines de l’activité sociale et surtout politique. Le cléricalisme, loin de donner de l’impulsion aux différentes contributions et propositions, éteint peu à peu le feu prophétique dont l’Eglise entière est appelée à témoigner dans le cœur de ses peuples. Le cléricalisme oublie que la visibilité et la sacramentalité de l’Eglise appartiennent à tout le peuple de Dieu (cf. Lumen gentium, n. 9-14), et non à une seule poignée d’élus et de personnes éclairées.

L’Amérique latine a connu un phénomène très intéressant que je souhaite citer ici, l’un des rares espaces où le peuple de Dieu était libre de l’influence du cléricalisme : je pense à la religiosité populaire. Ce fut l’un des rares espaces où le peuple (y compris ses pasteurs) et l’Esprit Saint ont pu se rencontrer sans le cléricalisme qui cherche à contrôler et freiner l’onction de Dieu sur les siens. Nous savons que la religiosité populaire, comme l’écrit si bien Paul VI dans son exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, « a certainement ses limites. Elle est fréquemment ouverte à la pénétration de maintes déformations de la religion, mais, poursuit-il, si elle est bien orientée, surtout par une pédagogie d’évangélisation, elle est riche de valeurs. Elle traduit une soif de Dieu que seuls les simples et les pauvres peuvent connaître. Elle rend capable de générosité et de sacrifice jusqu’à l’héroïsme, lorsqu’il s’agit de manifester la foi. Elle comporte un sens aigu d’attributs profonds de Dieu : la paternité, la providence, la présence amoureuse et constante. Elle engendre des attitudes intérieures rarement observées ailleurs au même degré : patience, sens de la croix dans la vie quotidienne, détachement, ouverture aux autres, dévotion. En raison de ces aspects, nous l’appelons volontiers ‘piété populaire’, c’est-à-dire religion du peuple, plutôt que religiosité… Bien orientée, cette religiosité populaire peut être de plus en plus, pour nos masses populaires, une vraie rencontre avec Dieu en Jésus-Christ » (n. 48). Le pape Paul VI utilise un concept que j’estime fondamental : quand on parvient à écouter et à bien orienter la foi de notre peuple, ses orientations, ses recherches et ses désirs, ses aspirations, ils finissent par nous révéler une vraie présence de l’Esprit. Ayons confiance en notre Peuple, en sa mémoire et en son « flair », croyons à l’action du Saint Esprit sur lui et avec lui, et que cet Esprit n’appartient pas qu’à la hiérarchie de l’Eglise.

J’ai pris la religiosité populaire comme exemple car elle est la clef herméneutique qui peut nous aider à mieux comprendre l’action que nous produisons quand le saint peuple fidèle de Dieu prie et agit. Cette action ne reste pas liée à la sphère intime de la personne mais se transforme, au contraire, en culture : « Une culture populaire évangélisée contient des valeurs de foi et de solidarité qui peuvent provoquer le développement d’une société plus juste et croyante, et possède une sagesse propre qu’il faut savoir reconnaître avec un regard plein de reconnaissance » (Evangelii gaudium, n. 68).

De là nous pouvons nous demander : que signifie le fait que les laïcs travaillent dans la vie publique?

Aujourd’hui, beaucoup de nos villes sont devenues de vrais lieux de survie. Des lieux où, apparemment, la culture du rejet est en train de s’installer, laissant peu d’espace à l’espérance. Nous y trouvons nos frères, plongés dans ces luttes, avec leurs familles. Non seulement ces personnes essaient de survivre mais en plus, entre contradictions et injustices, elles cherchent le Seigneur et désirent lui rendre témoignage. Que signifie pour nous, pasteurs, le fait que les laïcs travaillent au sein de la vie publique ? Cela signifie rechercher la manière de les encourager, de les accompagner et de stimuler toutes les tentatives, tous les efforts qui, aujourd’hui, sont déployés pour entretenir la flamme de l’espérance et de la foi dans un monde plein de contradictions, spécialement pour les plus pauvres, spécialement avec les plus pauvres. Cela signifie, comme pasteurs, nous engager au sein de notre peuple et avec notre peuple, soutenir sa foi et son espérance. En ouvrant les portes, en travaillant avec lui, en rêvant avec lui, en réfléchissant et surtout priant avec lui.

« Nous avons besoin de reconnaître la ville » – et donc tous les lieux de vie de notre peuple – « d’un regard contemplatif, c’est-à-dire un regard de foi qui découvre ce Dieu qui habite dans ses maisons, dans ses rues, sur ses places. (…) Dieu vit parmi les citoyens qui promeuvent la solidarité, la fraternité, le désir du bien, de vérité, de justice. Cette présence ne saurait être fabriquée, mais découverte, dévoilée. Dieu ne se cache pas à ceux qui le cherchent d’un cœur sincère » (Evangelii gaudium, n. 71). Ce n’est jamais au pasteur de dire au laïc ce qu’il doit faire et dire ! Le laïc le sait bien et mieux que nous. Ce n’est pas au pasteur de décider ce que les fidèles doivent dire dans les divers domaines. En tant que pasteurs, unis à notre peuple, il convient de nous demander comment nous stimulons et promouvons la charité et la fraternité, le désir du bien, de la vérité et de la justice. Comment nous faisons pour empêcher que la corruption aille se nicher dans nos cœurs.

Il nous est souvent arrivé de penser que le laïc engagé est celui qui travaille dans les œuvres de l’Eglise et/ou dans les affaires paroissiales ou diocésaines, sans trop réfléchir à comment un baptisé a besoin d’être accompagné dans sa vie civile et quotidienne ; comment, dans ses activités quotidiennes, avec les responsabilités qu’il a, il doit s’engager comme chrétien dans la vie publique. Sans nous en rendre compte nous avons créé une élite de laïcs, croyant que seuls les laïcs engagés sont ceux qui travaillent dans des choses « de prêtres », et nous avons oublié, avons négligé, le croyant qui, tant de fois, dans ses luttes quotidiennes, brûle son espérance pour vivre sa foi. Le cléricalisme ne voit pas ces situations. Il ne peut pas car il est plus préoccupé à régner sur des espaces qu’à produire des processus. Nous devons donc reconnaître que le laïc, de par sa nature même, de par son statut, parce que plongé dans le cœur de la vie sociale, publique et politique, parce que participant à des formes culturelles qui bougent constamment, a besoin de nouvelles formes d’organisations pour célébrer sa foi.

Les rythmes actuels sont si différents (je ne dis pas meilleurs ou pires) de ceux que l’on vivait il y a trente ans ! « Cela demande d’imaginer des espaces de prière et de communion avec des caractéristiques innovantes, plus attirantes et significatives pour les populations urbaines » (Evangelii gaudium, n. 73). Il est illogique, voire impensable que nous, les pasteurs, puissions croire avoir le monopole des solutions à apporter aux multiples défis que nous réserve la vie contemporaine. Au contraire, nous devons prendre le parti des nôtres, en les accompagnant dans leurs recherches et stimulant cette imagination capable de répondre aux problématiques actuelles. Et en discernant avec eux et jamais pour eux ou sans eux. Comme dirait saint Ignace, « selon les situations et les personnes ». C’est-à-dire sans uniformiser. On ne peut donner de directives générales pour organiser le peuple de Dieu à l’intérieur de sa vie publique.

L’inculturation est un processus que nous, pasteurs, sommes appelés à stimuler, en encourageant les gens à vivre leur foi là où ils sont et avec qui ils sont. L’inculturation, c’est apprendre à découvrir comment un pan de notre peuple aujourd’hui, en cette heure de l’histoire, vit, célèbre et annonce sa foi. Selon son identité particulière, et sur la base des problèmes qu’il doit affronter, mais également de toutes les raisons qu’il a de se réjouir. L’inculturation est un travail artisanal et non une fabrique pour la production en série de processus qui s’occuperaient de « fabriquer des mondes ou des espaces chrétiens ».

Dans notre peuple, il nous est demandé de conserver deux mémoires. La mémoire de Jésus-Christ et la mémoire de nos ancêtres. La foi, nous l’avons reçue, c’est un don reçu le plus souvent des mains de nos mères, de nos grands-mères, qui étaient la mémoire vivante de Jésus Christ dans nos demeures. C’est dans le silence de la vie familiale que la plupart d’entre nous ont appris à prier, à aimer, à vivre leur foi. Et à l’intérieur ensuite d’une vie familiale en paroisse, à l’école ou au sein d’une communauté, que cette foi a touché leur vie et s’est faite chair. Une foi simple qui nous a aidé, tant de fois, à surmonter les vicissitudes de la vie. Perdre la mémoire c’est se déraciner du lieu de nos origines et donc ne plus savoir où nous allons. Un point fondamental, quand nous déracinons un laïc de sa foi, de la foi de ses origines ; quand nous l’arrachons au saint peuple fidèle de Dieu, nous le déracinons de son identité baptismale et le privons de la grâce du Saint Esprit. La même chose nous arrive à nous, pasteurs, quand nous nous déracinons de notre peuple, nous nous perdons. Notre rôle, notre joie, la joie du pasteur consiste précisément à aider et stimuler, comme ont fait avant nous nos grands-mères et nos pères, les vrais protagonistes de l’histoire. Non comme une concession de bonne volonté, mais comme un droit et par statut. Les laïcs font partie du saint peuple fidèle de Dieu. Ils sont donc des acteurs au sein de l’Eglise et dans le monde ; nous sommes appelés à les servir, pas à nous servir d’eux.

Lors de mon récent voyage en terre mexicaine j’ai eu l’occasion de rester seul à seul avec la Mère, de me laisser regarder par elle. En ce moment de prière, j’ai pu présenter aussi mon cœur de fils. Vous y étiez vous aussi avec vos communautés. En ce moment de prière j’ai demandé à Marie de continuer à soutenir, comme elle a fait avec la première communauté, la foi de notre peuple. Que la sainte Vierge intercède pour vous, veille sur vous et vous accompagne toujours !
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Source : https://fr.zenit.org/
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