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 "Rien ne justifie la division!"

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MessageSujet: "Rien ne justifie la division!"   "Rien ne justifie la division!" Icon_minitimeLun 19 Mai 2014 - 21:07

"Rien ne justifie la division!" 1_0_800579

Lundi 19 Mai 2014

"Rien ne justifie la division !"


Ce lundi, s’est ouverte au Vatican la 66e Assemblée générale de la CEI, la conférence épiscopale des évêques italiens. Et c’est une première : les travaux ont été ouverts par le Pape François lui-même, et non, comme de coutume, par le président de la conférence.
Dans son long discours d’ouverture, l’évêque de Rome a voulu livrer quelques réflexions sur l’essence même de la mission de l’évêque, et a indiqué trois priorités pour ses frères dans l’épiscopat italien : la famille, le travail et l’immigration.

Les tentations du Pasteur

« Qui est Jésus pour moi ? Quelle image ai-je de l’Eglise ? En suis-je le fils autant que le pasteur ? Ai-je le souci des semer le bon grain dans la vaste champ du monde ? » Autant de questions que le Pape a posées à ses confrères, dans le style simple et franc qu’on lui connait désormais.
La mission de l’évêque est telle, assure le Pape, que sans une vie de prière assidue, l’évêque s’expose à un danger : celui d’avoir honte de l’Evangile. Et François de mettre ensuite en exergue les tentations qui « assombrissent la primauté de Dieu » dans la vie du Pasteur, et elles sont légion : tentation de la médiocrité, de la tiédeur, de la présomption, celle de « s’abandonner à l’abondance des ressources et des structures », ou de céder à la tristesse, « qui éteint toute créativité, laisse insatisfait et incapable d’entrer dans la vie de notre peuple ». D’où l’importance vitale pour l’évêque de « chercher le Christ » sans relâche, de fixer son regard sur Lui et demeurer en sa présence.

Le scandale de la division

François, citant son prédécesseur le vénérable Pape Paul VI, s’est également attaché à rappeler le « service d'unité » de l’Eglise, une « question vitale », pour elle. L’absence de communion, a souligné le Pape, est un scandale, « une hérésie qui défigure le visage du Christ et déchire l’Eglise ». « Rien ne justifie la division », a martelé le Pape, ajoutant qu’il valait mieux « céder et renoncer, porter sur soi l’épreuve de l’injustice, plutôt que de lacérer la tunique et scandaliser le peuple saint de Dieu ». Attention donc, pour les évêques, à ne pas céder aux tentations du carriérisme, de l’ambition, qui génèrent « courants et sectarismes ». A de pareils maux, l’expérience ecclésiale de partage et de collégialité est le seul remède efficace. D’où l’importance, pour le Pape, que la conférence épiscopale soit un espace vital d’unité, de partage et d’ouverture aux autres. « Soyez levain d’unité » a encore demandé François aux prélats italiens.

La famille, les chômeurs et les migrants

Le Pape a par ailleurs développé une idée qui lui est chère, en appelant les évêques à « l’éloquence des gestes », les exhortant avec force à faire preuve de miséricorde, de simplicité, de chaleur. Le pasteur doit être proche de son troupeau, proche aussi de ses prêtres, être attentif à leurs besoins et leurs attentes.
Parmi les lieux où la présence de l’évêque est « nécessaire » : la famille, cellule fondamentale de la société, que l’évêque se doit de soutenir, en en affirmant « la beauté et la centralité », les chômeurs, « dont la situation interpelle la responsabilité sociale de tous » et les migrants.

Source : http://www.news.va/fr/news/le-pape-aux-eveques-italiens-rien-ne-justifie-la-d

Allocution du pape François (texte intégral) :


J’ai toujours été frappé par la façon dont finit ce dialogue entre Jésus et Pierre : « Suis-moi ! » (Jn 21,19). Le dernier mot. Pierre était passé par tant d’états d’âme, à ce moment-là : de la honte parce qu’il se souvenait des trois fois où il avait renié Jésus, et puis un peu d’embarras, il ne savait pas comment répondre, et puis la paix, il s’est tranquillisé, avec ce « Suis-moi ! ». Mais le tentateur est arrivé une autre fois, la tentation de la curiosité : « Dis-moi Seigneur, et de lui [l’apôtre Jean] que me dis-tu ? Que lui arrivera-t-il ? ». « Que t’importe, toi, suis-moi ». Je voudrais m’en aller avec ce message, uniquement… C’est que j’ai ressenti en écoutant « Que t’importe. Toi, suis-moi ». Suivre Jésus : voilà ce qui importe ! Et c’est le plus important pour nous. J’ai toujours été frappé par cela…

Je vous remercie de m’avoir invité, je remercie le président pour ses paroles. Je remercie les membres de la présidence… En parlant des membres de la présidence, un journal disait « celui-ci est un homme du pape, celui-ci n’est pas un homme du pape, cet autre est un homme du pape… ». Mais la présidence, de cinq – six membres, c’est tous des hommes du pape ! Pour le dire en langage « politique »… Or nous, nous devons utiliser le langage de la communion. Mais la presse, parfois, invente tant de choses, n’est-ce pas ?

En me préparant à ce rendez-vous de grâce, je suis revenu plusieurs fois sur les paroles de l’apôtre, qui expriment tout ce que j’ai – tout ce que nous avons – au fond du cœur : « J’ai en effet un très vif désir de vous voir, pour vous communiquer l’un ou l’autre don de l’Esprit, afin que vous en soyez fortifiés, je veux dire, afin que nous soyons réconfortés ensemble chez vous, par la foi que nous avons en commun, vous et moi. » (Rm 1, 11-12).

J’ai vécu cette année en essayant de me mettre dans les pas de chacun de vous : au cours de rencontres personnelles, durant les audiences et les visites sur le territoire, j’ai écouté et partagé le récit d’espérances, de lassitudes et de préoccupations pastorales; à la même table, nous nous sommes donné du courage en retrouvant dans le pain rompu le parfum d’une rencontre, raison ultime de notre marche vers la cité des hommes, le visage heureux et disposés à être « présence » et « évangile » de vie.

En ce moment, je tiens à vous dire ma reconnaissance pour votre généreux service, mais aussi offrir quelques éléments de réflexion pour aider à revisiter notre ministère, et faire en sorte que celui-ci réponde de plus en plus à la volonté de Celui qui nous a placés à la tête de son Église.

Le peuple des fidèles nous regarde. Le peuple nous regarde ! Je me souviens d’un film : « les enfants nous regardent », un beau film ! Le peuple nous regarde. Il nous regarde pour être aidé à saisir la particularité de son quotidien dans le contexte du dessein providentiel de Dieu. Notre mission est exigeante: elle nous demande de connaître le Seigneur, au point de demeurer en Lui; mais elle demande aussi d’habiter la vie de nos Églises particulières, jusqu’à en connaître tous les visages, les besoins et leur potentiel. Si la synthèse de cette double exigence est confiée à la responsabilité de chacun, certains traits sont néanmoins communs; et aujourd’hui je voudrais en indiquer trois, qui aideront à tracer les contours de notre profil de Pasteurs dans une Église qui est avant tout la communauté du Ressuscité, donc son corps et, enfin, anticipation et promesse du Royaume.

De cette façon je souhaite aussi aller au-devant – au moins indirectement – de tous ceux qui se demandent quelles sont les attentes de l’évêque de Rome sur l’épiscopat italien.

1. Pasteurs d’une Église qui est communauté du Ressuscité

Donc, interrogeons-nous : Qui est Jésus-Christ pour moi ? Comment a-t-il marqué la vérité de mon histoire ? Que dit ma vie de Lui ?

La foi, mes frères, est le souvenir vivant d’une rencontre, nourrie par le feu de la Parole qui façonne le ministère et oint tout notre peuple; la foi est un sceau placé sur le cœur : sans cet écrin, sans prière assidue, le Pasteur est exposé au danger d’avoir honte de l’Évangile, qui finira par délayer le scandale de la croix dans la sagesse mondaine.

Les tentations, qui essaient de voiler le primat de Dieu et de son Christ, sont « légions » dans la vie du Pasteur : elles vont de la tiédeur, qui finit par tomber dans la médiocrité, à la recherche d’une vie tranquille, qui évite les renonciations et le sacrifice. La précipitation pastorale est une tentation, de même envergure que sa demi-sœur, la paresse, qui porte à l’intolérance, comme si tout n’était qu’un poids. La présomption est une tentation : celle qui porte à croire que l’on ne peut compter que sur ses propres forces, sur l’abondance des ressources et structures, sur les stratégies d’organisation que nous sommes capables de mettre en œuvre. Se laisser aller à la tristesse est une tentation, cette tristesse qui éteint toute attente et créativité, laisse insatisfaits et donc incapables d’entrer dans le vécu de nos gens et de le comprendre à la lumière du matin de Pâques.

Frères, si nous nous écartons de Jésus Christ, si notre rencontre avec Lui perd de sa fraîcheur, nous finissons par ne plus toucher du doigt que la stérilité de nos paroles et de nos initiatives. Car les plans pastoraux sont utiles, mais notre confiance trouve sa réponse ailleurs : dans l’Esprit du Seigneur, qui – à la hauteur de notre docilité – nous ouvre toujours en grand les horizons de la mission.

Pour éviter d’échouer sur les rochers, notre vie spirituelle ne saurait se réduire à quelques moments religieux. Au fil des jours et des saisons, au fil de l’âge et des événements, entraînons-nous à nous considérer en regardant Celui qui ne passe pas : la spiritualité est un retour à l’essentiel, à ce bien que personne ne saurait nous enlever, la seule chose vraiment nécessaire. Dans les moments d’aridité aussi, quand les situations pastorales se compliquent et qu’on a l’impression d’être laissés seuls, celle-ci constitue un manteau de consolation plus grand que toute amertume; c’est un indicateur de liberté face au jugement du soi-disant « sens commun » ; une source de joie, qui nous fait accueillir tout ce qui vient de la main de Dieu, jusqu’à contempler sa présence dans tout et en tous.

Ne nous lassons donc pas de chercher le Seigneur – de nous laisser chercher par Lui –, de soigner dans le silence et l’écoute orante nos relations avec Lui. Fixons notre regard sur Lui, centre du temps et de l’histoire ; faisons de la place à sa présence en nous: Il est le début et le fondement qui enveloppe de miséricorde nos faiblesses, qui transfigure et renouvelle; Il est tout ce que nous sommes appelés à offrir de plus précieux à notre peuple, sous peine de le laisser à la merci d’une société de l’indifférence, pour ne pas dire du désespoir. Chaque homme – même sans le savoir – vit de Lui. En Lui, Homme des béatitudes – page évangélique qui revient quotidiennement dans ma méditation – passe la haute mesure de la sainteté: si nous comptons le suivre, nous n’avons d’autre chemin que celui-ci. En le parcourant avec Lui, nous nous découvrons « peuple », jusqu’à reconnaître avec stupeur et gratitude que tout est grâce, même les peines et contradictions de la vie humaine, si celles-ci sont vécues d’un cœur ouvert au Seigneur, avec la patience d’un artisan et le cœur du pécheur repenti.

La mémoire de la foi est aussi compagnie, appartenance ecclésiale : voilà le second trait de notre profil.

2. Pasteurs d’une Église qui est corps du Seigneur

Essayons, encore, de nous demander : quelle image ai-je de l’Église, de ma communauté ecclésiale? Est-ce qu’en elle je me sens fils, et pas seulement Pasteur ? Sais-je remercier Dieu, ou est-ce que je saisis surtout les retards, les défauts et les manques ? Jusqu’à quel point suis-je disposé à souffrir pour elle ?

Frères, l’Église – dans le trésor de la Tradition vivante, qui dernièrement brille dans le saint témoignage de Jean XXIII et Jean Paul II – est l’autre grâce dont on doit se sentir profondément débiteur. Du reste, si nous sommes entrés dans le Mystère du Crucifié, si nous avons rencontré le Ressuscité, c’est en vertu de son corps qui, en tant que tel, ne peut être qu’un. L’unité est un don et une responsabilité : en être le sacrement configure notre mission. Cela demande un cœur dépouillé de tout intérêt mondain, loin de la vanité et de la discorde ; un cœur accueillant, capable de sentir avec les autres mais aussi de les considérer plus dignes que soi-même. C’est le conseil que nous donne l’apôtre.

Dans cette perspective, résonnent les paroles, plus actuelles que jamais, prononcées, il y a exactement 50 ans, par le Vénérable pape Paul VI – que nous aurons la joie de proclamer bienheureux le 19 octobre, à la clôture du synode des évêques pour la famille – en s’adressant aux membres de la Conférence épiscopale italienne, faisant de ce service de l’unité une « question vitale pour l’Église »: « le moment est venu (et devrions-nous en souffrir ?) de donner à nous-mêmes et d’imprimer à la vie ecclésiastique italienne un fort et nouvel esprit d’unité ». On vous donnera aujourd’hui ce discours. C’est un bijou. Comme s’il avait été prononcé hier.

Nous en sommes convaincus : le manque ou même la pauvreté de communion est le plus grand des scandales, l’hérésie qui défigure le visage du Seigneur et déchire son Église. Rien ne justifie la division : il vaut mieux céder, il vaut mieux renoncer – voire être disposés parfois à prendre sur soi l’épreuve d’une injustice – plutôt que de déchirer la tunique et scandaliser le saint peuple de Dieu.

C’est pourquoi, en tant que Pasteurs, nous devons échapper aux tentations qui, autrement, nous déchireraient : la gestion trop personnelle du temps, comme si notre bien-être pouvait être indépendant de celui de nos communautés; les bavardages, les demi-vérités qui deviennent des mensonges, la litanie des plaintes qui trahit d’intimes déceptions; la dureté de celui qui juge sans s’impliquer et le laxisme de tous ceux qui s’accommodent sans prendre en charge l’autre. Mais encore : se laisser ronger par la jalousie, l’aveuglement parce qu’on est envieux, l’ambition qui génère courants, factions, sectarisme: que le ciel est vide quand la personne est obsédée par elle-même… Et puis, le repliement qui va rechercher dans les formes du passé les sécurités perdues; et la prétention de tous ceux qui voudraient défendre l’unité en rejetant les diversités, humiliant ainsi les dons que Dieu nous faits et dont il se sert pour rendre jeune et belle son Église…

Face à ces tentations, l’antidote le plus efficace est précisément l’expérience ecclésiale. Celle-ci émane de l’unique Eucharistie, dont la force de cohésion génère fraternité, possibilité de s’accueillir, de se pardonner et de marcher ensemble ; l’Eucharistie, d’où jaillit la capacité de faire sienne une attitude de sincère gratitude et de conserver la paix même dans les moments les plus difficiles: cette paix qui permet de ne pas se laisser écraser par les conflits – qui peuvent aussi se révéler un creuset qui purifie – et de ne pas se laisser bercer par le rêve que l’on peut toujours recommencer ailleurs.

La spiritualité eucharistique appelle à la participation et à la collégialité, pour un discernement pastoral qui se nourrit dans le dialogue, dans la recherche, dans l’effort de penser ensemble : ça n’est pas pour rien si Paul VI, dans le discours cité – après avoir défini le Concile « une grâce », « une occasion unique et heureuse », « un incomparable moment », « un sommet de charité hiérarchique et fraternelle », « une voix de spiritualité, de bonté et de paix au monde entier » – indique, comme « note dominante », la « libre et ample possibilité d’enquête, de discussion et d’expression ». Et ceci est important, au sein d’une assemblée. Chacun dit ce qu’il éprouve, en face, à ses frères; cela édifie l’Église, cela aide. Sans honte, le dire, comme ça vient…

Pour la Conférence épiscopale, c’est sa manière d’être un espace vital au service de l’unité, dans la valorisation des diocèses, même les plus petits. A partir des Conférences régionales, donc, ne vous lassez pas de tisser entre vous des relations favorisant l’ouverture et l’estime réciproque : la force d’un réseau repose sur des relations de qualité, qui abattent les distances et rapprochent les territoires à travers la confrontation, l’échange d’expériences, la volonté de collaboration.

Nos prêtres, vous le savez bien, sont souvent éprouvés par les exigences du ministère et, parfois même découragés face aux maigres résultats : éduquons-les à ne pas s'arrêter pour calculer les entrées et sorties, pour vérifier si ce que l’on croit avoir donné correspond ensuite à ce que l’on a récolté : notre temps, plus que le temps des bilans, est un temps de patience dont le nom est l’amour mûr, la vérité de notre don de soi humble, gratuit et confiant à l’Église. Cherchez à leur garantir « proximité » et « compréhension », faites en sorte que dans votre cœur ils puissent se sentir toujours chez eux; soignez leur formation humaine, culturelle, affective et spirituelle ; l’assemblée extraordinaire de novembre prochain, justement consacrée à la vie des prêtres, est une occasion pour préparer tout ça avec une attention particulière.

Favoriser la vie religieuse: hier son identité était liée surtout aux actions, aujourd’hui elle constitue une précieuse réserve d'avenir, à condition de savoir se poser en signe visible, en sollicitation afin que tous vivent selon l’Évangile. Demandez aux consacrés, aux religieux et aux religieuses d’être de joyeux témoins: on ne saurait parler de Jésus en se lamentant ; d’autant que, lorsqu’on perd la joie, on finit par lire la réalité, l’histoire et sa propre vie sous une lumière déformée.

Aimez avec générosité, et dans un total dévouement, les personnes et les communautés : ce sont vos membres ! Écoutez le troupeau. Fiez-vous à son sens de la foi et de l’Église, qui se manifeste aussi sous tant de formes de piété populaire. Ayez confiance que le saint peuple de Dieu a le pouls pour repérer les bons chemins. Accompagnez largement la croissance d’une coresponsabilité laïque; reconnaissez les espaces de pensée, de conception et d’action des femmes et des jeunes: avec leurs intuitions et leur aide vous parviendrez à ne pas vous attarder sur une pastorale de conservation – de fait vague, dispersive, fragmentée et peu influente – pour assumer, au contraire, une pastorale qui met l’accent sur l’essentiel. Comme le résume, avec cette profondeur propre aux personnes simples, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus: « L’aimer et le faire aimer ». Que ceci soit aussi le noyau des Orientations pour l’annonce et la catéchèse que vous affronterez durant ces journées.

Frères, dans un milieu comme le nôtre, souvent confus et déchiré, la première mission ecclésiale est d’être un levain d’unité, qui fermente dans la proximité et sous les différentes formes de réconciliation : ce n’est qu’ensemble que nous parviendrons – et ceci est le dernier trait du profil de Pasteur – à être « prophétie » du Royaume.

3. Pasteurs d’un Église anticipation et promesse du Royaume

A ce propos, demandons-nous : Ai-je le regard de Dieu sur les personnes et sur les événements ? « J’ai eu faim…, j’ai eu soif …, j’étais un étranger …, nu…, malade…, j’étais en prison » (Mt 25,31-46): est-ce que je crains le jugement de Dieu ? Par conséquent, est-ce que je me dépense, le cœur largement ouvert, pour répandre la semence du bon grain dans le champ du monde ?

Ici aussi, on voit paraître les tentations qui, ajoutées à celles que nous venons de décrire, entravent la croissance du Royaume, le projet de Dieu sur la famille humaine. Celles-ci se manifestent dans la distinction que nous acceptons parfois de faire entre « les nôtres » et « les autres »; dans les fermetures de ceux qui sont convaincus d’avoir suffisamment de problèmes eux-mêmes, sans devoir s’occuper de l’injustice qui est la cause de ceux des autres; dans l’attente stérile de celui qui ne sort pas de son propre enclos et ne traverse pas la place, mais reste assis au pied du clocher, laissant le monde suive son chemin.

Le souffle qui anime l’Église est bien autre chose. Cette dernière est continuellement convertie par le Royaume qui annonce et dont elle est anticipation et promesse: un Royaume qui est et qui vient, sans que quiconque puisse présumer le définir complètement ; un Royaume qui reste bien au-delà, plus grand que nos schémas et raisonnements, ou qui – peut-être plus simplement – est si petit, si humble et si caché dans la pâte de l’humanité, parce qu’il déploie sa force selon les critères de Dieu, qui s’est révélé dans la croix de son fils.

Servir le Royaume exige une vie décentrée par rapport à soi-même, tendue vers la rencontre qui est le chemin pour retrouver vraiment ce que nous sommes : des personnes qui annoncent la vérité du Christ et sa miséricorde. Vérité et miséricorde: ne les séparons pas. Jamais ! « La charité dans la vérité – nous a rappelé le pape Benoît XVI – est la principale force propulsive pour le vrai développement de chaque personne et de l’humanité entière » (Enc. Caritas in veritate, 1). Sans vérité, l’amour se résout dans une boîte vide, que chacun remplit comme bon lui semble: et « un christianisme de charité sans vérité peut être facilement pris pour une réserve de bons sentiments, utiles pour la cohabitation sociale, mais marginaux » et qui, en tant que tels, n’influent pas sur les projets et sur les processus de construction du développement humain (ibid., 4).

Que votre annonce, chers frères, s’accompagne tout aussi clairement de gestes éloquents. S’il vous plaît : l’éloquence des gestes.

En tant que pasteurs, soyez simples dans vos modes de vie, détachés, pauvres et miséricordieux, pour marcher rapidement et ne rien interposer entre vous et les autres.

Soyez totalement libres, pour pouvoir être proches des gens, attentifs à la langue de chacun, prêt à côtoyer chacun avec charité, en accompagnant les personnes dans leurs nuits de solitude, d’inquiétude et d’échecs: accompagnez-les, jusqu’à réchauffer leur cœur et les inciter à prendre un chemin qui ait un sens et rende à la vie sa dignité, ses espérances et sa fécondité.

Un des « lieux » où votre présence est, me semble-t-il, la plus nécessaire et significative – et par rapport auxquels un excès de prudence condamnerait à l’insignifiance – est avant tout la famille. Aujourd’hui la communauté domestique est fortement pénalisée par une culture qui privilégie les droits individuels et transmet une logique du provisoire. Soyez des porte-paroles convaincus de celle qui constitue la première cellule de toute société. Témoignez de sa centralité et de sa beauté. Soyez les promoteurs de la vie à naître comme celle de la personne âgée. Soutenez les parents dans leur difficile et enthousiasmant chemin d’éducation. Et n’hésitez pas à vous incliner avec la compassion du samaritain sur celui qui est blessé dans ses sentiments et voit son projet de vie partir en fumée.

Un autre espace qu’on n’a pas besoin aujourd’hui de décrire est celui de la salle d’attente bondée de chômeurs: chômeurs, pleinement ou partiellement, précaires, là où le drame de celui qui ne sait pas comment apporter du pain à la maison rencontre celui qui ne sait pas comment faire pour tenir son entreprise. C’est une urgence historique, qui interpelle la responsabilité sociale de tous : comme Église, aidons à ne pas céder au catastrophisme et à la résignation, en soutenant par toute forme de solidarité créative les efforts de ceux qui, avec le travail, se sentent atteints jusque dans leur dignité.

Enfin, la chaloupe à mettre à l’eau est celle de l’étreinte accueillante à l’égard des migrants: ceux-ci fuient l’intolérance, la persécution, le manque d’avenir. Nul ne saurait détourner le regard ailleurs. La charité, dont témoignent tant de personnes par leur générosité, est notre manière de vivre et d’interpréter la vie: fort de ce dynamisme, l’Évangile continuera de se répandre en étant attractif.

Plus généralement, que les situations difficiles vécues par tant de nos contemporains, vous trouvent attentifs et présents, prêts à rediscuter un modèle de développement qui exploite la création, sacrifie les personnes sur l’autel du profit et crée de nouvelles formes de marginalisation et d’exclusion. Le besoin d’un nouvel humanisme est crié par une société privée d’espérance, secouée dans toutes ses certitudes fondamentales, appauvrie par une crise qui, plus qu’économique, est culturelle, morale et spirituelle.

Au vu d’un tel scénario, que le discernement communautaire soit l’âme du parcours de préparation au congrès ecclésial national de Florence, l’année prochaine: attention, s’il vous plaît, à ne pas s’arrêter au niveau – aussi nobles soit-elles – des idées, mais mettez les lunettes capables de saisir et comprendre la réalité et, donc, les chemins pour la gouverner, visant à rendre la communauté des hommes plus juste et fraternelle.

Allez à la rencontre de quiconque demande raison de l’espérance qui est en vous : accueillez sa culture, tendez-lui avec respect la mémoire de la foi et la compagnie de l’Église, c'est-à-dire les signes de la fraternité, de la gratitude et de la solidarité, qui anticipent dans les jours de l’homme les reflets du Dimanche sans crépuscule.

Chers frères, cette rencontre de ce soir, et plus généralement votre assemblée, est une grâce, une expérience de partage et de synodalité, un bon motif pour renouveler sa confiance en l’Esprit Saint : à nous de saisir le souffle de sa voix pour le servir en lui offrant notre liberté.

Je vous accompagne par ma prière et ma proximité. Et vous, priez pour moi, surtout à la veille de ce voyage où j'irai en pèlerin à Amman, Bethléem et Jérusalem, 50 ans après la rencontre historique entre le pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras : j’emporte avec moi votre proximité, visible et solidaire, à l’Église Mère et aux populations qui habitent la terre bénie où Notre Seigneur a vécu, où il est mort et ressuscité. Merci.

Source : http://www.zenit.org/fr/articles/la-feuille-de-route-du-pape-pour-les-eveques-italiens-2-2
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