« L’authentique réponse religieuse au fratricide est de rechercher son frère », affirme le pape François dans un message adressé aux participants au Forum interconfessionnel du G20 (IF20), ce samedi 11 septembre 2021. C’est la réponse à la question de Dieu à Caïn, qui vient de tuer son frère, rapportée dans le récit biblique de la Genèse : « Où est ton frère ? ».
Message du pape François :
J’adresse mes salutations cordiales aux participants au Forum interconfessionnel du G20 qui a lieu cette année à Bologne. Je garde un vif souvenir de ma visite dans cette ville caractérisée, entre autres choses, par son antique université « qui l’a toujours gardée ouverte, éduquant les citoyens du monde et rappelant que l’identité à laquelle on appartient est celle de notre maison commune, de l’universitas » (Rencontre avec les étudiants et le monde académique, 1er octobre 2017). C’est beau que vous soyez réunis précisément dans l’intention de dépasser les particularismes et de partager idées et espérances : ensemble, autorités religieuses, dirigeants politiques et représentants du monde de la culture, vous dialoguez pour promouvoir l’accès aux droits fondamentaux, avant tout la liberté religieuse, et pour cultiver les ferments d’unité et de réconciliation là où la guerre et la haine ont semé la mort et le mensonge.
En cela, le rôle des religions est vraiment essentiel. Je voudrais réaffirmer que, si nous voulons protéger la fraternité sur la terre, « nous ne pouvons pas perdre de vue le ciel » Mais nous devons nous aider mutuellement à libérer l’horizon du sacré des nuages obscurs de la violence et du fondamentalisme, en nous fortifiant dans la conviction que « l’Au-delà de Dieu nous renvoie à l’autre qu’est le frère » (Discours à l’occasion de la rencontre interreligieuse, Ur, 6 mars 2021). Oui, la véritable religiosité consiste à adorer Dieu et à aimer son prochain. Et nous, croyants, nous ne pouvons pas nous soustraire à ces choix religieux essentiels : plus qu’à démontrer quelque chose, nous sommes appelés à montrer la présence paternelle du Dieu du ciel à travers notre concorde sur la terre.
Aujourd’hui cependant, cela semble être malheureusement un rêve lointain. Au contraire, dans la sphère religieuse, un délétère « changement climatique » semble être en cours : aux changements néfastes qui affectent la santé de la terre, notre maison commune, s’en ajoutent d’autres qui « menacent le ciel ». C’est comme si « la température » de la religiosité montait. Il suffit de penser à la propagation de la violence qui instrumentalise le sacré : au cours des 40 dernières années, presque 3000 attentats et environ 5000 meurtres ont été perpétrés dans différents lieux de culte, dans ces espaces qui devraient être protégés comme des oasis de sacralité et de fraternité. Ceux qui outragent le saint nom de Dieu en persécutant leurs frères trouvent trop facilement des financements. Et les prédications incendiaires de ceux qui, au nom d’un faux dieu, incitent à la haine, se diffusent de manière souvent incontrôlée. Que pouvons-nous faire face à tout cela ?
En tant que responsables religieux, je crois que nous devons avant tout servir la vérité et déclarer sans peurs et sans faux-fuyants le mal quand c’est le mal, même et surtout lorsqu’il est commis par ceux qui prétendent suivre nos propres croyances. Nous devons, en outre, nous entraider, tous ensemble, à combattre l’analphabétisme religieux qui traverse toutes les cultures : il s’agit d’une ignorance généralisée, qui réduit l’expérience de la croyance à des dimensions rudimentaires de l’humain et qui séduit les âmes vulnérables pour les faire adhérer à des slogans fondamentalistes. Mais il ne suffit pas de lutter : il faut surtout éduquer, en promouvant un développement équitable, solidaire et intégral qui augmente les opportunités de scolarisation et d’instruction parce que, là où règnent en maître la pauvreté et l’ignorance, la violence fondamentaliste s’enracine plus facilement.
Il convient certainement d’encourager la proposition d’instituer une mémoire commune de ceux qui ont été tués dans chaque lieu de prière. Dans la Bible, en réponse à la haine de Caïn, qui croyait en Dieu mais a pourtant tué son frère, faisant monter de la terre la voix de son sang, la question est venue du ciel : « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9). L’authentique réponse religieuse au fratricide est de rechercher son frère. Conservons ensemble la mémoire commune de nos frères et sœurs qui ont subi des violences, aidons-nous mutuellement par des paroles et des gestes concrets à nous opposer à la haine qui veut diviser la famille humaine.
Les croyants ne peuvent combattre la haine par la violence des armes, qui n’engendre qu’une autre violence, dans une spirale de rétorsions et de vengeances sans fin. Au contraire, ce que vous désirez affirmer ces jours-ci porte du fruit : « Nous ne nous tuerons pas, nous nous porterons secours, nous nous pardonnerons ». Ces engagements requièrent des conditions qui ne sont pas faciles – il n’y a pas de désarmement sans courage, il n’y a pas de secours sans gratuité, il n’y a pas de pardon sans vérité – mais ils constituent l’unique chemin nécessaire pour la paix. Oui, parce que la voie de la paix ne se trouve pas dans les armes, mais dans la justice. Et nous, responsables religieux, nous sommes les premiers à devoir soutenir de tels processus, en témoignant que la capacité de combattre le mal n’est pas dans les proclamations, mais dans la prière ; elle n’est pas dans la vengeance, mais dans la concorde ; elle n’est pas dans les biais dictés par l’usage de la force, mais dans la force patiente et constructive de la solidarité. Parce que cela seul est vraiment digne de l’homme. Et parce que Dieu n’est pas le Dieu de la guerre, mais de la paix.
Paix, un mot clé dans le scénario international actuel. Une parole devant laquelle « nous ne pouvons pas être indifférents ou neutres ». Je le répète : « Non pas neutres, mais en prenant parti pour la paix ! C’est pourquoi nous invoquons le ius pacis, en tant que droit de tous à régler les conflits sans violence. C’est pourquoi nous répétons : jamais plus la guerre, jamais plus contre les autres, jamais plus sans les autres ! Que viennent à la lumière les intérêts et les intrigues, souvent obscurs, des fabricants de violence, qui alimentent la course aux armes et piétinent la paix avec les affaires » (Rencontre, cit.). Paix : un « quatrième p » qui se propose de s’ajouter à : peuple, planète, prospérité, dans l’espoir que le programme du prochain G20 en tienne compte dans une perspective la plus large et commune possible, parce que c’est seulement ensemble que l’on peut affronter les problèmes qui, dans le contexte interconnecté actuel, ne concernent plus une personne, mais tout le monde. Je pense également au climat et aux migrations. Il n’y a vraiment plus de temps pour les alliances des uns contre les autres, mais pour la recherche commune de solutions aux problèmes de tous. C’est sur cela que les jeunes et l’histoire nous jugerons. Et vous, chers amis, vous vous réunissez dans ce but. Je vous en remercie de tout cœur et je vous encourage, en vous accompagnant de ma prière et en invoquant la bénédiction du Très-haut sur chacun de vous.