Le Pape François, lors du vol qui le ramenait de Erevan à Rome, a répondu comme de coutume aux questions des journalistes présents dans l’avion. Il a abordé de nombreux sujets dépassant largement le simple cadre de son voyage apostolique en Arménie.
« Je souhaite à ce peuple la justice et la paix », a tout d’abord commenté François, parlant des Arméniens comme d'« un peuple courageux ». Et le Pape est confiant, voyant les présidents arménien et azerbaïdjanais se parler. Il salue la main tendue par le président Serge Sarkissian à la Turquie lors de la visite du Pape. Concernant ses rapports particuliers avec des Arméniens, en Argentine, il a confié qu’il allait souvent à leurs messes et qu’à leur contact, il a compris que ce qui comptait pour eux, plus que l’appartenance à l’une ou l’autre Église, c’était l’arménité.
Concernant le conflit avec l’Azerbaïdjan, le Pape a assuré qu’il parlerait aux Azerbaïdjanais de ce qu’il a vu et senti et qu’il les encouragerait. « Ne pas faire la paix pour un petit bout de terre – parce que ce n’est pas grand-chose – est quelque chose d’obscure » a-t-il l’intention de dire au président de l’Azerbaïdjan. Mais « je ne sais pas quoi dire de plus » a-t-il reconnu.
Le mot qui fâche
Le mot génocide a beaucoup fait parler pendant ce voyage. Le Pape François a reconnu qu’avant d’arriver au Vatican il ne connaissait pas d’autres mots que celui-ci pour désigner « le grand mal ». Il a vite vu qu’il posait problème à un certain nombre de personnes. Mais en préparant son discours à l’occasion du centenaire du génocide en 2015, il a lu que saint Jean-Paul II l’avait déjà utilisé. Il a pris acte de la réaction de la Turquie et du rappel pendant quelques mois de son ambassadeur à Ankara car chacun « a le droit de protester ». François a reconnu avoir ajouté le mot « génocide » à son discours de vendredi devant les autorités. « Cela aurait été bizarre de ne pas dire la même chose » qu’il y a un an. Selon François, le vrai problème reste de savoir pourquoi rien n’a été fait alors que les grandes puissances savaient, tout comme elles savaient pour les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. « Jamais je n’ai utilisé cette parole dans un esprit offensant mais plutôt dans un sens objectif », a-t-il précisé.
Hommage à Benoît XVI
Alors que Benoît XVI s’apprête à célébrer ce mardi les 65 ans de son ordination sacerdotale, la question de la présence de deux papes a été de nouveau abordée. Il a précisé que le pape émérite était dans un monastère à prier comme il l’avait d’ailleurs indiqué dans sa lettre de démission avant de lui rendre hommage. « C’est une grâce d’avoir à la maison un grand-père sage. » « C’est l’homme qui me garde la nuque et les épaules avec sa prière ». « C’est un homme de parole, un homme droit » qui a su ouvrir la porte aux papes émérites. Avec l’allongement de la vie, François se pose clairement la question de savoir si on peut diriger l’Église en étant souffrant. C’est pourquoi il considère cette décision de Benoît XVI de démissionner comme « une bonne chose pour l’Église », n’excluant pas qu’il puisse y avoir deux ou trois papes émérites simultanément.
Le Pape François a également répondu à une question sur le concile panorthodoxe qui vient de s'achever, en l’absence, notamment du patriarche de Russie. « Un pas en avant a été accompli », a-t-il estimé. « Le seul fait que ces Églises autocéphales se soient réunies, au nom de l’orthodoxie, pour se regarder en face, pour prier ensemble et parler est positif ».
L’actualité politique s’est invitée à cette conférence de presse avec le Brexit. Aux inquiétudes provoquées par le vote des Britanniques, le Pape a répondu : « il y a déjà la guerre en Europe ». « Puis, il y a un air de division et pas seulement en Europe mais au sein des pays mêmes ». « Pour moi, l’unité est supérieure au conflit, toujours ! ». Parlant plus précisément de l’Union européenne, François espère qu’elle se montrera plus « créative » « pour retrouver la force qu’elle a eu dans ses racines ». Si quelque chose ne va pas dans cette Europe « mastoc », pas question de « jeter le bébé avec l’eau du bain ». « Les deux mots-clés pour l’Union européenne sont créativité et fécondité. C’est le défi ».
Luther et la Réforme
Anticipant sur le voyage que le Pape effectuera en Suède à l’automne, sous le signe du dialogue avec les protestants, François a reconnu que « les intentions de Martin Luther ne furent pas erronées : c’était un réformateur », invitant à bien remettre son action et sa pensée dans le contexte de son temps. « Aujourd’hui le dialogue est très bon et ce document sur la justification est un des documents œcuméniques les plus riches et les plus profonds ». Si la division a fait du tort à tout le monde, le Pape insiste pour que l’on prie ensemble. Il faut aussi « travailler pour les pauvres, pour les persécutés, pour tous les gens qui souffrent et pour les réfugiés ».
Le Pape François est revenu sur la question des femmes diacres, regrettant qu’une partie de la presse ait fait un raccourci affirmant que l’Église ouvrait le diaconat aux femmes. Pour le moment, le Pape a sur son bureau une liste de personnes qui pourraient faire partie d’une commission ayant la charge d’étudier la question. Mais tant de travaux ont déjà été fait dans les années 1980 et « ce ne sera pas difficile de faire la lumière sur cette question ». Le Pape a toutefois reconnu que ce qui comptait, ce n’était pas la fonction de la femme, mais son mode de penser, différent de celui d’un homme. « On ne peut pas prendre une bonne et juste décision sans écouter les femmes ».
Récemment, le cardinal allemand Reinhard Marx a assuré que l’Église devait demander pardon aux homosexuels pour les avoir discriminés. A cela, François a rappelé que ces personnes « ne doivent pas être discriminées, elles doivent être respectées, accompagnées pastoralement. On peut condamner, non pour des motifs idéologiques, mais pour des motifs de comportement politique, certaines manifestations un peu trop offensantes pour les autres. Mais ces questions ne concernent pas le problème. Si le problème c’est cette personne qui a cette condition, qui est de bonne volonté et qui cherche Dieu, qui sommes-nous pour la juger ? ». L’Église, selon le Pape, ne doit pas seulement demander pardon aux homosexuels mais aussi aux pauvres, aux femmes et aux enfants exploités par le travail et doit demander pardon pour avoir béni tant d’armes. « L’Église doit demander pardon de ne pas s’être bien comportée tant de fois, et quand je dis l’Église je veux dire les chrétiens ». Le Pape n’a cependant pas manqué de rappeler qu’au sein de l’Église il y avait aussi des saints invisibles comme des « aumôniers de prison », et tant sœur Teresa de Calcutta.
A quelques semaines de son départ pour la Pologne, pour les JMJ, le Pape a confirmé qu’il se rendrait à Auschwitz pour « prier en silence » et « demander à Dieu la grâce de pleurer » dans « ce lieu d’horreur ».