Quinze ans après la déclaration de Karékine II et de saint Jean-Paul II (27 septembre 2001), qui évoquait le génocide, le pape François et le catholicos Karékine II ont signé une déclaration commune, à 16h (14h à Rome), ce dimanche 26 juin 2016, au siège de l’Eglise apostolique arménienne à Etchmiadzine (Arménie). Elle est publiée par le Vatican en 5 langues: anglais, arménien, italien, allemand et portugais.
Déclaration du pape François et patriarche Karékine II :
Aujourd’hui, dans la sainte Etchmiadzine, centre spirituel de Tous les Arméniens, nous, le pape François et Karékine II, Catholicos de Tous les Arméniens, nous élevons nos esprits et nos coeurs pour remercier le Tout-Puissant pour la proximité continue et croissante dans la foi et dans l’amour entre l’Eglise apostolique arménienne et l’Eglise catholique dans leur témoignage commun au message de l’Evangile dans un monde déchiré par les conflits et désireux de réconfort et d’espérance.
Nous louons la Très Sainte-Trinité , le Père, le Fils et l’Esprit Saint, de nous avoir permis de venir dans la terre biblique de l’Ararat, qui se dresse comme pour nous rappeler que Dieu sera toujours notre protection et notre salut. Nous sommes heureux de rappeler qu’en 2001, à l’occasion du 1700e anniversaire de la proclamation du Christianisme comme religion de l’Arménie, saint Jean-Paul II est venu en visite en Arménie, et qu’il a été le témoin d’une page nouvelle des relations chaleureuses et fraternelles entre l’Eglise apostolique arménienne et l’Eglise catholique. Nous sommes reconnaissants d’avoir eu la grâce d’être ensemble dans une liturgie solennelle dans la basilique Saint-Pierre à Rome, le 12 avril 2015, au cours de laquelle nous nous sommes engagés à nous opposer à toute forme de discrimination et de violence, et où nous avons commémoré les victimes de ce que la Déclaration commune de Sa sainteté Jean-Paul II et de Sa sainteté Karékine II a mentionné comme « l’extermination d’un million et demi de Chrétiens arméniens que généralement est défini comme le premier génocide du XXe siècle » (27 septembre 2001).
Nous louons le Seigneur pour le fait qu’aujourd’hui la foi chrétienne est de nouveau une réalité vibrante en Arménie et que l’Eglise arménienne continue sa mission dans un esprit de collaboration fraternelle entre les Eglises, en soutenant les fidèles dans la construction d’un monde de solidarité , de justice et de paix.
Cependant, nous sommes hélas témoins d’une immense tragédie qui advient sous nos yeux : d’innombrables personnes innocentes tuées, déportées, ou contraintes à un exil douloureux et incertain par des conflits continuels à base ethnique, politique et religieuse au Moyen-Orient et dans d’autres parties du monde.
Il s’ensuit que les minorités ethniques et religieuses sont devenues l’objectif de persécutions et de traitements cruels, au point que de telles souffrances en raison de l’appartenance à une confession religieuse sont devenues une réalité quotidienne. Les martyrs appartiennent à toutes les Eglises et leur souffrance constitue un « oecuménisme du sang » qui transcende les divisions historiques entre les chrétiens, en nous appelant tous à promouvoir l’unité visible de s disciples du Christ.
Ensemble, nous prions par l’intercession des saints apôtres Pierre et Paul, Thaddée et Barthélémy, pour un changement du cœur de tous ceux qui commettent de tels crimes et en ceux qui sont en mesure d’arrêter la violence. Nous implorons les chefs des nations d’écouter la requête de millions d’êtres humains qui dans le monde attendent avec angoisse la paix et la justice, qui demandent le respect des droits que Dieu leur a attribués, qui ont un besoin urgent de pain et non pas d’armes.
Hélas nous assistons à une présentation de la religion et des valeurs religieuses d’une façon fondamentaliste qui est utilisée pour justifier la diffusion de la haine, de la discrimination et de la violence. La justification de tels crimes sur la base d’idées religieuses est inacceptable, parce que « Dieu n’est pas un Dieu du désordre mais de la paix » (1 Co 14,33).
En outre, le respect des différences religieuses est la condition nécessaire pur la coexistence pacifique des différentes communautés ethniques et religieuse. C’est justement parce que nous sommes chrétiens que nous sommes appelés à chercher et développer des chemins de réconciliation et de paix. A ce propos, nous exprimons aussi notre espérance d’une solution pacifique des questions concernant le Haut-Karabagh.
En nous souvenant de ce que Jésus a enseigné à ses disciples quand il a dit: « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, j’étais ne prison et vous êtes venus me trouver » (Mt 25, 35-36), nous demandons aux fidèles de nos Eglises d’ouvrir leurs coeurs et leurs mains aux victimes de la guerre et du terrorisme, aux réfugiés et à leurs familles. Ce qui est en jeu c’est le sens même de notre humanité, de notre solidarité, de notre compassion et générosité, qui ne peut s’exprimer de façon appropriée que par un emploi immédiat et pratique de ressources.
Nous reconnaissons tout ce qui a déjà été fait mais nous répétons que beaucoup plus est demandé aux responsables politiques et à la communauté internationale afin d’assurer le droit de tous à vivre en paix, et dans la sécurité, pour soutenir l’Etat de droit, pour protéger les minorités religieuses et ethniques pour combattre le trafic et la contrebande d’êtres humains.
La sécularisation d’amples secteurs de la société, son aliénation de ce qui est spirituel et divin, conduit inévitablement à une vision désacralisée et matérialiste de l’homme et de la famille humain. A ce propos, nous sommes préoccupés par la crise de la famille dans de nombreux pays. L’Eglise apostolique arménienne et l’Eglise catholique partagent la même vision de la famille, fondée sur le mariage, acte de gratuité et d’amour fidèle entre un homme et une femme.
Nous sommes heureux de confirmer qu’en dépit des divisions persistantes entre chrétiens, nous avons compris plus clairement que ce qui unit est beaucoup plus que ce qui nous divise. Voilà la base solide sur laquelle l’unité de l’Eglise du Christ sera rendue manifeste, selon les paroles du Seigneur : « pour que tous soient un » (Jn 17,21). Au cours des décennies passées, les relations entre l’Eglise apostolique arménienne et l’Eglise catholique sont entrées avec succès dans une phase nouvelle, fortifiées par nos prières réciproques, et par notre commun engagement à surmonter les défis actuels. Nous sommes aujourd’hui convaincus de l’importance cruciale de développer ces relations, en entreprenant une collaboration profonde plus décisive non seulement dans le domaine théologique mais aussi dans la prière et dans une coopération active au niveau des communautés locales, dans la perspective de partager une pleine communion et des expressions d’unité concrète. Nous exhortons nos fidèles à travailler en harmonie pour promouvoir dans la société les valeurs chrétiennes, qui contribuent efficacement à la construction d’une civilisation de justice, de paix et de solidarité humaine. La voie de la réconciliation et de la fraternité est ouverte devant nous. Que l’Esprit Saint, qui nous guide vers la vérité tout entière (cf. Jn 16,13), soutienne tout effort authentique pour construire des ponts d’amour et de communion entre nous.
Depuis la sainte Etchmiadzine, nous invitons tous nos fidèles à s’unir à nous dans la prière, avec les paroles de saint Nersès le Gracieux: “Glorieux Seigneur, accepte les supplications de tes serviteurs, et exauce nos demandes avec bienveillance, par l’intercession de la Sainte Mère de Dieu, de saint Jean Baptiste, de saint Etienne le Protomartyr, de saint Grégoire l’Illuminateur, des saints Apôtres, des Prophètes, des saints “Divins”, des Martyrs, des Patriarches, des Ermites, des Vierges et de tous tes saints, dans le ciel et sur la terre. Et à toi, ô indivisible Sainte Trinité, soit la gloire et la louange pour les siècles des siècles. Amen”.
Sainte Etchmiadzine, 26 juin 2016
Sa Sainteté François Sa sainteté Karékine II