Le secret du prêtre ? Dans le « buisson ardent », de sa relation au Christ « qui le garde », répond le pape François.
Il a brossé un portrait du prêtre idéal dans son discours de l’ouverture de la 69e Assemblée générale de la Conférence épiscopale italienne (C.E.I.) qui se terminera le 19 mai, ce lundi après-midi 16 mai, dans la Nouvelle Salle du Synode.
Discours du pape François :
Chers frères,
Je suis particulièrement heureux d’ouvrir avec vous cette Assemblée en raison du thème que vous avez pris pour fil directeur de vos travaux – le renouvellement des clercs – avec la volonté de soutenir leur formation au long des différentes saisons de la vie.
La Pentecôte que nous venons de célébrer met bien en lumière votre objectif. L’Esprit-Saint demeure, en effet, le protagoniste de l’histoire de l’Église : c’est l’Esprit qui habite en plénitude dans la personne de Jésus et qui nous introduit dans le mystère du Dieu vivant ; c’est l’Esprit qui a animé la réponse généreuse de la Vierge Marie et des saints ; c’est l’Esprit qui agit dans les croyants et dans les hommes de paix, et qui suscite la généreuse disponibilité et la joie évangélisatrice de tant de prêtres. Sans l’Esprit Saint, nous le savons, il n’existe pas de possibilité de vie bonne ni de réforme. Prions et engageons-nous à garder sa force, afin que « le monde de notre temps puisse recevoir la Bonne Nouvelle […] de ministres de l’Évangile dont la vie irradie de ferveur » (Paul VI, exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, 80).
Ce soir, je ne veux pas vous offrir une réflexion systématique sur la figure du prêtre. Essayons plutôt de renverser la perspective et de nous mettre à l’écoute, dans la contemplation. Approchons-nous, presque sur la pointe des pieds, de l’un des nombreux curés qui se dépensent dans nos communautés ; laissons le visage de l’un d’eux passer devant les yeux de notre cœur et demandons-nous simplement : qu’est qui donne du sel à sa vie ? Pour qui et pour quoi engage-t-il son service ? Quelle est la raison ultime de son don de lui-même ?
Je souhaite pour vous que ces questions puissent reposer en vous dans le silence, dans la prière tranquille, dans un dialogue franc et fraternel : les réponses qui jailliront vous aideront à distinguer aussi les propositions de formation sur lesquelles investir courageusement.
1. Que veut donc dire donner du goût à la vie de « notre » prêtre ? Le contexte culturel est très différent de celui au cours duquel ils ont fait leurs premiers pas dans leur ministère. En Italie, aussi, beaucoup de traditions, d’habitudes et de visions de la vie ont été affectées par un profond changement d’époque.
Nous qui nous retrouvons souvent à déplorer cette époque sur un ton amer et accusateur, nous devons aussi en percevoir la dureté : dans notre ministère, combien de personnes rencontrons-nous qui sont essoufflées par manque de points de repère vers lesquels se tourner ! Combien de relations blessées ! Dans un monde où chacun se prend pour la mesure de tout, il n’y a plus de place pour le frère.
Sur cette toile de fond, la vie de notre prêtre devient éloquente parce qu’elle est différente, alternative. Comme Moïse, c’est quelqu’un qui s’est approché du feu et qui a laissé les flammes brûler ses ambitions de carrière et de pouvoir. Il a fait un bûcher y compris des tentations de se considérer comme un « dévôt » qui se réfugie dans un intimisme religieux bien peu spirituel.
Notre prêtre est pieds-nus, sur une terre qu’il s’obstine à croire et à considérer comme sainte. Il ne se scandalise pas des fragilités qui secouent l’âme humaine : conscient d’être lui-même un paralytique guéri, il se garde à distance de la froideur du rigoriste, ainsi que de la superficialité de celui qui veut se montrer condescendant à moindres frais. Au contraire, il accepte de prendre sur lui l’autre, se sentant participant et responsable de son destin.
Avec l’huile de l’espérance et de la consolation, il se fait proche de chacun, attentif à partager son sentiment d’abandon et sa souffrance. Ayant accepté de ne pas disposer de lui-même, il n’a pas d’agenda à défendre, mais il remet tous les matins au Seigneur son temps pour se laisser rencontrer par les gens et faire de sa personne une rencontre. Ainsi, notre prêtre n’est pas un bureaucrate ni un fonctionnaire anonyme de l’institution ; il ne s’est pas consacré à un rôle de bureau et n’est pas motivé par les critères de l’efficacité.
Il sait que l’Amour est tout. Il ne cherche pas d’assurances terrestres ou de titres honorifiques, qui poussent à mettre sa confiance en l’homme ; dans son ministère, il ne demande pour lui-même rien qui aille au-delà de ses besoins réels, et n’est pas préoccupé de s’attacher les personnes qui lui sont confiées. Son style de vie simple et essentiel, toujours disponible, le rend crédible aux yeux des gens et le rend proche des humbles, dans une charité pastorale qui rend libres et solidaires. Serviteur de la vie, il marche avec le cœur et au pas des pauvres ; il s’enrichit de leur fréquentation. C’est un homme de paix et de réconciliation, un signe et un instrument de la tendresse de Dieu, attentif à diffuser le bien avec la même passion que d’autres prennent soin de leurs propres intérêts.
Le secret de notre prêtre, vous le savez bien, se trouve dans ce buisson ardent qui marque au fer son existence, la conquiert et la conforme à celle de Jésus-Christ, vérité définitive de sa vie. C’est son rapport avec lui qui le garde, le rendant étranger à la mondanité spirituelle qui corrompt, ainsi qu’à tout compromis et toute mesquinerie. C’est l’amitié avec son Seigneur qui le pousse à embrasser la réalité quotidienne avec la confiance de celui qui croit que ce qui est impossible à l’homme ne l’est pas pour Dieu.
2. Ainsi nous pouvons aborder plus directement les autres questions desquelles nous sommes partis. Pour qui notre prêtre engage-t-il son service ? La question doit peut-être être précisée. En effet, avant même de nous interroger sur les destinataires de son service, nous devons reconnaître que le prêtre est tel dans la mesure où il se sent partie prenante de l’Église, d’une communauté concrète dont il partage le chemin. Le peuple fidèle de Dieu demeure le sein d’où il est tiré, la famille dans laquelle il est impliqué, la maison à laquelle il est envoyé. Cette commune appartenance, qui jaillit du baptême, est la respiration qui libère d’une autoréférence qui isole et emprisonne : « Quant ton bateau commencera à planter ses racines dans l’immobilité du quai, rappelait Dom Helder Camara, prend le large ! ». Pars ! Et, surtout, non pas parce que tu as une mission à accomplir, mais parce que structurellement tu es un missionnaire : en rencontrant Jésus, tu as expérimenté la plénitude de la vie et, pour cette raison, tu désires de tout ton être que d’autres se reconnaissent en lui et puissent garder son amitié, se nourrir de sa parole et le célébrer dans la communauté.
Celui qui vit pour l’Évangile entre ainsi dans un partage vertueux : le pasteur est converti et confirmé par la foi simple du peuple saint de Dieu avec lequel il agit et dans le cœur duquel il vit. Cette appartenance est le sel de la vie du prêtre ; elle fait que son trait distinctif soit la communion, vécue avec les laïcs dans des rapports qui savent valoriser la participation de chacun. En ce temps pauvre en amitié sociale, notre première tâche est de construire des communautés ; l’aptitude à la relation est par conséquent un critère décisif de discernement vocationnel.
De la même façon, pour un prêtre, il est vital de se retrouver dans le cénacle du presbyterium. Que de tristesse chez ceux qui, dans la vie, sont toujours un peu à mi-chemin, un pied levé ! Ils calculent, ils soupèsent, ils ne risquent rien par peur de se perdre… Ce sont les plus malheureux ! Notre prêtre, lui, avec ses limites, est quelqu’un qui se met en jeu jusqu’au bout : dans les conditions concrètes où la vie et le ministère l’ont mis, il s’offre gratuitement, humblement et joyeusement. Même quand personne ne semble s’en rendre compte. Même lorsqu’il a l’intuition qu’humainement peut-être que personne ne le remerciera à la hauteur du don sans mesure qu’il fait de lui-même.
Mais, il le sait, il ne pourrait pas faire autrement : il aime la terre, il reconnaît qu’elle est visitée tous les matins par la présence de Dieu. Il est l’homme de la Pâque, du regard tourné vers le Royaume, vers lequel il sent que l’histoire humaine chemine, malgré ses retards, ses obscurités et ses contradictions. Le Royaume – la vision que Jésus a de l’homme – est sa joie, l’horizon qui lui permet de relativiser le reste, d’apaiser préoccupations et anxiété, de rester libre des illusions et du pessimisme, de garder la paix dans son cœur et de la diffuser par ses gestes, ses paroles et son comportement.
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Chers frères, voilà tracée la triple appartenance qui nous constitue : appartenance au Seigneur, à l’Église et au Royaume. Ce trésor dans des vases d’argile doit être gardé et encouragé ! Prenez conscience jusqu’au bout de cette responsabilité, chargez-vous en avec patience et disponibilité de temps, de mains et de cœur.
Je prie pour vous la Vierge Sainte, pour que son intercession vous garde accueillants et fidèles. Ensemble, avec vos prêtres, puissiez-vous achever votre course, le service qui vous a été confié et par lequel vous participez au mystère de l’Église notre Mère. Merci.