Pape François, vous avez dit que « le génie féminin est nécessaire dans toutes les expressions de la vie de l’Église et de la société » et pourtant les femmes sont exclues des processus décisionnels dans l’Église, surtout aux niveaux les plus élevés, et de la prédication pendant l’Eucharistie. Un empêchement important à ce que l’Église embrasse pleinement le « génie féminin » réside dans le lien que les processus décisionnels d’une part et la prédication d’autre part, ont avec l’ordination sacerdotale. Voyez-vous un moyen de séparer de l’ordination les rôles de direction et la prédication de l’Eucharistie, de sorte que notre Église puisse être plus ouverte à recevoir le génie des femmes, dans un très proche avenir ?
Réponse du pape FrançoisIl y a ici diverses choses à distinguer. La question est liée au fonctionnement, elle est très liée au fonctionnement tandis que le rôle de la femme va au-delà. Mais maintenant je réponds à la question, ensuite nous parlerons… J’ai vu qu’il y a d’autres questions qui vont au-delà.
C’est vrai que les femmes sont exclues des processus décisionnels dans l’Église : exclues, non, mais l’insertion des femmes, là, dans les processus décisionnels, est très faible. Nous devons avancer. Par exemple – vraiment je ne vois pas de difficultés – je crois qu’au Conseil pontifical « Justice et paix », c’est une femme, une religieuse qui est responsable du secrétariat. Une autre a été proposée et je l’ai nommée mais elle a préféré ne pas accepter parce qu’elle devait aller ailleurs pour d’autres travaux de sa Congrégation. Il faut aller plus loin parce que, pour de nombreux aspects des processus décisionnels, l’ordination n’est pas nécessaire. Elle n’est pas nécessaire.
Dans la réforme de la Constitution apostolique Pastor Bonus, à propos des dicastères, quand il n’y a pas la juridiction qui vient de l’ordination – c’est-à dire la juridiction pastorale – on ne voit pas écrit que cela peut être une femme, je ne sais pas comme chef de dicastère, mais… Par exemple, pour les migrants : au dicastère pour les migrants, une femme pourrait aller. Et quand il y a nécessité – maintenant que les migrants entrent dans un dicastère – de la juridiction, ce sera le préfet qui donnera ce permis. Mais dans l’ordinaire, elle peut y aller, dans l’exécution du processus décisionnel. Pour moi, l’élaboration des décisions est très importante : pas seulement l’exécution, mais aussi l’élaboration et c’est-à-dire que les femmes, qu’elles soient consacrées ou laïques, entrent dans la réflexion du processus et de la discussion. Parce que la femme regarde la vie avec ses yeux et nous, les hommes, nous ne pouvons pas la regarder de la même façon. C’est la façon de voir un problème, de voir quoi que ce soit, chez une femme c’est différent de chez l’homme. Nous devons être complémentaires et c’est important qu’il y ait des femmes dans les consultations.
À Buenos Aires, j’ai eu l’expérience d’un problème : en le voyant avec le Conseil presbytéral – par conséquent tous des hommes – il était bien traité ; ensuite, le fait de le voir avec un groupe de femmes religieuses et laïques a beaucoup enrichit, beaucoup, et favorisé la décision avec une vision complémentaire. C’est nécessaire, ceci, c’est nécessaire ! Et je pense que nous devons avancer sur ce point, ensuite, le processus décisionnel viendra.
Il y a ensuite le problème de la prédication dans la célébration de l’Eucharistie. Il n’y a aucun problème si une femme – une religieuse ou une laïque – fait l’homélie dans une liturgie de la Parole. Il n’y a pas de problème. Mais dans la célébration eucharistique, il y a un problème liturgico-dogmatique parce que la célébration est une – la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique, c’est une unité – et celui qui la préside est Jésus-Christ. Le prêtre ou l’évêque qui préside le fait en la personne de Jésus-Christ. C’est une réalité théologico-liturgique. Dans cette situation, puisqu’il n’y a pas d’ordination des femmes, elles ne peuvent pas présider. Mais on peut étudier davantage et expliquer ceci davantage que ce que j’ai dit maintenant très rapidement et un peu simplement.
En revanche, dans la direction, il n’y a pas de problème : sur ce point, nous devons avancer, avec prudence, mais en cherchant les solutions…
Il y a deux tentations ici, desquelles nous devons nous garder.
La première est le féminisme : le rôle de la femme dans l’Église n’est pas du féminisme, c’est un droit ! C’est un droit en tant que baptisée avec les charismes et les dons que l’Esprit a donnés. Il ne faut pas tomber dans le féminisme parce que cela réduirait l’importance de la femme. Je ne vois pas, en ce moment, un grand danger sur ce point parmi les religieuses. Je ne vois pas. Peut-être une fois mais en général, il n’y a pas ce danger.
L’autre danger, qui est une tentation très forte et j’en ai parlé plusieurs fois, c’est le cléricalisme. Et ceci est trop fort. Pensons qu’aujourd’hui, plus de 60 pour cent des paroisses – des diocèses, je ne sais pas, mais seulement un peu moins – n’ont pas de conseil pour les affaires économiques ni de conseil pastoral. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que cette paroisse et ce diocèse sont guidés avec un esprit clérical, uniquement par le prêtre qui ne met pas en œuvre la synodalité paroissiale, la synodalité diocésaine, qui n’est pas une nouveauté de ce pape. Non ! C’est dans le droit canonique, c’est une obligation qu’a le curé d’avoir un conseil de laïcs, pour et avec des laïcs, hommes et femmes, et des religieuses pour la pastorale et pour les affaires économiques. Et cela, ils ne le font pas. Et ceci est le danger du cléricalisme aujourd’hui dans l’Église. Nous devons avancer et enlever ce danger parce que le prêtre est un serviteur de la communauté, l’évêque est un serviteur de la communauté mais pas le chef d’une entreprise. Non ! Ceci est important. En Amérique latine, par exemple, le cléricalisme est très fort, très marqué. Les laïcs ne savent rien faire sans demander au prêtre… C’est très fort.
Et c’est pourquoi la conscience du rôle des laïcs en Amérique latine est très en retard. On s’est un peu sauvé de cela uniquement par la piété populaire : parce que le protagoniste est le peuple et le peule a fait les choses comme elles venaient ; et cet aspect n’intéressait pas tellement et certains ne voyaient pas d’un bon œil ce phénomène de la piété populaire. Mais le cléricalisme est une attitude négative. Et il est complice, parce que cela se fait à deux, comme le tango que l’on danse à deux… À savoir : le prêtre qui veut cléricaliser le ou la laïque, le religieux ou la religieuse, le laïc qui demande comme une faveur d’être cléricalisé parce que c’est plus commode. C’est curieux, ceci. À Buenos Aires, j’ai eu cette expérience trois ou quatre fois : un bon curé qui vient me dire : « Vous savez, j’ai un laïc excellent dans ma paroisse : il fait ceci, il fait cela, il sait organiser, il est toujours occupé, c’est vraiment un homme de valeur… Faisons-le diacre ? ». C’est-à-dire : « cléricalisons-le ». Non ! Laisse-le rester laïc. N’en fais pas un diacre ». C’est important. C’est ce qui vous arrive, le cléricalisme bien souvent vous freine dans le développement licite de quelque chose.
Je demanderai – et je le ferai peut-être arriver au président – à la Congrégation pour le culte, qu’elle explique bien, de manière approfondie, ce que je dis un peu légèrement sur la prédication dans la célébration eucharistique. Parce que je n’ai pas la théologie ni la clarté suffisante pour l’expliquer maintenant. Mais il faut bien distinguer : une chose est la prédication dans une liturgie de la Parole, et cela peut se faire ; une autre est la célébration eucharistique, ici, il y a un autre mystère. C’est le mystère du Christ présent et le prêtre ou l’évêque qui célèbre en la personne du Christ.
Pour la direction, c’est clair… Oui, je crois que ceci peut être ma réponse en général à la première question.
Deuxième question posée au pape François :
Le rôle des femmes consacrées dans l’Église :
Les femmes consacrées travaillent déjà beaucoup avec les pauvres et les personnes marginales, elles enseignent la catéchèse, elles accompagnent les malades et les mourants, distribuent la communion, dans de nombreux pays elles guident les prières communes en l’absence de prêtre et dans ces circonstances, elles prononcent l’homélie. Dans l’Église, il existe le service du diaconat permanent, mais il n’est ouvert qu’aux hommes, mariés ou non. Qu’est-ce qui empêche l’Église d’inclure les femmes parmi les diacres permanents, juste comme cela se passait dans l’Église primitive ?
Pourquoi ne pas constituer une commission officielle pour étudier la question ? Pouvez-vous nous donner un exemple de là où vous verriez la possibilité d’une meilleure insertion des femmes, et des femmes consacrées, dans la vie de l’Église ?
Réponse du pape FrançoisCette question va dans le sens du « faire » : les femmes consacrées travaillent déjà beaucoup avec les pauvres, elles font beaucoup de choses… dans le « faire ». Et cela touche le problème du diaconat permanent. On pourra dire que les « diaconesses permanentes » sont les belles-mères dans la vie de l’Église [il rit ; rires]. En effet, ceci existe dans l’Antiquité : il y avait un début…
Je me souviens que c’est un thème qui m’intéressait pas mal quand je venais à Rome pour les réunions et que je logeais à la Domus Paul VI ; il y avait là un bon théologien syrien, qui avait réalisé l’édition critique et la traduction des Hymnes d’Éphrem le Syrien. Et un jour, je l’ai interrogé sur ce point et il m’a expliqué que dans les premiers temps de l’Église, il y avait quelques « diaconesses ». Mais que sont ces diaconesses ? Avaient-elle l’ordination ou non ? Le Concile de Chalcédoine (451) en parle, mais c’est un peu obscur. Quel était le rôle des diaconesses en ce temps-là ? Il semble – me disait cet homme qui est mort, c’était un bon professeur, sage, érudit – il semble que le rôle des diaconesses était d’aider au baptême des femmes, l’immersion, elles les baptisaient, pour la bienséance, et aussi pour faire les onctions sur le corps des femmes pendant le baptême.
Et aussi quelque chose de curieux : quand il y avait un jugement matrimonial parce que le mari battait sa femme et que celle-ci allait se plaindre auprès de l’évêque, les diaconesses étaient chargées de voir les traces laissées sur le corps de la femme par les coups du mari et d’informer l’évêque. Je me souviens de ceci.
Il y a quelques publications sur le diaconat dans l’Église, mais on ne sait pas clairement comment cela se passait. Je crois que je demanderai à la Congrégation pour la Doctrine de la foi de m’informer des études sur ce thème parce je ne vous ai répondu qu’en me basant sur ce que j’avais entendu de ce prêtre, qui était un chercheur érudit et compétent, sur le diaconat permanent.
Et en outre, je voudrais constituer une commission officielle pour étudier la question : je crois que cela fera du bien à l’Église de clarifier ce point ; je suis d’accord et je parlerai pour faire quelque chose de ce genre.
Ensuite, vous dites : Nous sommes d’accord avec vous, Saint-Père, qui avez plusieurs fois rappelé la nécessité de donner un rôle plus incisif aux femmes dans les positions décisionnelles dans l’Église ». Ceci est clair. « Pouvez-vous nous donner un exemple de là où vous voyez la possibilité d’une meilleure insertion des femmes et des femmes consacrées dans la vie de l’Église ? ». Je dirai quelque chose qui vient après, parce que j’ai vu qu’il y a une question générale.
Dans les consultations de la Congrégation pour les religieux, dans les assemblées, les consacrées doivent y aller : c’est sûr. Les consacrées doivent aller dans les consultations sur tous les problèmes qui sont présentés. Autre chose : une meilleure insertion. Pour le moment, je n’ai pas en tête de choses concrètes, mais toujours ce que j’ai dit avant : rechercher le jugement de la femme consacrée, parce que la femme voit les choses avec une originalité différente des hommes et ceci enrichit : que ce soit dans la consultation, dans la décision ou dans le concret.
Ce travail que vous faites avec les pauvres, les personnes marginales, enseigner la catéchèse, accompagner les malades et les mourants, c’est un travail très « maternel », où la maternité de l’Église peut s’exprimer davantage. Mais il y a des hommes qui font la même chose, et bien : des consacrés, des ordres hospitaliers… Et ceci est important.
Sur le diaconat, donc, oui, j’accepte et une commission me semble utile pour bien clarifier cela, surtout concernant les premiers temps de l’Église.
Quant à une meilleure insertion, je répète ce que j’ai dit avant.
S’il y a quelque chose qui doit être plus concret, demandez-le moi maintenant : sur ce que j’ai dit, y a-t-il une autre question qui m’aide à réfléchir ? Allez-y !
Troisième question :
Le rôle de l’Union internationale des supérieures générales :
Quel rôle l’Union internationale des supérieures générales pourrait-elle avoir, qui lui donnerait la possibilité d’une parole dans la pensée de l’Église, une parole qui soit écoutée, à partir du moment où elle porte avec elle la voix de 2000 instituts de religieuses? Comment est-il possible que très souvent nous soyons oubliées et qu’on ne nous fasse pas participer, par exemple à l’assemblée générale de la congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, où l’on parle de la vie consacrée? L’Église peut-elle se permettre de continuer à parler de nous, au lieu de parler avec nous?
Pape FrançoisSœur Teresina, je vous demande un petit peu de patience, car je viens de me souvenir de quelque chose qui m’a échappé dans l’autre question, sur « ce que peut faire la vie consacrée féminine? » C’est un critère que vous devez revoir, et l’Église aussi. Votre travail, comme le mien et celui de nous tous, est un service. Mais moi, je trouve des femmes consacrées qui font un travail servile et non de service. C’est un peu difficile à expliquer, je ne voudrais pas qu’on pense à des cas concrets, qui serait une mauvaise pensée, car personne ne connaît bien les circonstances. Mais imaginons un curé, par prudence imaginons-le: « Non, non, mon presbytère est aux mains de deux religieuses » – « Et c’est elles qui gèrent ? » – « Oui, oui! » – « Et que font-elles, de l’apostolat, des catéchèses ? » – « Non, non, uniquement ça! » Non! Ceci est de la servitude! Dites-moi, Monsieur le curé si, dans votre ville il n’y a pas de braves femmes qui ont besoin de travail. Prenez-en une, deux, qui fassent ce service. Que ces deux religieuses aillent dans les écoles, dans les quartiers, avec les malades, avec les pauvres. Voilà le critère: servir et non être servile! Et quant à vous, les mères supérieures, quand on vous demande quelque chose qui ressemble plus à de la servitude qu’à un service, ayez le courage de dire « non ». Ce critère aide beaucoup, car quand on veut qu’une consacrée fasse un travail servile, c’est sa vie et sa dignité de femme qu’on dévalue. Sa vocation est le service : service de l’Eglise, partout. Mais pas de servitude!
Voilà, maintenant [je réponds à] Teresina: « Quelle est d’après vous la place de la vie religieuse apostolique des femmes à l’intérieur de l’Église? Que manquerait-il à l’Église s’il n’y avait plus les religieuses? » Il manquerait Marie, le jour de la Pentecôte! Il n’y a pas d’Église sans Marie! Il n’y a pas de Pentecôte sans Marie! Mais Marie était là, elle ne parlait peut-être pas … je l’ai dit, mais j’aime le répéter. La femme consacrée est une image de l’Église, une image de Marie. Le prêtre n’en est pas une; il n’est pas une image de l’Église, de Marie: il est l’image des apôtres, des disciples, qui sont envoyés prêcher. Mais il ne l’est pas de l’Eglise et de Marie. Je dis cela pour vous faire réfléchir au fait que l’Église est un mot féminin ; l’Église est femme. Une femme mariée au Christ. Son Époux est Jésus Christ. Et quand un évêque est choisi pour un diocèse, l’évêque – au nom du Christ – épouse cette Église particulière. L’Église est femme! Et la consécration d’une femme fait d’elle une image de l’Eglise et de Marie. Nous les hommes, nous ne pouvons pas. Cela vous aidera à approfondir, en partant de cette racine théologique, ce grand rôle dans l’Église. Je ne voudrais pas que cela vous échappe.
Je suis tout à fait d’accord avec la conclusion de la troisième question. L’Église: l’Église, c’est vous, c’est nous tous. La hiérarchie – disons – de l’Eglise doit parler de vous, mais d’abord et sur le moment elle doit parler avec vous! C’est certain. Vous devez être présentes aux assemblées de la CIVCSVA. Oui, oui! Je le dirai au Préfet: vous devez être présentes! C’est clair, parce que parler d’un absent n’est pas non plus très évangélique: je dois pouvoir entendre, écouter ce que l’on pense, et puis agir ensemble. Je suis d’accord. Je n’imaginais pas tant de détachement, vraiment. Et merci de l’avoir dit si courageusement et avec ce sourire.
Permettez-moi une boutade. Dans le Piémont, on dit « faire la mugna quacia » [prendre un visage d’ange]. Bien, très bien! Oui, vous avez raison. Je crois qu’une réforme sur ce point est possible, j’en parlerai avec le préfet. « Mais cette assemblée générale ne parlera pas des religieuses, elle parlera d’autre chose … » – Il faut écouter les sœurs, car elles ont une autre vision des choses ». C’est ce que j’ai dit avant : il est important que vous soyez toujours insérées… Je vous remercie de la question.
Des précisions sur le sujet ? Est-ce que tout est clair ?
Rappelez-vous : que manquerait-il à l’Église si les religieuses n’existaient pas ? Il manquerait Marie le jour de la Pentecôte. La religieuse est l’image de l’Église et de Marie ; et l’Église est femme, mariée au Christ.
Quatrième question :
Les obstacles que nous rencontrons, comme femmes consacrées, à l’intérieur de l’Église
Cher Saint Père, beaucoup d’instituts affrontent le défi d’apporter de la nouveauté dans leur forme de vie et dans leurs structures en revoyant leurs Constitutions. Cela se révèle difficile parce que nous nous retrouvons bloquées par le Droit canonique. Prévoyez-vous des changements dans le Droit canonique afin de faciliter cette nouveauté ?
En outre, les jeunes, aujourd’hui, ont des difficultés à s’engager de façon permanente, que ce soit dans le mariage comme dans la vie religieuse. Pourrions-nous être ouvertes à des engagements temporaires ?
Et un autre aspect : en accomplissant notre ministère en solidarité avec les pauvres et les personnes marginales, nous sommes souvent considérées à tort comme des activistes sociales ou comme si nous adoptions des positions politiques. Certaines autorités ecclésiastiques voudraient que nous soyons plus mystiques et moins apostoliques. Quelle valeur est donnée à la vie consacrée apostolique et en particulier aux femmes par certaines parties de l’Église hiérarchique ?
Pape FrançoisD’abord, les changements à faire pour relever les nouveaux défis : vous avez parlé de nouveauté, nouveauté dans le sens positif, si j’ai bien compris, les choses nouvelles qui… Et l’Église est maîtresse en cela, parce qu’elle a dû beaucoup changer dans l’histoire, beaucoup, beaucoup. Mais dans tout changement, il faut du discernement, et on ne peut pas faire de discernement sans prière. Comment se fait le discernement ? La prière, le dialogue, et puis le discernement en commun. Il faut demander le don du discernement, de savoir discerner. Par exemple, un entrepreneur doit faire des changements dans son entreprise : il évalue de façon concrète et ce que sa conscience lui dit, il le fait. Dans notre vie, entre un nouveau personnage : l’Esprit Saint. Et pour faire un changement, nous devons évaluer toutes les circonstances concrètes, c’est vrai mais pour entrer dans un processus de discernement avec l’Esprit Saint, il faut la prière, le dialogue et le discernement commun. Je crois que sur ce point, nous ne sommes pas bien formés – quand je dis « nous », je parle aussi des prêtres – dans le discernement des situations, et nous devons chercher à avoir des expériences et aussi chercher quelqu’un qui nous explique bien comme se fait le discernement : un bon père spirituel qui connaisse bien ces choses et qui nous explique, que ce n’est pas un simple « pour et contre », faire la somme et on y va. Non, c’est quelque chose de plus. Tout changement qui doit être fait demande d’entrer dans ce processus de discernement. Et cela vous donnera davantage de liberté, davantage de liberté !
Le Droit canonique : mais il n’y a aucun problème. Le Droit canonique a été changé au siècle dernier – si je ne me trompe pas – deux fois : en 1917 et puis sous saint Jean-Paul II. On peut faire des petits changements, on en fait. Là, il s’agit en revanche de deux changements de tout le Code. Le Code est une aide disciplinaire, une aide pour le salut des âmes, pour tout cela : c’est l’aide juridique de l’Église pour les procès, beaucoup de choses, mais qui a été totalement changé, refait, deux fois au siècle dernier. Et ainsi on peut changer des parties. Il y a deux mois est arrivé une demande de changer un canon, je ne me souviens pas bien… j’ai fait faire l’étude et le secrétaire d’État a fait les consultations et tout le monde était d’accord sur le fait que, oui, cela devait être changer pour le plus grand bien, et on l’a changé. Le Code est un instrument, cela est très important. Mais j’insiste : ne jamais faire de changement sans faire un processus de discernement, personnel et communautaire. Et cela vous donnera de la liberté, parce que vous y mettez, dans le changement, l’Esprit Saint.
C’est ce qu’a fait saint Paul, et même saint Pierre, quand il a senti que le Seigneur le poussait à baptiser les païens. Quand nous lisons le livre des Actes des apôtres, nous nous étonnons de tant de changement, tant de changement. C’est l’Esprit ! C’est intéressant, cela : dans le livre des Actes des apôtres, les protagonistes ne sont pas les apôtres, mais l’Esprit. « L’Esprit obligea à faire ceci », « l’Esprit dit à Philippe : va là et là, trouve le ministre de l’économie et baptise-le », « l’Esprit fait », « l’Esprit dit : non, ne venez pas ici »… C’est l’Esprit. C’est l’Esprit qui a donné aux apôtres le courage de faire ce changement révolutionnaire en baptisant les païens sans faire le parcours de la catéchèse juive ou des pratiques juives. C’est intéressant : dans les premiers chapitres, il y a la Lettre que les apôtres, après le Concile de Jérusalem, envoient aux païens convertis. Ils racontent tout ce qu’ils ont fait : « L’Esprit Saint et nous avons décidé ceci ». C’est un exemple de discernement qu’ils ont fait. Tout changement, faites-le ainsi, avec l’Esprit-Saint. C’est-à-dire : discernement, prière et aussi évaluation concrète des situations.
Et pour le Code, il n’y pas de problème, c’est un instrument.
Quand à l’engagement permanent des jeunes, nous vivons dans une « culture du provisoire ». Un évêque m’a raconté, une fois où un jeune étudiant était venu le trouver, il avait terminé l’université, 23-24 ans et il lui avait dit : « Je voudrais devenir prêtre, mais seulement pour dix ans ». C’est la culture du provisoire. Dans les cas matrimoniaux, c’est comme cela : « Je t’épouse tant que dure l’amour et ensuite salut ». Mais l’amour entendu dans un sens hédoniste, dans le sens de cette culture d’aujourd’hui. Il est clair que ces mariages sont nuls, ils ne sont pas valides. Ils n’ont pas conscience du caractère perpétuel d’un engagement. Dans les mariages, c’est comme cela.
Dans l’exhortation apostolique Amoris laetitia, lisez la problématique, elle est dans les premiers chapitres, et lisez comment préparer un mariage. Quelqu’un me disait : « Moi, je ne comprends pas cela : pour devenir prêtre, vous devez étudier, vous préparer pendant huit ans, plus ou moins. Et ensuite, si cela ne va pas, ou si tu tombes amoureux d’une jolie fille, l’Église te permet : vas-y, marie-toi, commence une autre vie. Pour se marier – ce qui est pour toute la vie, qui est « pour » la vie – la préparation dans de nombreux diocèses est de trois ou quatre conférences. Mais cela ne va pas ! Comment un curé peut-il signer que ceux-ci sot préparés au mariage, avec cette culture du provisoire, avec seulement quatre explications. C’est un problème très sérieux.
Dans la vie consacrée, cela m’a toujours frappé – positivement – l’intuition de saint Vincent de Paul : il a vu que les sœurs de la Charité devaient faire un travail tellement fort, tellement « dangereux », vraiment de frontière, que chaque année elles doivent renouveler leurs vœux. Pour un an seulement. Mais il l’avait fait comme un charisme, pas comme une culture du provisoire : pour donner la liberté. Je crois que, dans la vie consacrée, les vœux temporaires facilitent cela. Et je ne sais pas, voyez vous-mêmes, mais je serais plutôt favorable peut-être à ce qu’on prolonge un peu les vœux temporaires, pour cette culture du provisoire qu’ont les jeunes aujourd’hui : c’est… prolonger les fiançailles avant de faire le mariage ! C’est important.
[Le pape François répond à une partie de la question précédente qui n’a pas été lue mais était écrite]Les demandes d’argent dans nos Eglises locales. Le problème d’argent est un problème très important, dans la vie consacrée comme dans l’Eglise diocésaine. N’oublions pas que le diable entre « par les poches » : par celles de l’évêque et celles de la congrégation. Cela touche le problème de la pauvreté, j’en parlerai plus tard. Mais, pour une paroisse, un diocèse, une congrégation de vie consacrée, la soif d’argent est le premier degré vers la corruption. C’est le premier degré. Je crois que le paiement pour des sacrements relève de cet ordre. Ecoutez. Si quelqu’un vous le demande, dénoncez le fait. Est-ce bien clair ? Je connais, j’ai assisté dans ma vie, à de la corruption de ce genre.
Je me souviens d’un épisode, je venais d’être nommé évêque, j’avais la zone la plus pauvre de Buenos Aires: elle est divisée en quatre vicariats. Il y avait tant de migrants des pays américains, et lorsqu’ils venaient se marier, il arrivait aux curés de dire: « Ces personnes n’ont pas de certificat de baptême ». Et quand ils le demandaient dans leur pays on leur disait : « Oui, mais envoyez-moi 100 dollars – je me souviens – et je vous l’envoie ». J’ai parlé avec le cardinal, le cardinal a parlé avec l’évêque local… Mais en attendant les gens pouvaient se marier sans le certificat de baptême, sous serment des parents et des parrain et marraine. Et ça c’est payer, non seulement le sacrement mais aussi les certificats.
Je me souviens, un jour à Buenos Aires, un jeune homme qui devait se marier est venu demander le nulla osta à sa paroisse pour se marier dans une autre : une procédure très simple. La secrétaire lui a dit: « Oui, passez demain, on vous le donnera, mais ça coûte cher »: une belle somme d’argent. Mais c’est un service : vérifier les généralités et remplir. Et lui – ce jeune homme, un brave avocat, très fervent, un bon catholique vraiment – il est venu me voir: « Et maintenant que faire ? » – « Demain vas-y et dis-leur que tu as envoyé le chèque à l’archevêque, et que celui-ci le leur remettra ». Le commerce de l’argent.
Ici nous touchons un problème sérieux, qui est celui de la pauvreté. Je vous dis : quand un institut religieux – et cela vaut aussi dans d’autres situations –, quand un institut se sent mourir, sent qu’il n’arrive plus à attirer de nouveaux éléments, sent que son temps, choisi par le Seigneur pour sa congrégation, est peut-être révolu, il se laisse tenter par la cupidité. Pourquoi? Parce qu’il pense: « Au moins nous aurons de l’argent pour nos vieux jours ». C’est grave ! Et quelle est la solution proposée par l’Eglise? Unir les divers instituts qui ont des charismes ressemblants, et avancer ensemble. Mais jamais, jamais l’argent n’est une solution pour les problèmes spirituels. C’est une aide nécessaire, mais pas à ce point. Saint Ignace disait, sur la pauvreté : elle est la « mère » et « un rempart » pour la vie religieuse. Elle nous fait grandir dans la vie religieuse comme une mère, et la protège. Sans la pauvreté la décadence commence.
Je me souviens, dans un autre diocèse, d’un collège de religieuses très important qui devait rénover leur habitation, celle-ci était devenue trop vieille, il fallait rénover; et elles ont fait un beau travail. Mais à l’époque – je parle des années ’93, ’94 plus ou moins – elles disaient: « Il faut qu’il y ait tout le confort, chambre avec salle-de-bain privée, et même la télévision… ». Dans ce collège, si important, entre 14h et 16h on ne voyait plus une religieuse : elles étaient toutes dans leur chambre à regarder leur feuilleton! Par manque de pauvreté, qui porte à mener une vie confortable, fantaisiste… C’est un exemple, peut-être le seul au monde, mais c’était pour comprendre le danger de « trop de confort », d’un « manque de pauvreté » ou d’une certaine austérité.
[Autre partie de la question non lue mais écrite]
« Les religieuses ne reçoivent pas un salaire pour les services qu’elles rendent, contrairement aux prêtres. Comment montrer une facette rassurante de notre subsistance? Comment pouvons-nous trouver les ressources financières nécessaires pour exercer notre mission ? »
Réponse du pape FrançoisJe vous dirai deux choses. Premièrement: regardez votre charisme, à l’intérieur de votre charisme – chacun a le sien – et voyez quelle est la place de la pauvreté, car il y a des congrégations qui exigent une vie de pauvreté très, très forte; d’autres, pas tant que ça. Les deux sont approuvés par l’Eglise. Chercher la pauvreté selon son charisme.
Et puis : faire des économies ; avoir une bonne administration demande de la prudence, en faisant quelque petit investissement, pourquoi pas. C’est cela être prudent: pour les maisons de formation, pour poursuivre des œuvres pauvres, pour faire avancer des écoles pour les pauvres, remplir les taches de son apostolat… Fonder sa propre congrégation: c’est ce qu’il faut faire. Comme la richesse peut faire mal et corrompre la vocation, la misère aussi. Si la pauvreté devient misère, ce n’est pas bien non plus. On voit la prudence spirituelle de la communauté dans le discernement commun: l’économe informe, tout le monde discute. Oui, c’est trop, pas trop… Cette prudence maternelle.
Mais s’il vous plaît ne vous laissez pas berner par les amis de la congrégation qui, plus tard, vous « plumeront » et vous enlèveront tout. J’ai vu tant de maisons de religieuses, ou d’autres m’ont raconté, qui ont tout perdu après avoir fait confiance à telle ou telle personne … « un grand ami de la congrégation »! Il y a beaucoup de roublards, vraiment beaucoup. La prudence veut qu’on ne consulte jamais qu’une seule personne ; quand vous avez besoin, consulter plusieurs personnes différentes.
Administrer des biens est une très grande responsabilité, dans la vie consacrée. Si vous n’avez pas assez pour vivre, dites-le à l’évêque. Dire à Dieu: « Donne-nous notre pain quotidien », c’est bien. Mais parler avec l’évêque, avec la supérieure générale, avec la congrégation pour les religieux. Pour les besoins élémentaires, car la vie religieuse est un cheminement dans la pauvreté, mais ce n’est pas un suicide! C’est ce que l’on appelle de « la sainte prudence ». Est-ce bien clair ?
Et puis, là où il a des conflits pour ce que les Eglises locales vous demandent, il faut prier, discerner et avoir le courage, quand il faut, de dire « non » ; et la générosité, quand il faut, de dire « oui ». Mais, quoiqu’il en soit, vous devez discerner, il le faut !
Question (reprise)« Alors que nous exerçons notre ministère, en étant solidaires des pauvres et des exclus, on nous considère souvent, à tort, comme des activistes sociales ou comme si nous prenions des positions politiques. Certaines autorités dans l’Eglise voient d’un mauvais œil notre ministère, soulignant que nous devrions être plus concentrées sur une forme de vie mystique. Dans ces circonstances, comment pouvons-nous vivre notre vocation prophétique… ? »
Réponse du pape FrançoisOui. Toutes les religieuses, toutes les consacrées, doivent vivre mystiquement, car vous êtes mariées ; votre vocation est une vocation de maternité, être à la place de la Mère Eglise et de Marie la Mère. Mais ceux qui vous disent cela, pensent qu’être mystique équivaut à faire la momie, être toujours en train de prier … Non, non. On doit prier et travailler selon son propre charisme; et quand votre charisme vous porte à vous occuper des réfugiés, des pauvres, faites-le, même si on vous traite de « communistes »: C’est le moins qu’on puisse vous dire. Mais vous devez le faire ! Car votre charisme vous le demande.
En Argentine, je me souviens d’une sœur : c’était la provinciale de sa congrégation. Une brave femme, et elle travaille encore … elle a presque mon âge, oui. Et elle travaille contre les trafiquants de jeunes, de personnes. Je me souviens, dans le gouvernement militaire en Argentine, on voulait l’envoyer en prison, les autorités faisaient pression sur l’archevêque, et sur la supérieure provinciale, avant qu’elle ne le devienne à son tour, « car cette femme est communiste », disait-on. Et cette femme a sauvé tant de jeunes filles, vraiment beaucoup !
Et oui, c’est la croix à porter. Que disaient-ils de Jésus? Que c’était Belzebuth, qu’il avait le pouvoir de Belzébuth. Soyez prêtes à la calomnie. Si vous faites le bien, priez devant Dieu, et assumez toutes les conséquences de votre charisme, préparez-vous à subir diffamation et calomnie, car c’est la voie choisie par le Seigneur pour Lui-même! Et nous, évêques, nous devons veiller sur ces femmes qui sont l’image de l’Eglise, quand elles font des choses difficiles et sont calomniées, persécutées. Etre persécutés est la dernière des béatitudes. Le Seigneur nous a dit : « Heureux êtes-vous quand on vous insulte et persécute » et toutes ces choses.
Mais le danger peut être : « je me débrouille seule » – non, non: on vous persécute, parlez. Avec votre communauté, avec votre supérieure, parlez avec tout le monde, cherchez un conseil, discernez: la Parole c’est après !
Et cette religieuse dont je vous parlais, un jour je l’ai trouvée en pleurs, elle disait: « regardez la lettre que j’ai reçue de Rome – je ne dirai pas d’où –: que dois-je faire? » – « Tu es une fille de l’Eglise? » – « Oui » – « Tu dois obéir à l’Eglise ? » – « Oui ! » – « Réponds que tu seras obéissante à l’Eglise, et puis vas chez ta supérieure, vas dans ta communauté, vas chez ton évêque – c’était moi – et l’Eglise dira ce que tu dois faire. Mais pas une lettre qui vient de 12 000 km ». Car là un ami des ennemis de la religieuse avait écrit, elle avait été calomniée.
Être courageuses, mais avec humilité, discernement, prière, dialogue.
Conclusion :« Une parole d’encouragement pour nous les chefs qui supportons le poids du jour. »
Réponse du pape FrançoisMais soufflez un peu! Le repos, car tant de maladies arrivent par manque de repos, un sain repos en famille … Ceci est important pour supporter le poids de la journée.
Vous parlez ici également des sœurs âgées et malades. Mais ces sœurs sont la mémoire de l’institut, celles qui ont semé, qui ont travaillé, et maintenant sont paralysées ou très malades ou mises de côté. Ces religieuses prient pour l’institut. C’est très important qu’elles se sentent impliquées dans la prière pour l’institut. Elles ont une si grand expérience derrière elles : certaines plus, d’autres moins. Ecoutez-les! Allez les trouver: « Dites, ma soeur, que pensez-vous de ça ou ça? ». Qu’elles se sentent consultées et de leur sagesse sortira un bon conseil. Soyez-en sûres.
Voilà ce qu’il me vient de vous dire. Je sais que je me répète souvent, que je dis les mêmes choses, mais c’est la vie … J’aime qu’on me pose des questions, car elles me font réfléchir et je me sens comme un gardien de but qui est là, attend que le ballon arrive … C’est bon, faites-le vous aussi dans le dialogue.
Ces choses que j’ai promis de faire, je les ferai. Et priez pour moi, je prie pour vous. Et avançons. Notre vie est pour le Seigneur, pour l’Eglise et pour les personnes qui souffrent tant et ont besoin de la caresse du Père, à travers vous! Merci!
Je vous propose une chose : terminons avec la Mère. Que chacune prie dans sa propre langue l’Ave Maria. Je prierai en espagnol.
Ave Maria…
[Bénédiction]
Et priez pour moi, afin que je sache bien servir l’Eglise.
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Source : https://fr.zenit.org/